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    Frédéric Lordon, Œuvre

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Frédéric Lordon, Œuvre Empty Frédéric Lordon, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 19 Déc - 18:06

    « La Révolution c’est le déterminisme, le déterminisme passionnel et le jeu des affects, mais poursuivit dans une autre direction. »
    –Frédéric Lordon, Entretien avec Fabien Danesi, 22 février 2013.

    La Société Des Affects — Frédéric Lordon: http://www.liberaux.org/index.php/topic/51501-la-société-des-affects-—-frédéric-lordon/page-1

    "La catégorie de besoins, venue d'une certaine anthropologie marxiste, est épouvantablement mal foutue, et pose des problèmes à n'en plus finir."

    "Le système institutionnel parfait n'existe pas. Il est toujours soumis à contradictions et à tensions qu'il faut accommoder au mieux."

    "C'est à ça qu'on reconnaît les grands philosophes, ou les grands chercheurs en sciences sociales, c'est qu'ils sont aussi de grands stylistes."

    "La division du travail n'est pas faites pour les chiens."
    -Fréderic Lordon.

    "Le salariat est un rapport social de chantage."
    -Frédéric Lordon, Les temps modernes, entretien avec Gilles Balbastre, 17 mars 2016.

    "La croissance [...] détruit la planète. Voilà l'absurde loi d'airain à laquelle le capitalisme soumet la vie des hommes."

    "La dépossession s'élève au carré quand à celle inhérente à la représentation même s'ajoute celle qui dépouille la représentation en l'enfermant dans des contraintes d'ordre supérieur, celle des traités européens."

    "Non pas continuer de rêver, l'arme au pied, d'une transformation [de l'euro] qui n'arrivera jamais, mais en sortir."

    "Il faut être rendu au dernier degré de l'effroi intellectuel pour ne plus être capable [...] de simplement porter des idées qui ont été historiquement celles de la gauche."

    "[La] concurrence internationale dresse objectivement [les salariés des différents pays] les uns contre les autres."

    "La spectaculaire montée en longue période du service de la dette dans la hiérarchie des dépenses publiques [...] n'aurait pas été [...] si l'État avait pu continuer à bénéficier de financements monétaires à taux préférentiels auprès de la banque centrale."

    "Le pouvoir n'est pas comme une substance ou une "donation" dont il y aurait à se faire le partager ; le pouvoir est un effet et sa "distribution" n'est jamais déterminée que par la configuration des structures."
    -Frédéric Lordon, La malfaçon: Monnaie européenne et souveraineté démocratique (2014).

    https://books.google.fr/books?id=TqkcAwAAQBAJ&printsec=frontcover&dq=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+Lordon&hl=fr&sa=X&ei=-meUVJ2DI8K3OP66geAM&ved=0CCUQ6AEwAQ#v=onepage&q=Fr%C3%A9d%C3%A9ric%20Lordon&f=false

    https://books.google.fr/books?id=49xH5NVdjKIC&printsec=frontcover&dq=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+Lordon&hl=fr&sa=X&ei=-meUVJ2DI8K3OP66geAM&ved=0CCsQ6AEwAg#v=onepage&q=Fr%C3%A9d%C3%A9ric%20Lordon&f=false

    "Pour qui a gardé le souvenir des belles années de la régulation keynésienne, la politique économique offre désormais un singulier visage."

    "C'est maintenant un argument de plus en plus fréquent que si la désinflation compétitive est prolongée, si ses contraintes macroéconomiques et son coût en emploi doivent être endurés, c'est "pour l'Europe"."

    "Si, à l'évidence, une intention européenne est déjà présente dans l'acte inaugural de la désinflation compétitive -le retournement de 1983- sa macroéconomie est à l'époque fringante, et le projet d'unification monétaire encore dans les limbes."

    "Le marché financier est devenu le conservateur le plus fidèle de la désinflation compétitive. Non seulement son intérêt semble idéalement servi par la doctrine de la désinflation compétitive, mais son extériorité au contrat social le met hors d'atteinte de toutes les contestations qui s'adressent au politique."

