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    Ramzi Kebaïli, "Aucune politique sociale n'est possible dans le cadre du marché unique et de l'euro."

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Ramzi Kebaïli, "Aucune politique sociale n'est possible dans le cadre du marché unique et de l'euro." Empty Ramzi Kebaïli, "Aucune politique sociale n'est possible dans le cadre du marché unique et de l'euro."

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 27 Aoû - 14:43

    https://blogs.mediapart.fr/ramzi-kebaili

    https://www.marianne.net/debattons/entretiens/aucune-politique-sociale-n-est-possible-dans-le-cadre-du-marche-unique-et-de-l

    Marianne : Dans votre livre, vous vous prononcez pour un "Frexit de gauche". En quoi la sortie de l'UE est-elle indispensable à la gauche ?

    Ramzi Kebaïli : Précisons que j'ai employé le mot "gauche" afin de situer mon courant de pensée, et non pas comme une posture morale : j'entends par là un projet d'égalité économique et d'égalité des droits, et qui s'adresse donc à tout le monde. Cela fait des années que des auteurs comme Aurélien Bernier ou Frédéric Lordon ont démontré qu'aucune politique sociale n'était possible dans le cadre du marché unique et de l'euro. Un gouvernement de gauche au pouvoir devrait, dès le soir de son élection, instaurer un contrôle des capitaux et instaurer des normes sociales, sanitaires et environnementales à l'entrée des marchandises sur le territoire.

    Je vais encore plus loin en affirmant qu'il faut renoncer à toute forme "d'Europe", pour deux raisons majeures. D'une part, je ne vois pas l'intérêt d'avoir une seule monnaie, une seule diplomatie ou une harmonisation législative. Il serait évidemment préférable qu'un maximum de pays se coordonnent, par exemple pour mener des politiques écologiques, mais faut-il attendre l'accord des autres pays pour commencer à décroître notre consommation ?

    D'autre part, s'il s'agit simplement de coopérer sans empiéter sur nos souverainetés, alors il est dangereux de faire croire qu'il y aurait une identité "européenne" qui justifierait d'échanger plus avec les pays Baltes qu'avec nos voisins du Maghreb. Un des objectifs de mon livre est de démystifier totalement l'idée européenne et de questionner ses impensés identitaires.

    Comment jugez-vous la gauche dans cette campagne européenne ?

    D'un côté, la FI avec sa "sortie des traités" et le PCF qui assume enfin avoir "voté contre tous les traités" ont bien progressé depuis la calamiteuse campagne du Front de Gauche en 2014. Même EELV ou Génération.s arrivent à prononcer le mot de "protectionnisme", avec seulement 10 ans de retard ! Mais nous n'en sommes plus là aujourd'hui et tout le monde a compris qu'il n'y aura jamais de SMIC européen, de protectionnisme européen ni quoi que ce soit à cette échelle. En Grèce des partis comme Unité populaire, composé d'anciens cadres de Syriza, ont fait le deuil de l'euro. Et au Danemark, la gauche rouge-verte a participé depuis 1972 au Mouvement populaire contre l'UE. La gauche française ferait bien de s'en inspirer.

    La question qu'il faut donc leur poser systématiquement est : que ferez vous si les autres pays refusent vos propositions ? Et quel sens donnez-vous à "l'Europe", à l'heure où les extrême droites se revendiquent explicitement d'une civilisation et d'une culture européenne ? Nous sommes beaucoup à attendre des réponses précises.

    Selon vous, le souverainisme doit-être "inclusif". En quoi ne l’est-il pas aujourd'hui ? En dehors de l’extrême droite, il ne semble pas que les souverainistes plaident pour une nation ethnique…

    Le terme "souverainisme" nous vient du Québec et désigne les partisans de l'indépendance. Ceux-ci perdirent d'un cheveu le référendum de 1995, notamment à cause de leurs positions trop fermées sur les questions culturelles, positions qui étaient devenues des "machines à fabriquer du fédéralisme" auprès des immigrés et des non-francophones. Suite à cet échec, l'indépendantisme québecois a entamé un long travail de refondation qui a abouti à l'émergence de Québec solidaire, un parti "souverainiste inclusif" décidé à conquérir le cœur des "néo-québecois".

    Aujourd'hui en France, l'idéologie dominante est celle d'un néo-conservatisme déguisé sous un masque républicain, qui fait la jonction entre Laurent Wauquiez, Jean-Michel Blanquer, Manuel Valls ou Laurent Bouvet. Dans leur bouche, la "République" ne désigne plus un contrat politique passé entre égaux, mais une identité culturelle mal définie. Les personnages que j'ai cités sont d'ailleurs totalement européistes, mais leurs analyses sont trop souvent reprises dans les milieux souverainistes.

