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    Jean Jaurès, Œuvre

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Jean - Jean Jaurès, Œuvre Empty Jean Jaurès, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 1 Oct - 10:15

    http://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Jean_Jaur%C3%A8s

    "La philosophie elle-même revêt parfois des dehors belliqueux, fourbit ses armes et se mêle au combat politique ; elle ne regarde pas seulement le ciel, mais aussi la terre."

    "Comme je ne rattache pas le socialisme allemand au matérialisme de "l'extrême-gauche hégélienne", mais à ces idéalistes qui s'appellent Luther, Kant, Fichte et Hegel, je veux, non seulement atteindre les vraies sources profondes du socialisme allemand, mais encore découvrir la future évolution de ce socialisme."

    "Dans les replis profonds du socialisme survit le souffle allemand de l'idéalisme."

    "Les théologiens se sont mis à philosopher, à partir de Luther, en posant, comme base de la foi et presque comme la foi elle-même, la liberté d'interpréter et de commenter. Aussi l'Allemagne actuelle commence-t-elle à Luther. Au commencement du XVIème siècle, le saint Empire allemand n'était guère qu'ombre ; il était divisé en d'innombrables principautés rivales, agitées comme une poussière d'orage. Cependant, lorsqu'il engage la lutte contre les indulgences, Luther oppose toute l'Allemagne opprimée et dévorée à l'avide et cupide Italie ; selon sa propre expression, il ressuscite "l'Allemagne unie". [...]
    Quant à nous, nous trouvons déjà le socialisme inclus dans la doctrine et les écrits de Luther, nous avons le droit de dire que le socialisme allemand est intimement lié et rattaché aux premiers fondements de l'Allemagne
    ."

    "Tout chrétien est prêtre. Lorsqu'à une époque récente le suffrage universel fut décrété en France, beaucoup trouvèrent cette politique trop téméraire et comme monstrueuse. Combien Luther était plus audacieux, lui qui décrétait le sacerdoce universel !"

    "Celui-là seulement est libre, à dit Louis Blanc, qui non seulement à le droit, mais encore la faculté et le pouvoir d'agir."

    "Dès les premières prédications de Luther, le peuple allemand tout entier, toute la plus misérable populace de l'Allemagne se prit ardemment à désirer et à espérer l'avènement d'une justice parfaite même sur la terre. Elle frappait surtout de sa haine farouche les usuriers. Luther avaient envoyé à tous ses porteurs son libellé sur les usures, afin que partout ils condamnassent le prêt à intérêt et invitassent les usuriers à la restitution."

    "Dès la découverte du Nouveau-Monde, cette société si calme et presque endormie commença à se désagréger. Les mines du nouveau monde regorgeaient d'argent et presque tous se mirent à désirer de nouvelles richesses et furent pris d'appétits nouveaux."

    "Les philosophes allemands, comme Kant, Fichte, qui ont vécu et écrit à la fin du XVIIIème siècle se sont efforcés de concilier deux cités idéales pour ainsi dire contradictoires, dont l'une dérivait de la philosophie française, et l'autre de la monarchie prussienne elle-même."

    "Kant accepte et reprend la distinction d'abord décrétée par les législateurs de la Révolution entre les citoyens actifs et les citoyens passifs."

    "Fichte m'apparaît comme l'image agrandie, amplifiée de Kant."

    "Qu'est-ce encore que ces Juifs, étroitement alliés entre eux, qui sont séparés des autres hommes comme d'ennemis et qui s'en écartent effectivement par le sang, la religion, la profession lucrative, qui accaparent toutes les affaires, toutes les richesses, qui courbent tous les hommes libres sous le joug de l'argent ?"

    "La valeur de chaque chose dépend et des dépenses et du temps nécessaires à sa production. [...] Proudhon l'a dit, la théorie de la valeur est pour ainsi dire la pierre angulaire du socialisme. Fichte, le premier, a esquissé la théorie de la valeur, développée ensuite par Marx. [...]
    Dans quelques cas, je l'avoue, dans certaines circonstances extraordinaires, la valeur n'est pas déterminée par la quantité de travail. Par exemple, si l'on offre de l'eau à des hommes altérés dans le désert, si l'on offre du pain à des hommes affamés dans une île, ils achèteront ce pain très rare, cette eau très rare, à un prix énorme. Mais ces hasards que quelques sots opposent orgueilleusement au socialisme, n'ont aucune signification, comme étant en dehors de toute règle et de l'ordre normal de la société. En effet, c'est le principal devoir de la société que par un commerce toujours en mouvement, les choses nécessaires à l'existence soient facilement mises à la portée de quiconque veut les acheter. Et il ne subsiste aucune règle, lorsque la vie elle-même de l'homme dépend non pas de la société mais d'un seul homme de telle sorte que celui-ci peut exiger, en échange d'une bouchée de pain, non seulement un prix exorbitant, mais encore la servitude du corps. Dans la société ordinaire, la vraie mesure de la valeur est la quantité de travail, non pas subordonnée mais conditionnée par son utilité
    ."

    "Marx justifie moins la nécessité du collectivisme par la légitimité de sa justice que par la fatalité historique de l'évolution sociale."

    "Autrefois l'ordre économique fondé sur la terre était limité mais ferme, inébranlable ; aujourd'hui il est agité, secoué par tous les flots, les vents et tempêtes de la mer."

    "Comment le socialisme est-il issu de la philosophie hégélienne ? A la vérité, Hegel a esquissé dans la société civile ce que l'on appelle socialisme d'Etat ; et du même coup il a donné force et vie aux corporations qui, réunies entre elles, aboutiraient rapidement au collectivisme. Il n'a pas précisément recommandé le collectivisme en fixant la propriété dans la sphère du particularisme et de l'individualisme. Mais le premier il a comparé l'Etat à un organisme, ce qui a été pour le socialisme un puissant argument en faveur de l'adoption pour les biens d'une forme organique unitaire. Ensuite Hegel n'a placé la liberté vraie et complète, ni dans l'individualité de la personne, l'isolement de l'individu, ni dans le prétendu libre-arbitre, mais dans l'universalité et dans l'Etat de façon à ce que l'Etat seul soit la liberté parfaite ; or cela est presque du socialisme. Puis, lorsqu'il a mis l'Etat au-dessus de la société civile et comme au-dessus de l'union extérieure apparente des citoyens, lorsqu'il a déclaré qu'ne l'Etat étaient incluses la véritable religion, la véritable philosophie, il a poussé les hommes à soumettre toute leur vie, c'est-à-dire même leurs biens, à l'unité, à la loi, à la raison divine de l'Etat. Voilà les appuis que le socialisme allemand a empruntés à la philosophie hégélienne du Droit.
    Pris dans son ensemble, l'hégélianisme a favorisé le socialisme allemand non seulement par sa philosophie du droit et de l'Etat, mais encore par toute sa dialectique. De la description hégélienne des différents aspects, des divers moments de la marche progressive de l'Idée et de l'Absolu, nous concluons aisément que dans le monde, aucune forme de l'Idée, aucun moment de l'Absolu ne suffisent à eux-mêmes et ne valent pour l'éternité
    ."
    -Jean Jaurès, Les origines du socialisme allemand, traduction par Adrien Veber de la thèse latine, in Revue Socialiste (de Benoît Malon), 1892.

    https://fr.wikisource.org/wiki/Histoire_socialiste_de_la_France_contemporaine

    Unité doctrinale du socialisme: https://jean-jaures.org/nos-productions/unite-doctrinale-du-socialisme-un-manuscrit-inedit-de-jaures-1891

    "Une thèse forte et étonnante retient l’attention dès les premières lignes : contrairement aux affirmations des « partis bourgeois », pour l’auteur, la Révolution française fut une révolution socialiste. Il faut prendre en considération l’ensemble du développement pour tenter de comprendre comment Jaurès justifie cette affirmation qui sera contredite par la caractérisation célèbre de la Révolution française comme « bourgeoise » moins de dix ans plus tard, dans son Histoire socialiste de la Révolution française[8]. Une telle élucidation présente l’intérêt de permettre de comprendre ce que Jaurès, en 1891, entend par « socialisme »."

    "Sa dynamique interne menait tendanciellement au socialisme[9]. Plusieurs éléments du texte vont dans ce sens : d’abord l’exposé des « origines intellectuelles » de la Révolution. Pour Jaurès, le rationalisme scientifique, sous le patronage de Roger Bacon et de Descartes, porterait en lui le socialisme car croire au pouvoir de la raison humaine, croire au progrès conduisent à viser l’abolition de l’ignorance et de la misère pour l’ensemble de l’humanité. Sur le plan des sources directement politiques, l’auteur tente de la même manière de montrer que les inspirateurs de la Révolution auraient peu ou prou prôné le socialisme. Pour cela, il reprend le canevas de l’argumentation de Babeuf au procès des Égaux. En effet, en 1797, après que sa conjuration visant à établir la communauté des biens dans la République a avorté, Babeuf, amené à se défendre devant un tribunal d’accusateurs à Vendôme, cite Rousseau, Mably, Diderot parmi ses inspirateurs[10]. Dans son sillage, Jaurès affirme que, par ses figures tutélaires, la Révolution, et notamment sa période jacobine, aurait clairement placé son œuvre sous le signe du socialisme.

