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    Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française Empty Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 20 Fév - 17:56

    "Chateaubriand l'a écrit, ce sont les privilégiés qui ont commencé la Révolution. A la faveur de la crise des finances royales, une partie de la noblesse a tenté de remettre en cause les principes de l'absolutisme tels que les avait définis Louis XIV. Derrière les grands mots puisés chez les philosophes ou dans la guerre d'indépendance de l'Amérique se cachent les idées d'un Retz, d'un Fénelon ou d'un Saint-Simon. C'est la revanche des grands féodaux, des vaincus de la Fronde, des tenants de la polysynodie qui est attendue de la réunion des états généraux. La première révolution fut parlementaire et nobiliaire, s'appuyant sur le petit peuple des villes que l'on se préparait à gruger une nouvelle fois. Mais la Grande Peur dissipe les illusions. On attendait la Fronde, c'est la jacquerie qui surgit. Ces mouvements désordonnés de paysans, jadis si facilement réprimés, prennent maintenant plus de consistance et d'efficacité. C'est que la monarchie aux prises avec ses nobles révoltés est incapable de rétablir l'ordre. C'est aussi que les insurrections de paysans reposent sur des revendications précises: davantage de terre et moins de charges fiscales. Mots d'ordre plus ou moins nets mais qui sont à l'origine des châteaux qui flambent et des seigneurs que l'on moleste. Dans la nuit du 4 août, la noblesse doit renoncer à ses droits féodaux, ce qu'elle n'avait assurément pas prévu quand elle réclamait la réunion des états généraux. Ces droits féodaux -moins lourds qu'on ne l'a dit parfois-, la noblesse avait souvent contribué à les ressusciter sous Louis XVI ; elle périt à cause d'eux. Souvent symbolique -la girouette, le banc à l'église...-, ils entraînèrent la noblesse dans leur chute en raison même de ce caractère symbolique. Les aristocrates avaient ouvert la boîte de Pandore.
    La révolution paysanne ne fut-elle qu'une flambée épargnant d'ailleurs de nombreuses régions ? Une fois les droits seigneuriaux définitivement abolis, les biens d'Église confisqués et vendus souvent à des associations de paysans ou à une petite bourgeoisie rurale, les fermages payés désormais en papier-monnaie dévalué, les produits et les salaires en hausse, le mouvement paysan parut se calmer. Il glissa même dans la contre-révolution, par réaction contre la politique de déchristianisation, les réquisitions et la conscription établie sous le Directoire.
    Tout n'était pas fini pour autant. Une autre révolution était née. Celle des bourgeois des talents plutôt que celle des affaires. Que voulait la bourgeoisie ? Sieyès en a exposé les idées dans son fameux pamphlet Qu'est-ce que le tiers état ? Elle se révoltait contre la réaction nobiliaire qui l'écarta, sous Louis XVI, des commandements de l'armée, des grandes charges de l'Etat et des dignités de l'Église, tout le contraire du siècle de Louis XIV, "ce long règne de vile bourgeoisie", disait Saint-Simon. En pleine ascension économique et intellectuelle, la bourgeoisie se voyait fermer les rangs de cette noblesse qu'elle enviait et jalousait. L'humiliation de Mme Roland ou de Barnave, à travers leur famille, les a rejetés dans la Révolution. "Qu'est-ce qui a fait cette révolution ?", interrogeait Napoléon ; et de répondre: "La vanité, la liberté n'a été qu'un prétexte".
    La révolution bourgeoise balaie les privilèges de la noblesse et du clergé, mais pour mieux asseoir les siens. Avec elle triomphe la liberté économique qui s'accompagne pour les ouvriers de l'interdiction de s'associer et de faire grève. Elle réserve la fonction publique à l'instruction et à l'argent, c'est-à-dire à elle seule. Elle ne néglige pas pour autant la terre, base de toute considération sociale: c'est elle qui donne le signal de la curée sur les biens nationaux, après avoir applaudi, sauf pour certains de ses membres déjà propriétaires ruraux, à la destruction de la féodalité. Non que toute la bourgeoisie ait profité du bouleversement de 1789: les rentiers qui ont prêté à l'Etat, les propriétaires de charges, le grand négoce militaire et le commerce de luxe ont terriblement souffert ainsi que les propriétaires qui ne perçoivent désormais leurs fermages et leurs loyers que sous la forme d'assignats dévalués. En revanche d'habiles spéculateurs, des hommes de loi expérimentés, des manufacturiers et toute une petite bourgeoisie rurale que symbolisent le Père Grandet ou le principal personnage