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    Alain de Benoist, Contre Hayek + Communautariens et Libéraux + Critique de l'idéologie libérale + réponses d’Alain de Benoist le 28 janvier 2009 au questionnaire de la Nietzsche académie

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 3 Jan - 0:19



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Ven 9 Nov - 22:14, édité 1 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 2 Aoû - 16:55

    https://docs.google.com/file/d/0B9dekxoyNOwpSGJPOHNJNldrZ2M/edit

    "N'étant pas né de l’œuvre d'un seul homme, le libéralisme ne s'est jamais présenté comme une doctrine unifiée." (p.1)

    "Le libéralisme est d'une part une doctrine économique, qui tend à faire du modèle du marché autorégulateur le paradigme de tous les faits sociaux : ce qu'on appelle le libéralisme politique n'est qu'une manière d'appliquer à la vie politique des principes déduits de cette doctrine économique, laquelle tend précisément à limiter le plus possible la part du politique. [...] D'autre part, le libéralisme est une doctrine qui se fonde sur une anthropologie de type individualiste, c'est-à-dire qu'elle repose sur une conception de l'homme comme être non fondamentalement social." (p.1)

    "Dans la mesure où il se fonde sur l'individualisme, le libéralisme tend à briser tous les liens sociaux qui vont au-delà de l'individu. Quant au fonctionnement optimal du marché, il implique que rien n'entrave la libre circulation des hommes et des marchandises, c'est-à-dire que les frontières soient tenues pour inexistantes, ce qui contribue encore à la dissolution des structures et des valeurs partagées." (p.1)

    "L'individualisme pose ses valeurs indépendamment de la société telle qu'il la trouve." (p.3)

    "La liberté se définirait ainsi comme pure expression d'un désir n'ayant d'autre limite théorique que l'identique désir d'autrui, l'ensemble de ces désirs étant médiatisé par les échanges économiques. C'est ce qu'affirmait déjà Grotius, théoricien du droit naturel, au XVIIe siècle : « Il n'est pas contre la nature de la société humaine de travailler à son propre intérêt, pourvu qu'on le fasse sans blesser les droits d'autrui ». Mais c'est évidemment une définition irénique : presque tous les actes humains s'exercent d'une façon ou d'une autre aux dépens de la liberté d'autrui, et il est en outre quasiment impossible de déterminer le moment où la liberté d'un individu peut être considérée comme entravant celle des autres." (p.4)

    "Il est clair que pour les libéraux, l'intérêt se définit d'abord comme un avantage matériel qui, pour être apprécié comme tel, doit pouvoir être calculable et quantifiable, c'est-à-dire pouvoir s'exprimer sous l'horizon de cet équivalent universel qu'est l'argent." (p.5)

    "Cette société, où tout peut s'acheter et se vendre." (p.8 )

    "Toute chose vaut ce que vaut sa valeur d'échange, mesurée par son prix. Et parallèlement, tout ce qui ne peut s'exprimer en termes quantifiables et calculables est tenu pour sans intérêt ou pour inexistant. Le discours économique s'avère ainsi profondément réificateur des pratiques sociales et culturelles, profondément étranger à toute valeur qui ne s'exprime pas en termes de prix." (p.9)

    "La doctrine libérale veut que le comportement moral ne résulte plus du sens du devoir ou de la règle morale, mais de l'intérêt bien compris. En ne portant pas atteinte à la liberté d'autrui, je le dissuaderais de porter atteinte à la mienne. La peur du gendarme est censée faire le reste. Mais si j'acquiers la certitude qu'en transgressant la règle, je n'encours que très peu de risques d'être puni, et que la réciprocité m'indiffère, qu'est-ce qui peut bien m'empêcher de violer la règle ou la loi ? Évidemment rien. La seule prise en compte de mon intérêt propre m'invite au contraire à le faire aussi souvent que je le peux." (p.9-10)