    "Si la finance "décide" que telle politique "n'est pas bonne", elle exprimera son dissentiment par des réactions sur les taux d'intérêts et les taux de change qui mettront presque instantanément cette politique en situation d'échec, confirmant ainsi ex post, mais pas pour les raisons qu'elle croit, le bien-fondé de sa conviction initiale."

    "Si elle est devenue une thématique familière du débat public de politique économique, la désinflation compétitive n'en est pas moins un objet plus complexe qu'il n'y paraît. Certes on l'identifie sans peine depuis 1983 comme le nouveau canevas de la politique française, successeur de l'ancien modèle keynésien, et comme une stratégie à la fois fortement typée et installée en profondeur au point de pouvoir être défendue contre vents et marées, en particulier contre les attaques spéculatives les plus violentes qui la prendraient pour cible. Mais on peut pourtant avoir du mal, au-delà des énoncés basiques sur le franc fort, à en resituer exhaustivement et de manière complètement articulée la doctrine."
    -Frédéric Lordon, Les Quadratures de la politique économique.
    https://books.google.fr/books?id=yb6aAgAAQBAJ&pg=PT2&dq=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+Lordon&hl=fr&sa=X&ei=-meUVJ2DI8K3OP66geAM&ved=0CD0Q6AEwBQ#v=onepage&q=Fr%C3%A9d%C3%A9ric%20Lordon&f=false

    https://books.google.fr/books?id=dJq8qucW7WsC&printsec=frontcover&dq=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+Lordon&hl=fr&sa=X&ei=-meUVJ2DI8K3OP66geAM&ved=0CCAQ6AEwAA#v=onepage&q=Fr%C3%A9d%C3%A9ric%20Lordon&f=false

    "La pensée de Spinoza affirme le primat de la lutte et l'ancre dans une ontologie et même une anthropologie de la puissance. Les luttes pour le pouvoir, les luttes pour la reconnaissance ou pour la domination et tous ces élans fondamentalement agonistiques, puisqu'ils sont voués à se heurter les uns les autres, trouvent leur impulsion dans le conatus comme effort d'affirmation existentielle. Il n'est donc peut-être aucune philosophie qui davantage que celle de Spinoza, prenne au sérieux la violence du monde et soit plus immédiatement politique, précisément parce que considérant les hommes "tels qu'ils sont", elle n'ignore rien de leurs compulsives motions d'expansion, de leur destin qui est de se rencontrer et de se contrarier, et de ce que ces chocs inévitables sont la matière même du politique. [...]

    Sous ce rapport au moins, Nietzsche dit les choses de manière étonnamment proche: "Je me représente que tout corps spécifique tend à se rendre maître de l'espace et à y déployer sa force (sa volonté de puissance) et à repousser tout ce qui résiste à son expansion". Ainsi, très semblable en cela à celui de Nietzsche, le monde de Spinoza est fait de pôles de souveraineté en lutte, aspirant chacun à l'expansion de leur être, et voués à rencontrer sur leur chemin des efforts analogues et antagonistes."
    "
    -Frédéric Lordon, La Politique du capital.
    https://books.google.fr/books?id=H13g7eBABssC&printsec=frontcover&dq=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+Lordon&hl=fr&sa=X&ei=-meUVJ2DI8K3OP66geAM&ved=0CDcQ6AEwBA#v=onepage&q=Fr%C3%A9d%C3%A9ric%20Lordon&f=false

    "Ce que je vais dire a sans doute tout pour prendre à rebrousse-poil les inclinations spontanées de la Nuit debout mais tant pis. Je pense qu’à l’échelle macroscopique il n’y a pas de politique sans une forme ou une autre d’institutionnalisation, et même de représentation. Au demeurant l’AG de la Nuit debout n’est même pas conforme au modèle d’horizontalité pure qu’elle revendique d’accomplir. Par exemple, il n’y a pas d’AG sans règles — règle du tour de parole, règle du temps de parole, respect de la personne modératrice, règles gestuelles de manifestation des opinions, etc. — et ces règles ont par définition un caractère institutionnel et verticalisé puisqu’elles s’imposent à tous, qu’elles font autorité, que tous les reconnaissent — conceptuellement, la verticalité c’est cela. Nous avons donc d’emblée affaire, et dès cette échelle, à de l’institutionnel-verticalisé, ce qui prouve bien l’inanité d’un mot d’ordre maximaliste d’horizontalité pure, en fait intenable. La vraie question n’est pas dans d’absurdes antinomies « institutions vs. pas d’institution » ou « horizontal vs. vertical » mais dans la manière dont nous agençons nos institutions et dont nous parvenons à contenir la verticalité que nécessairement nous produisons du simple fait de nous organiser a minima collectivement."