de La Dot de Suzette, le roman composé par Fiévée en 1797, bâtissent en un temps rapide d'imposantes fortunes à travers fournitures aux armées, acquisitions de biens nationaux ou placements en Bourse. Est-ce pour autant le triomphe du capitalisme ? Face au morcellement des exploitations, à l'aberrante législation minière, comme l'écrit Antonetti, on peut s'interroger. Dans sa conquête du pouvoir politique et économique, la bourgeoisie s'est appuyée sur le prolétariat des villes. Après avoir servi de force d'appui à la révolte des parlements, ce petit peuple urbain d'artisans, de compagnons et de domestiques est devenu le fer de lance de la révolution bourgeoise. Son rôle est prépondérant dans la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, dans l'assaut donné aux Tuileries, le 10 août 1792, ou dans la chute de la Gironde le 2 juin 1793. Mais d'alliée de la révolution bourgeoise, la révolution prolétarienne entend aller plus loin. Deux fois, d'abord avec les "Enragés" en l'an II, puis avec les "babouvistes" sous le Directoire, qui proclament: "La Révolution française (celle faite par la bourgeoisie) n'est que l'avant-courrière d'une autre révolution bien plus grande, bien plus solennelle et qui sera la dernière", la révolution politique de la liberté menace de déboucher sur la révolution sociale de l'égalité. Cette révolution prolétarienne brisée par la bourgeoisie se termine sur un échec: la condition ouvrière en sort aggravée par la loi Le Chapelier et le triomphe du libéralisme économique. Mais grâce aux Enragés puis, dans une moindre mesure, aux babouvistes, dont l'action fut surtout clandestine, une prise de conscience s'est opérée. La classe ouvrière se donne des ancêtres. Épuisée, vaincue par son allié bourgeois, la révolution urbaine s'essouffle après les émeutes de germinal et de prairial et le désarmement des faubourgs parisiens. Avec elle, c'est la Révolution qui s'arrête.
    Deux perdants: les privilégiés (noblesse et clergé) et les ouvriers des villes ; deux gagnants: la nouvelle bourgeoisie et de larges fractions du monde rural.
    La Révolution est faite sur le plan social. Le prépondérance des notables est établie au détriment de la noblesse et du clergé. Mais la Révolution n'est pas terminée sur le plan politique. D'où l'embarras des historiens à en fixer le terme: Michelet l'arrête au 9 thermidor, Gaxotte et Lefebvre au 18 brumaire, Aulard et, dans une certaine mesure, Soboul, qui réunit Directoire et Consulat en un seul volume, en 1804 ; Tocqueville reste imprécis. L'absolutisme avait sans doute vécu. Fondé sur le droit divin, il était condamné par les "lumières" et plus encore par la faiblesse d'un roi que paralysait de surcroît la crise de ses finances. Une monarchie à l'anglaise, avec une chambre des pairs où nobles et bourgeois se seraient côtoyés, était la solution à laquelle les plus sages ou les plus lucides, un Mirabeau ou un Mounier, ont rêvé un moment. En refusant de passer, pour des raisons d'ailleurs compréhensibles, de l'état de monarque absolu à celui de souverain constitutionnel, Louis XVI, heurté par ailleurs dans ses convictions par le tour antireligieux pris par la Révolution, porte une large part de responsabilité dans cet échec. N'avait-il pas déjà imprudemment rétabli les parlements supprimés par Maupeou et qui lancèrent la Révolution ? Jouant trop souvent un double jeu, maladroit et hésitant, Louis XVI, en dépit d'une incontestable dignité, a compromis le prestige de la monarchie. Il fut surtout victime d'une guerre dont il approuva le déclenchement: par son attitude ambiguë, il laissa aux révolutionnaires le monopole du patriotisme.
    L'expérience républicaine ne fut pas plus heureuse, passant de la terreur sanglante et souvent aveugle d'un comité de conventionnels fanatiques aux coups d'Etats périodiques de pentarques corrompus. La disparition de Louis XVII empêcha une régence à laquelle tout le monde songea, de Robespierre à Barras.
    La République ayant échoué, la dictature militaire à laquelle avaient rêvé La Fayette et Dumouriez échut au général Bonaparte. Dictature de salut public destinée à consolider les conquêtes et les profits de la Révolution, mais dictature vouée à être éphémère, comme toutes les dictatures.
    Ainsi le vide politique laissé par l'effondrement de la monarchie n'a-t-il pas été comblé.
    "La Révolution est finie", assure Bonaparte. Notre récit s'achève sur ces fortes paroles. Mais le lecteur se doute bien, quant à lui, que la Révolution de 1789 est loin d'avoir trouvé son terme
    ." (p.5-8 )