    Chez Babeuf, l’invocation de Rousseau et de Diderot (auteur présumé à l’époque du Code de la Nature, en réalité écrit par Étienne-Gabriel Morelly[11]) entre dans le cadre d’une stratégie visant à atténuer la spécificité de sa propre doctrine par rapport à celle de ces grands noms des Lumières, quitte à prendre consciemment quelques libertés avec la vérité. En effet, sa plaidoirie trahit notamment le fait qu’il est loin de considérer Rousseau comme un véritable « égal » et qu’il cherche essentiellement à se couvrir de son autorité. La perspective de Jaurès est un peu différente, même si les considérations stratégiques ne semblent pas non plus en être absentes. Il cherche à démontrer que, par leur critique radicale du droit de propriété, Rousseau et Diderot ont insufflé à la Révolution une trajectoire socialiste, même si cette trajectoire a finalement été brisée par la chute de Robespierre en thermidor an II (juillet 1794). Il est frappant de ce point de vue de constater que l’auteur du manuscrit, pour le démontrer, ne s’embarrasse pas d’une lecture rigoureuse des textes : il considère Rousseau comme un auteur d’« utopies communistes », sans que les écrits de ce dernier offrent une réelle base à cette affirmation[12]. De même, bien que la véritable paternité du Code de la Nature ait été rétablie dans l’édition de Villegardelle en 1841, qui honore la mémoire de Morelly[13], Jaurès estime suffisant, pour revendiquer le « socialisme » de Diderot, que celui-ci soit passé au XVIIIe siècle pour l’auteur du Code !"

    "L’auteur du manuscrit introduit une distinction très nette entre le « communisme » des utopies prérévolutionnaires, ascétique et peu soucieux des libertés individuelles, et le « socialisme » issu du processus révolutionnaire, beaucoup plus « vivant » et « varié », qui aurait triomphé si… les « réactions bourgeoises, cléricales et césariennes » ne l’en avaient empêché. Il est à noter que le sens de la distinction établie ici par Jaurès entre communisme et socialisme est très proche de celui que l’on retrouvera dans le cours de son ami Durkheim sur le socialisme, professé en 1895-1896 à Bordeaux et publié par Marcel Mauss à titre posthume en 1928."

    "Il y a eu le socialisme idéaliste et politique de la Révolution française, le socialisme religieux de la période Saint-Simonienne et enfin le Socialisme scientifique et historique représenté en France avec bien des mélanges, par Proudhon d’abord, et en Allemagne dans toute sa rigueur par Marx et Lassalle. Je voudrais montrer qu’il n’y a pas eu élimination totale de formes surannées du socialisme par des formes nouvelles, mais qu’en droit et en fait il subsiste dans le socialisme actuel quelques éléments vivants, inaltérables, des conceptions socialistes successives. Il y a donc une doctrine socialiste, et c’est avec toutes les forces de la pensée humaine depuis un siècle que nous pourrons agir sur la société présente pour la transformer."

    "Le socialisme est beaucoup plus éloigné de la production du Moyen Âge que de la production capitaliste moderne : celle-ci est une étape nécessaire vers le socialisme, et en abolissant tout ce qui restait de l’économie du Moyen Âge, la Révolution a rapproché l’avènement du socialisme. Il n’est réalisable que par le développement de la grande industrie et du grand commerce par la concentration préalable des moyens de production et d’échange. Une société où seraient juxtaposés le régime capitaliste des manufactures et le régime des corporations du Moyen Âge, de la petite production réglementée et privilégiée serait beaucoup plus réfractaire au collectivisme que la société homogène créée par la Révolution et où la puissance du Capital se déploie sans obstacle. Il n’y a aucun rapport entre l’ancienne corporation et l’organisation socialiste."

    "La corporation ancienne est née du morcellement du territoire et des antagonismes innombrables des intérêts et des forces : chaque ville, chaque commune avait ses corporations, qui se défendaient jalousement contre l’étranger, c’est-à-dire contre le citoyen de la ville voisine. De plus, c’est pour se protéger contre les seigneurs et les évêques que les artisans, producteurs et marchands se groupaient et se liaient les uns aux autres par des règlements étroits. Au contraire, l’organisation socialiste suppose la fusion de tous les éléments du pays, l’unité nationale absolue, la disparition de toutes les barrières entre les cités et entre les classes."

    "Ceux qui ne retiennent de la Révolution que la condamnation portée par elle contre les groupements professionnels se méprennent étrangement. Elle ne songeait guère qu’aux corporations, et elle voulait avant tout que l’individu libéré n’ait en face de lui que la Nation et le Droit. Mais cela même est le socialisme. Les syndicats ouvriers ne sont pas le socialisme : ils n’en sont pas la forme définitive : ils sont un moyen de préparer le socialisme. Ils disparaîtront dans leur triomphe : car il n’y aura avec le socialisme ni patrons, ni ouvriers, mais des producteurs égaux et libres dont les rapports seront réglés par le droit, sous le contrôle de la nation."

    "Cette idée du progrès illimité, non point banale et bourgeoise, mais grandiose et humaine puisque l’exaltation de sa puissance intérieure de pensée, est au XVIIIe siècle l’atmosphère même des esprits. Or comment espérer, comment affirmer le progrès illimité de l’homme sans affirmer, sans espérer le progrès illimité de tous les hommes ? Si l’humanité peut vaincre la nature par la science et la raison, elle doit avant tout vaincre ce qu’il y a en elle-même de nature rebelle et mauvaise, c’est-à-dire l’ignorance et la misère. Associer tous les hommes à la grandeur de l’humanité est le premier vœu et la plus belle victoire de la science. Tout homme a en lui la raison, et la raison, dirigée par une méthode exacte, peut en tout homme aboutir au vrai. L’éducation universelle sera donc une des plus grandes tâches de la science, et la science qui perce la nature comme un trait de feu devra se réfléchir en tous les esprits. Mais il est un excès de misère qui supprime dans l’homme le sentiment de la raison et le besoin de la vérité. Qui dit misère dit ignorance, et pis que cela, fatalité, éternité de l’ignorance. Guerre à l’ignorance signifiera donc aussi : guerre à la misère."

    "Quelle humanité admirable et forte le XVIIIe siècle avait rêvée ! C’était là l’état d’esprit et de conscience de ces Conventionnels en qui la pensée du XVIIIe siècle respirait et combattait. Et si la Révolution française n’avait pas été plus qu’à demi-vaincue, si elle avait pu réaliser les programmes de la Convention, elle aurait accompli l’œuvre du socialisme sans que le mot même de socialisme eût été prononcé, par la seule vertu de l’idée de science identique pour elle à l’idée d’humanité : tandis que nous nous efforçons vers la justice sociale des bas-fonds de la misère, de l’ignorance et de la haine, elle y serait arrivée en suivant les hauteurs, dans la sérénité de la lumière."

    "Il me plaît de montrer que ce pauvre et grand Babeuf en qui la stupide histoire ne montre guère qu’un conspirateur criminel ou un fanatique imbécile se rattachait à la pensée du xviiie siècle en ce qu’elle a de plus généreux et de plus décisif."

    ".« Les hommes éclairés » eux-mêmes commencent à savoir que le socialisme a rompu avec le communisme, ou plutôt s’en est dégagé, et que le collectivisme n’est pas le communisme. Les utopies communistes des Mably, des Jean-Jacques, des Morelly n’avaient de valeur que comme antithèse absolue à un état social où sous le nom de propriété règne le brigandage. Si la Révolution française s’était efforcée vers l’idéal égal de Jean-Jacques, de Mably, de Babeuf, elle n’y serait certainement pas parvenue car elle aurait rencontré toutes les résistances de la liberté et de la vie. Elle aurait dû concilier dans une large synthèse l’égalité sociale avec l’individualité, la spontanéité, l’initiative des citoyens, la sévérité de la justice et les richesses de la civilisation. Les systèmes communistes les plus extrêmes et, à nos yeux, les plus impraticables et les plus absurdes ne sont donc pas dans la Révolution française une quantité négligeable. Ils sont un des pôles, un des centres d’attraction entre lesquels la Révolution se mouvait, et on en peut constater l’influence croissante dans la courbe de la pensée et de l’action Révolutionnaires. Si cette pensée et cette action n’avaient pas été contrariées et refoulées par toutes les puissances de réaction coalisées sourdement au 9 Thermidor, si la courbe, au lieu de rebrousser, avait pu se prolonger et manifester toute sa loi, c’est à un socialisme très vivant et très varié, mais au socialisme que la Révolution eût abouti ; c’est un collectivisme très souple et très libéral, mais c’est le collectivisme qu’elle eût réalisé. Ce n’est point là une hypothèse, car toutes les forces de la Révolution, consciemment ou non, tendaient là, et il suffit de les continuer par la pensée, au-delà des réactions bourgeoises, cléricales et césariennes qui ont interrompu la Révolution pour les voir converger en un socialisme puissant, civilisé et humain."
    -Jean Jaurès, "Unité doctrinale du socialisme" ou "Manuscrit de 1891".



