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    Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre époque

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    friedrich - Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre époque Empty Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre époque

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 2 Mai - 9:45

    http://classiques.uqac.ca/classiques/lange_FA/Histoire_materialisme_t1/Histoire_materialisme_t1.html

    "Toute philosophie est [...] entraînée à une guerre inévitable avec la théologie de son époque."

    "Peu de grands hommes de l’antiquité probablement ont été maltraités par l’histoire autant que Démocrite. Dans la grande caricature, que nous a transmise une tradition ignorante, il ne reste presque rien de lui que le nom de philosophe rieur, tandis que des personnages d’une valeur bien moindre nous sont connus dans toutes leurs particularités. C’est une raison de plus pour admirer le tact avec lequel Bacon de Verulam, qui en général ne brille guère par sa connaissance de l’histoire, est allé prendre Démocrite au milieu de tous les philosophes de l’antiquité pour lui décerner le prix des recherches solides ; Aristote, au contraire, l’idole philosophique du moyen âge, n’est à ses yeux que le créateur d’une science apparente et funeste, l’inventeur d’un verbiage vide de sens. Aristote ne pouvait être équitablement jugé par Bacon. Le philosophe anglais était pour cela trop dépourvu du sens historique, qui sait reconnaître même dans de graves erreurs, une inévitable transition à une compréhension plus exacte de la vérité. Bacon trouvait en Démocrite une intelligence analogue à la sienne et malgré l’abîme de deux mille ans qui le séparait du philosophe grec, il l’apprécia presque comme un contemporain. En effet, bientôt après Bacon, l’atomistique devint provisoirement, sous la forme qu’Épicure lui avait donnée, la base de l’étude de la nature chez les modernes."

    « Dès l’origine de la pensée philosophique, apparaît sans doute aussi l’axiome de la persistance de la substance, bien que d’abord il soit un peu voilé. Dans l’infini (¬πειρον) d’Anaximandre, d’où émanent toutes choses ; dans le feu divin et primitif d’Héraclite, au sein duquel les mondes se consument successivement, pour naître de nouveau, nous retrouvons incorporée la substance éternelle. Le premier, Parménide d’Elée nia toute naissance et toute destruction. L’être réellement existant, aux yeux des Eléates, est le tout unique, sphère parfaitement arrondie, dans laquelle il n’y a ni changement, ni mouvement. Toute modification n’est qu’apparence ! Mais ici se produisait entre l’apparence et l’être une contradiction, qui ne pouvait rester le dernier mot de la philosophie. L’affirmation exclusive d’un axiome heurtait un autre axiome : « Rien n’est sans cause ! » Comment l’apparence pouvait-elle donc naître au sein de l’être ainsi immuable ? Ajoutez à cela l’absurdité de la négation du mouvement, qui, il est vrai, a provoqué d’innombrables discussions et favorisé la naissance de la dialectique. Empédocle et Anaxagore éliminent cette absurdité, en ramenant toute naissance et toute destruction au mélange et à la séparation des éléments ; mais ce fut l’atomistique la première qui donna à cette pensée une forme parfaitement nette et en fit la pierre angulaire d’une conception strictement mécanique de l’univers. A cela il fallait joindre l’axiome de la nécessité de tout ce qui arrive. »

    "Démocrite a regardé l’esprit non comme « la force créatrice du monde », mais seulement comme une matière à côté d’autres matières."

    "En politique, [Empédocle] était un partisan zélé de la démocratie, qu’il fit triompher dans sa ville natale. Cependant lui aussi fut victime de l’inconstance de la faveur populaire ; car il mourut dans le Péloponnèse, probablement exilé."