    "La France est l'un des pays les plus peuplés de l'Europe. Elle comprend, vers 1770, 26 600 000 habitants et, en 1775, 27 millions ; dix ans plus tard, elle atteint 27 650 000 âmes. Elle a probablement dépassé les 28 millions en 1789. [...]
    Contrairement à une opinion courante, la croissance de la population, considérée sur l'ensemble du XVIIIe siècle, aurait été relativement modeste en comparaison de celle d'autres Etats: 32% contre 80% à la Russie et 61% à l'Angleterre. Mais si la part de la France dans l'Europe tend à se réduire de 24 à 20%, elle demeure encore suffisamment forte pour permettre au pays de tenir tête aux coalitions des autres nations du continent. Le facteur démographique a été un atout déterminant dans les victoires militaires de la France jusqu'à l'affrontement avec les masses russes.
    " (p.9)

    "La France est un pays riche. Du moins en apparence. Cette prospérité repose surtout sur le commerce extérieur qui a plus que quadruplé depuis la mort de Louis XIV et a atteint, à la veille de la Révolution, 1061 millions. Commerce colonial fondé sur l'exclusif qui interdit aux îles d'avoir leur propre industrie et réserve le monopole de la vente de leurs productions exotiques à Bordeaux, Nantes ou La Rochelle notamment. [...]
    En 1788 les colonies françaises (Antilles, comptoirs des Indes, Guyane et île de Gorée au Sénégal) emploient un armement de 164 000 tonneaux et 23 000 hommes (Saint-Domingue représentant près de la moitié de l'effectif). Elles fournissent 90 000 tonnes de sucre, 20 000 tonnes de café, 5000 tonnes de coton, 900 tonnes d'indigo qui sont en grande partie réexportées. Simple commerce d'entrepôt sans effet sur l'activité nationale ? En fait le commerce colonial fait travailler tout un arrière-pays, non seulement pour le raffinage des produits bruts mais pour les échanges avec les négriers d'Afrique: toiles locales contre bois d'ébène. Bordeaux exporte aussi pour 13 millions d'articles industriels à destination des îles dépourvues d'activités autres que coloniales. Dans le même domaine Le Havre prend son essor après la guerre de Sept Ans tandis que décline Saint-Malo
    ." (p.10-11)

    "Le commerce intérieur, grâce à l'amélioration du réseau routier, suit un mouvement comparable. Le chiffre d'affaires de la foire de Beaucaire passe de 6 millions vers la fin du XVIIe siècle à 41 millions en 1788. Essor à mettre en rapport avec les progrès de l'industrie." (p.11)

    "L'artisanat demeure prépondérant.
    Cette France de la fin du XVIIIe siècle reste profondément agricole. C'est vers la terre que se porte l'intérêt qu'il soit financier ou purement scientifique
    ." (p.13)

    "Au christianisme ardemment combattu [Voltaire] oppose un déisme vague et une religion "gendarme" nécessaire, estime-il, au peuple." (p.15)

    "De la Régence au règne de Louis XVI s'est crée un déficit des finances royales dû à un constant accroissement des dépenses et à un phénomène général d'inflation. La hausse des prix entraînant celle des traitements y a sa part de responsabilité. Le budget de la guerre ne cesse de se gonfler: 60 millions en 1740, 106 en 1788. C'est que les dernières opérations ont été le plus souvent maritimes ou lointaines provoquant des dépenses considérables. La guerre d'Amérique à elle seule aurait coûté près de deux milliards.
    Un secteur contesté: les dépenses de la cour. Elles ne représentent en réalité que 6%. Atteignant 27 millions, le chiffre des pensions concerne surtout d'anciens soldats ou serviteurs de l'Etat et les grosses allocations sont peu nombreuses. Mais leur impopularité, depuis que Necker en a révélé le montant, est grande.
    En revanche, on oublie dans la critique des finances royales le service des intérêts des emprunts: 318 millions en 1788, soit 50% des dépenses. Trop d'emprunts ont été émis. Le fardeau en est maintenant particulièrement lourd.
    " (p.18)

