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    Jacques le Rider, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps présent

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Jacques le Rider, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps présent Empty Jacques le Rider, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps présent

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 1 Juin - 15:33

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Le_Rider

    "Pour Elias, Nietzsche est une illustration de la "voie particulière" de la bourgeoisie allemande au XIXe siècle: cessant de se réclamer de valeurs antiféodales, comme ai temps de Schiller, la bourgeoisie allemande s'aristocratise et adopte la vision du monde de la noblesse d'épée. Nietzsche aurait donc été un parangon de conformisme: son surhomme n'aurait fait que clamer les grands principes d'une société hiérarchisée et dominée par les valeurs guerrières. Ce qui sépare le mépris nietzschéen de la morale des faibles de l'impératif catégorique kantien, c'est, selon Elias, la trahison historique de la bourgeoisie allemande." (note 1 p.6)

    "En juillet 1870, lorsque commence la guerre entre la France et l'Allemagne, Nietzsche a vingt-six ans. Il vit à Bâle depuis un peu plus d'un an, comme professeur de philologie grecque à l'université. Il a rendu sa première visite à Richard Wagner et Cosima von Bülow à Tribschen, près de Lucerne, le 17 mai 1869. Le futur admirateur de Baudelaire et de la Carmen de Bizet est encore un patriote allemand plein de méfiance envers la France moderne, franchement hostile aux socialistes et aux républicains français." (p.6)

    "La naissance de la tragédie, dans la première édition de 1872, contient quelques passages "antifrançais" et dans sa préface de 1886, "Essai d'autocritique", Nietzsche convient avec franchise que ce "livre problématique" est marqué par "l'époque fiévreuse de la guerre franco-allemande". [...]
    Dans la première des
    Considérations inactuelles, de 1873, Nietzsche s'attache à réfuter l'idée reçue parmi ses contemporains allemands, selon laquelle Sedan, victoire militaire, aurait aussi représenté une victoire morale de la culture allemande sur la civilisation française. Il souligne avec magnanimité que les Français vaincus n'en possèdent pas moins une culture authentique et féconde." (p.7)

    "En novembre 1883, Nietzsche séjourne pour la première fois à Nice. Il y retournera les cinq années suivantes pour l'automne et l’hiver, jusqu'en 1888." (p.Cool

    "Liste des auteurs que découvre Nietzsche à cette époque (entre 1883-1884 et 1888-1889): Théophile Gautier, Gustave Flaubert, les Goncourt, Maupassant, Ferdinand Brunetière, Jules Lemaître, Eugène Fromentin, etc. Nietzsche complète sa connaissance de Mérimée, Sainte-Beuve, Taine et Renan, Ximenès Doudan. Enfin il rencontre les œuvres de Baudelaire." (p.9)

    "Nietzsche a écouté Carmen pour la première fois le 27 novembre 1881, à Gênes. Il assistera encore à plusieurs représentations de cet opéra de Bizet, en dernier lieu à Turin, au printemps 1888, dans la période où il écrit Le cas Wagner. L'enthousiasme de Nietzsche pour Carmen est bien connu: il voit dans cette œuvre le témoignage d'une culture musicale qui ne doit rien à la tradition allemande et qui vit en toute indépendance loin de la tyrannie wagnérienne ; le personnage de Carmen incarne à ses yeux un des types les plus séduisants de la femme fatale." (p.25)

    "On ne s'étonnera pas de constater que l'adversaire le plus virulent de la thèse du "romanisme" de Nietzsche est Alfred Bäumler, l'interprète national-socialiste du Zarathoustra: selon Bäumler, la référence française n'était pour Nietzsche que le masque à travers lequel il dénonçait les insuffisances de la culture du Reich allemand.
    En 1937, le germaniste français Jean-Édouard Spenglé, dans un esprit proche de l'idéologie national-socialiste, définit Nietzsche comme un "médiateur spirituel entre la France et l'Allemagne" [...] Dans l'ouvrage
    Nietzsche et le problème européen, publié en 1943, Spenglé s'applique à dégager de Nietzsche les grands principes du racisme nazi et à minimiser l'importance de ses lectures françaises des années 1880." (p.27)

    "Les contacts entre Henri Lichtenberger et Elisabeth Förster-Nietzsche remontaient à 1898. Leur correspondance révèle [...] que cette amitié se fondait sur des options politiques communes antidreyfusardes et conservatrices. Malgré les bonnes paroles qu'il répand à propos de Charles Andler, Lichtenberger ne fera pour faciliter l'accès des Archives Nietzsche à son futur collègue et rival en matières d'études nietzschéennes [...]
    Lichtenberger (1864-1941), avait, en 1907 dans
    L'Allemagne moderne, dénoncé l'impérialisme du Reich. En 1915, il exigeait la restitution sans conditions de l'Alsace-Lorraine, dans une brochure cosignée par son frère André Lichtenberger, La guerre européenne et la question de l'Alsace-Lorraine. En 1918, il publiait, en collaboration avec Paul Petit, L'impérialisme économique allemand. Mais, dans les années 20, Lichtenberger était devenu un actif partisan du rapprochement franco-allemand. Il ne changea pas de ligne après 1933. Son livre de 1936, L'Allemagne nouvelle, malgré les réserves, est dans l'ensemble un témoignage d'admiration pour le régime national-socialiste. Par la suite, Lichtenberger se retrouve à proximité des milieux "germanophiles" qui choisissent la Collaboration après la défaite française de 1940." (p.40-41)