    "Alors que le marché avait été porté et institué par l'Etat-nation, l'antagonisme entre le libéralisme et le « secteur public » ira dès lors grandissant. Les libéraux ne cesseront de tonner contre l'Etat-Providence, sans réaliser que c'est l'extension même du marché qui rend inévitables des interventions étatiques toujours accrues. L'homme dont la force de travail est abandonnée au seul jeu du marché est en effet vulnérable, car il peut arriver que, sur le marché, sa force de travail ne trouve pas preneur, ou même qu'elle ne vaille rien. L'individualisme moderne, par ailleurs, a détruit les relations organiques de proximité, qui étaient avant tout des relations d'entraide et de solidarité réciproque, faisant disparaître du même coup les anciennes formes de protection sociale. S'il régule l'offre et la demande, le marché ne régule pas les relations sociales, mais au contraire les désorganise, ne serait-ce que parce qu'il ne tient pas compte de l'existence d'une demande non solvable. L'essor de l'Etat-Providence devient alors une nécessité, puisqu'il est le seul à pouvoir corriger les déséquilibres les plus criants, à pouvoir atténuer les détresses les plus évidentes. C'est la raison pour laquelle, comme l'a bien montré Karl Polanyi, chaque fois que le libéralisme a paru s'imposer, on a paradoxalement assisté à un surcroît d'interventions étatiques rendues nécessaires par les dégâts causés dans le tissu social par la logique du marché." (p.12)

    "L'échange marchand n'est pas la forme naturelle de la relation sociale, ni même de la relation économique. Le marché n'est pas un phénomène universel, mais un phénomène localisé. Il ne réalise jamais l'ajustement optimal de l'offre et de la demande, ne serait-ce que parce qu'il ne prend en compte que la demande solvable." (13)

    "Le holisme réapparaît dès l'instant où, face à la théorie libérale d'une « harmonie naturelle des intérêts », on reconnaît l'existence d'un bien commun primant sur les intérêts particuliers." (p.14)
    -Alain de Benoist, "Critique de l'idéologie libérale", extrait de Critiques – Théoriques, Editions L’Age d’Homme, 2002.

    école présuppose des liens d'interconnaissance personnelle. Idéologie ou, mieux, philosophie politique sont les meilleurs termes (une idéologie peut ne pas être politique. Une religion, par exemple, conviendrait à la définition de l'idéologie).




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    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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    Alain de Benoist, Contre Hayek + Communautariens et Libéraux + Critique de l'idéologie libérale + réponses d’Alain de Benoist le 28 janvier 2009 au questionnaire de la Nietzsche académie Empty Re: Alain de Benoist, Contre Hayek + Communautariens et Libéraux + Critique de l'idéologie libérale + réponses d’Alain de Benoist le 28 janvier 2009 au questionnaire de la Nietzsche académie

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 9 Nov - 22:15

    http://nietzscheacademie.over-blog.com/article-alain-de-benoist-120592080.html

    Réédition d’un classique, les réponses d’Alain de Benoist le 28 janvier 2009 au questionnaire de la Nietzsche académie. Co-fondateur en 1968 du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), Alain de Benoist est l’auteur de l’essai Vu de droite couronné par l’Académie française qui traite notamment du Zarathoustra de Nietzsche.

    Nietzsche Académie – Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

    Alain de Benoist – Je l’ai découvert assez jeune, lorsque j’étais en classe de philosophie, soit vers l’âge de seize ans. Ce fut un éblouissement. Une révélation. C’est ce qui explique que, sur le plan philosophique, Nietzsche soit resté pour moi une référence indépassable pendant près de vingt ans. Autour des années 1980, cependant, c’est à Heidegger que j’ai fini par donner la première place. J’ai en effet été sensible à la critique faite par ce dernier de la philosophie de Nietzsche. Heidegger opère une distinction rigoureuse, qui a pour moi été décisive, entre ontologie et métaphysique. Il montre que, chez Nietzsche, la Volonté de Puissance – en réalité, Volonté vers (zur) la Puissance – est en péril de devenir simple volonté de volonté. Comme Nietzsche, Heidegger accorde une importance considérable à la question du nihilisme, mais il montre aussi que, face au nihilisme, la tâche la plus urgente n’est pas tant de substituer des valeurs à d’autres valeurs, fussent-elles opposées, mais de sortir de l’univers de la valeur, qui est une mutilation de l’Etre. Sa conclusion est que Nietzsche, dans la mesure où il demeure prisonnier de l’univers de la valeur, reste encore dans la métaphysique. Enfin, sur la question de la vérité, question nietzschéenne par excellence, ce que déduit Heidegger d’une méditation sur la notion grecque d’aléthéia, me paraît d’une profondeur inégalée.

