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    Frédéric Lordon, Impasse Michéa + La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique + Imperium. Structures et affects des corps politiques + La condition anarchique

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Frédéric Lordon, Impasse Michéa + La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique + Imperium. Structures et affects des corps politiques + La condition anarchique Empty Frédéric Lordon, Impasse Michéa + La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique + Imperium. Structures et affects des corps politiques + La condition anarchique

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 2 Juin - 16:00

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Lordon

    https://www.contretemps.eu/lordon-impasse-michea/

    "Michéa [...] voit bien que, de temps en temps, les « valeurs traditionnelles », dont il assume ouvertement l’héritage, emportent, sur le plan des mœurs, quelques conséquences répugnantes, verrues en fait inévitables d’un anti-progressisme de principe qui, même supposément rénové, ne s’est pas donné les moyens conceptuels de discriminer."

    "Toujours aussi étranger à l’ordre de la clarification des idées, Michéa nous invite à considérer que le flou de la pensée est ici entièrement racheté par le fait qu’Orwell forge ses « concepts » à l’épreuve d’une vie politique d’engagement : c’est des horreurs de la guerre d’Espagne qu’Orwell tient son « idée », genèse héroïque valant bien sûr mille fois mieux que la genèse spéculative, de même que « l’expérience de la vie » vaut mille fois mieux que le dessèchement des cabinets d’universitaires."

    "Contre la pente dominante des sciences sociales contemporaines, qui y voient le pire des barbarismes intellectuels, Spinoza offre bel et bien les moyens de penser quelque chose comme une « nature humaine », « une et commune à tous », mais il l’envisage à un niveau d’abstraction et de « profondeur » tel qu’on ne saurait lui faire dire quoi que ce soit hors des combinaisons complexes qui lui donnent ses réalisations historiques particulières."

    "Michéa à déclarer, dans un parfait salmigondis de catégories, que la « common decency » (on ne sait pas ce que c’est) a son lieu naturel dans le « peuple des gens ordinaires » (on ne sait pas qui c’est). Michéa, qui se moque beaucoup de Toni Negri (avec lequel Dieu sait qu’il est possible d’avoir de rudes désaccords !) ne s’aperçoit même pas qu’il a en partage avec lui cette même tendance à magnifier un « peuple » idéalisé, plus fantasmé (et d’un fantasme d’intellectuel) que réel. Car, sans vouloir contrarier Michéa, il faut lui faire observer qu’il arrive au peuple des gens ordinaires de ratonner – oui, parfois encouragé par le racisme d’État –, de faire des virées pour casser du gay – le cas échéant aidé des campagnes homophobes de certaines « élites » –, de voler, de tricher, et « de ne rien exclure de ce que l’appétit conseille ». Toni Negri qui, pour des raisons ici secondaires, ne veut pas entendre parler de « peuple » mais seulement de « multitude », rêve, lui aussi, qu’elle soit univoquement bonne, comme il sied aux « sujets de l’histoire » –, mais n’est-il pas notoire que la multitude peut être émue quand elle pleure Lady Di, hideuse quand elle lève le bras à Nuremberg, bonne quand elle abat pour un instant toutes les divisons sociales et jette dans les bras les uns des autres jeunes des cités et bourgeois des beaux quartiers si la France gagne une coupe du monde – mais d’une bonté… chauvine. « Peuple », « gens ordinaires » et « multitude » sont capables de tout, ce « tout » étant à comprendre le plus littéralement possible – et aussi au sens usuel de l’expression, le sens de l’échelle ouverte de l’abomination."