    "Le compte rendu de Schopenhauer éducateur, publié dans la Revue critique d'histoire et de littérature, est attribué à Gabriel Monod. Nietzsche sera furieux de ce compte rendu, à vrai dire très réservé, où, dit-il à son éditeur, il voit l'oeuvre d'un garçon de café français plutôt que celle d'un savant. Mais cette mauvaise expérience n'empêchera pas Nietzsche d'envoyer régulièrement ses oeuvres à Monod, dont il connaît le rayonnement universitaire. Rêvant de se faire connaître en France, il attendra certainement trop de Gabriel Monod: celui-ci, historien, aurait-il eu les moyens de faire éditer Nietzsche à Paris ? Il reste que c'est Monod qui mettra Nietzsche en relation épistolaire avec Taine. Et surtout, c'est à Gabriel Monod que revient le mérite d'avoir incité plusieurs normaliens à s'intéresser à Nietzsche: Romain Rolland, nous le verrons, mais aussi Charles Andler. Daniel Halévy, lui aussi, fut encouragé par Gabriel Monod. [...]
    Gabriel Monod (1844-1912) avait consulté Taine sur ses orientations intellectuelles et c'est Taine, en 1864, qui l'avait encouragé à entreprendre un séjour universitaire en Allemagne pour compléter sa formation. Fondateur de la
    Revue historique en 1876, enseignant à l'École pratique des hautes études et à l'École normale supérieure, élu à l'Académie des sciences morales et politiques en 1896, Gabriel Monod joua un rôle de premier plan dans l'affaire Dreyfus, aux côtés du parti dreyfusard de l'École normale supérieure. Cible de Maurras qui parlait de l' "Etat Monod", il déposa en janvier 1899 devant la chambre criminelle de la Chambre de cassation." (p.46-47)

    "Henri Albert fut jusqu'à la Première Guerre mondiale le fidèle serviteur des Archives Nietzsche en France: non seulement comme traducteur, mais aussi comme journaliste influent dans la grande presse parisienne. [...] Le 13 mars 1896, il se plaint d'avoir à corriger chaque ligne de l' "exécrable traduction" de Par-delà le bien et le mal par L. Weiscopf et G. Art.
    Le 18 janvier 1897, il écrit à Fritz Koegel pour déplorer que la
    Revue blanche se soit permis de publier un choix "inepte" de fragments de Nietzsche [...] Attaque contre [la] traduction de Daniel Halévy et Robert Dreyfus [...] En 1909, il dira dans ses lettres à Elisabeth Förster-Nietzsche le plus grand mal de La vie de Frédéric Nietzsche publiée par Daniel Halévy." (p.52-53)

    "Le 3 mai 1899, Henri Albert écrit à Naumann qu'on n'a encore vendu que 214 exemplaires de Zarathoustra et 155 de Par-delà le bien et le mal. Par la suite, il insistera fréquemment sur le fait que les traductions de Nietzsche sont des succès commerciaux fort inégaux. Ainsi, le 12 avril 1910, il déplore qu'on n'ait pu vendre en deux ans que 1500 exemplaires du premier volume des Considérations inactuelles. [...]
    Le 20 janvier 1911, il écrira encore à Elisabeth Förster que le Zarathoustra est le seul titre qui se vende très bien, mais par exemple Ecce homo, paru trois ans plus tôt, ne s'est pas encore vendu qu'à moins de 2000 exemplaires." (p.54-55)

    "[Elisabeth Förster] reproche [...] à Naumann d'avoir permis en 1893 la publication de la traduction du Cas Wagner par Daniel Halévy et Robert Dreyfus aux Éditions A. Schultz." (p.55)

    "Henri Albert n'avait rien d'un universitaire et nous avons vu qu'il aimait à se démarquer de ce milieu qui, de son côté, le tenait en piètre estime. On est surpris de constater la sévérité de Charles Andler envers l'édition Albert du Mercure de France, qu'il affecte de ne jamais citer dans son grand ouvrage sur Nietzsche, et ces jugements négatifs seront repris par Genevièvre Bianquis. [...] Ses vrais soutiens, Henri Albert les trouvait du côté de Gide et de Valéry. Ce premier "passeur" de l’œuvre de Nietzsche en France veillera à toujours présenter Nietzsche comme un penseur, un écrivain et un poète. Henri Albert traduit dans une langue qui, entre les beautés du style et l'exactitude scrupuleuse, opte régulièrement pour les beautés. [...]
    Il ne faudrait pas non plus simplifier le tableau: l'entreprise des
    Œuvres complètes de Nietzsche sous la direction d'Henri Albert ne fut-elle pas couronnée par l'Académie française et honorée d'une souscription du ministère de l'Instruction publique, comme le rappellent fièrement les prospectus des Éditions du Mercure de France ? Ce qui reste en tout cas un fait évident et, à la réflexion, étonnant, c'est la longue résistance de la philosophie universitaire française. Celle-ci ne fera entrer de plein droit Nietzsche dans son panthéon qu'à partir des années 1970." (p.56)