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 6 Déc - 23:33, édité 13 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Jean - Jean Jaurès, Œuvre Empty Re: Jean Jaurès, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Lun 21 Aoû - 13:48

    "La substance, la réalité substantielle, ne commence guère qu’avec la multiplicité des qualités. L’esprit ne peut pas concevoir qu’un objet qui se manifeste par des qualités multiples ne soit qu’une agglomération de ces qualités et qu’il n’y ait entre elles aucun lien interne." (p.7)

    "Rien n’est plus familier, je dirai presque, rien n’est plus vulgaire que la notion de substance : il n’est pas de paysan inculte qui ne l’applique continuellement, et il est même des philosophes raffinés qui ne consentent pas aisément à être peuple, qui ne voient dans la substance qu’un lourd préjugé, une idole grossière de l’imagination et des sens. Et pourtant, dans cette notion si banale qui est pour tous les hommes l’équivalent même de la réalité, l’esprit a pénétré, l’esprit a sa part. Quand le paysan ou l’homme d’affaires disent : Cet arbre existe, ce fruit existe, cette pierre existe, ils se servent de l’idée de substance, et cette idée leur est fournie non par les sens tout seuls, mais par l’esprit uni aux sens. C’est donc que la réalité la plus familière, la plus vulgaire, est constituée, au moins en partie, par l’esprit, et n’a toute sa signification que par l’esprit. Si donc l’esprit se demande : En quel sens le monde est-il réel  ? il n’est pas un seul homme qui ait le droit de s’en étonner, d’abord parce que la réalité a pour tout homme plusieurs formes et plusieurs degrés, et ensuite parce que l’esprit lui-même est au moins un élément de la réalité." (p.9)

    "Un objet a beau m’apparaître avec intensité ; il a beau émouvoir mes différents sens, le toucher, l’ouïe, la vue, d’une manière concordante, je puis encore me demander s’il est réel ou imaginaire, car, en rêve aussi, je crois percevoir avec netteté, et il y a concordance entre les impressions illusoires de mes sens. Et pourtant je ne confonds pas l’état de sommeil et l’état de veille, le rêve et la réalité. Et si je les distingue, c’est que les visions du rêve ne peuvent se rattacher à l’ensemble de ma vie selon les lois de mon expérience et les règles de ma raison. Au contraire, les visions de la vie réelle forment un système où tout est lié, où tous les faits sont rattachés les uns aux autres par certaines lois, et par la plus vaste de toutes, la loi de causalité, où tout mouvement est précédé d’un autre mouvement, où tout événement est précédé d’un autre événement, où l’absolue continuité du temps et de l’espace, condition et image de la continuité causale, s’impose à toutes nos actions et à toutes nos perceptions. C’est donc l’esprit qui, selon ses formes essentielles, ses principes et ses lois, selon sa vocation naturelle d’ordre et d’unité, décide de la réalité et l’oppose aux fantômes de la nuit. Donc, pour l’homme et pour tout homme, à moins qu’il ne soit assez stupide ou assez fou pour ne pas distinguer la réalité du rêve, le réel c’est ce qui est intelligible. Voyez comme peu à peu le sens du mot réalité s’élève ; et non point en quelques intelligences d’élite, mais en toute intelligence, en toute conscience. C’est une métaphysique sublime qui est le ressort caché des esprits les plus pratiques et des existences les plus vulgaires. Je sais bien que quelques disputeurs sceptiques ou quelques philosophes de profession se sont servis du rêve et de l’apparence de réalité qu’il a pour nous au moment où il se produit pour ébranler notre croyance à la réalité du monde. Ces artifices ont pu embarrasser un instant les esprits simples, mais ils n’ont jamais eu de prise sur eux. Ils s’étonnent, en effet, quand ils y pensent, de l’apparence de réalité qu’ont les rêves, et comment ce qui n’est point peut prendre ainsi la forme de ce qui est ; mais ils ne concluent pas du tout de la vanité du rêve à la vanité du monde prétendu réel. Gardons-nous de dire qu’ils manquent, en cela, de philosophie : ils ignorent les petites roueries des systèmes, mais c’est parce qu’au fond ils ont un critérium supérieur et vraiment philosophique de la réalité (je veux dire l’enchaînement causal et la liaison intelligible des choses), qu’ils sont fermés à toutes les habiletés sceptiques ; ils sont sauvés d’un peu de philosophie artificielle par beaucoup de philosophie instinctive, et leur pensée est pénétrée, à leur insu, de la plus haute et de la plus religieuse conception ; car si Dieu, au moins sous l’un de ses aspects, peut être défini avec Leibniz l’ordre et l’harmonie des choses : Deus est ordo et harmonia rerum, c’est Dieu qui est, pour l’homme le plus simple, la mesure et l’essence même de la réalité." (p.10-11)

    "Le monde, réduit à la causalité, n’est qu’un fantôme en marche, condamné à ne jamais s’arrêter, se fixer et se comprendre. Il est donc nécessaire, pour que l’être soit, que ces séries indéfinies de causes et d’effets servent de support, de chaîne et de trame à des systèmes définis, ayant leur fin, c’est-à-dire leur raison en eux-mêmes. Voilà pourquoi il y a dans le monde des organisations ; ou plutôt voilà pourquoi le monde, en toutes ses parties, est organisé, qu’il s’agisse de ces vastes ensembles de mouvements liés entre eux que nous appelons les systèmes stellaires, ou de ces systèmes de forces unies par de secrètes affinités qui constituent une combinaison chimique, ou des organismes vivants, ou enfin de ces hautes consciences qui aspirent à faire entrer l’univers entier dans leur unité. Toutes ces organisations n’existent point en vue d’un fin étrangère , elles ne servent à rien qu’à elles-mêmes, ou du moins ce n’est point leur essence de servir à autre chose que soi ; elles sont leur but et leur raison à elles-mêmes, (,t comme elles ne se réalisent point par le concours tout extérieur d’éléments aveugles, mais par une aspiration intime, par un effort obscur ou conscient, mais spontané, vers la beauté et l’indépendance de la forme, elles ont en elles-mêmes non seulement leur fin, mais leur principe ; vraiment, elles sont ; et le monde trouve en elles, dans sa fuite éternelle et vaine, la fixité et l’existence. Ce n’est pas que ces organisations soient isolées les unes des autres et que le monde ne trouve l’être qu’en perdant l’unité, car, d’abord, il n’est pas un seul des phénomènes qui font partie de ces systèmes organisés qui ne fasse partie, en même temps, des séries causales et mécaniques et qui ne se rattache, par elles, à la totalité des phénomènes ; et puis, toutes ces organisations, à des degrés divers et sous des formes diverses, aspirent à la même fin : l’unité, la beauté, la liberté, la joie." (p.12-13)

    "Ces conditions de l’être sont en même temps les conditions de la pensée qui ne peut saisir les phénomènes qu’en les enchaînant selon des rapports de cause et d’effet, et qui s’épuiserait à suivre ces séries indéfinies si elle ne rencontrait à chaque pas des systèmes définis, des organisations d’activité spontanée où elle se ranime et se reconnaît elle-même au contact de la vie intérieure et libre, suspendue, par sa fin propre, à l’idéal éternel. Ainsi, tandis que tout à l’heure, à propos de la substantialité des objets, nous nous bornions à dire que l’esprit concourait avec les sens à l’idée de réalité, maintenant, nous avons atteint, guidés par un maître, les hauteurs où la réalité et la pensée ne font qu’un et où le monde est identique à l’esprit. Mais il faut bien se rappeler qu’en nous élevant ainsi vers le sens le plus haut du mot réalité, nous n’avons pas quitté le monde : nous l’avons élevé avec nous et comme nous vers la réalité vraie. Il faut bien se rappeler que c’est pour fonder l’induction, c’est-à-dire l’affirmation des lois générales et constantes que notre expérience bornée ne garantit point et sans lesquelles la pensée la plus vulgaire et l’action la plus familière sont impossibles, que le philosophe a cherché ce qu’était la réalité du monde. C’est pour nous permettre d’affirmer sans folie que le soleil se lèvera demain et qu’au printemps prochain les arbres fleuriront qu’il a montré que le monde, pour être réel, devait non seulement être soumis à l’enchaînement causal, mais encore être organisé en systèmes relativement fixes : en sorte que notre vie même, faite de prévisions et d’anticipations, a la métaphysique pour base. Et en fait, cette métaphysique soutient, qu’ils le sachent ou non, tous ceux qui induisent." (p.14)

    "La forme, l’organisation est de l’essence même de l’être, et il est de l’essence même de la forme de s’affirmer persistante dans les variations suffisamment libres de ses éléments, c’est-à-dire, en somme, de durer. Toute forme, par essence, est durable, c’est-à-dire que l’on peut constater des agitations et des variations multiples des éléments qu’elle se subordonne sans qu’elle-même soit altérée ; donc la fixité relative des systèmes et des formes, qui permet l’induction, tient à la racine même de l’être, et il est impossible que l’apparence du hasard envahisse, pour l’esprit qui observe, tout l’univers, car il suffit que l’esprit puisse percevoir et des changements dans les éléments informés et la permanence d’une certaine forme. Il suffit donc que l’esprit puisse durer assez pour que la permanence de la forme et de la loi se révèle à lui dans les phénomènes changeants." (p.16-17)