    "Michéa s’interdit de voir que le peuple ne doit qu’à des conditions sociales extérieures (et pas du tout à son « essence » de « peuple ») de ne pas choir dans l’indecency – et ceci exactement de la même manière que n’importe quelle catégorie sociale ne doit qu’à ses propres déterminations sociales de faire ce qu’elle fait. Le « peuple » n’est pas moins disposé que les grands à la démesure et aux obscénités de la grandeur quand elle devient affranchie de tout. Simplement, peuple, il n’en a pas la possibilité. Cette absence de possibilité n’a rien d’une vertu intrinsèque – qu’on nommerait common decency –, elle doit tout à une certaine condition, c’est-à-dire à une certaine position dans l’espace social, et à l’ensemble des déterminations que cette position emporte. C’est en effet le propre des sociétés traditionnelles, pour lesquelles Michéa a tant de tendresse, sociétés d’ordres et de places, que de river les mineurs à leurs ordres et à leurs places, toutes les assignations de la tradition travaillant à rendre impossible d’en sortir jamais. C’est l’ensemble du système traditionnel qui se charge de la contention des désirs en faisant de l’idée même de s’extraire de sa condition, c’est-à-dire d’aspirer à davantage, une chose rigoureusement impensable. Il ne peut pas venir à l’idée du charpentier ou du paysan du XIXe siècle de vouloir autre chose que la condition charpentière ou paysanne, et c’est le système même de ces impensables qui, fixant irrévocablement chacun à sa place, offre la meilleure garantie de la contention des désirs, ou de l’inhibition immédiate de tout désir en excès du désir autorisé – le désir présent de la condition assignée."

    "Obnubilé par les formes traditionnelles de la socialité, il méconnaît systématiquement ce dont les formes contemporaines sont capables."

    "C’est l’un des chantiers intellectuels les plus décisifs de la gauche critique, à savoir : comment imaginer des solutions non régressives de régulation des désirs dans une société individualiste ? Comment élaborer d’une manière adéquate au temps présent cette vérité-truisme que l’individu a besoin, pour lui-même et pour la société, de limites ?"
    -Frédéric Lordon, "Impasse Michéa", Contretemps, 30 janvier 2017 (2013 pour la première édition): https://www.contretemps.eu/lordon-impasse-michea/

    https://fr.1lib.fr/book/4112966/5fcedd

    https://fr.1lib.fr/book/8921063/ba8b57

    https://fr.1lib.fr/book/3647658/5aed00

    "Le spectacle du capitalisme n'est plus qu'une gigantesque obscénité: inégalités prodigieuses, sécession de fait des classes possédantes, catastrophe climatique désormais visible à l'œil nu, empoissonnement généralisé, fascisation rampante du néolibéralisme, contrôle policier total au-dedans, homicide de fait des migrants au-dehors, désastre existentiel partout. On comprend, dans ces conditions, que se forme l'idée qu'espérer des institutions électorales et de l'Etat, quand on sait au surplus à quel point celui-ci est colonisé par les puissances du capital, n'est simplement pas à la hauteur." (p.14)

    "Si le 68 français avait surtout mis en question les rapports d'autorité dans les institutions, le 77 italien s'est attaqué à toutes les données de la vie urbaine." (p.22)

    "[L'éthique], d'après sa signification originelle dans l'histoire de la philosophie, [est] l'interrogation sur ce qu'est une vie bonne, et par là l'indication qu'une politique se trouve déterminée. Cette veine "éthique" de la politique ne nous est sûrement pas inconnue: le lettrisme et le situationnisme en ont été des réalisations particulièrement remarquables."(p.23)

    "Tu sais ce qu'avait dit Giscard, alors ministre de l'Économie, à propos de Lip: "ils vont véroler tout le corps social et économique"." (p.26)

    "Pour le dire de manière un peu grinçante, tu décroches le loto intellectuel du moment quand tu as coché les cases "événement", "singularité", "multiple" et "subjectivité" (numéro complémentaire: "communs" -pour dire quand même qu'on est parfois un peu ensemble... mais en tant que singularités, bien sûr). Pour ma part, je ne risque pas d'avoir le ticket gagnant parce que je m'obstine à jouer des numéros dépassés comme "structures", "déterminisme", "masses" et "classes" [...]
    On voit l'air du temps individualiste s'y exprimer, le recul des schèmes collectifs de pensée qui ont fait, par exemple, l'atmosphère intellectuelle des années 1960-1970. [...] On pourrait penser qu'il appartient aux intellectuels de tenir des positions contracycliques, s'étonner de les voir ratifier, à leur manière évidemment, les tendances de l'époque. [...]
    Ce que je dis là n'a aucunement valeur d'objection à ces théories: on objecte à une théorie dans le plan propre de la théorie, et il n'y a rien de plus minable que de penser y objecter en la ramenant à ses déterminations ou à ses origines. Il n'en est pas moins autorisé de noter cette congruence de fait entre une époque individualiste et des dispositions caractéristiques de "l'intellectuel", spontanément porté porté à se penser comme singularité pensante, distingué du commun, etc. Il a fallu tout le poids d'une conjoncture très particulière comme celle des années 1960, par là même très accueillante à des individus aux trajectoires sécantes comme Braudel ou Bourdieu, pour inviter à penser le long terme, le banal, le quotidien, l'ordinaire, la reproduction
    ." (pp.30-31)