    "En novembre 1889, Alfred Vallette, mécène du symbolisme, qui avait édité de 1886 à 1889 la revue La Pléiade, fonde la "Série moderne" du Mercure de France. L'entreprise connaît bientôt le succès. La revue devient bihebdomadaire à partir de 1905. C'est Henri Albert qui tient la rubrique "Lettres allemandes". Remy de Gourmont, directeur de la revue, s'est rendu célèbre en avril 1891 par un article retentissant qui minimisait l'importance de l'Alsace-Lorraine et affirmait la volonté d'un rapprochement culturel franco-allemand." (p.57)

    "Parmi les autres collaborateurs du Mercure intéressés par les questions allemandes, il faut mentionner Paul Gérardy et Pierre Lasserre." (p.58)

    "Henri Albert (pseudonyme d'Henri-Albert Haug, 1865-1921) est originaire d'une famille alsacienne. Il a suivi une formation de libraire à Strasbourg, avant de devenir journaliste à Paris, au Journal des débats, dont il restera collaborateur pendant vingt ans, tout en contribuant au Messager d'Alsace et de Lorraine (gazette des Alsaciens et des Lorrains de Paris). Bilingue, mais ardent patriote français, Henri Albert est un germaniste hostile à l'influence allemande en France: son article sur "La force française en Alsace" dans la Renaissance latine de 1903 critique la politique allemande de "germanisation" des territoires annexés en 1871. [...]
    En 1896, Henri Albert fonda la luxueuse revue trimestrielle
    Le Centaure (deux numéros, en mars 1896 et en décembre 1896) à laquelle collaborèrent J.-É. Blanche, Gide, Pierre Louÿs, Jean de Tinan, Valéry, etc." (p.59-60)

    "Depuis 1914, Henri Albert était devenu un nationaliste germanophobe, proche des positions de Maurice Barrès." (p.63)

    "Les premiers présentateurs de Nietzsche en France mettent en valeur les attaques du philosophe contre la culture allemande contemporaine et contre le Reich. En janvier 1893, Henri Albert écrit dans le Mercure de France: "[A propos de la première Inactuelle] Quoi ! La civilisation allemande aurait-elle vaincu la culture française ? Non, répond Nietzsche"." (p.64)

    "Henri Albert est antidreyfusard par antigermanisme ; il cède parfois à l'antisémitisme par antimodernisme et par hostilité à la démocratie." (p.65)

    "Un des auteurs-vedettes du Mercure de France, Remy de Gourmont, est lui aussi antidreyfusard: "Au moment où les esclaves tentaient contre la civilisation leur effort périodique et quasi séculaire, M. Henri Albert mettait, par sa belle traduction, à la portée de ceux qui ne savent l'allemand, les pages où le dernier des grands philosophes nous avertissait, avec sa verve hautaine, du péril qui menace le monde moderne" [MdF, 1899, n°32, p.214]. [...] En octobre 1900, Remy de Gourmont publiera une nécrologie de Nietzsche dans le Mercure de France, réaffirmant que "même dangereuses, si l'on veut, les idées de Nietzsche sont libératrices"."(p.65-66)

    "En 1915, Henri Albert prendra la parole dans L'opinion pour défendre Nietzsche contre les Français germanophobes, mais aussi contre les Allemands eux-mêmes." (p.66)

    "C'est le recul du wagnérisme qui permet l'avènement du nietzschéisme à Paris. Inversement, les fidèles wagnériens forment le dernier carré de résistance aux idées nietzschéennes [...] Et c'est le Mercure de France qui joue le rôle principal dans cette arrivée en force de Nietzsche. [...] Série d'articles d'Henri Albert dans le Mercure de France, à partir de 1892.
    Nietzsche sert donc de signe de ralliement à la nouvelle génération intellectuelle des années 1890, qui ne vit plus les relations franco-allemandes sous l'effet du choc de 1870 et du ressentiment, mais dans une "nouvelle atmosphère morale", selon l'expression de Claude Digeon. La démission de Bismarck, en 1890, symbolise cette rupture. Durant ces années, l'Affaire Dreyfus passionne et divise plus les Français que la question de l'Alsace-Lorraine. L'Empire britannique, après Fachoda, supplante le Reich allemand comme objet de haine de l'opinion publique. Il reste que l'impérialisme de Guillaume II a de quoi inquiéter plus encore que la politique bismarckienne d'équilibre européen. La France a repris confiance en elle-même, mais les menaces de conflit se sont accentuées...
    " (p.69)