    "Tout moment de la durée retentit à l’infini dans les moments ultérieurs, et l’esprit, en franchissant les siècles d’un bond, retrouve la suite intelligible de ce qu’il a quitté." (p.18)

    "La détermination ne suffit donc pas à constituer la réalité du monde, il lui faut encore, si je puis dire, l’indétermination absolue ; la liaison, l’harmonie, l’acte ne suffisent point à donner la réalité au monde : il y faut encore la continuité absolue de l’être considéré comme puissance indéfinie. Le monde, pour être réel, doit participer non seulement de l’être en-acte, mais de l’être en puissance. C’est par la puissance indéfinie, homogène et continue de l’être que tout esprit, quel qu’il soit, peut trouver à tel moment de la durée, quel qu’il soit, des phénomènes et des lois, des éléments et des formes. De plus, la permanence même d’une forme n’est possible que parce que la puissance même de l’être est toujours mêlée à toutes ses activités, à toutes ses déterminations. Si chacun des éléments qui entrent dans un organisme vivant s’épuisait dans un acte déterminé, il devrait, sous peine de destruction totale, persister immuablement dans cet acte, il y serait comme figé. Dès lors la forme de l’être vivant ou de l’individu chimique ne serait plus que le total rigide d’éléments rigides. Elle ne serait plus une forme, elle ne serait qu’une somme ; car pour qu’il y ait forme, unité vraie, il faut que tous les éléments vivent d’une vie propre et en même temps aspirent à l’harmonie de la forme et à l’unité du type. Il faut donc qu’en tout élément, il y ait, outre son activité propre, un fonds d’être et, si je puis dire, une réserve d’aspirations tendant vers la forme ; il faut donc que, dans tout élément d’activité finie, il y ait de l’être et toujours de l’être à l’infini. Car il n’y a rien qui limite et mesure a priori l’aspiration des éléments de l’univers vers une forme toujours plus belle et une unité toujours plus vaste." (p.18-19)

    "Pour savoir en quel sens et dans quelle mesure le monde est réel, il faut savoir ce qu’est l’être, et comment le monde participe soit à l’être en acte, soit à l’être en puissance ; car nous n’abordons pas le problème de l’être sans un commencement de solution, et nous savons déjà, par l’analyse même de la réalité et de ses conditions, que l’être doit être considéré et en acte et en puissance. Il n’y a réalité que là où il y a détermination, unité et effort vers l’unité ; c’est l’être en acte. Mais aussi cette détermination n’est possible qu’avec un fond d’être indéterminé : c’est l’être en puissance. Si l’on veut bien y prendre garde, notre conception ou notre sentiment de la réalité n’est pas le même selon que nous constatons surtout dans le monde l’être en acte ou l’être en puissance. Pour qu’un fait soit réel à nos yeux, d’une réalité pleine, il faut que ce fait ait, pour nous, sa place déterminée et intelligible dans un ensemble solidaire de faits ; il faut qu’il concoure, avec tous les autres faits de l’univers, à une fin idéale, et qu’il ait ainsi son rôle dans l’immense harmonie du tout. Cela donc seul est réel en ce sens qui est à la fois logique et agissant ; et ici, la réalité n’est que la raison agissante, c’est-à-dire l’absolu vivant, c’est-à-dire l’être en acte. Mais il y a un sens plus vague, plus diffus du mot réalité. Les visions incohérentes du rêve ne sont point réelles au sens le plus strict du mot, mais elles ne sont point non plus le néant ; elles attestent, en dehors de toute liaison intelligible et de toute cohésion rationnelle avec l’ensemble des faits, la prodigieuse puissance d’invention qui sommeille au fond de l’être, cette vague aptitude à toutes les formes que possède l’infini et qui, déterminée selon la raison, devient la réalité sublime de l’univers, infiniment variée et infiniment harmonieuse. Bien souvent, dans la contemplation et la rêverie, nous jouissons de l’univers sans lui demander ses comptes ; nous aspirons la vie enivrante de la terre avec une irréflexion absolue, et la nuit étoilée et grandiose n’est plus bientôt, pour notre âme qui s’élève, une nuit dans la chaîne des nuits. Elle ne porte aucune date ; elle n’éveille aucun souvenir ; elle ne se rattache à aucune pensée ; on dirait qu’elle est, au-dessus même de la raison, la manifestation de l’éternel. Nous ne nous demandons plus si elle est une réalité ou un rêve, car c’est une réalité si étrangère à notre action individuelle et à notre existence mesquine, qu’elle est, pour nous, comme un rêve, et c’est un songe si plein d’émotion délicieuse, qu’il est l’équivalent de la réalité. M. Lachelier, en réduisant toute la réalité à la détermination stricte, exclut de la conscience humaine cette sorte de panthéisme flottant pour qui les choses sont parce qu’elles sont et sans produire leurs titres. Il serait funeste de s’y abandonner ; il serait fâcheux de ne le point connaître, car, s’il est bon, s’il est nécessaire de ramener sans cesse le monde à la raison et de vivre dans l’univers comme dans un vivant système où chacun a sa fonction, il est bon aussi de se retremper parfois aux puissances vagues et illimitées de l’être et de descendre dans le chaos fécond des cosmogonies antiques. Donc, pour épuiser toute la notion pratique ou poétique qu’ont les hommes de la réalité et pour que notre idée de l’être ait toute l’étendue de la réalité, il faut reconnaître dans l’être l’acte et la puissance ; et pour que le monde soit réel, pour qu’il soit, il faut qu’il participe à la fois de l’activité infinie et de la puissance infinie de l’être." (p.21-22)

    "Je crois que la simple formule immédiate : « L’être est », est à la fois plus vraie et plus religieuse que la déduction de M. Lachelier. Elle est plus religieuse parce qu’elle émeut à la fois dans un mystérieux unisson toutes les puissances de l’esprit et de l’âme, qui toutes ont rapport à l’être et qui n’attendent pas, pour s’exalter, d’en avoir reçu congé d’un artifice logique. Elle est plus vraie parce qu’elle ne dissocie pas même momentanément la vérité et l’être, qui ne peuvent se déduire l’un de l’autre justement parce qu’ils ne font qu’un. Je sais bien que dans cette formule : « l’être est », il y a, au moins en apparence, un sujet et un attribut, et qu’il y a là, par conséquent, la constatation d’une sorte de logique primordiale que le philosophe a le droit de développer en longues déductions ; mais cela prouve simplement qu’il y a entre la pensée et l’être une telle identité première, que l’être ne peut s’affirmer même immédiatement sans prendre la forme de la pensée. Et comme, d’autre part, la pensée ne peut s’exercer sans l’idée d’être, c’est-à-dire sans l’être, je ne vois dans la formule : « l’être est », malgré son apparence logique, qu’une raison nouvelle de ne point tenter de la vérité à l’être une dérivation logique. D’ailleurs, dans cette proposition : l’être est, il nous paraît absolument impossible de marquer la valeur respective de l’attribut et du sujet. On peut aller aussi bien de l’attribut au sujet que du sujet à l’attribut. L’être est : pourquoi est-il ? Parce qu’il est l’être. Pourquoi l’être est-il ? Parce qu’il est. Il y a génération réciproque et éternelle du sujet et de l’attribut. Ainsi, quand nous écartons comme vaines toutes les distinctions et déductions logiques de la vérité et de l’être, nous ne prétendons pas réduire l’être à un fait brut, et en exclure la raison. Bien au contraire, car la raison est intérieure à l’être, et l’être est identique à la raison." (p.26-27)

    "L’être est parce qu’il est, et ainsi à l’infini. Ainsi l’être se crée éternellement lui-même. Qu’est-ce à dire  ? C’est qu’il est éternellement pour lui-même tout à la fois activité infinie et possibilité infinie." (p.28)

    "Et nous, pour réfuter l’idéalisme subjectif, nous n’aurions qu’à suivre le monde dans .a marche, c’est-à-dire qu’à montrer comment l’être, tel que nous l’avons compris, se développe et se manifeste dans le monde. C’est là ce qu’a fait Hegel qui, pour arracher son temps à ce qu’il appelle la maladie du subjectivisme, maladie poussée jusqu’au désespoir, s’est transporté d’emblée dans l’être et a déduit l’univers." (p.34)

    "La philosophie française a débuté ou du moins semble avoir débuté avec Descartes par un acte de subjectivisme ; la conscience du philosophe s’est tout d’abord repliée en elle-même, en supposant un moment la vanité de tout le reste. Il est donc bon et conforme à notre tradition philosophique de se placer au centre même des objections du subjectivisme, au lieu de les éluder par un mouvement supérieur. Mais puisque l’analyse même de la notion de réalité nous a acheminés insensiblement au problème de l’être, nous savons fort bien dès maintenant que nous n’échapperons aux objections captieuses du subjectivisme qu’en nous frayant un chemin vers les sommets de l’être." (p.36)

    "La contemplation artistique du monde est bien vaine et fatigante si elle n’atteint pas une vérité. Quand on renonce à la lutte de la raison avec les choses, on ne tarde pas à glisser dans les puérilités de l’impressionisme. Il semble qu’il y ait en France, depuis deux générations, une sorte d’abandon d’esprit et une diminution de virilité intellectuelle. On veut se plaire aux choses ou aux apparences des choses beaucoup plus que les pénétrer et les conquérir. [...]
    On supplée à la recherche par l’inquiétude ; cela est plus facile et plus distingué
    ." (p.37-38)