    "Autant je vois la force du diagnostic éthique, autant je vois les limites, peut-être même les faiblesses, de l' "éthicisation" de la politique quand c'est la réponse que ce diagnostic, pourtant juste, se donne immédiatement." (p.32)

    "[Les Gilets jaunes], événement marquant à l'échelle du demi-siècle, par là, comme toujours les grands événements, d'un pouvoir révélateur impitoyable." (pp.37-38)

    "Pour toutes leurs différences, parfois même leurs oppositions, ces intellectuels que tu mentionnes -Agamben, Badiou, Rancière, auxquels d'ailleurs j'ajouterais volontiers le nom de Deleuze- me semblent former une sorte de constellation de l'antipolitique. [...] Ils forment comme un soubassement philosophique des discours politiques du "vivre sans"." (p.42)

    "Théorie des devenirs et des lignes de fuite. [...] Si c'est là le lieu deleuzien de la politique, on comprend sans peine que ce sera celui d'une politique assez particulièrement. Car le devenir deleuzien n'a rien à voir avec les dynamismes spatio-temporels, précisément ceux dont l'histoire est faite. C'est bien pourquoi d'ailleurs il y a deux idées du temps chez Deleuze: le chronos, temps des causalités, donc de la politique et de l'histoire ; l'aiôn, temps particulier du devenir. Qu'est-ce donc que le devenir s'il n'est pas l'ensemble des transformations œuvrant dans l'élément du chronos ? On en trouvera difficilement une définition canonique chez Deleuze, alors allons au plus simple et disons ceci: le devenir est de l'ordre d'un remaniements d'affects et de perceptions, un remaniement des manières de sentir, qui fait discontinuité. Par exemple: mai 1968, c'est "l'intrusion du devenir", dit Deleuze [...] Devenir est une affaire de soustraction et de redisposition: soustraction d'avec les manières d'éprouver acquises, majoritaires, socialement validées, ou tout simplement avec celles qui étaient les nôtres jusqu'à présent, et puis découverte/invention de nouvelles manières." (pp.44-45)

    "Alors, remanié, on se réinstalle. [...] Je crois que Deleuze voit très bien tout ça et que c'est ce qui donne à sa politique cette tonalité particulière, peut-être un peu désespérée. En anticipant un peu, si je mettais les catégories de Deleuze dans la bouche d'Agamben, je dirais que, à l'inverse du premier, le second croit qu'on peut demeurer indéfiniment dans des espaces lisses. Or non. C'est là une sorte de point tragique de la politique de la fuite: elle a toutes chances de reconstituer cela même à quoi elle s'efforce de se soustraire. Les expériences qui tentent de se retirer des striages de la verticalité et du pouvoir reconstituent de la verticalité et du pouvoir. "Mais sous une tout autre forme", me concédera-t-on dans le meilleur des cas. Sans doute, mais enfin c'est déjà considérable. En tout cas, c'est là pour moi le lieu véritable du débat: sous quelle forme ?" (pp.46-47)

    "On ne peut pas ne pas être sensible, par exemple, aux mésaventures de la ZAD qui, produit d'un devenir anti-institutionnel, n'en a pas moins recréé de l'institution -sans doute ses institutions à elle, mais des institutions quand même. Et même, si l'on veut pousser le paradoxe encore plus loin: de l'appartenance. [...] Au moment où il devient commun, partagé, le désir de désidentification menace de produire ipso facto de l'identité. Cela peut devenir une identité de se reconnaître dans la désidentification. La ZAD, dont nous allons beaucoup reparler [...] pas plus qu'aucune autre forme collective, ne pouvait échapper à ces retours d'identité [...] Le mouvement collectif de désappartenance [à] recréer, par son effectuation même, de l'appartenance. [...] Je ne pense pas qu'on puisse la réduire à des assignations venues du dehors: bon nombre d'individus de la ZAD se sont pensés eux-mêmes comme "zadistes"." (pp.46-47)