    « Quelque temps après Démocrite, on racontait que ce philosophe, se trouvant dans Abdère, sa ville natale, avait vu un portefaix disposer, d’une façon particulièrement habile, les morceaux de bois composant son fardeau. Démocrite lia conversation avec lui et fut si étonné de son intelligence qu’il le prit pour élève. Ce portefaix fut l’homme qui provoqua une grande révolution dans l’histoire de la philosophie : il se posa comme marchand de sagesse ; c’était Protagoras, le premier des sophistes.
    Hippias, Prodicus, Gorgias et une longue liste d’hommes moins célèbres, connus principalement par les écrits de Platon, parcoururent bientôt les villes de la Grèce, enseignant et discutant. Quelques-uns d’entre eux acquirent de grandes richesses. Partout ils attiraient à eux les jeunes gens les plus distingués par le talent. Leur enseignement fut bientôt à la mode ; leurs doctrines et leurs discours devinrent l’objet des conversations quotidiennes dans les classes élevées de la société ; leur célébrité se répandit avec une incroyable promptitude.
    C’était une nouveauté en Grèce : les anciens combattants de Marathon, les vétérans des guerres de la délivrance, hochaient la tête avec une répugnance conservatrice ; les partisans eux-mêmes des sophistes les admiraient à peu près comme on admire aujourd’hui un chanteur célèbre ; mais presque tous, malgré leur admiration, auraient rougi de se faire sophistes. Socrate avait l’habitude d’embarrasser les élèves des sophistes en se bornant à leur demander quelle était la profession de leurs maîtres : de Phidias on apprenait la sculpture, d’Hippocrate la médecine, mais quoi de Protagoras ?
    L’orgueil et le faste des sophistes ne purent remplacer l’attitude digne et réservée des anciens philosophes. Le dilettantisme aristocratique, en fait de sagesse, fut estimé plus haut que la pratique de cette même sagesse par les philosophes de profession.
    Nous ne sommes pas loin de l’époque où l’on ne connaissait que les côtés faibles de la sophistique. Les railleries d’Aristophane, l’austère gravité de Platon, les innombrables anecdotes philosophiques des périodes subséquentes finirent par accumuler sur le nom de la sophistique tout ce qu’on put imaginer de charlatanisme, de dialectique vénale et d’immoralité systématique. Sophistique est devenu synonyme de toute fausse philosophie ; et, depuis longtemps, la réhabilitation d’Épicure et des épicuriens était ratifiée par les savants, alors que le nom de sophiste résumait encore toutes les hontes et l’on continuait de regarder, comme la plus insoluble des énigmes, le fait d’un Aristophane représentant Socrate comme le chef des sophistes
    . »

    « Les grands sophistes étaient ravis de leurs succès pratiques. Leur relativisme illimité, la vague admission d’une morale civile sans principe à sa base, la souplesse d’un individualisme qui s’arroge partout le droit de nier ou de tolérer suivant les convenances du moment, constituaient une excellente méthode pour former ces « hommes d’État pratiques », frappés au coin connu, qui dans tous les pays, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, ont eu en vue surtout le succès extérieur. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les sophistes passer de plus en plus de la philosophie à la politique, de la dialectique à la rhétorique ! Bien plus, chez Gorgias, la philosophie est déjà sciemment ravalée au simple rôle d’école préparatoire à la vie pratique. »

    « La réaction contre le matérialisme atteignit dans Platon son point culminant ; le système d’Aristote ensuite combattit les idées matérialistes avec la plus grande opiniâtreté ; mais l’attaque fut commencée par un des hommes les plus remarquables dont l’histoire fasse mention, par un homme d’une originalité et d’une grandeur de caractère étonnantes : l’Athénien Socrate.
    Tous les portraits de Socrate nous le représentent comme un homme d’une grande énergie physique et intellectuelle, fine nature rude, tenace, sévère envers elle-même, exempte de besoins, courageuse dans la lutte, supportant très bien les fatigues et même, quand il le fallait, les excès dans les banquets d’amis, en dépit de sa tempérance habituelle. Son empire sur lui-même n’était pas le calme naturel d’une âme dans laquelle il n’y a rien à maîtriser, mais la supériorité d’une grande intelligence sur un tempérament d’une sensualité fougueuse. Socrate concentra toutes ses facultés, tous ses efforts, toute l’ardeur secrète de sa pensée, à l’étude d’un petit nombre de points importants. La sincérité qui l’animait, le zèle qui le dévorait, donnaient à sa parole une merveilleuse influence. Seul, entre tous les hommes, il pouvait faire rougir Alcibiade ; le pathétique de ses discours, sans ornements, arrachait des larmes aux auditeurs impressionnables. Socrate était un apôtre, brûlant du désir de communiquer à ses concitoyens et, particulièrement à la jeunesse, le feu qui l’embrasait. Son œuvre lui paraissait sainte et, derrière la malicieuse ironie de sa dialectique, se dissimulait la conviction énergique qui ne connaît et n’apprécie que les idées, dont elle est préoccupée
    . »