    "Une Constituante s’impose également non comme un jeu juridique formel hors-sol mais comme le moyen de donner la plus haute forme juridique aux principes fondamentaux d’un modèle de société : de même que les constitutions successives des républiques françaises, par-là bien toutes les mêmes !, avaient pour finalité réelle de sanctuariser le droit de propriété qui donne sa base au capitalisme, il apparaît que le projet d’en finir avec l’empire du capital sur la société ne peut que passer par une destitution du droit de propriété et une institution de la propriété d’usage (quand je parle ici de propriété, il n’est évidemment question que des moyens de production et pas des possessions personnelles). Seul un texte de la portée juridique ultime que revêt la constitution peut opérer ce changement à proprement parler révolutionnaire."
    -Frédéric Lordon, Entretien avec Xavi Espinet, pour le journal barcelonais El Critic, réalisé le 16 avril, publié le 23 avril 2016.

    "Le mensonge est propre aux institutions, spécialement aux institutions d’État."

    "En sa personne, la seconde gauche aura été l’opérateur historique de la transformation de la gauche en seconde droite. La consolidation définitive, l’irréversibilisation du tournant libéral de 1983, c’est sous Rocard qu’elles sont effectuées."
    -Frédéric Lordon, Entretien avec Jonathan Baudoin, 8 septembre 2016, Bondy Blog (cf: http://www.bondyblog.fr/201609080800/frederic-lordon-bondyblog/#.V9cU7N5pDDf ).

    "Il est très possible d’expliquer aux plus inquiets que, si persister dans la voie de l’euro sera le tombeau de toute espérance à gauche, l’idée d’une communauté politique européenne ne demande pas pour autant à être sortie du paysage, qu’elle pourrait bien même être sauvée pourvu qu’on consente cette fois à lui offrir ses conditions de possibilité historique, comme couronnement d’un long rapprochement, mais cette fois-ci réellement « toujours plus étroit » entre les peuples du continent, auquel le « nouveau projet européen », désintoxiqué du poison libéral de l’actuelle union, donnera enfin son temps, ses moyens et sa chance."
    -Frédéric Lordon, "Une stratégie européenne pour la gauche", blog La pompe à phynance, 6 novembre 2017.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Lun 15 Fév - 20:45, édité 4 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Lun 29 Mai - 18:55

    "Les sciences sociales redécouvrent les émotions. Avec délice, proportionnellement peut-être à la durée du réfrènement, elles s'y rendent les unes après les autres: sociologie, science politique, histoire, anthropologie, toutes en font désormais un objet de premier choix, et jusqu'à l'économie, comme toujours lestée de son impossible désir épistémologique, et qui, bien dans sa manière, poursuit son fantasme de science dure en s'associant maintenant avec la neurobiologie... Mais peu importent ces particularités: le point important ici est que les sciences sociales, longtemps muettes sur la questions, sont maintenant intarissables à propos des "émotions". [...]
    Mais l'intérêt porté à l' "acteur" jusque dans les événements de sa vie émotionnelle a tout aussi logiquement pour corrélat un désintérêt relatif plus prononcé pour les objets de rang supérieur, structures, institutions, rapports sociaux, par construction coupables de ne pas faire de place aux choses vécues. Ainsi le tournant émotionnel porte-il à son comble le retour théorique à l'individu... au risque de liquider définitivement tout ce qu'il y a de proprement social dans les sciences sociales, en voie de dissolution dans une sorte de psychologie étendue
    ." (p.8-9)