    "Par exemple, les anars ont des drapeaux, des emblèmes (le chat noir), des chants (pour ne pas dire des hymnes), c'est-à-dire tous les attributs de l'appartenance et de l'identité collective." (p.48)

    "Je veux bien que la politique ne soit pas entièrement sortie de la tête de Deleuze quand il commence à s'intéresser à l'esthétique, mais qu'on fasse de l'art une solution de politique alternative, une politique de substitution, non." (p.49)

    "Le devenir chez Deleuze, le moment de la "vraie" politique chez Rancière, celui de la destitution chez Agamben, l'événement de Badiou: des singularités. L'antipolitique, c'est d'enfermer toute la politique dans les singularités. Le régulier n'intéresse personne." (p.50-51)

    "Si [...] il n'y a de politique qu'au moment de la révolte [...] Finalement, [...] tout ce qui compte : [c'est] bifurquer en soi. Bifurquer pour où, pour faire quoi, peu importe à la limite: bifurquer." (pp.51-52)

    "L'Antipolitique, c'est une pensée qui ne connaît que les moments de grâce, et rien entre-temps." (p.53)

    "Il est aussi vain de s'imaginer se libérer de l'intérêt que de se libérer du désir (en finir avec le désir, plaident ainsi certains quiétismes, notamment les bouddhismes). C'est que, comme l'intérêt-conatus, le désir est l'essence de l'homme -comment le malheureux pourrait-il alors se défaire de sa propre essence ? [...] Dans ce que Spinoza nomma "liberté" (ou "sagesse" ou "béatitude"), c'est toujours l'intérêt et le désir qui sont à l'œuvre, mais effectués dans un nouveau régime: le régime des affects actifs." (p.61)

    "
    (p.63)

    "La philosophie agambenienne de la destitution est à caractère métaphysique et ontologique, et commande par conséquent des objections de même nature. [...]
    (pp.63-93)

    "Dans l'expérience de la "séparation" et de la "décoïncidence", je crois que le terme de référence, celui d'avec lequel on aspire à réduire l'écart, n'est ni l'être ni la béatitude mais, bien plus simplement, le désir du sujet, déterminé selon les plis de sa formation passionnelle, mais entravé du dehors. Bref moins une expérience d'écart ontologique que celle, toute prosaïque, de la contrariété: des forces obstacles, celles de la situation institutionnelle, empêchent le sujet de s'adonner, et de cela il est triste. Si donc la philosophie de la séparation "prend" si bien, il se pourrait que ce soit sur la base d'un malentendu, en embrayant sur des sentiments qui ont bien moins à voir, je crois, avec le sens de l' "être" qu'avec le désir contrarié. [...]
    Passion joyeuse ou passion triste ? D'où suivront les sentiments de la "séparation d'avec soi", d'avec "ce que l'on est", ou au contraire l'adhésion, dans le sentiment d'être bien "à son affaire", d'être conforme à "son être"
    ." (pp.94-95)

    "La notion d'authenticité est [...] défectueuse: elle suppose la donnée d'un noyau substantiel qui nous serait absolument propre, et donnerait une jauge de l'authentique et de l'inauthentique selon que nous en sommes rapprochés ou éloignés, alors qu'il n'existe aucun tel noyau: toute notre complexion désirante a été formée par sédimentation d'influences extérieures [...] Le seul sens possible à donner à l'idée d'authenticité serait celui de l'essence singulière spinoziste, c'est-à-dire la vie dans les affects actifs." (p.97)