    Cela dit, Heidegger n’est pas à ranger parmi les adversaires de Nietzsche. Il le critique, certes, mais il le prolonge aussi. On peut penser qu’il va plus loin que lui. La mise en perspective de la pensée nietzschéenne ne m’a donc pas conduit à l’abandonner, tant s’en faut. Il reste à mes yeux un tournant majeur de l’histoire de la pensée, un immense démystificateur, en même temps qu’un incontestable professeur d’existence.



    NA – Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

    AdB – Tous, bien entendu. Et l’on est d’autant moins excusable de s’en tenir à la lecture des œuvres les plus connues que l’on dispose aujourd’hui en France d’une excellente traduction de l’édition Colli-Montinari, qui a notamment l’immense mérite de proposer l’intégralité des fragments posthumes. Mais pour aborder Nietzsche, je conseillerais en priorité Le crépuscule des idoles (surtout pour son chapitre « Comment le “monde vrai” devient enfin une fable »), et plus encore La généalogie de la morale. A moins qu’on ne préfère commencer par son premier livre, L’origine de la tragédie (1872), dont il disait lui-même qu’il fut sa « première transmutation de toutes les valeurs ». Il faut en revanche éviter Ainsi parlait Zarathoustra, qui attire toujours le lecteur peu familier de Nietzsche parce qu’il paraît facile à lire, alors que, s’il est en effet « facile à lire », il est aussi très difficile à comprendre pour qui n’a pas déjà pénétré dans les arcanes de la pensée nietzschéenne.

    Enfin, on ne saurait aborder Nietzsche sans avoir un minimum de connaissance de la philosophie en général. Certes, Nietzsche n’est pas qu’un philosophe, au sens usuel du terme, mais il est aussi et d’abord cela. Qui n’est pas familiarisé avec l’histoire de la philosophie passera, en le lisant, à côté de bien des choses ou, pis encore, en tirera des conclusions erronées. Le fait que les œuvres de Nietzsche paraissent d’un accès « facile » – elles le sont en effet, comparées à celles de Kant ou de Hegel – explique qu’aucun philosophe, peut-être, n’a été autant que lui victime de contresens nés d’une information fragmentaire ou de lectures trop superficielles. C’est ce genre de contresens, par exemple, que commettent ceux qui voient dans la Volonté de Puissance une exaltation de la force physique, voire de la force brutale, alors qu’elle trouve avant tout chez Nietzsche sa source dans le détachement moral.


    NA – Etre nietzschéen, qu’est-ce que cela veut dire ?

    AdB - Je me le demande parfois, tant il y a chez certains de prétention à se déclarer tels. Henri Birault voyait juste, à mon avis, quand il disait qu’un « nietzschéen » est quelqu’un qui pense avec Nietzsche, et non pas comme lui. Nietzsche nous apprend un certain nombre de choses ; encore faut-il comprendre ce qu’il nous apprend. Etre nietzschéen, par exemple, c’est comprendre ce que signifie l’Eternel Retour, et se conformer soi-même à cette compréhension. C’est comprendre que le non-être n’a aucune teneur ontologique, et que la Vérité à majuscule n’est qu’un moyen de nier la vérité tout court, c’est-à-dire le réel. Avec Nietzsche, nous apprenons en effet à distinguer le « monde vrai » du réel, à faire appel au certum contre le verum. Le « monde vrai » est une fable. Le monde réel échappe à la Vérité dès l’instant que l’on a radicalement récusé l’au-delà : plus de « monde des apparences » s’il n’y a pas de monde des essences. Nietzsche ne récuse pas l’idée qu’il y a des choses véridiques et d’autres qui sont fausses, inexactes ou illusoires. Il dit que la Vérité est mensonge, mais mentir implique encore d’admettre qu’il y ait quelque chose qui soit non mensonger. La « vraie vérité » – la vérité de l’Etre – se moque de la vérité, comme la vraie raison se moque de la raison et la vraie morale de la morale.

    Etre nietzschéen, c’est comprendre ce que veut dire Nietzsche lorsqu’il dénonce ceux qui se veulent porteurs de « la plus longue mémoire », c’est-à-dire les « derniers hommes » (ceux qui « clignent de l’œil »), ces hommes auxquels appartient l’avenir immédiat et auxquels il oppose, dans La généalogie de la morale, la nécessité bienfaisante de l’oubli. La mémoire est le fondement de la morale, l’oubli la condition de l’innocence et de la création. Si Nietzsche se tourne vers les Grecs, ce n’est pas seulement, comme le dira Heidegger, parce que se mettre à leur écoute c’est se donner la possibilité d’un nouveau commencement, mais aussi parce que, pour lui, les Grecs sont ceux qui ont le plus aimé la vie : ils l’ont aimée au point de n’avoir pas eu besoin qu’elle ait un sens.