    [Chapitre III: Du mouvement]

    "La science aujourd’hui, par toutes ses théories, par toutes ses hypothèses, incline à rejeter l’idée brute de l’atome déterminé dans une forme rigide et figé dans une inertie éternelle. C’était la conception de Démocrite et d’Épicure ; ce n’est plus la conception de la science contemporaine. L’atome doit être, lui aussi, souple, mouvant, vivant. Tout d’abord, en effet, s’il était immobilisé et matérialisé dans une rigidité immuable, comment expliquer son origine ? ou bien, il est éternel, il est l’élément primordial et nécessaire des choses, et alors, pourquoi a-t-il telle figure plutôt que telle autre ? pourquoi est-il carré, rond, crochu, étoilé ? L’arbitraire, la fantaisie sont à la base même des choses, et le monde repose sur le caprice des figures géométriques bizarres que l’écolier dessine à la plume en marge de son cahier ; ou bien, au contraire, l’atome n’est pas éternel ; il n’est pas primordial, il a été produit ; mais, comment a-t-il pu être produit ?" (p.50)

    "Au demeurant, comment l’être immense, immatériel et un, ne serait-il pas à la base et au fond de ce que nous appelons la matière ? Si le monde matériel avait pour fondement suprême une détermination de la matière, il reposerait sur l’arbitraire. Car, que serait cette détermination de la matière ? Une détermination spéciale de forme et de mouvement. Mais pourquoi telle figure serait-elle primordiale plutôt que telle autre ? Pourquoi telle forme du mouvement plutôt que telle autre ? Ou bien cette forme du mouvement n’aurait, pas plus que les autres, un rapport direct avec l’être infini ; elle n’en exprimerait pas, mieux que les autres, les puissances infinies. Et alors, comment serait-elle à l’origine du monde ? Ou bien elle traduirait, dans une première forme de mouvement infiniment complexe et riche, les aspirations infinies de l’être infini ; mais alors elle en serait l’expression, elle en serait la réalisation première, c’est-à-dire que c’est l’être infini qui serait vraiment la base et la substance du monde matériel. Donc, celui-ci a vraiment sa racine et son être même dans l’être infini ; et les mouvements de l’univers, que nous disions tout d’abord être des mouvements de la matière, sont, en réalité, des mouvements de l’être infini et immatériel, c’est-à-dire des relations définies entre les diverses puissances que contient l’être infini, des communications réglées et intelligibles de l’être à l’être, des moyens dans une œuvre immense et divine d’harmonie et d’unité. Dès lors il ne faut pas dire : Quel rapport y a-t-il entre telle ou telle sensation, et tel ou tel mouvement? Car il se peut que cet ordre de mouvements et l’ordre de sensations qui lui correspond soient la même fonction de l’être infini, vue sous deux aspects différents ; il se peut, par conséquent, que la sensation et le mouvement se rejoignent et se pénètrent dans l’être même qu’ils expriment. Il suffira, pour cela, que le mouvement et la sensation ne soient point des faits bruts, irréductibles à toute pensée, et qui s’opposent ainsi grossièrement, fatalement l’un à l’autre. Or, comment le mouvement, ayant pour substance et pour fond l’être infini, objet suprême de la pensée, serait-il un fait brut et impénétrable à la pensée ? Le mouvement n’est pas une chose : nous ne le saisissons jamais en lui-même ; nous ne percevons que des choses ou des phénomènes en mouvement. Il est vrai que ces choses, à leur tour, comme nous l’avons vu, se décomposent en mouvements, et qu’il ne subsiste plus ainsi dans l’univers proprement naturel, si l’on oublie un instant l’être infini qui le pénètre et le soutient, que des mouvements et des sensations. Or, le mouvement n’est jamais perçu que par et dans la sensation. Mes yeux ne voient pas le mouvement, mais la lumière eu mouvement ; mon oreille n’entend pas le mouvement, mais le son en mouvement ; ma main ne palpe pas le mouvement, mais la résistance en mouvement. Mais, d’autre part, les sens eux-mêmes démêlent dans la lumière en mouvement ce qui est lumière et ce qui est mouvement, car ils perçoivent très bien une couleur, qu’elle se déplace ou qu’elle soit immobile. Donc le mouvement ne peut être perçu indépendamment des sensations, et il apparaît pourtant aux sens eux-mêmes comme distinct de la sensation. Il en est distinct et inséparable. Qu’est-ce à dire ? C’est qu’il est intimement lié à la réalité qu’exprime la sensation, et qu’il traduit cependant cette réalité par un aspect un peu différent de la sensation elle-même : il exprime ce qui se mêle d’identique aux espèces différentes de sensations, ce par quoi elles ont une commune mesure, je veux dire la quantité homogène. Aussi l’effort suprême de la science, après avoir ramené tous les phénomènes naturels au mouvement, est-il de ramener le mouvement lui-même à la quantité. Le mouvement est exprimé par des lignes, et ces lignes sont exprimées par les relations définies de grandeur qui unissent leurs éléments : par exemple, les courbes sont définies par leurs abscisses ; c’est ainsi que la mécanique va se perdre dans la géométrie, et la géométrie dans l’algèbre. Mais le mouvement, quoiqu’il enveloppe la quantité et qu’il puisse être réduit à la quantité par le calcul, n’en a pas moins une forme définie. Par cette forme définie, chaque espèce de mouvements joue un rôle défini dans le système universel ; chaque espèce de mouvements est donc une essence, et, pour que cette essence définie ne s’évanouisse pas dans l’indifférence de la quantité abstraite, elle se manifeste dans la sensation qui, en tant que telle, est irréductible à la quantité pure. Ainsi, le mouvement étant à la fois une grandeur et une forme, tient d’un côté à la quantité, de l’autre à l’essence. Il est le point de rencontre de la quantité et de la qualité ; et voilà pourquoi ni il ne peut être confondu avec la sensation, ni il ne peut être séparé d’elle ; et l’intuition sensible, qui unit et démêle tout à la fois la sensation et le mouvement, va au fond même de la vérité.

    On voit par là combien est grossière et naïve la conception de l’idéalisme subjectif : elle est grossière, parce qu’elle traite le mouvement comme une chose que l’on peut mettre à part et qu’il n’est pas une chose ; elle est naïve, parce qu’elle renferme une évidente contradiction. L’idéalisme scientifique nous dit : Figurez vous d’un côté le mouvement, de l’autre la sensation ; quel rapport y a-t-il ? Mais je ne puis me figurer le mouvement qu’en me représentant une trace distincte dans un espace vaguement éclairé ; et le mouvement ainsi entendu, au lieu d’être le contraire de la sensation, n’est qu’un minimum de sensation. Bien loin que je puisse opposer le mouvement que je me représente à la sensation, j’ai besoin d’un reste de sensation pour me représenter le mouvement. Dès que je dépouille le mouvement de tout élément sensible, il ne peut plus être objet d’imagination : il n’est plus qu’une conception, une idée ou un système d’idées.
    " (p.60-62)

    "Parce que le monde est la puissance infinie de Dieu, il manifestera Dieu comme substance, comme force, comme unité et comme conscience ; il le manifestera comme substance en restant fidèle à travers toutes ses transformations à l’immutabilité de l’être ; il le manifestera comme force en évoluant sans lassitude ni défaillance à travers la durée sans terme ; il le manifestera comme unité en formant comme un système à la fois ordonné et immense dont les parties les plus lointaines se correspondent ; il le manifestera comme conscience en multipliant les centres d’unité où la conscience éclot. Il est donc aussi impossible à la pensée de séparer le monde et Dieu que de les confondre : l’acte infini qui est Dieu fonde cette puissance infinie qui est le monde ; mais ici l’acte, par cela seul qu’il est infini, fonde la puissance ; c’est-à-dire que dans l’infini l’acte et la puissance ne sont plus distincts que pour la pensée ; la dualité de l’acte et de la puissance est réconciliée dans l’unité vivante de l’acte infini et de la puissance infinie ; cette antithèse fondamentale de la puissance et de l’acte étant ainsi résolue, toutes les autres antithèses qui tourmentent la raison humaine se résolvent du même coup. Dieu, intimement mêlé au monde qui est sa puissance, est à la fois être et devenir, réalité et aspiration, possession et combat. Par là cesse le seul scandale que la conscience humaine rencontrait dans l’affirmation de Dieu : nous luttons, nous souffrons, nous essayons péniblement de dompter en nous les penchants mauvais, de réaliser une perfection partielle et chancelante ; et pourquoi cela si la perfection absolue existe déjà? Mais précisément parce que cette perfection absolue existe, elle veut éternellement abolir en elle ce qui pourrait ressembler au destin. Dieu ne se contente pas d’être la perfection toute faite ; il veut encore et en vertu même de cette perfection la conquérir, et si je puis dire, la mériter ; et voilà comment, du fond de son acte éternel, il déploie le monde, qui est sa puissance, dans la lutte, dans l’obscurité, dans l’effort. Il donne le moi, c’est-à-dire la communication directe avec l’infini et la liberté, à des formes innombrables. Et lui, le parfait, il poursuit avec toutes ces consciences qui cherchent, qui doutent, qui tombent et se relèvent, le pèlerinage de la perfection.