    « Il part de l’homme pour expliquer le monde, non des lois de la nature pour expliquer l’homme. Il présuppose, par conséquent, dans les phénomènes de la nature, la même opposition entre les pensées et les actes, entre le plan et l’exécution matérielle, que nous rencontrons dans notre propre conscience, Partout nous apercevons une activité semblable à celle de l’homme. Il faut d’abord qu’il existe un plan, un but ; puis apparaissent la matière et la force qui doit la mettre en mouvement. On voit ici combien, en réalité, Aristote était encore socratique avec son opposition de la forme et de la matière, avec sa prédominance des causes finales. Sans jamais disserter sur la physique, Socrate a pourtant, au fond, tracé à cette science la voie dans laquelle elle devait marcher plus tard avec une si persévérante ténacité ! Mais le véritable principe de sa conception de l’univers est la théologie. Il faut que l’architecte des mondes soit une personne que l’homme puisse concevoir et se figurer, dût-il ne pas en comprendre tous les actes. Même cette expression en apparence impersonnelle : « la raison » a tout fait, reçoit immédiatement son cachet religieux de l’anthropomorphisme absolu sous lequel est envisagé le travail de cette raison. Aussi trouvons-nous même chez le Socrate de Platon, — et ce détail doit être authentique, — les mots raison et Dieu pris souvent comme tout à fait synonymes. »

    « Avant de s’attacher à Socrate, Platon avait étudié la philosophie d’Héraclite ; il y avait appris qu’il n’existe pas d’être constamment en repos, mais qu’au contraire, toutes choses sont entraînées par un courant perpétuel. Croyant ensuite trouver dans les définitions de Socrate et dans l’essence générale, des choses exprimées par ces définitions une certaine stabilité, il combina les doctrines des deux philosophes et il n’attribua le repos, la stabilité inséparables de l’être véritable, qu’aux seules généralités. Quant aux choses individuelles, elles ne sont pas, à proprement parler, elles deviennent seulement. Les phénomènes s’écoulent sans avoir d’essence ; l’être véritable est éternel. »

    "Platon, en opposant comme stables les idées générales au monde fugitif des phénomènes, se vit plus tard entraîné à la faute grave d’attribuer une existence distincte au général qu’il avait séparé du particulier. Le beau n’existe pas seulement dans les belles choses, le bien n’existe pas seulement dans les hommes de bien ; mais le beau, le bien, pris abstractivement, sont des êtres, existant par eux-mêmes."

    "Il faut maintenant bien comprendre que d’un principe absurde ne peuvent découler que des conséquences absurdes."

    "De la Mettrie avait principalement effrayé l’Allemagne. Le Système de la nature effraya la France. Si l’insuccès de de la Mettrie en  Allemagne  fut  en  partie dû à sa frivolité, qui est souverainement antipathique aux Allemands, le ton grave et didactique du livre de d’Holbach eut certainement sa part dans la répulsion qu’il inspira en France. Une grande différence aussi résulta de l’époque où les deux livres parurent, vu l’état des esprits chez les deux nations respectives. La France approchait de sa révolution, tandis que l’Allemagne allait entrer dans la période de floraison de sa littérature et de sa philosophie. Dans le Système de la nature, nous sentons déjà le souffle impétueux de la Révolution.

    C’est en 1770 que parut, soi-disant à Londres, en réalité à Amsterdam, l’ouvrage  intitulé:
    Système de la nature ou des loix du monde physique et du monde moral. Il portait le nom de Mirabaud, mort depuis dix ans et, par superfétation, il donnait une courte notice sur la vie et les écrits de cet homme, qui avait été secrétaire de l’Académie française. Personne ne crut à cette paternité littéraire ; mais, chose remarquable, personne ne devina la véritable origine du livre, bien qu’il fût sorti du quartier général matérialiste et qu’il ne fût en réalité qu’un anneau de la longue chaîne des productions littéraires d’un homme tout à la fois sérieux et original.