    "Philosophe classique, par là préoccupé du problème des passions, Spinoza n'en propose pas moins une conceptualisation des affects aussi contre-intuitive que rigoureuse -cela dit à l'intention de tous ces travaux qui parlent longuement des émotions mais sans jamais en donner la moindre définition-, et surtout aussi éloignée que possible de tout psychologisme sentimental. Car voilà à quoi tient le paradoxe spinozien: à une théorie radicalement antisubjectiviste des affects... ordinairement pensés comme le propre par excellence d'un sujet. Il faut en effet cette performance intellectuelle: garder les affects mais en se débarrassant du sujet (qu'on pensait être leur nécessaire point d'application), pour dépasser l'antinomie des émotions et des structures, puisque, le sujet évacué, le support des affects, individus certes, mais ni monadique, ni libre, ni autodéterminé, peut alors être rendu à ses environnements institutionnels et branché sur tout un monde de déterminations sociales. Il y a bien des individus et ils éprouvent des affects. Mais ces affects ne sont pas autre chose que l'effet des structures dans lesquelles les individus sont plongés. Et les deux bouts de la chaîne, réputés incompatibles, peuvent enfin être conjoints pour donner accès à quelque chose comme un structuralisme des passions." (p.10-11)

    "Dans cette entreprise, la puissance des intuitions et des concepts spinozistes ne se livre vraiment que par combinaison avec les meilleurs acquis des sciences sociales, du moins de celles qui sont compatibles avec eux -c'est loin d'être le cas de toutes... Ici ce sera Marx, Bourdieu, Durkheim et Mauss, c'est-à-dire des pensées constitutives rétives à la célébrations du sujet, et attentives à tout ce qui le dépasse -le social en sa force propre." (p.11)

    "Parce qu'il entreprend de tenir ensemble les deux bouts réputés incompatibles -les individus passionnés et les structures sociales impersonnelles-, le structuralisme des passions ne se contente pas de produire une synthèse des supposés contraires, il permet également de régler certains des problèmes internes d'une position structuraliste en sciences sociales où la restauration individualiste/subjectiviste avait cru voir une insuffisance indépassable: l'incapacité historique. S'il n'y a que des structures minérales et inhabitées, ou disons simplement peuplées d'agents conçus comme leurs supports passifs, d'où peuvent venir les forces ou les événements qui les feront échapper à la fatalité de la reproduction ad aeternam ? "Althusser à rien", dit le graffiti de Mai 68 qui se voit comme l'infirmation en actes du structuralisme et de son incapacité à penser les transformations -soit le mouvement même de l'histoire. Là encore donc, il y aurait à choisir: ou bien les structures mais alors sans le mouvement, ou bien l'histoire mais avec la liberté du sujet -puisqu'on ne conçoit pas qu'il puisse y avoir autre chose que le libre arbitre, c'est-à-dire l'affranchissement des déterminations structurales, au prince des élans de rupture qui font l'histoire.
    L'antisubjectivisme passionnel de Spinoza offre peut-être le seul moyen de sortir radicalement de cette infernale antinomie, et d'envisager un monde de structures mais peuplé d'individus conçus comme des pôles de puissance désirante, dont le désir, précisément, peut parfois aspirer à échapper aux normalisations institutionnelles et,
    dans certaines conditions, y parvenir. Parce qu'il y a du désir et des affects, termes dont la réintroduction était décidément stratégique, il y a des forces motrices au sein des structures, des forces le plus souvent déterminées à la reproduction du même, mais éventuellement capables de faire mouvement dans des directions inédites qui viennent briser le cours ordinaire des choses, quoique sans échapper à l'ordre causal de la détermination -lorsque, par exemple, le fonctionnement des structures passe aux yeux des individus un point d'insupportable, et les détermine alors non plus à la conformité mais à la sédition. Et il redevient possible de penser aussi bien les ordres institutionnels en régime que leurs crises... sans qu'il faille supposer pour ces dernières quelque magnifique irruption de la "liberté" -simplement la poursuite de la causalité passionnelle dans de nouvelles directions." (p.11-12)