    "La vie collective prend une certaine forme, et cette forme est à la fois produite et soutenue par le jeu continu de la puissance de la multitude. L'idée que la puissance du collectif pourrait demeurer suspendue en quelque sorte dans le "rien", dans un néant de productivité, ne peut pas avoir de sens puisqu'une puissance est par essence productivité [...]
    J'appelle génériquement "institution" tout effet, toute manifestation de la puissance de la multitude. La coutume de se serrer la main droite plutôt que la gauche, par exemple, est une institution.
    " (p.104)

    "Des normes -puisque nécessairement il y en aura- mais lesquelles ? conçues dans quel degré d'autonomie ou d'hétéronomie ? à quelle distance de nous ? avec quelles possibilités de révision ? inscrites dans quelle sorte d'agencement institutionnel ? pour quels effets sur nos puissances ? Selon les réponses pratiques données à ces questions, les configurations institutionnelles, et les formes de vie qu'elles déterminent, peuvent différer de toute l'étendue du ciel. Et cependant il n'y a jamais, il ne peut pas y avoir de sortie radicale de l'espace de la norme, parce qu'il est le social même." (p.129)

    "L'Etat et la ZAD -fonctionnement génériquement à l'obsequium, affect de l'observance, c'est-à-dire [...] en faisant quelque chose à leurs membres: en les impressionnant d'une certaine manière -mais, et c'est là le point décisif, chacun la sienne: peur de la loi et de l'appareil de force qui la soutient dans un cas ; dans l'autre, peur de l'opinion collective, de la désapprobation et finalement du désamour de ses semblables, mais aussi joie de se sentir appartenir à une certaine communauté, d'adhérer positivement aux contenus des normes prescrites par elle, c'est-à-dire à la forme de vie qu'elle propose, etc." (p.131)

    "L'imperium, c'est la souveraineté fondamentale du tout sur ses parties, ce par quoi le tout fait autorité, et ceci avant même qu'il soit question d'une organisation interne particulière." (p.134)

    "Dans les sociétés [primitives] qu'étudie Clastres, la conjuration de l'expression "Etat" se paye de l'expression "corps identiquement scarifiés". D'une manière ou d'une autre, à la manière de l'Etat ou à la manière du collectif qui administre directement le marquage scarifiant dans le rite de passage, les corps individuels seront tracés, pliés. On notera en passant qu'ici les corps sont pliés à une identité commune: c'est le groupe, ce groupe, qui inscrit sa marque à même les chairs -et l'on aura du mal à faire de La société contre l'Etat un bréviaire de la désidentificaion. L'absence de souveraineté sous la forme "Etat" n'empêche donc nullement que le collectif affirme sa souveraineté sur ses membres. L'absence de souveraineté de type politico-institutionnel n'empêche nullement que s'exprime la souveraineté onto-anthropologique de l'imperium -puisque celle-ci se forme nécessairement. [...] S'il y a eu des zadistes qui ont cru pouvoir se vivre comme "ingouvernables" à la ZAD, ils se sont raconté des histoires. [...] Se proclamer "ingouvernable" n'empêche pas qu'on est toujours gouverné. Et que la seule question intéressante, ça n'est pas de l'être ou de ne pas l'être, mais par qui et comment." (pp.136-137)

    "Masse des flics ordinaires fascisée à 50% si l'on en croit les sondages internes." (p.138)

    "Il était temps de dire en quoi consiste la malédiction des institutions formelles: en tant qu'elles sont des cristallisations de la force du collectif, elles sont un objet de tentation permanente, la tentation de la capture, pour tous les groupes particuliers qui veulent mettre la puissance de la multitude au bout de leur puissance propre, qui veulent faire travailler la puissance de la multitude à leurs intérêts propres. Alors des entreprises de pouvoir, j'entends par là des groupes qui visent la domination, se battent pour l'occupation de l'Etat en tant qu'il est la capture princeps et le sommet de l'architectonique institutionnelle. [...] Dans l'Etat du capital, la police assure le gardiennage de la domination du capital -rien ne l'aura démontré plus éloquemment que le mouvement des Gilets jaunes (même si on le savait depuis 1848)." (pp.148-149)

    "On se souvient combien Homo Academicus avait fait scandale: parce qu'il avait fait offense." (p.157)