    NA – Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

    AdB – La Vénus de Milo est-elle de droite ou de gauche ? Et la philosophie de Parménide ? Indépendamment du fait que les termes de « droite » et de « gauche » n’ont jusqu’à présent jamais reçu de définition satisfaisante (et qu’ils tendent à perdre aujourd’hui toute signification), il est évident que Nietzsche n’est pas un doctrinaire politique, même s’il s’est exprimé, en diverses occasions, sur un certain nombre de questions politiques (il critique l’idée de progrès, le socialisme égalitaire, le nationalisme allemand, l’antisémitisme, etc.). Nietzsche s’est engagé plutôt sur le terrain de l’anthropologie politique, dans l’intention d’apprendre à agir et penser autrement en politique. Il ne trace pas les contours d’une théorie politique, mais s’interroge sur le fondement de l’ordre politique.

    L’une de ses caractéristiques, par ailleurs, est qu’il n’a pas seulement influencé des penseurs, mais aussi des écrivains, des artistes, des hommes d’action. La raison tient à sa philosophie, au fait que les concepts à partir desquels il argumente diffèrent complètement, par exemple, du cogito cartésien, de l’impératif catégorique kantien, de l’Aufhebung hégélienne, de la durée bergsonienne, etc. Ce ne sont pas des concepts qui font système, mais des « ferments » qui engendrent avant tout des images. C’est ce qui explique que sa pensée ait pu marquer Thierry Maulnier, Paul Valéry, Roger Caillois, David Herbert Lawrence, Cioran ou Michel Tournier, sans oublier la vaste majorité des auteurs de la Révolution Conservatrice allemande (à la notable exception de Carl Schmitt), tout autant que des hommes « de gauche » comme Georges Bataille, Pierre Klossowski, Jack London, Georges Palante, George Bernard Shaw, Michel Foucault ou Gilles Deleuze (qui, comme Nietzsche, assignait à la philosophie la tâche de lutter contre la bêtise, celle-ci se définissant chez lui comme ce qui réduit les différences au semblable et le singulier au catégorisable). On peut donc très bien être un « nietzschéen de droite » ou « de gauche ». Inversement, la vulgate d’extrême droite sur la « volonté de puissance » et la « grande santé », qui se réclame de Nietzsche (généralement sans l’avoir beaucoup lu) pour légitimer le darwinisme social, la loi de la jungle, la haine de l’Autre et le déchaînement des instincts, n’a d’égale en bêtise que les condamnations haineuses d’une gauche qui confond immoralisme et amoralisme. Les uns et les autres se font d’ailleurs de Nietzsche la même idée fausse, les uns pour l’encenser ou l’embrigader, les autres pour le dénoncer comme un auteur répulsif.



    NA – Quels auteurs sont nietzschéens ?

    AdB - Vaste question. Si l’on s’en tient au champ de la pensée contemporaine, je dirais que, plus que Michel Maffesoli, qui tend à tirer le dionysiaque vers l’orgiaque collectif et l’exubérance sociale, le philosophe français le plus « nietzschéen » est à mes yeux Clément Rosset. Démystificateur tout comme le fut Nietzsche, Rosset a passé sa vie à critiquer la « duplication » du réel, à affirmer le caractère tragique de l’existence et la nécessité de l’éprouver avec allégresse et reconnaissance. Nietzsche dénonçait les « arrière-mondes » d’où proviennent la métaphysique, la religion et la morale. Pour Rosset, le réel est « idiot » au sens étymologique, c’est-à-dire singulier, absolument dépourvu de double ou de miroir. Le monde n’est porteur d’aucun sens global, il n’est redevable d’aucune interprétation morale, il n’est justifiable d’aucun devoir-être, et c’est en le reconnaissant comme tel qu’on accède à la joie. Gai savoir, amor fati : comme chez Nietzsche, pour qui la gaieté était de toute évidence d’essence musicale, le thème central de la pensée de Clément Rosset est la joie, l’allégresse, la jubilation.