    Ce serait une erreur d’exclure de Dieu le désir, l’effort, et même en un sens la souffrance ; car ce serait au fond exclure le monde de Dieu.
    "

    "Comme c’est l’acte infini qui a fondé la puissance infinie et qu’il doit partout retentir en elle, il n’y a nulle part puissance sans acte, c’est-à-dire étendue sans mouvement : c’est en ce sens qu’il n’y a pas de vide dans l’univers. Il n’y a pas comme un réseau de mouvements enveloppant dans ses mailles subtiles des lacunes d’immobilité." (p.72-73)

    "S’il y avait des portions d’étendue sans mouvement, la quantité homogène et continue qui fonde la possibilité des communications, des relations de l’être, existerait indépendamment de ces communications : la puissance pure et indéfinie, dont l’étendue est le symbole, et qui est éternellement produite par l’acte infini, existerait indépendamment de cet acte. L’unité vivante de l’être serait brisée. Nous retomberions dans cette sorte de dualisme qui opposait la matière à Dieu, le principe passif au principe actif ; l’étendue serait comme un immense champ inerte que Dieu devrait labourer de mouvements pour l’ensemencer de germes précaires. Admettre qu’il y a des parties d’étendue sans mouvements, c’est substituer dans le monde la juxtaposition de la puissance pure et de l’acte à leur fusion ; il est impossible d’admettre également la préexistence de l’étendue inerte et vide au mouvement, à la réalité proprement dite. [...] C’est matérialiser l’étendue, c’est en faire une chose que de la mettre à part des activités dont la quantité homogène et continue est la condition ; c’est matérialiser le mouvement, c’est en faire une chose que l’introduire du dehors dans l’étendue, tandis qu’il réalise l’union grandissante de la puissance pure de l’être, symbolisée par l’étendue, à l’acte infini et divin. Au contraire, dans leur pénétration réciproque, le mouvement et l’étendue attestent l’unité vivante de l’acte et de la puissance dans l’infini : ils restent par là même fidèles à Dieu, et l’immensité mouvante est un aspect divin."

    "La conception cartésienne, qui voyait partout des mouvements, reste vraie : il n’est pas possible de saisir une seule force qui ne soit en mouvement, qui ne soit du mouvement. Dira-t-on que le mouvement d’un corps qui rencontre de la résistance se transforme en chaleur ? Mais cette chaleur est un mouvement moléculaire interne : la chaleur n’est de l’énergie, de la force, c’est-à-dire de la possibilité du mouvement, que parce qu’elle est déjà du mouvement. Voilà un poids sur une table ; le poids, quoique sollicité par la pesanteur, ne tombe pas : il semble donc qu’il y ait là une force sans mouvement. Mais le poids fatigue la table ; il tend à disloquer l’association des molécules qui la composent : il détermine en elle des mouvements nouveaux, et ces mouvements sont la résultante des mouvements antérieurs des molécules et du mouvement de la chute. En effet, ce mouvement, avec sa loi propre d’accélération continue, n’a pas besoin, pour se produire, d’une quantité donnée de temps : en vertu de la continuité même du mouvement, le mouvement peut se produire selon sa loi dans une quantité de temps infinitésimale, c’est-à-dire plus petite que toute quantité donnée. Donc, le poids, dans l’instant même où il agit sur la table par le contact et dans toute la durée continue qui prolonge ce contact, agit comme s’il tombait d’une chute infinitésimale, selon la loi spéciale d’accélération définie de la pesanteur; et si nos sens pouvaient démêler, dans les complications des mouvements moléculaires de la table, la part précise qui revient à la pression du poids, ils verraient en quelque sorte la chute du poids qui est mathématiquement représentée dans les mouvements qu’elle détermine ; et comme il nous arrive, en rêve, de voir tomber sans fin des corps qui ne se déplacent pas, nous verrions le poids immobile tomber, et nous verrions juste."
    -Jean Jaurès, De la réalité du monde sensible, 1892, Félix Alcan, 1902: https://fr.m.wikisource.org/wiki/De_la_r%C3%A9alit%C3%A9_du_monde_sensible



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Jeu 4 Nov - 15:52, édité 2 fois


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    Message par Johnathan R. Razorback Mar 24 Nov - 17:32

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k932623s/f482.image.r=crise%20de%20croissance

    "Démocratie et nation restent les conditions essentielles, fondamentales, de toute création ultérieure et supérieure. Un sens nouveau plus haut encore et plus vaste s'ajoute à la signification déjà si forte et si riche de la patrie. L’apparente crise de l’idée de patrie est une crise de croissance. Anatole France se trompe quand, dans l’introduction à la Vie de Jeanne d’Arc, il appuie la patrie sur la propriété foncière, quand il croit qu’elle n’a de sens et de valeur que pour ceux qui possèdent le sol. L’histoire des patries déborde en tous sens cette définition étroite (…) Il serait enfantin d’imaginer que les prolétaires, les ouvriers des faubourgs ou des sombres rues du centre de Paris, quand ils se passionnaient pour la Révolution, quand ils donnaient leur sang pour elle, étaient conduits par l’appât de quelques miettes de terre qui, un jour peut-être seraient distribuées aux vétérans de la patrie, ou même par l’espérance définie d’une participation précise à une forme quelconque de la propriété. Ils allaient vers l’avenir sans lui demander, si j’ose dire, des engagements formels. Ils savaient bien que leur action aurait un jour des effets sociaux, et tout de suite ils trouvaient une noble joie dans cette action même. La Révolution leur donnait d’emblée mieux qu’un titre de propriété, mieux qu’un bon à valoir sur le domaine public, immobilier ou mobilier. Elle leur donnait la conscience de leur dignité et de leur force, et de vastes possibilités d’action qu’aurait, dans la pleine démocratie, le travail robuste et fier.

    Ainsi la patrie n’a pas pour fondement des catégories économiques exclusives, elle n’est pas enfermée dans le cadre étroit d’une propriété de classe. Elle a bien plus de profondeur organique et bien plus de hauteur idéale. Elle tient par ses racines au fond même de la vie humaine et, si l’on peut dire, à la physiologie de l’homme. Les individus humains ont toujours été capables de rapports plus étendus que les rapports de descendance et de consanguinité, qui sont la base plus ou moins large de la famille. Mais les conditions mêmes de la vie sur la planète ont rendu impossible jusqu’ici la formation d’une société unique. La terre a été longtemps plus grande que l’homme, et elle a imposé à l’humanité la loi des dispersions. C’est par groupes multiples, séparés, défiants, souvent ennemis, que la race humaine a dû tout d’abord se constituer.

    Les patries, les groupements distincts ont été la condition des groupements plus vastes que prépare l’évolution. Et en chacun de ces groupes une vie commune s’est développée qui garantissait et amplifiait la vie de tous et de chacun ; une conscience collective s’est formée en qui les consciences individuelles étaient unies et exaltées. Même pour les exploités, même pour les asservis, le groupement humain où ils avaient du moins une place définie, quelques heures de sommeil tranquille sur la marche la plus basse du palais, valait mieux que le monde du dehors, plein d’une hostilité absolue et d’une insécurité totale.

    Pour l’esclave aussi le dur foyer qu’alimentait sa peine avait parfois un reflet réchauffant, une lueur joyeuse, et les ténèbres extérieures l’épouvantaient. L’esclave, dit le grand Homère, n’a que la moitié de son âme, mais cette moitié même il risquait de la perdre en se séparant du milieu social où il avait du moins un abri et quelques liens d’affection réciproque.

    À l’intérieur d’un même groupement régi par les mêmes institutions, exerçant contre les groupements voisins une action commune, il y a forcément entre les individus, même des classes les plus opposées ou des castes les plus distantes, un fond indivisible d’impressions, d’images, de souvenirs, d’émotions. L’âme individuelle soupçonne à peine tout ce qui entre en elle de vie sociale, par les oreilles et par les yeux, par les habitudes collectives, par la communauté du langage, du travail et des fêtes, par les tours de pensée et de passion communs à tous les individus d’un même groupe que les influences multiples de la nature et de l’histoire, du climat, de la religion, de la guerre, de l’art, ont longuement façonné. Même pour se railler, même pour s’outrager, deux individus de classes hostiles, en un même pays, sont obligés de faire appel à des ressources communes. De cette présence en chacun de toute une vie collective, résulte, pour toutes les consciences individuelles, un étrange agrandissement. La multiplication de l’âme individuelle par l’âme de tous se révèle parfois en des manifestations superficielles et naïves (…).

    C’est le mystère, c’est le prodige des âmes individuelles qu’elles soient à la fois impénétrables et ouvertes. Tout le groupe historique dont elles font partie, dont elles sont solidaires, les affecte sans cesse et les émeut, souvent à leur insu. C’est seulement dans les grandes crises, quand un grand événement remue toute la profondeur et toute l’étendue d’un groupe humain, que cette solidarité se révèle pleinement à elle-même.

