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    Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 7 Mai - 13:27

    « Le terme de transfert culturel marque un souci de parler simultanément de plusieurs espaces nationaux, de leurs éléments communs, sans pour autant juxtaposer les considérations sur l’un et l’autre pour les confronter, les comparer ou simplement les cumuler. Il signale le désir de mettre en évidence des formes de métissage souvent négligées au profit de la recherche d’identités, d’une recherche qui vise naturellement à occulter ces métissages, même lorsque les identités en résultent. Il oppose les sciences humaines centrées sur le composite à la quête des formes homogènes. » (p.1)
    « C’est essentiellement vers le milieu du XVIIIe siècle que l’on peut parler de transferts culturels entre espaces nationaux, et l’intensité de ces échanges se poursuit jusqu’après la guerre de 1914-1918. Sans doute la notion a-t-elle une moindre portée de nos jours, alors qu’un marché européen des théories économiques, des modes philosophiques ou vestimentaires, des romans ou des automobiles existe bel et bien. » (p.2)
    « La question des chronologisations est un des points décisifs de divergence entre la recherche sur les transferts culturels et l’histoire politique. […] Les batailles ou les changements de régime politique ne coïncident pas ou pas nécessairement avec une vague d’émigration ou une importation culturelle majeure. Ce n’est pas en 1870 mais dès la fin des années 1860, sous l’impulsion du ministère Duruy, que l’Université française cherche à s’organiser suivant des modèles empruntés à l’Allemagne, et c’est seulement dans les années 1880 que cette référence devient une donnée essentielle de la politique scientifique. La césure de 1870, césure politique par excellence, n’a donc, en termes de transferts culturels, qu’une portée limitée. » (p.2)
    « Sans doute l’idée, on dirait parfois le mythe, d’une science allemande qui envahit la conscience français à partir de la fin du Second Empire et jusqu’à la Première Guerre mondiale explique-t-elle le gonflement rapide des bibliothèques universitaires et scientifiques publiques en livres allemands. » (p.10)
    « Pour qu’un transfert puisse intervenir entre deux espaces culturels, entre la France et l’Allemagne notamment, encore faut-il qu’ils se définissent comme des ensembles sinon organiques, du moins dotés d’un fort sentiment d’identité. Si l’on désigne cette autoperception comme culture nationale, alors on doit se représenter que les transferts culturels entre la France et l’Allemagne n’ont guère pu se produire avant le XVIIIe siècle. » (p.17)
    « [La culture nationale] est bien un système de communication total entre les membres d’un groupe social et comprend à ce titre autant le langage que les modes de production, ce qu’il est convenu d’appeler la culture matérielle. On supposera qu’il existe une certaine cohérence entre les éléments les plus concrets de la vie d’un groupe, les modes alimentaires ou vestimentaires et les formes les plus sublimées, les choix esthétiques, la production philosophique ou littéraire. » (p.18-19)
    « La culture nationale, sorte de commun dénominateur, ne saurait en aucun cas gommer des tensions et des clivages internes. Peut-être serait-elle-même particulièrement bien définie par la tentative de dépasser ces tensions. La culture nationale est aussi une construction idéologique. Elle n’a peut-être qu’une validité transitoire. » (p.19)
    « [L’] appropriation sémantique transforme profondément l’objet passé d’un système à l’autre. On ne parlera pas pour autant de déperdition. Ce n’est pas parce que les philosophes scolaires de la Troisième République, faisant de Kant une référence de la morale républicaine laïque, ont interprété le philosophe allemand d’une façon différente de celle des contemporains allemands que leur interprétation est d’un intérêt moindre, qu’elle représente davantage une trahison. Au demeurant la transformation par réinterprétation existe également entre les différents contextes entre lesquels se partage un espace culturel. » (p.20)
    « Au-delà de l’individu, c’est le groupe dans lequel il s’insère (université, école de pensée, revue, catégorie sociale) qui les pose grâce à l’interprécation. » (p.20)
    « Nietzsche remettant en question l’historicisme et se faisant le chantre d’une culture méridionale incarnée notamment par la France ne pouvait apparaître que comme l’Allemand exceptionnel entrant fort bien dans les débats français du moment. Lorsque la référence étrangère est ainsi intégrée à un débat propre au contexte d’accueil, elle s’autonomise par rapport à sa source et n’est plus déterminée que par les positions des protagonistes du débat en cours. » (p.23)
    « Il est remarquable toutefois que dans les débats et les tensions internes au paysage intellectuel français le recours à l’étranger sert à l’accroissement du pouvoir intellectuel symbolique et permet notamment des entreprises de subversion face à des situations acquises. On serait tenté de mettre en relation la réception de la philosophie allemande dans la France du XIXe siècle et l’usage qu’ont fait les étudiants allemands d’une certaine philosophie française regroupée sous l’étiquette de poststructuralisme pour ébranler la pensée académique dans les années 1970 et 1980. » (p.24)
    « Le Nietzsche sur lequel travaillait Andler en 1914 n’était pas celui que les soldats allemands étaient censés lire dans les tranchées. » (p.29)

    « On notera le poids de la référence à Herder chez Edgar Quinet. » (p.30)

    « Les transferts culturels font intervenir des ensembles larges des cultures mises en présence. » (p.33)
    « Maurice Halbwachs et sa théorie de la mémoire sociale, développée dans les années 1920, est, pour la définition d’une mémoire interculturelle, d’une grande utilité. » (p.43)
    « L’histoire des sciences humaines en France au XIXe siècle montre à quel point la confrontation avec l’Allemagne a été essentielle, qu’elle aboutisse à un rejet radical ou à l’importation de nouvelles méthodes. » (p.51)
    « L’Université française compte au XIXe siècle nombre de professeurs qui pour des raisons diverses, soit qu’ils appartiennent à une minorité germanophone, soit qu’ils aient dû vivre durant de très longues périodes outre-Rhin, ont une biographie germanique. Quoique Français au sens juridique du terme et même descendant de Français, ils sont imprégnés d’une culture qui équilibre et parfois domine leur culture française. » (p.56)

    « On laissera aux sociologues le soin de décider si Durkheim, fondateur de l’école française de sociologie, était ou non marqué par certains axes de la philosophie allemande de son temps. Le nationalisme germanophobe du tournant du siècle avait résolu la question sans même se pencher sur la doctrine. » (p.58)

    « Durkheim n’avait été le seul à partir pour Leipzig [mi-1880]. Ses élèves ou des étudiants qui connaissaient son travail firent souvent le même voyage. Ainsi Célestin Bouglé, connu comme fondateur du solidarisme et professeur d’économie politique à la Sorbonne. » (p.61)

    « Parmi les germanistes influencés par Henri Lichtenberger, il y avait notamment Jean-Edouard Spenlé qui présenta en 1903 une thèse sur Novalis. Son ouvrage de 1910 consacré à Rahel Varnhagen n’était qu’une étape fugace dans une évolution qui le conduisit à publier en 1943 un ouvrage sur Nietzsche d’inspiration raciste. » (p.70)
    -Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, coll. Perspectives germaniques, 1999, 286 pages.



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