    "Jules de Gaultier se voulait "néopaïen" et antichrétien." (p.71)

    "Le 24 juin 1903, [Henri Lichtenberger] recommande à Elisabeth Förster-Nietzsche, dans les termes les plus chaleureux, Jules de Gaultier, le publiciste proche de l'Action française." (p.78)

    "Charles Andler, né en 1866 à Strasbourg, issu d'un milieu de petite bourgeoisie protestante (son père était pharmacien, sa mère institutrice), avait fait ses études à Strasbourg, Gray, Versailles, au lycée Condorcet, avant d'entrer à l'École normale supérieure en 1884. C'est Gabriel Monod, alors caïman d'histoire à l'École normale supérieure, qui attira son attention sur Nietzsche, en 1889, l'année où Andler passa l'agrégation d'allemand. Dreyfusard et socialiste, Andler adhère au Parti socialiste ouvrier révolutionnaire de Jean Allemane, qui s'inscrit dans la tradition proudhonienne libertaire et fédéraliste." (p.79)

    "Andler insiste sur le fait que la pensée de Nietzsche est parfaitement compatible avec une position démocratique face aux problèmes sociaux et politiques." (p.84)

    "Andler s'arrête à l'hypothèse qu'il y aurait eu deux grands moments dans la pensée de Nietzsche, correspondant à deux cycles d’œuvres qui s'y joignent, mais aussi s'en séparent: le premier sous le signe de Schopenhauer et de Wagner ; le second, à partir de 1881." (p.86)

    "Jean Giraudoux, dans l’œuvre de qui Nietzsche tiendra une place importante." (p.87)

    "Un des premiers traducteurs de Nietzsche, A.-M. Desrousseaux, était militant socialiste. Eugène de Roberty, dans La genèse de la pensée socialiste (1902), suggère que ces deux formes de pensée sont compatibles. [...]
    On entend souvent évoquer une conférence de Jean Jaurès à Genève en 1904, dans laquelle ce dernier aurait, selon Jean Bourdeau, "fort étonné les Genevois, en leur révélant que le surhomme n'est autre que le prolétariat". Et Georges Sorel de commenter: "Je n'ai pu me procurer de renseignement sur cette conférence de Jaurès: espérerons qu'il la publiera quelque jour, pour notre joie"
    [Réflexions sur la violence]. C'est surtout Charles Andler qui explore les convergences possibles, affirmant que l'on "peut légitimement appeler le système de Nietzsche un socialisme [...] Nietzsche aurait souhaité une classe ouvrière européenne qui soit une classe de maîtres" [Cité par Genevièvre Bianquis, Nietzsche en France]." (p.88)

    "L'Action française [...] trouve en Nietzsche l'exemple suggestif d'une critique moderne de la modernité et de la démocratie, débarrassée des vieilles nostalgies de la modernité et de la démocratie, débarrassée des vieilles nostalgies purement réactionnaires (c'est aussi là que le bât blesse, car l'Action française, elle n'est point exempte de ces nostalgies...). [...] Lasserre et Maurras se veulent "antiromantiques", c'est-à-dire opposés à l' "erreur individualiste issue du judaïsme, reprise par le christianisme et qui conduit au rousseauisme". D'autres maurrassiens présentent Nietzsche comme "un rajeunissement de l'idée autoritaire" (l'expression est de Michel Arnauld [pseudonyme de Marcel Drouin] dans la Revue blanche [1er novembre 1900, p.13]." (p.90)

    "Xavier Léon, l'éminent spécialiste de Fichte, rejette Nietzsche avec passion. Chez Albert Lévy, au contraire, Nietzsche se voit présenté comme un socialiste..." (p.92)

    "Le premier des lecteurs juifs de Nietzsche en France fut sans doute Daniel Halévy, le fils du librettiste d'Offenbach. Sensibilisé par l'affaire Dreyfus à la question sociale, proche du mouvement ouvrier anarcho-syndicaliste, ami de Péguy et (depuis 1903) collaborateur des Cahiers de la quinzaine, il avait fait de sa petite revue Le Banquet un premier foyer du nietzchéisme parisien: plusieurs numéros de 1892 contiennent des contributions sur Nietzsche et l'éditeur A. Schulz publie en 1893 les deux premiers livres de Nietzsche en langue française, une anthologie nietzschéenne et la première traduction française du Cas Wagner par Daniel Halévy et Robert Dreyfus. Cette éphémère publication contribue à faire connaître le philosophe par Léon Blum et Marcel Proust. Le plus fidèle à cette précoce passion intellectuelle sera Daniel Halévy lui-même qui publie en 1905 Le travail de Zarathoustra [Cahiers de la quinzaine, Douzième cahier de la dixième série, 1905] et, chez Calmann-Lévy, La vie de Frédéric Nietzsche, réédité en 1944 chez Bernard Grasset, dans une version remaniée, intitulée Nietzsche.
    En insistant sur l'opposition Wagner-Nietzsche, Halévy lave le philosophe de tout soupçon d'antisémitisme et met l'accent sur son élitisme, pour lequel il éprouve de toute évidence une vive sympathie. [...] On peut donc confirmer l'hypothèse déjà formulée par Hella Tiedemann dans son étude sur le conservatisme traditionaliste de Charles Péguy et suggérer que celui-ci connaissait la pensée de Nietzsche, au moins par les travaux de Daniel Halévy, sans doute aussi par Georges Sorel.
    " (p.92-93)