    "[Un gouvernement réellement de gauche] aurait pour toute première tâche d'arraisonner ce qui, laissé en l'état, le mettrait en échec à coup sûr, à savoir la finance et l'euro.
    Arraisonner la finance, ça veut dire: se retirer de la circulation financière internationale, des marchés de capitaux, donc réorganiser le financement du déficit sur une base purement interne, de mobilisation forcée de l'épargne domestique, par conséquent mettre une contrainte sur l'emploi de cette épargne par les banques privées qui la collectent. Dans le contexte de crise financière suraiguë, donc de taux d'intérêt envoyés aux cieux, ça veut dire également mettre le service de la dette publique française sous moratoire, en attendant peut-être d'en dénoncer purement et simplement une partie (celle par exemple héritée de la crise 2008). Je signale que ce moratoire crée d'emblée une situation d'effondrement financier mondial. Pour compléter le tableau, nous devons sortir de l'euro. De toute façon les mesures qui précèdent sont par elles-mêmes des infractions majeures aux traités, depuis réinstaurer un contrôle des capitaux (la parfaite liberté de circulation des capitaux, c'est-à-dire le règne de la finance sur touts les agents tant publics que privés, est consacrée par les traités -article 63) jusqu'à dénoncer la dette.
    Ce dont nous parlons ici est sans commune mesure avec les pauvres tentatives de rébellion du gouvernement Tsipras, dont tu sais avec quelle violence on les lui a fait rentrer dans la gorge. Je te laisse imaginer ce qui suivrait des premières décisions de notre gouvernement de fiction -en réalité, les institutions européennes, et les autres Etats-membres, saisiraient parfaitement qu'il s'agit d'un combat à mort. Comme à Chypre, comme en Grèce, la BCE entrerait aussitôt dans le jeu pour faire plier le gouvernement en mettant les banques françaises sous embargo de refinancement. Les besoins de refinancement des banques privées auprès de la Banque centrale sont d'une continuité si névralgique que leur interruption les met à terre en 24 heures. La situation de crise générale atteindrait un tel pic qu'elle commanderait d'elle-même sa propre résolution: la rupture. Et tout ça sous le commentaire épouvanté, je veux dire les hurlements, de BFM, France Inter et
    Le Monde." (pp.177-178)

    "Le point L tire les conclusions de cet état de fait, qui est un état de guerre -et c'est donc "L" comme Lénine. Dans les conditions de raidissement normatif du capital jusqu'à l'intransigeance extrême après trois décennies d'avancées ininterrompues, une expérience gouvernementale de gauche n'a que le choix de s'affaler ou de passer dans un autre régime de l'affrontement -inévitablement commandé par la montée en intensité de ce dernier, montée dont le niveau est fixé par les forces du capital. Un autre régime, ça veut dire [...] réinstauration flash d'un contrôle des capitaux, sortie de l'euro, donc reprise en main immédiate de la Banque de France, mais aussi nationalisation des banques par simple saisie, et surtout suspension, voire expropriation, des média sous contrôle du capital. C'est un point décisif. On ne mène pas une politique qui suppose un soutien puissant de l'opinion dans des conditions d'adversité médiatique générale, maximale, déclarée, principielle. Il faut donc arriver avec un schéma tout armé de refonte entière du secteur des média, à l'image de celui que Pierre Rimbert avait proposé il y a quelques années." (p.180)

    "Quand l'émeute dévaste le VIIIe arrondissement, le changement d'ambiance est immédiat. Seule la pression physique de la multitude, c'est-à-dire faisant ré-éprouver corporellement aux dominants leur situation minoritaire, est à même de désarmer leur arrogance -et de leur réapprendre à raser les murs." (p.186)

    "Il y a des disproportions quantitatives qui désamorcent d'emblée toute tentative d'aller à la guerre, qui font comprendre "en face" que cette guerre est sans objet parce qu'elle est déjà perdue. [...] L'ordre propriétaire-capitaliste n'a jamais reculé à la perspective de la répression sanglante et de la guerre sauvage quand il s'est senti en péril. [...] Ce sont les dominants qui fixent le niveau de la violence et règlent les intensités de la tragédie de l'histoire. Le nombre, en sa puissance écrasante, affirmative et dissuasive, est le seul antidote au déchaînement." (pp.188-189)