    Or on voit bien avec les gilets jaunes que tout le vieux logiciel souverainiste, qui faisait aveuglément confiance en la police républicaine, qui imaginait les classes populaires obsédées par l'immigration et "l'insécurité culturelle", n'avait plus de prise sur la réalité. D'où la nécessité d'inventer un souverainisme populaire et inclusif adapté à la réalité française.

    Plaider pour la "souveraineté nationale", n’est-ce pas déjà chasser sur les terres de l’extrême droite et prendre le risque de réintroduire le loup nationaliste ?

    L'extrême droite défend une conception identitaire de la société, qui peut tout aussi bien faire appel à un imaginaire régional, national, ou européen. Loin de moi l'idée d'écarter tout risque de nationalisme, au contraire, mais à tout le moins à l'échelle nationale nous pouvons potentiellement poser des garde-fous et des contrôles citoyens. Pour mettre fin au pouvoir policier ou à l'état d'urgence permanent, je fais davantage confiance aux mobilisations sociales ou au référendum d'initiative citoyenne qu'aux jugements d'une cour européenne sans pouvoir.

    Précisons qu'il existe différentes conceptions bien distinctes de la souveraineté nationale. Par exemple, dans son ouvrage Souveraineté, Laïcité, Démocratie (Michalon, 2016), Jacques Sapir présente l'état d'urgence comme un "moment souverainiste" et met au cœur de son projet une vision de la "laïcité" très éloignée de l'esprit de 1905. La souveraineté sapirienne, inspirée de Jean Bodin, est cohérente intellectuellement, mais ses applications laissent perplexe : comment comprendre ce ralliement ponctuel à l'idéologie dominante, de la part d'un opposant au système actuel ?

    Un souverainiste doit être capable d'analyser les failles possibles de son logiciel. En un sens dévoyé, on pourrait considérer que la République serait "souveraine" lorsqu'elle attente aux libertés individuelles, ou lorsqu'elle bombarde ses anciennes colonies africaines. Au contraire dans ma conception de la ou plutôt des souverainetés nationales-populaires, au sens défini par Samir Amin, toutes les nations doivent être indépendantes (refus de toute ingérence) et au sein de chaque nation, le peuple doit pouvoir contrôler les décisions prises en son nom. Il serait incohérent de défendre la sortie de l'euro en France, et de refuser de rendre leur souveraineté monétaire aux pays de la zone franc CFA. Sur ce dernier point, la plupart des courants souverainistes me rejoignent. Mais ils le font de manière presque honteuse, comme s'ils craignaient de froisser un lectorat nostalgique de la grandeur de la France, alors qu'ils gagneraient en crédibilité à dénoncer toute forme de néo-colonialisme.

    Alors que les souverainistes sont dispersés, Macron a lui réussi la synthèse du centre libéral et pro-UE. Pour avoir une chance de l’emporter, les souverainistes ne devraient-ils pas au contraire s’allier ?

    En politique, les additions trop larges deviennent des soustractions. Une gauche souverainiste et une droite souverainiste peuvent chacune dépasser les 20% et passer au second tour. Ce scénario a même failli se produire en 2017 ! En revanche, un projet ambigu risque de plafonner à 2%, car les électeurs se sentiront floués : va-t-on ou non augmenter le SMIC ? Faire la transition écologique ? Voter de nouvelles lois contre l'immigration ?

    Les gens le sentent bien et préfèrent souvent voter pour un projet auxquels ils n'adhèrent pas totalement, mais qui a le mérite de la clarté. En outre, plutôt que de diluer leur discours, les opposants de gauche à l'UE doivent assumer l'originalité de leur position et y intégrer les luttes sociales, écologistes, féministes ou antiracistes. Je prends dans mon livre l'exemple des tampons hygiéniques qui sont dangereux pour la santé, à cause des directives de la Commission européenne. Plusieurs femmes sont mortes du Syndrome du Choc Toxique10 car la Commission a autorisé les industriels à dissimuler la composition des tampons hygiéniques, qui constituent de véritables poubelles chimiques. Or la seule à avoir dénoncé ce scandale est l'euro-députée verte Michèle Rivasi !

    On nous parle souvent du CNR, mais pourquoi la droite gaulliste a-t-elle accepté un programme quasi-communiste ? Et pourquoi les gilets jaunes ont-ils un projet proche de celui de la France Insoumise ? Tout simplement car ce sont des projets visant à l'émancipation générale. Pendant ce temps, les souverainistes "ni de gauche ni de droite" bataillent contre l'écriture inclusive ou contre les mamans voilées. A chaque fois qu'ils se rallient à l'idéologie dominante et renoncent à lutter contre les systèmes d'oppression, les opposants à Macron et à l'UE alimentent les causes dont ils déplorent les effets."



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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