    "[Turgot] se heurta à la résistance du Parlement de Paris, supprimé par Louis XV mais imprudemment rétabli par Louis XVI. Défenseurs des privilégiés, les parlementaires refusèrent, le 4 mars 1776, d'enregistrer les édits abolissant les corporations et la corvée royale. L'idée d'une subvention territoriale pesant sur tous hérissait le Parlement qui protesta solennellement: "Tout système qui, sous une apparence d'humanité et de bienfaisance, tendrait, d'une une monarchie bien ordonnée, à établir entre les hommes une égalité de devoirs et à détruire les distinctions nécessaires, amènerait bientôt le désordre, suite inévitable de l'égalité absolue et produirait le renversement de la société... [...]
    Le roi dut imposer les édits par un lit de justice, le 12 mars. Victoire à la Pyrrhus qui condamnait Turgot. Le 12 mai 1776, à la suite d'une cabale menée par la reine, il était disgracié
    ." (p.19)

    "A son tour, l'assemblée du clergé, réunie du 5 mai au 5 juin 1788, se déclarait solidaire du Parlement de Paris, refusait le don gratuit et réclamait la convocation des états généraux. L'agitation touchait aussi bien la Bretagne que le Béarn, Dijon et Toulouse étaient gagnés. Partout les intendants, quelque peu dépassés, renonçaient à maintenir l'ordre.
    C'est en Dauphiné qu'eurent lieu les troubles les plus graves. Quand, l'intendant Caze de la Bove voulut exiler le Parlement de Grenoble, en révolte contre l'autorité royale, les Grenoblois prirent parti pour les conseillers et bombardèrent du haut des toits les soldats du roi: ce fut, le 7 juin, la journée des tuiles. Il fallut céder et réinstaller le Parlement. [...]
    La révolte venait à l'origine des parlementaires et masquait, derrière des idées démagogiques qui abusaient le peuple, la défense des privilèges.
    " (p.23)

    "Survient la mauvaise récolte de 1788. Année humide avec de gros orages en juillet qui ravagent les récoltes de Normandie, de Champagne et des Flandres. Un quart de la production est perdu dans certaines régions. L'hiver de 1788-1789 sera rigoureux, la récolte de 1789 médiocre.
    Cette fois les prix flambent: de 75 à 100 % dans le Nord-Est et l'Est ; 50% dans le Nord-Ouest. [...]
    Malchance supplémentaire: dans la soie, la récolte de 1787 est désastreuse. Ajoutons-y une crise de la laine en rapport avec de mauvaises rentrées de fourrage. Concurrence anglaise [traité de libre-échange de 1786] et manque de matières premières précipitent la crise de l'industrie textile [...] En Champagne la moitié des métiers sont arrêtés. Même proportion pour la soierie lyonnaise et dans les centres normands d'Elbeuf ou Louviers. Partout la basse des salaires est rude
    ." (p.23-24)

    "L'historien anglais Carlyle célèbre à son tour la Révolution, en 1837, pour sa destruction d'un Ancien Régime corrompu." (p.1153)

    "C'est la gauche radicale qui s'engage le plus fermement dans l'apologie de 1789, avec notamment la création d'une chaire d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne, en 1885, pour Alphonse Aulard. Militant sincère, Aulard profite de la préparation de la commémoration de 1789 pour constituer une armée d'historiens chargés de réhabiliter la Révolution grâce aux subventions de l'Etat et de la ville de Paris et aux méthodes positivistes qualifiées alors de scientifiques. [...]
    Aulard [...] passe deux années à réfuter Taine en Sorbonne (1905-1907).
    " (p.1156)

    "Les bolcheviks édifient une statue à Robespierre en 1918 et baptisent Marat un de leurs croiseurs. Mathiez soutient activement le nouveau régime soviétique." (p.1157)
    -Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française. 1789-1799, Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins, 2002 (1987 pour la première édition), 1223 pages.



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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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