    "Le travail d'analyse quantitative appliquée à l'histoire culturelle accompli par Laure Verbaere [La réception française de Nietzsche, 1890-1910, thèse de doctorat d'histoire, Université de Nantes, 1999] a mis en évidence l'ampleur exceptionnelle de la réception française de Nietzsche avant 1914. [...]
    Entre 1890-1910, on relève plus de 1110 références en langue française (47 ouvrages consacrés à Nietzsche, plus de 600 articles et études, le reste consistant en évocation de Nietzsche dans des articles où Nietzsche n'est pas le seul sujet traité). L'opuscule d'Henri Lichtenberger est le plus répandu et le plus fréquemment réédité. Dix auteurs produisent 50% du total des comptes rendus d'ouvrages de Nietzsche: Halévy et Lichtenberger sont les plus productifs, puis viennent Lasserre, Fouillé, Roberty et Faguet, enfin Pallarès, Dwelshauvers et Seillère. Dix médiateurs se détachent du lot: Henri Lichtenberger et Henri Albert, en tête ; puis par ordre décroissant (et en fonction du nombre d'études consacrées à Nietzsche): J. de Gaultier, G. Palante, T. de Wyzewa, D. Halévy, L. Arréat, L. Weber, Ch. Andler, A. Fouillé. Six revues jouent un rôle de premier plan et publient 51.7% des articles consacrés à Nietzsche ou évoquant Nietzsche: le
    Mercure de France (42.3% de cette tranche de 51.7%, soit 21.9% du total général), la Revue bleue, la Revue universitaire, la Revue blanche, la Revue philosophique et la Revue de métaphysique et de morale. La période la plus dense est celle qui va de 1898 à 1903. [...]
    Aucun phénomène de réception, dans le domaine allemand, ne peut se comparer à la vague nietzschéenne: même pas la vague schopenhauérienne, pourtant fort abondante.
    " (p.101-105)

    "C'est en 1891 que Daniel Halévy (1872-1962) entend parler de Nietzsche par Mlle de Nemethy [...] En 1892, Daniel Halévy publie un article sur Nietzsche dans Le Banquet (la revue qu'il a fondée avec des condisciples du lycée Condorcet). Proche des positions de Barrès, il s'enthousiasme pour un Nietzsche aristocratique. Le mois suivant, c'est Robert Dreyfus qui publie un article sur Nietzsche dans Le Banquet. En 1892, les deux amis publient la traduction française du Cas Wagner. Ils sont tous deux wagnériens, mais appartiennent à la génération intellectuelle qui va dépasser la mode wagnériste. Par une piquante coïncidence, Daniel Halévy est le fils d'un des librettistes d'Offenbach et le cousin de la femme de Bizet, deux compositeurs que Nietzsche admirait particulièrement. Dans l'immédiat, la critique musicale parisienne réserve un accueil plutôt réservé au Cas Wagner. "L'esprit de Nietzsche s'y montre dans toute sa laideur morale", écrit Willy dans L'Écho de Paris de décembre 1892.
    C'est dans les
    Cahiers de la quinzaine de Péguy, avec qui Daniel Halévy était lié d'amitié, que paraîtront en avril 1909 trois chapitres de la biographie, dans leur première monture. Auprès de Malwida von Meysenburg, à qui Gabriel Monod l'avait recommandé, il a puisé quelques informations de première main [...]
    Pour le reste, Daniel Halévy s'est rangé du côté des nietzschéens de Bâle et de Carl Albrecht Bernoulli. En 1908, il avait fait le compte rendu du livre de Bernoulli sur l'amitié de Nietzsche et Overbeck, non sans égratigner la biographie en trois tomes publiées par Elisabeth-Förster-Nietzsche entre 1896 et 1904 [...]
    Au lendemain de la publication de son livre sur Nietzsche, en 1909, Daniel Halévy subira les attaques d'Elisabeth Förster-Nietzsche
    ." (p.112)

    "Selon Carl Burckhardt, Nietzsche se serait "illusionné sur l'admiration que lui portait ce collègue [Jacob Burckhardt] âgé et célèbre." (p.117)

    "La première guerre mondiale provoque en France un déchaînement de passions nationalistes, dont Nietzsche subit les conséquences." (p.125)