    NA – Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

    AdB - Deux réponses doivent d’emblée être écartées : celle qui interprète la thématique du Surhomme comme une incitation faite à l’homme de se dépasser lui-même, et celle qui voit dans le Surhomme une sorte de superman, doté de pouvoirs surmultipliées. La première est banale : déjà chez Aristote, l’homme se dépasse lorsqu’il atteint son telos. La seconde est absurde. Nietzsche a d’ailleurs lui-même démenti, non sans rudesse (« d’autres ânes savants m’ont soupçonné de darwinisme »), l’idée que le Surhomme représenterait une race supérieure appelée à supplanter l’espèce humaine, à la suite d’un processus d’évolution ou de mutation ayant un rapport avec les biotechnologies ou la sélection naturelle : « Je ne pose pas ici ce problème : qu’est-ce qui doit remplacer l’humanité dans l’échelle des êtres ? […] mais : quel type d’homme doit-on élever, doit-on vouloir » (L’Antéchrist). On déraille, par conséquent, dès que l’on imagine le Surhomme à l’enseigne d’un quelconque superlatif, d’un simple « plus ». Le Surhomme est Über-Mensch, c’est-à-dire cet homme qui se tient au-dessus de l’homme tel qu’il a été jusqu’à présent, mais qui en même temps accomplit sa vérité destinale. Lorsque Nietzsche dit que l’homme est « quelque chose qui doit être surmonté » (et non pas « dépassé »), il faut mettre ce propos en rapport avec ce qu’il écrit par ailleurs sur la façon dont l’homme s’est institué comme un sur-animal, en surmontant la bête qui était en lui, puis en s’égarant dans l’au-delà (Humain, trop humain, I, 40). La vie elle-même se définit comme « ce qui doit toujours se surmonter soi-même » (Zarathoustra, II).

    Personnellement, je ne donne pas au Surhomme une place centrale dans la pensée de Nietzsche, dans la mesure où il ne m’apparaît que comme un prolongement, si l’on peut dire, de ce que le philosophe écrit à propos de l’Eternel Retour. C’est ce dernier thème qui est véritablement central, car il constitue la toile de fond sur laquelle s’inscrivent toutes les autres interrogations nietzschéennes. Selon la position que l’on adopte à son endroit, l’Eternel Retour est en effet révélateur de capacité d’affirmation ou de nihilisme. En outre, le Retour du Même est en même temps Retour de ce qui diffère, car « il n’y a que la différence qui se répète » (Deleuze). Avec le thème du Retour, Nietzsche critique bien entendu toute conceptualisation d’un temps linéaire, toute forme de conception linéaire de l’histoire, depuis le monothéisme biblique jusqu’à la philosophie historiciste de Hegel et de ses épigones. Mais il n’en revient pas non plus au temps cyclique des cultures archaïques. A la ligne, il n’oppose pas le cercle, mais la sphère. L’Eternel Retour est éternellement retour, il est éternel commencement. « A chaque instant l’Etre commence », dit Zarathoustra.

    Le Surhomme est d’abord celui qui a acquis la capacité de vouloir l’Eternel Retour, celui qui a réalisé en lui-même une métamorphose de la relation « trop humaine » à la temporalité, une métamorphose de son « voir » qui est aussi une métamorphose de son désir, en ce qu’étant devenu capable de penser, par-delà bien et mal, mais avec un amour joyeux, l’innocence du devenir et la tragédie de l’existence, il s’est aussi délivré du ressentiment. Le Surhomme porte remède au nihilisme en le surmontant (überwinden). Il s’affronte au nihil en mettant en langage le monde de la physis. Ce que Nietzsche définit comme aristocratique par excellence, c’est le « pathos de la distance » (La généalogie de la morale). Le Surhomme est capable de cette distance. Il n’est plus un esclave de l’immédiateté, au sens de la Vorbandenheit (l’être-là-devant) heideggérienne, mais il n’est pas non plus un solitaire. Nietzsche dit très clairement l’importance qu’il attache à la constitution du corps social, et même à l’« ek-stase » du vivre ensemble. Le Surhomme n’est pas un individu, mais un Type, une Forme, et à ce titre il a besoin de la communauté de ses pairs. C’est par là qu’il peut être aussi un pont, un projet, avant de devenir le « sens de la Terre ».

    NA – Votre citation favorite de Nietzsche ?

    AdB - « Il n’y a pas de phénomènes moraux, il n’y a que des interprétations morales des phénomènes ». Mais j’aime aussi celle-ci : «Veux-tu avoir la vie facile ? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui ».


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