    "L'autonomie, en un sens très général, se joue [...] dans l'activité particulière de saisie continuée du pouvoir constitué par la puissance constituante."
    (p.196)

    "Que Mao joue sa partie au sein du PCC, qu'il utilise pour ce faire l'extraordinaire ressource de mobilisation du soulèvement, ce serait absurde de ne pas le reconnaître. Mais réduire entièrement l'événement à cela, c'est désolant. Il y a tout de même des motifs politiques, et de la plus haute importance: à l'image de ce qui s'est passé en URSS, la révolution est en train de se fossiliser dans la structure du parti, d'être captée par les cadres installés, dont les incitations à maintenir la ligne communiste sont tendanciellement évanescentes, au point que se pose la question du risque de "déviation capitaliste" [...] on se souvient que parmi les dignitaires mis en cause il y a Deng Xiaoping et qu'en matière de "retour au capitalisme" on sait quel aura été son rôle. [...]
    Les enjeux étaient donc réels, constitués. Même une historiographie aussi droitière que celle de MacFarquhar et Schoenhals ne peut le celer complètement. La plupart des ministres, vice-ministres en charge de la production et des représentants régionaux, rapportent-ils, étaient
    "farouchement opposés à la création d'organisations de travailleurs" -rappel: nous sommes supposément dans la Chine communiste... [...] Voilà ce que les acteurs de la [Révolution culturelle] avaient en tête. [...] Soit le mouvement révolutionnaire s'arrête, mais se figer c'est involuer, soit il se conçoit comme processus continué. [...] Mais de cette révolution permanente la RC n'a trouvé que la manière chaotique." (pp.204-205)

    "Les intellectuels [...] ne veulent pas avoir à connaître [le] tragique de l'histoire [...] [la] violence de l'histoire quand il s'agit de renverser un ordre de domination." (p.217)

    "Rester-marge c'est, par construction, laisser perdurer le centre." (p.218)

    "Chez Spinoza, il n'y a pas d'ontologie matérialiste au sens rigoureux du terme, c'est-à-dire une ontologie qui ne connaîtrait que la matière: il y a pluralisme (infini) des attributs, parmi lesquels certes l'Étendue, mais aussi celui de la Pensée qui lui est ontologiquement tout à fait irréductible. En lieu et place d'un matérialisme, nous avons donc un pluralisme attributif ramassé sous un monisme de la Substance." (note 107 p.224)

    "J'appelle "économie" l'ensemble des rapports sociaux sous lesquels s'organise la reproduction matérielle collective." (p.225)

    "La parole libre-et-égale, c'est de pouvoir parler librement à quiconque comme à un égal. Voyons par effet de contraste: comment parle-t-on aux gens sous le rapport salarial ? Comme à des chiens. Mais comment leur parlerait-on autrement: le rapport salariat est un rapport de subordination hiérarchique, caractérisation qui n'est même pas polémique, ce sont les simples termes de la jurisprudence du droit du travail. Inutile d'opposer qu'il y a des endroits où on leur parle plus gentiment. Ce sont des atténuations accidentelles, abandonnées aux caractéristiques contingentes des individus placés en position hiérarchique supérieure. L'essence du rapport salarial apparaît dans ce qu'elle permet, et elle permet qu'on parle aux subordonnés "comme à des chiens". Précisément parce que la subordination procède du chantage à la survie. [...]
    Si vivre sans ça est possible, on aurait tort de s'en priver
    ." (pp.232-233)

    "L'exil, non comme détour, ou fuite, mais comme préalable." (p.249)

    "Un événement révolutionnaire suppose des énergies politiques de masse d'une extrême intensité." (p.253)

    "Habiter la tension [...] en sachant qu'il n'y aura pas de synthèse, pas de dépassement, pas d'Aufhebung possibles. Et que ce sera comme ça. Les institutions évidemment, pétrifient, fabriques des colins froids, des monstres même parfois, c'est leur pente. Les faire rebifurquer est un devoir, mais ça ne peut pas être un régime - on ne rend pas l'événement permanent." (p.273)

    "La "bonne forme", c'est celle qui n'enfouit pas trop profond le sans-forme en elle, c'est-à-dire qui sait organiser les affleurements du principe de métamorphose, pour en faire d'ailleurs son principe de métamorphose, un principe réfléchi et approprié." (p.276)
    -Frédéric Lordon, Vivre sans ? Institutions, police, travail, argent..., Paris, La Fabrique, 2019, 250 pages.