    "Léon Daudet, dans Hors du joug allemand. Mesures d'après-guerre, de 1915, témoignait d'une certaine mansuétude envers Nietzsche. Constatant que "de tous côtés, en Angleterre, en Russie, en France, ce n'est qu'un cri contre Frédéric Nietzsche et ses responsabilités dans les méthodes barbares des Allemands en campagne. A beaucoup un parallèle semble s'imposer entre les théories implacables de l'auteur de Zarathoustra et les atrocités qui ont signalé le passage des armées de Guillaume II en Belgique et dans le nord de la France", Léon Daudet cherche des circonstances atténuantes: issu de la famille polonaise des Nietski, ce philosophe est un mixte de Slave et de Prussien ; sa pensée n'a pas le degré de nocivité dont on la crédite:
    "Il est très capable de mouvoir des intellectuels, des inquiets et des malades dans le sens de la férocité, ainsi que ceux qui gravitent dans l'orbite ou la dépendance de ces intellectuels, de ces inquiets, de ces malades. Mais on ne l'imagine pas déterminant pour des masses d'hommes et son rayonnement n'est pas comparable à ceux que j'ai envisagés précédemment". A la page précédente, Léon Daudet avait dénoncé les dangers des "trois maîtres d'erreur" Kant, Fichte et Wagner. Revenant sur la fortune du nietzschéisme depuis les années 1890, il estime que cette influence avait du bon, dans la mesure où elle heurtait de front les décadents, pacifistes et antimilitaristes: "Au milieu de cet affaissement presque général et de cette dévirilisation des caractères, le sarcasme de Zarathoustra tomba comme un pavé dans la mare aux grenouilles. Frédéric Nietzsche inaugura alors le snobisme de la dureté, moins redoutable, à tout prendre, que celui de l'acceptation, dans la condition où se trouvait alors la France vis-à-vis de la débordante Allemagne.
    Enfin Léon Daudet relève qu' "il y a des parcelles utiles à retenir dans les jugements qu'il consacre aux Allemands. Quand il rend visite à Germania, il n'oublie certes pas d'emporter son fouet". Bref, il y a quelque chose de "Gaulois" dans la contestation permanente des valeurs établies que pratique Nietzsche, même si son "tour pédantesque", sa "rigidité" et son "immense orgueil" sont malgré tout "profondément germaniques". [...]
    Dans le deuxième volume des mémoires de Léon Daudet,
    Devant la douleur, publié en janvier 1915, on trouve des indications intéressantes sur la "germanomanie" des jeunes Français de la fin du XIXe siècle. L'ancien étudiant en médecine se demande: "Comment la wagnéro-manie s'est-elle abattue sur les salles de garde, aux environs de 1887 ? D'abord, je suppose, par réaction. Ensuite, par le va-et-vient d'étudiants français qui allaient étudier l'embryologie chez Kölliker ou la clinique des maladies nerveuses chez Erb en Allemagne, et d'étudiants allemands qui venaient étudier la bactériologie à Paris. Enfin parce que la métaphysique allemande, fléau de ma génération, est l'introduction naturelle à la musique allemande et que Kant débouche sur Wagner. La troisième onde de l'imprégnation germanique, qui succéda chez nous à la défaite de 1870-1871, aura été Frédéric Nietzsche. Mais la seconde appartient sans doute à son ami ennemi, Richard Wagner".
    Dans le tome suivant de ses mémoires,
    L'entre-deux-guerres, publié en décembre 1915, Léon Daudet ajoutait: "Les écœurantes fadeurs du tolstoïsme dégénéré et l'embrouillamini des ibséniens devaient fatalement, au bout de peu d'années, appeler une réaction. Il est remarquable que celle-ci s'opéra encore sur un nom étranger, celui de Frédéric Nietzsche [...] Les œuvres de cet énervé de Germanie et en particulier Zarathoustra ont déchaîné un flot d'insanités. Il fut un temps où chaque revue française, chaque période contenait une apologie ou un abattage du "retour éternel", de la "morale des maîtres", du "oui encore une fois", de la "reclassification des valeurs". L'âne joue un grand rôle dans Zarathoustra, un plus grand rôle encore dans la bibliographie du nietzschéisme. Les uns lui ont reproché d'être un thuriféraire de la force, ce qui n'a positivement aucun sens ; car une application de la force est nécessaire à toutes les opérations salutaires ici-bas, et le dédain de la force mène tout bonnement les dédaigneux à l'esclavage [...] D'autres ont exalté Nietzsche à cause de ses blasphèmes et son anticatholicisme, qui sont ce qu'il y a de plus niais, de plus inopérant dans son œuvre [...] Par contre, ses acerbes critiques de l'allemanité -comme disait Fichte- sont pertinentes et décisives. Son "cas Wagner" est presque un chef-d’œuvre [...] Ce qu'il y a en [Nietzsche] de solide, ce qui a trait à la psychopathologie de la force n'a pas été sans nous rendre des services. Il a désengourdi un certain nombre de néo-bouddhistes, je veux dire de tolstoïsants et d'ibséniens, il les a détournés, pour quelques années, de la non-résistance et de leur nombril".
    On voit qu'en 1915, au moment même où il dénonce le "joug allemand", Léon Daudet admet volontiers certaines grandes qualités de Nietzsche. En 1928, dans
    Les horreurs de la guerre, il sera beaucoup plus entier et beaucoup plus simpliste dans son rejet de Nietzsche." (p.126-128)