    Paul-Henri Thierry d’Holbach, riche baron allemand, né à Heidelsheim, dans le Palatinat, en 1723, vint dès sa jeunesse à Paris et, comme Grimm, son compatriote et son ami intime, il se plia complètement au tempérament de la nation française. Si l’on considère l’influence que ces deux hommes exercèrent sur leur entourage, si on leur compare les personnages de la société gaie et spirituelle qui se réunissait d’ordinaire autour du foyer hospitalier de d’Holbach, on assignera sans peine et tout naturellement un rôle prépondérant à ces deux Allemands, dans les questions philosophiques discutées par les habitués de ce salon. Silencieux, tenaces et impassibles, ils restent assis comme des pilotes sûrs d’eux-mêmes au milieu de ce tourbillon de talents  déchaînés. Au rôle d’observateurs, ils joignent, chacun à sa manière, une influence profonde, d’autant plus irrésistible qu’elle est moins perceptible. D’Holbach en particulier ne semblait être que l’éternellement bon et généreux maître d’hôtel des philosophes ; chacun était ravi de sa bonne humeur et de son cœur excellent ; on admirait d’autant plus librement sa bienfaisance, ses vertus privées et sociales, sa modestie, sa bonhomie au sein de l’opulence, qu’il savait rendre pleine justice au talent de chacun, lui-même n’ayant d’autres prétentions que de se montrer aimable amphitryon. Or cette modestie précisément empêcha longtemps ses amis de regarder d’Holbach comme l’auteur d’un livre, qui mettait l’opinion publique en émoi. Même après que l’on eut  bien constaté que l’ouvrage était sorti du cercle de ses intimes, on s’obstina encore à en attribuer la paternité, soit au mathématicien Lagrange, qui
    avait été précepteur dans la maison du baron, soit à Diderot, soit à la collaboration de plusieurs écrivains. C’est aujourd’hui un fait mis hors de doute que d’Holbach fut le véritable auteur, bien que plusieurs chapitres aient été élaborés par Lagrange, pour sa spécialité, par Diderot, le maître du style, et par Naigeon, aide littéraire de Diderot et de d’Holbach. Non seulement d’Holbach rédigea tout l’ouvrage, mais il en fut encore l’ordonnateur et dirigea toute la composition. D’ailleurs d’Holbach apportait autre chose qu’une simple direction ; il possédait des connaissances variées et approfondies dans les sciences  physiques. Il avait particulièrement étudié la chimie, donné à l’
    Encyclopédie des articles relatifs à cette science, et traduit de l’allemand en français plusieurs traités de chimie." (p.402-403)

    "Le droit des peuples à faire une révolution, quand leur situation devient intolérable, est un axiome à ses yeux." (p.404)

    "En ce qui concerne la matière, d’Holbach n’est pas strictement atomiste. Il admet, à la vérité, des molécules élémentaires ; mais il déclare que l’essence des éléments est inconnue. Nous n’en connaissons que quelques propriétés." (p.408)

    "D’Holbach mourut le 21 juin 1789, peu de jours après que les députés du tiers État se furent constitués en assemblée nationale. La révolution, qui fit repartir son ami Grimm pour l’Allemagne et mit souvent en danger la vie de Lagrange, allait commencer réellement, lorsque mourut l’homme, qui lui avait si puissamment frayé la voie." (p.410)

    "D’Holbach s’occupa des bases de la morale avec une ardeur remarquable et certainement sincère." (p.419)

    "D’Holbach qui, à cause de son radicalisme, était pour ainsi dire exclu des spirituels salons de l’aristocratie parisienne, ne partage pas les contradictions de plusieurs écrivains de cette époque, qui travaillaient de toutes leurs forces au renversement de l’ordre de choses existant et se posaient cependant comme aristocrates, méprisaient les stupides paysans et voulaient au besoin leur imaginer un dieu, afin d’avoir un épouvantail qui les maintînt dans la crainte. D’Holbach part du principe que la vérité ne peut jamais nuire." (p.427)
    -Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre époque, volume I, 1877.

    p.70.

    http://classiques.uqac.ca/classiques/lange_FA/Histoire_materialisme_t2/Histoire_materialisme_t2.html


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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