    "Nul ne s'efforce de conserver son être en vue d'autre chose."
    -Spinoza, Ethique, IV, 25.

    https://rusca.numerev.com/articles/revue-11/313-critique-de-vivre-sans-de-frederic-lordon



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
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    Frédéric Lordon, Impasse Michéa + La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique + Imperium. Structures et affects des corps politiques + La condition anarchique Empty Re: Frédéric Lordon, Impasse Michéa + La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique + Imperium. Structures et affects des corps politiques + La condition anarchique

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 25 Juil - 15:39

    "Conflit des principes – mais résolu selon quel méta-principe ? [...] Et à quoi se raccrocher pour trancher toutes ces questions ?

    À rien. En tout cas si l’on cherche au jugement un ancrage objectif, un fondement de vérité absolu. Ce rien, c’est cela qu’il faut nommer la condition anarchique. Jacques Rancière rappelle très opportunément la différence profonde de l’arkhé et du cratos, là où le vocabulaire politique est d’une parfaite négligence terminologique. Nous disons oligarchie et aristocratie, mais sans savoir exactement pourquoi, et nous dirions tout aussi bien, si on nous l’avait proposé, oligocratie et aristarchie, ou bien démarchie et monocratie. Or l’arkhé, c’est le principe premier, l’origine, le fondement, d’où suivront, mais suivront seulement, l’autorité, puis le commandement. Cratos, c’est la force et la domination, donc le pouvoir, mais
    seulement comme pure puissance exercée. Au sens strict des mots donc, parler d’anarchie n’est pas autre chose que parler du défaut d’arkhé, d’un monde sans arkhé, c’est-à-dire d’un monde privé du fondement absolu auquel raccrocher ses valeurs sociales. « Anarchie », lue de cette manière, n’a plus rien d’un concept de science politique, qui aurait pour objet ce mouvement qu’on appelle communément l’anarchisme – et qui devrait en fait s’appeler acratie, conformément à sa visée d’un monde sans pouvoir ni domination. Le monde politique ordinaire est le règne des craties – et même des craties dépourvues d’archie, à savoir des entreprises de domination sans fondement possible."

    "Il y a une théorie de la valeur chez Spinoza. Une théorie très générale même, répondant donc par excellence à l’exigence de transversalité posée par l’homonymie de la valeur. Mais surtout, affirmant – démontrant – comme aucune autre le règne de la condition anarchique. Au nombre des scandales du spinozisme, il y a en effet celui-là : « En ce qui concerne le bien et le mal, ils ne désignent […] rien de positif dans les choses, j’entends considérées en soi » (Éth., IV, Préface). Ôtées les catégories fondamentales du bien et du mal, auxquelles toute positivité est déniée, et c’est le sol même du jugement, quel que soit son ordre, qui se dérobe. En tout cas son sol de vérité – auquel il va donc falloir trouver un sol de substitution."

    "La condition anarchique consacre le pouvoir axiogénique des affects : il n’y a de valeur reconnue que par le jeu des affects. Que valent nos valeurs ? Rien d’autre que les intensités passionnelles que nous y mettons nous-mêmes. Les valeurs ne nous happent pas par leur force intrinsèque : nous produisons nous-mêmes l’adhésion qui nous y fait tenir. Et la valeur de nos valeurs n’est que la force de croyance que nous y investissons par voie d’affects."

    "Grèce du Ve siècle ou l’Europe des Lumières, dont Castoriadis souligne la singularité : elles sont entrées dans l’auto-questionnement. Les valeurs et les significations y sont devenues matière à débat, à contestation, par conséquent à transformation. Il fallait cette irruption dans le régime de la réflexivité collective, seule à même de perturber la croyance heureuse, pour révéler vraiment la condition anarchique."
    -Frédéric Lordon, La Condition anarchique, Paris, Éditions du Seuil, 2018.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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