    "De cette vague d'antigermanisme qui balaye la culture française depuis 1914, il reste des traces durant tout l'entre-deux-guerres: on continue, sans aucun doute, à citer et à évoquer Nietzsche, qui reste une des figures de la pensée allemande que nul ne peut ignorer ; mais l'approche de sa pensée est dans l'ensemble plus critique. Nous avons vu qu'il reste une référence favorite de Gide et de Valéry, mais que ceux-ci l'abordent désormais dans une perspective souvent ironique -moqueuse même parfois.
    L'évolution de Julien Benda, du nietzschéisme au rejet de Nietzsche, est révélatrice. Dans ses premiers livres,
    Dialogues à Byzance et Mon premier testament, Julien Benda peut encore passer pour un "nietzschéen". [...] Dans La trahison des clercs (1927), le ton aura profondément changé. Nietzsche s'y trouve présenté comme l'exemple par excellence du "clerc qui trahit", parce qu'il aurait exalté la force et la violence contre la justice et se serait, nolens volens, mis au service du nationalisme allemand." (p.129)

    "Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, Julien Benda donnera lui-même un consternant exemple de "trahison des clercs", se transformant sur le tard en intellectuel stalinien prêt à défendre la ligne la plus dure du parti communiste." (p.130)

    "Dans les années 20, Nietzsche n'est plus une nouveauté à la mode. Il compte désormais parmi les classiques de la modernité européenne." (p.130)

    "Les Écrits de jeunesse de Jean-Paul Sartre, publiés en 1990 par Michel Contat et Michel Rybalka, ont mis au jour un manuscrit qui remonte sans doute à 1927, intitulé Une défaite (il est question dans le même manuscrit de projet plus hölderlinien qui se serait appelé Empédocle). "Sartre aurait eu l'idée du roman [Une défaite] à la lecture de la biographie consacrée par Charles Andler à Nietzsche, sur qui il fit, en 1927, un exposé à l'École normale supérieure, au séminaire de Léon Brunschvicg, exposé dont nous savons que Raymond Aron qu'il y formula pour la première fois de manière systématique ses propres idées sur la Contingence et sa vision du monde". Le sujet de l'exposé de Sartre au séminaire de Brunchschvicg est révélateur: "Nietzsche est-il un philosophe ?" Question à laquelle Sartre, comme toute la Faculté de philosophie, à l'époque, répondait par la négative." (p.136)

    "Roger Grenier souligne qu'en 1932, Camus, hypokhâgneux de dix-neuf ans à Alger, "connaît" Nietzsche et paraphrase La naissance de la tragédie, en particulier l'opposition de l'apollinien et du dionysien dans son "Essai sur la musique". Camus ne cessera pas de compter Nietzsche au nombre de ces auteurs "qui restent nos amis intimes, même lorsque leur pensée a cessé de nous convaincre". Un autre étudiant se consacre à Nietzsche dans les années 30: Gaétan Picon (1915-1976), dont le mémoire de maîtrise, présenté en 1937, vient d'être publié sous le titre Nietzsche. La vérité de la vie intense." (p.143)

    "Chez Thierry Maulnier, Nietzsche sert de prétexte à l'énoncé le plus souvent péremptoire de généralités sur "l'esprit allemand" opposé au rationalisme cartésien de tradition française. [...] On y reconnaît la tendance à penser les "caractères nationaux" sous la forme de "stéréotypes" parés de la force de l'évidence, mais invérifiables. De la même façon, Spengler opposait l'âme gréco-latine, tout entière absorbée par l'instant présent, et l'âme faustienne, préoccupée par son destin historique et son projet d'avenir." (p.147)

    "A la fin des années 30 et jusque dans les années de la Deuxième Guerre mondiale se produit ce que Vincent Descombes appelle "le deuxième moment français de Nietzsche", dont Georges Bataille est le principal représentant. Moment qui fût sans doute resté souterrain et ignoré sans le "troisième moment français de Nietzsche", qui commence dans les années 60, particulièrement au colloque de Royaumont de juillet 1964, consacré à Nietzsche (la présence de Pierre Klossowski symbolise une sorte de continuité du "Collège de sociologie" au colloque de Royaumont)." (p.153)