    Mais les formidables crises de passion collective seraient impossibles si un fond inaperçu d‘impressions communes ne s’était pas formé, dans la familiarité des jours, au fond de toutes les consciences. Quand, au sortir de la représentation des Perses, les Athéniens, tout enivrés de la grande poésie d’Eschyle et comme transportés d’une divine fureur de patriotisme guerrier, faisaient résonner au rythme de leurs lances les boucliers d’or attachés au temple de l’Athènes protectrice, ce n’était pas, quelle que fût la puissance de l’artiste créateur, une magnifique improvisation d’âme. Les Athéniens qui, tout à l’heure, étaient entrés au théâtre en échangeant sans doute des propos légers, portaient en eux, à ce moment même, à un degré qu’ils ne supposaient pas, toutes les forces accumulées de la patrie. Soudain, elles se déchaînaient en eux comme une surprise, mais c’est de toutes ces sources familières et profondes que le torrent avait jailli.

    Forces à demi instinctives et par là même immenses à la fois et redoutables. Elles sont prodigieusement efficaces, car elles prennent l’être humain par une action insensible et de tous les jours ; elles se confondent pour ainsi dire avec les habitudes organiques elles-mêmes, avec la façon de parler, de regarder, de marcher, de sourire, de penser, avec les innombrables souvenirs, joyeux ou douloureux, par lesquels la vie de chacun, dans un groupe humain à la fois défini et vaste, se mêle à la vie de tous. Aussi, à certaines heures de plénitude exaltée, elles peuvent donner aux âmes des émotions de douleur et de joie qui dépassent à l’infini tout ce que la conscience isolée pourrait se promettre d’elle-même. C’est donc l’apprentissage de la vie collective et de la grande sensibilité humaine, non pas dans l’abstrait d’une humanité qui ne fut longtemps qu’à l’état de rêve et d’incertaine préparation, mais dans la réalité substantielle et historique d’un groupe humain ample et riche de vie, mais assez déterminé, concret et saisissable pour que le haut élan de l’esprit ait une base de nature.

    Oui, forces grandioses et bonnes, mais aussi pleines de péril et pleines de troubles. D’abord une association d’idées se produit trop souvent entre la patrie et les formes sociales sous lesquelles longtemps elle se développa. Souvent, dans l’histoire, les oligarchies, les monarchies, les privilèges politiques et sociaux de tout ordre ont cru, ou affecté de croire, que l’intérêt de la patrie se confondait avec leur intérêt. Même à l’heure ou la monarchie et l’aristocratie françaises trahissaient la nation et faisaient appel à l’étranger, elles étaient convaincues que la France était en elles, que sans elles la patrie ne pouvait que se dissoudre et tomber dans le chaos. Les forces instinctives d’habitude, de tradition, de solidarité brute qui concourent à la formation de la patrie, et qui en sont peut-être la racine physiologique, deviennent ainsi des forces de résistance et de réaction. Et c’est d’un grand effort que les révolutionnaires, les novateurs, les hommes d’un droit supérieur doivent dégager de la patrie ancienne une patrie nouvelle et supérieure (…).

    À mesure que les hommes progressent et s’éclairent, la nécessité apparaît d’arracher chaque patrie aux classes et aux castes, pour en faire vraiment, par la souveraineté du travail, la chose de tous. La nécessité apparaît aussi d’abolir dans l’ordre international l‘état de nature, de soumettre les nations dans leurs rapports réciproques à des règles de droit sanctionnées par le consentement actif de tous les peuples civilisés.

    Quand on dit que la révolution sociale et internationale supprime les patries, que veut-on dire ? Prétend-on que la transformation d’une société doit s’accomplir de dehors et par une violence extérieure ? Ce serait la négation de toute la pensée socialiste, qui affirme qu’une société nouvelle ne peut surgir que si les éléments en ont été déjà préparés dans la société présente. Dès lors, l’action révolutionnaire, internationale, universelle, portera nécessairement la marque de toutes les réalités nationales. Elle aura à combattre dans chaque pays des difficultés particulières, elle aura en chaque pays, pour combattre ces difficultés, des ressources particulières, les forces propres de l’histoire nationale, du génie national. L’heure est passée où les utopistes considéraient le communisme comme une plante artificielle qu’on pouvait faire fleurir à volonté, sous un climat choisi par un chef de secte. Il n’y a plus d’Icaries. Le socialisme ne se sépare plus de la vie, il ne se sépare plus de la nation. Il ne déserte pas la patrie ; il se sert de la patrie elle-même pour la transformer et pour l’agrandir. L’internationalisme abstrait et anarchisant qui ferait fi des conditions de lutte, d’action, d’évolution de chaque groupement historique ne serait qu’une Icarie, plus factice encore que l’autre et plus démodée.

    Il n’y a que trois manières d’échapper à la patrie, à la loi des patries. Ou bien il faut dissoudre chaque groupement historique en groupements minuscules, sans lien entre eux, sans ressouvenir et sans idée d’unité. Ce serait une réaction inepte et impossible, à laquelle, d’ailleurs, aucun révolutionnaire n’a songé (…). Ou bien il faut réaliser l’unité humaine par la subordination de toutes les patries à une seule. Ce serait un césarisme monstrueux, un impérialisme effroyable et oppresseur dont le rêve même ne peut pas effleurer l’esprit moderne.

    Ce n’est donc que par la libre fédération de nations autonomes répudiant les entreprises de la force et se soumettant à des règles de droit, que peut être réalisée l’unité humaine. Mais alors ce n’est pas la suppression des patries, c’en est l’ennoblissement. Elles sont élevées à l’humanité sans rien perdre de leur indépendance, de leur originalité, de la liberté de leur génie. Quand un syndicaliste révolutionnaire s’écrie au récent congrès de Toulouse : « À bas les patries ! Vive la patrie universelle ! », il n’appelle pas de ses vœux la disparition, l’extinction des patries dans une médiocrité immense, où les caractères et les esprits perdraient leur relief et leur couleur. Encore moins appelle-t-il de ses vœux l’absorption des patries dans une énorme servitude, la domestication de toutes les patries par la patrie la plus brutale, et l’unification humaine par l’unité d’un militarisme colossal. En criant : « À bas les patries ! », il crie : « À bas l’égoïsme et l’antagonisme des patries ! À bas les préjugés chauvins et les haines aveugles ! À bas les guerres fratricides ! À bas les patries d’oppression et de destruction ! » Il appelle à plein cœur l’universelle patrie des travailleurs libres, des nations indépendantes et amies (…).

    Nous prenons à témoin la patrie elle-même dans sa continuité et dans son unité. L’unité sera plus forte quand, à la lutte des classes dans chaque patrie, sera substituée l’harmonie sociale, quand la propriété collective servira de fondement à la conscience commune. La continuité sera plus profonde quand tous les efforts du passé aboutiront à l’universelle libération, quand tous les germes d’égalité et de justice s’épanouiront en une magnifique floraison humaine, quand le sens vivant de l’histoire de la patrie se révélera à tous par un accomplissement de justice, quand les œuvres les plus fines et les plus hautes du génie seront enfin, dans la culture individuelle et la culture sociale agrandies, l’orgueil et la joie de toutes les intelligences. Par là, la patrie sera le miroir vivant où toutes les conscience pourront se reconnaître. Par là, les prolétaires qui n’eurent au cours des temps qu’une possession partielle et trouble de la patrie en auront enfin la possession pleine et lumineuse. Elle sera bien à eux, même dans le passé, puisque par leur effort suprême tout le travail des siècles aura abouti à leur exaltation dans la justice.

    Dès aujourd’hui, parce qu’ils peuvent lutter dans la patrie pour la transformer selon une idée plus haute, ils ne sont pas extérieurs à la patrie. Ils sont en elle parce qu’ils agissent sur elle ; parce que l’indépendance des nations, comme nations, abrite l’effort socialiste international ; parce que la démocratie forme des nations modernes, seconde l’action des salariés ; parce qu’ils ne peuvent vaincre qu’en s’appropriant, en chaque pays, les plus hautes qualités d’esprit et d’âme, et l’essence même du génie de la nation ; parce que l’humanité nouvelle ne sera riche et vivante que si l’originalité de chaque peuple se prolonge dans l’harmonie totale, et si toutes les patries vibrent à la lyre humaine.

    Ainsi les patries en leur mouvement magnifique de la nature à l’esprit, de la force à la justice, de la compétition à l’amitié, de la guerre à la fédération, ont à la fois toute la force organique de l’instinct et toute la puissance de l’idée. Et la classe prolétarienne est plus que toute autre classe dans la patrie, parce puisqu’elle est dans le sens du mouvement ascendant de la patrie. Quand elle la maudit, quand elle croit la maudire, elle ne maudit que les misères qui la déshonorent, les injustices qui la divisent, les haines qui l’affolent, les mensonges qui l’exploitent, et cette apparente malédiction n’est qu’un appel à la patrie nouvelle, qui ne peut se développer que par l’autonomie des nations, l’essor des démocraties et l’application à de nouveaux problèmes de toute la force des génies nationaux, c’est-à-dire par la communauté de l’idée de patrie jusque dans l’humanité.

