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    Jean-Bruno Renard, compte-rendu de « Patrick Tacussel, L’imaginaire radical. Les mondes possibles et l’esprit utopique selon Charles Fourier »

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Ven 4 Aoû - 18:10



    "P. Tacussel montrait le génie précurseur de Fourier annonçant les grands maux de notre époque : la dégradation écologique, les problèmes posés par la nourriture industrielle, le capitalisme financier. L’échec du socialisme étatique mais aussi les effets pervers du libéralisme invitent à redécouvrir la pensée utopique et à contester la dictature du réalisme."

    "Les deux grandes figures qui éclairent Fourier sont, de son propre aveu, Jésus et Newton, le théoricien de l’attraction universelle. Et la « théorie » qu’il enseigne est pour lui une nouvelle religion. On n’est pas loin de ce qui sera la démarche d’Auguste Comte avec la religion positiviste."

    "L’antisémitisme de Fourier, montrant qu’il est typique d’un antisémitisme économique qui s’est développé au XIXe siècle. Cet antisémitisme se distingue nettement de l’antisémitisme religieux, manifesté dans la judéophobie chrétienne, mais aussi de l’antisémitisme racial, qui n’émergera qu’à la fin du XIXe siècle. La détestation de Fourier envers le commerce et l’argent – détestation par ailleurs fréquente dans les systèmes utopistes de tous les temps, comme l’a souligné Jean Servier dans son Histoire de l’utopie (1967, 2e éd. 1991) – l’amène aussi à critiquer tous les peuples commerçants, les Arméniens, les Chinois ou les Anglais, mais la figure de l’usurier juif, déjà présente dans le théâtre élisabéthain du XVIe siècle, va lui fournir un stéréotype antisémite qu’il exploitera largement, aussi bien dans ses aspects « rationnels » – par exemple la prétendue causalité entre la pénétration du capital financier dans le capital industriel et l’intégration des juifs – que dans ses aspects fantasmatiques comme les thèmes du complot juif, de la conspiration internationale des puissances du commerce, de l’argent sans patrie, etc. P. Tacussel relève, à juste titre, que l’image symbolique du Juif-araignée tissant sa toile sur le monde, présente chez Fourier, perdurera dans l’imaginaire antisémite jusque dans les années 1940 et même au-delà. L’antisémitisme économique, qui identifie le Juif et le Capitaliste, imprègnera les idéologies de gauche, en particulier Marx – pourtant d’origine juive, cf. son Essai sur la question juive (1843) – et Proudhon. Un disciple de Fourier, Alphonse Toussenel, publiera en 1845 un pamphlet intitulé Les Juifs, rois de l’époque, qui alimentera l’antisémitisme français de l’extrême gauche et de l’extrême droite. Patrick Tacussel ajoute d’autres explications, plus inconscientes, à l’antisémitisme de Fourier : une fortune familiale perdue à cause de spéculations et ce mécanisme psychanalytique qui nous fait haïr ceux qui possèdent ce qui nous manque. « Pour l’antisémite, le juif est de trop dans la société parce qu’il incarne [...] ce qui lui manque violemment : la communauté fraternelle, “archaïque”, solidaire et organique, dont rêve son persécuteur » (p. 125)."

    "Tandis que la haine du commerce amènera Fourier à l’imaginaire noir et abject de l’antisémitisme, sa seconde détestation, le mariage, le conduira à un imaginaire rose et érotique dont l’audace effrayera tant ses disciples que les textes du Nouveau monde amoureux, rédigés en 1816, ne seront publiés que cent trente ans plus tard, en 1967 [...] Patrick Tacussel montre que Fourier inaugure un troisième type d’approche de la sexualité qui n’est, pour reprendre la distinction avancée par Michel Foucault, ni l’ars erotica de l’Orient ou de l’Antiquité, ni la scientia sexualis de l’Occident religieux puis laïc. Fourier prône une « organisation sociale des plaisirs » (p. 176). S’inspirant du mythe de l’amour courtois et du mythe de la liberté sexuelle dans les îles du Pacifique, il fait l’apologie de la polygamie pour les hommes et pour les femmes, admet l’homosexualité, la sexualité de groupe et les « manies » amoureuses, et discute l’interdit de l’inceste. À l’opposé d’un Kant qui prêche pour la répression des penchants sexuels, mais aussi d’un Sade qui en veut l’exaltation effrénée, Fourier cherche à concilier la liberté et l’ordre social : « Chaque homme ou femme sera absolument libre d’agir à sa volonté et de changer de goût quand il lui plaira ; mais il sera obligé de se ranger dans le groupe affecté à sa passion dominante » (p. 240). L’application de ce principe central du fouriérisme à la vie amoureuse se traduit par une étonnante multiplicité de statuts sociaux aux fonctions bien définies, même si elles sont temporaires pour un individu qui peut toujours changer de statut : galants et galantes, fakirs et fakiresses (chargées des plaisirs des personnes âgées), époux et épouses (car en harmonie la monogamie reste une option pour ceux qui le souhaitent), bayadères (chargés des plaisirs des voyageurs), groupes d’amour spartiate (aujourd’hui on dirait « gays ») ou groupes d’amour saphique (« lesbiens »). Dans cette construction utopique amoureuse, P. Tacussel découvre des intuitions qui ne se réaliseront qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle : l’émancipation de la femme, le droit au divorce, la reconnaissance de l’homosexualité, le droit à la sexualité des personnes seules, âgées ou handicapées."

    "Attitude contrastée de Tocqueville et de Fourier, le premier s’accommodant et le second s’indignant du sort réservé aux Indiens et aux Noirs en Amérique du Nord."
    -Jean-Bruno Renard, compte-rendu de « Patrick Tacussel, L’imaginaire radical. Les mondes possibles et l’esprit utopique selon Charles Fourier », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 140 | octobre - décembre 2007, document 140-77, mis en ligne le 02 juillet 2008, consulté le 04 août 2023. URL : http://journals.openedition.org/assr/12013



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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