    "Fondé en novembre 1937 par Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris, ce "Collège" ressemble plus à un cénable d'avant-garde qu'à une société universitaire. Il se réunit tous les quinze jours dans l'arrière-boutique d'une librairie, au 15 de la rue Gay-Lussac, pour une conférence suivie d'une discussion ; parmi les participants: Pierre Klossowski, Anatole Lewitzky, Hans Mayer, Jean Paulhan, Denis de Rougemont, Jean Walh, etc. Caillois a suivi les enseignements de Marcel Mauss et Georges Dumézil [...] [Bataille] connaît les principes de la psychanalyse freudienne (ayant été en analyse en 1927), il met André Masson et Walter Benjamin, rencontrés à la BN, en relation avec le Collège de sociologie. [...]
    Plusieurs membres du Collège de sociologie suivent le séminaire de Kojève sur Hegel, à l'École pratique des hautes études (ce séminaire eut lieu de 1933 à 1939). Bataille, dont Kojève sera un des premiers à critiquer l' "irrationalisme", a suivi ce séminaire. Le thème de la force et du travail de la négativité dans l'histoire impressionne particulièrement Georges Bataille: du chaos et de la fureur des événements, peut sortir un ordre nouveau, une rationalité supérieure
    ." (p.158-159)

    "Après la rupture avec la revue Documents, en 1931, Bataille a rejoint le "Cercle communiste démocratique" de Boris Souvarine et sa revue La critique sociale (où il publie "La notion de dépense" en 1933), puis en 1935 le groupe Contre-attaque, où Bataille fait cause commune avec Breton. [...] Après avoir proclamé en mars 1936 -contre la ligne du PCF- "Travailleurs, vous êtes trahis !", Bataille oppose en mai 1936 le Front populaire des partis de gauche du gouvernement au "Front populaire dans la rue".." (p.164)

    « Dans les années 20, la réception française de Nietzsche est majoritairement marquée à droite » (p.181. En veut pour prendre de Gaulle, note 2 p.181)

    « Le premier contact de Maurice de Gandillac avec Nietzsche remonte à l’époque de sa classe de philosophie au lycée Pasteur de Neuilly. Son professeur de philosophie, Georges Cantecor, était un fichtéen, proche de l’Action française, un anarchiste de droite qui se référait à Nietzsche par anticonformisme et par goût de la provocation.
    Il habitait rue de Navarre où il invitait le jeune Gandillac pour des conversations philosophiques et lui faisait lire Par-delà le bien et le mal » (pp.181-182)

    « Maurice de Gandillac définit sa propre position, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, comme influencée par la tradition barrésienne et assez proche de celle de Drieu La Rochelle : le nietzschéisme comme volonté de domination, comme affinité avec la « société secrète », comme vision de l’homme seul, avec quelques amis, avec son cénacle. […] Nietzsche était contrebalancé par les influences chrétiennes (Maritain, Massignon), par les « communistes marxistes et les socialistes communautaires » (Platon, More, Campanella). » (p.182)

    « Maurice de Gandillac garde aussi le souvenir de ce samedi de mars 1944, où l’on discutait chez Marcel Moré des thèses de Bataille sur Nietzsche, alors que la France traversait l’une des périodes les plus sombres de son histoire. Sartre, Simone de Beauvoir, Klossowski, Adamov, Daniélou, Gabriel Marcel, Leiris, Berdiaev, Queneau, Hippolyte étaient présents, se rappelle Gandillac, et l’on parlait extase et transgression. […] C’est aussi en 1944 que le jeune Deleuze fut introduit dans le cercle de Marcel Moré [catholique de gauche venu d’Esprit et du collège de philosophie] et associé à ces débats. » (p.183)

    « Animé par des sentiments à la fois anticapitalistes, anticommunistes et germanophobes, Maurice Blanchot témoigne d’une « lecture droitière » de La volonté de puissance, tout en établissant clairement la différence entre Nietzsche et le vulgaire nietzschéisme des fascistes. Dans un compte-rendu de l’ouvrage d’Alphonse Séché, Réflexions sur la force, il écrit par exemple en 1937 […] tout en précisant que « Nietzsche lui-même n’accepterait pas » la réhabilitation fascisante de la force. « Blanchot assurera le Journal des débats, toujours plus vichyste, ultra-maréchaliste, d’une chronique littéraire, ce qui ne lui évitera pas d’être la cible des attaques de Je suis partout. […] Dédicaçant en septembre 1942 Aminadab à Xavier de Lignac, [il] cite Nietzsche : « Il est difficile de vivre parmi les hommes, parce qu’il est si difficile de se taire » [Christophe Bident, Maurice Blanchot, partenaire invisible. Essai biographique, Seyssel, Édition Champ Vallon, 1998, p.155]. » (p.200-201)

    "A chaque époque de la réception française de Nietzsche, la référence à cet auteur est utilisé contre d'autres références dominantes: contre le wagnérisme et le schopenhauerisme épuisés, dans les années 1890, mais aussi contre la philosophie universitaire dominée par Kant. Contre le "politiquement correct" d'un conformisme républicain qui révèle son hypocrisie et sa corruption à l'époque de l'affaire Dreyfus et des grands scandales politico-financiers, Nietzsche sert de référence autant à la pensée de gauche critique qu'à la pensée de droite. Paradoxe suprême, contre l'influence allemande "cet Allemand est vanté comme un libérateur de l'influence germanique", selon la formule de Claude Digeon." (p.254)
    -Jacques le Rider, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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