    Voilà pourquoi, en tous ses congrès, l’Internationale ouvrière et socialiste rappelle aux prolétaires de tous les pays le double devoir indivisible de maintenir la paix, par tous les moyens dont ils disposent, et de sauvegarder l’indépendance de toutes les nations. Oui, maintenir la paix par tous les moyens d’action du prolétariat, même par la grève générale internationale, même par la révolution. (…)

    Arracher les patries aux maquignons de la patrie, aux castes de militarisme et aux bandes de finance, permettre à toutes les nations le développement indéfini de la démocratie et de la paix, ce n’est pas seulement servir l’Internationale et le prolétariat universel, par qui l’humanité à peine ébauchée se réalisera, c’est servir la patrie elle-même. Internationale et patrie sont désormais liées. C’est dans l’Internationale que l’indépendance des nations a sa plus haute garantie ; c’est dans les nations indépendantes que l’Internationale a ses organes les plus puissants et les plus nobles. On pourrait presque dire : un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène."

    (pp.545-571)
    -Jean Jaurès, L'Armée nouvelle, Paris, Jules Rouff et cie, 1911, 686 pages.


    "
    (pp.480-482)



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 20 Fév - 15:08

    « A mes yeux, citoyens, l'idée de la lutte de classes, le principe de la lutte de classes, est formé de trois éléments, de trois idées. D'abord, et à la racine même, il y a une constatation de fait, c'est que le système capitaliste, le système de la propriété privée des moyens de production, divise les hommes en deux catégories, divise les intérêts en deux vastes groupes, nécessairement et violemment opposés. Il y a, d'un côté, ceux qui détiennent les moyens de production et qui peuvent ainsi faire la loi aux autres, mais il y a de l'autre côté ceux qui, n'ayant, ne possédant que leur force-travail et ne pouvant l'utiliser que par les moyens de production détenus précisément par la classe capitaliste, sont à la discrétion de cette classe capitaliste.
    Entre les deux classes, entre les deux groupes d'intérêts, c'est une lutte incessante du salarié, qui veut élever son salaire et du capitaliste qui veut le réduire ; du salarié qui veut affirmer sa liberté et du capitaliste qui veut le tenir dans la dépendance.
    Voilà donc le premier élément de la lutte de classes. La condition de fait qui le fonde, qui le détermine, c'est le système de la propriété capitaliste, de la propriété privée. Et remarquez-le bien : comme ici il s'agit des moyens de travailler et, par conséquent, des moyens de vivre, il s'agit de ce qu'il y a pour les hommes d'essentiel, de fondamental, il s'agit de la vie privée, de la vie de tous les jours. Et, par conséquent, un conflit qui a, pour principe, la division d'une société en possédants et en non-possédants n'est pas superficiel ; il va jusqu'aux racines mêmes de la vie.
    Mais, citoyens, il ne suffit pas pour qu'il y ait lutte de classes qu'il y ait cet antagonisme entre les intérêts. Si les prolétaires, si les travailleurs ne concevaient pas la possibilité d'une société différente, si tout en constatant la dépendance où ils sont tenus, la précarité dont ils souffrent, ils n'entrevoyaient pas la possibilité d'une société nouvelle et plus juste ; s'ils croyaient, s'ils pouvaient croire à l'éternelle nécessité du système capitaliste, peu à peu cette nécessité s'imposant à eux, ils renonceraient à redresser un système d'injustices. »
    « Donc, pour qu'il y ait vraiment lutte de classes, pour que tout le prolétariat organisé entre en bataille contre le capitalisme, il ne suffît pas qu'il y ait antagonisme des intérêts entre les capitalistes et les salariés, il faut que les salariés espèrent, en vertu des lois mêmes de l'évolution historique, l'avènement d'un ordre nouveau dans lequel la propriété cessant d'être monopoleuse, cessant d'être particulière et privée, deviendra sociale, afin que tous les producteurs associés participent à la fois à la direction du travail et au fruit du travail.
    Il faut donc que les intérêts en présence, prennent conscience d'eux-mêmes, comme étant, si je puis dire, déjà deux sociétés opposées, en lutte, l'une, la société d'aujourd'hui, inscrite dans le titre de la propriété bourgeoise, l'autre, la société de demain, inscrite dans le cerveau des prolétaires.
    C'est cette lutte des deux sociétés dans la société d'aujourd'hui qui est un élément nécessaire à la lutte de classes.
    Et enfin, il faut une troisième condition pour qu'il y ait lutte de classes. Si le prolétariat pouvait attendre sa libération, s'il pouvait attendre la transformation de l'ordre capitaliste en ordre collectiviste ou communiste d'une autorité neutre, arbitrale, supérieure aux intérêts en conflit, il ne prendrait pas lui-même en main la défense de la cause.
    [...]Eh bien ! si les travailleurs croyaient cela, ils s'abandonneraient à la conduite de cette puissance d'En-Haut et il n'y aurait pas de lutte de classes. Il n'y aurait pas de classe encore si les travailleurs pouvaient attendre leur libération de la classe capitaliste elle-même, de la classe privilégiée elle-même, cédant à une inspiration de justice. »
    « Voilà, citoyens, comment m'apparaît, comment je définis la lutte de classes et j'imagine qu'en ce point il ne pourra pas y avoir de contradiction grave entre nous. Mais je dis que, quand vous l'avez ainsi analysée, quand vous l'avez ainsi définie, il vous est impossible d'en faire usage pour déterminer d'avance, dans le  détail, la tactique de chaque jour, la méthode de chaque jour.
    Oui, le principe de la lutte de classes vous oblige à faire sentir aux prolétaires leur dépendance dans la société d'aujourd'hui. Oui, il vous oblige à leur expliquer l'ordre nouveau de la propriété collectiviste. Oui, il vous oblige à vous organiser en syndicats ouvriers, en groupes politiques, en coopératives ouvrières, à multiplier les organismes de classe.
    Mais il ne vous est pas possible, par la seule idée de la lutte de classes, de décider si le prolétariat doit prendre part à la lutte électorale et dans quelles conditions il doit y prendre part ; s'il peut ou s'il doit et dans quelles conditions il peut ou il doit s'intéresser aux luttes des différentes fractions bourgeoises. Il ne vous est pas possible de dire, en vertu du seul principe de la lutte de classes, s'il vous est permis de contracter ou si vous êtes tenus de répudier toutes les alliances électorales.
    [...]Dans chaque cas particulier, il faudra que vous examiniez l'intérêt particulier du prolétariat. C'est donc une question de tactique et nous ne disons pas autre chose. »
    « Ah oui ! la société d'aujourd'hui est divisée entre capitalistes et prolétaires ; mais, en même temps, elle est menacée par le retour offensif de toutes les forces du passé, par le retour offensif de la barbarie féodale, de la toute-puissance de l'Eglise, et c'est le devoir des socialistes, quand la liberté républicaine est en jeu, quand la liberté de conscience est menacée, quand les vieux préjugés qui ressuscitent les haines de races et les atroces querelles religieuses des siècles passés paraissent renaître, c'est le devoir du prolétariat socialiste de marcher avec celle des fractions bourgeoises qui ne veut pas revenir en arrière. »
    « Je suis étonné, vraiment, d'avoir à rappeler ces vérités élémentaires qui devraient être le patrimoine et la règle, de tous les socialistes. C'est Marx lui-même qui a écrit cette parole admirable de netteté : " Nous socialistes révolutionnaires, nous sommes avec le prolétariat contre la bourgeoisie et avec la bourgeoisie contre les hobereaux et les prêtres. »
    « Le  jour où il se commet par la main de la bourgeoisie, mais où le prolétariat, en intervenant, pourrait empêcher ce crime, ce n'est plus la bourgeoisie seule qui en est responsable, c'est le prolétariat lui-même ; c'est lui qui, en n'arrêtant pas la main du bourreau prêt à frapper, devient le complice du bourreau ; et alors ce n'est plus la tache qui voile, qui flétrit le soleil capitaliste déclinant, c'est la tache qui vient flétrir le soleil socialiste levant. Nous n'avons pas voulu de cette flétrissure de honte, sur l'aurore du prolétariat. »
    -Jean Jaurés, Les deux méthodes, Conférence à Lille, 26 novembre 1900: https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Deux_M%C3%A9thodes_(Jaur%C3%A8s)

    «  Camarades, le jour où le Parti socialiste, le jour où le prolétariat organisé comprendrait et pratiquerait la lutte de classe sous la forme du partage du pouvoir politique avec la classe capitaliste, ce jour-là il n'y aurait plus de socialisme ; ce jour-là il n'y aurait plus de prolétariat capable d'affranchissement ; ce jour-là, les travailleurs seraient redevenus ce qu'ils étaient, il y a vingt-deux ans, lorsqu'ils répondaient, soit à l'appel de la bourgeoisie opportuniste contre la bourgeoisie monarchiste soit à l'appel de la bourgeoisie radicale contre la bourgeoisie opportuniste ; ils ne seraient plus qu'une classe, qu'un parti à la suite, domestiqué sans raison d'être et surtout sans avenir. »
    « Si la classe capitaliste ne formait qu'un seul parti politique, elle aurait été définitivement écrasée à la première défaite dans ses conflits avec la classe prolétarienne. Mais on s'est divisé en bourgeoisie monarchiste et en bourgeoisie républicaine, en bourgeoisie cléricale et en bourgeoisie libre penseuse, de façon à ce qu'une fraction vaincue pût toujours être remplacée au pouvoir par une autre fraction de la même classe également ennemie. »
    -Jules Guesde, Les deux méthodes.



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