    "Les individus ne se comportent jamais que comme les structures les déterminent à se comporter ; mais ils n'ont aussi tel comportement que pour avoir désiré se comporter ainsi. Ces deux propositions ne se raccordent que par la médiation des affects: c'est d'avoir été affecté dans et par les structures que les individus ont désiré se comporter comme ils se comportent. Telle est l'essence d'un structuralisme des passions qui trouve à s'appliquer par exemple aux comportements des individus pris dans les structures du capitalisme, et fait signe vers l'idée que, derrière les structures proprement économiques d'un régime d'accumulation, telles qu'elles ont été conceptualisées par Marx puis par la théorie de la Régulation, il y a comme une structure duale, ou une doublure si l'on veut, sous la forme d'un certain régime de désirs et d'affects. Les structures particulières du rapport salarial, par exemple, s'expriment en un certain régime de mobilisation des travailleurs, qui n'est pas autre chose qu'une configuration de désirs et d'affects: qu'est-ce qui met les salariés au travail -la peur de la misère ou le désir d'accomplissement ? Qu'est-ce qui détermine l'intensité de leur effort -la crainte de la sanction, l'attrait de la prime ou quelque sens du "travail bien fait" ? Quelle atmosphère passionnelle les environne -la chaleur de la sociabilité au travail ou les luttes concurrentielles ? Etc. Autant d'affects qui peuvent être immédiatement rapportés à la configuration en vigueur du rapport salarial: les structures s'expriment en les individus sous la forme de désirs." (p.13-14)

    "La décomposition est une possibilité toujours inscrite à l'horizon de toute institution, jamais assurée que la balance affective qui la soutient dans l'existence ne viendra pas à être renversée." (p.16)

    "Les orientations du régime d'accumulation néolibéral, notamment dans la pratique du rapport salarial, viennent perturber l'idée simple qu'on se fait spontanément de la domination, cela précisément parce que l'entreprise néolibérale se targue désormais de fonctionner au "consentement". Et de triompher: comment peut-on persister à dire de salariés consentants qu'ils sont dominés ?" (p.17)

    "La vérité du "consentement" n'est pas de l'ordre de la liberté mais de l'ordre des passions: c'est la joie qui fait dire oui." (p.17)

    "Le point de vue extérieur, qui ne perd pas de vue le rapport objectif d'exploitation, se trouve alors déstabilisé d'être confronté à la joie de ceux qu'il tient objectivement pour des exploités, et pour peu qu'il reste pris dans le subjectivisme spontané qui informe notre vision immédiate de nous-mêmes et du monde, il ne parvient à se tirer de cette dissonance que par les fausses solutions verbales de la "servitude volontaire", sorte de concentré de toutes les apories subjectivistes du libre arbitre, révélées par les situations de domination "heureuse"." (p.18)

    "Il faut la naïveté épistémologique des tenants les plus endurcis de la "ligne pure" pour trouver incongru ce genre de mise en question et croire encore aux injonctions wéberiennes à la neutralité axiologique, cet asile de l'inconscience politique, quand toute position en science sociale, même -en fait surtout- si elle prend la forme des partis pris théoriques les plus abstraits, comme ceux qui expriment une certaine vision très générale de l'homme et des rapports de l'homme et de la société, toute position en science sociale, donc, emporte nécessairement une charge politique." (p.19)

    "[Une science sociale spinoziste] détruit le socle métaphysique de la pensée libérale." (p.21)

    "[Le libéralisme] n'a cette résistance séculaire que de s'être si profondément installé dans les têtes." (p.21)

    "A l'encontre des représentations les plus stéréotypées et les plus enchantées de la vocation scientifique, il est bien possible que le mobile passionnel de l'appartenance à une élite séparée y compte au moins autant que l'amour pur de la vérité ou l'inclination spontanée pour la connaissance à quoi l'on reconnaîtrait supposément l'ingenium du savant... Comme son nom l'indique, la libido sciendi est bien désir, et même complexe de désirs, mais moins élan natif pour le vrai que, par exemple, désir de mettre le monde en ordre par la pensée et de résister à la submersion anxiogène du chaos ; ou bien désir scopique, c'est-à-dire pulsion de curiosité originelle, mais adéquatement sublimée ; enfin désir de l'élection et de l'appartenance spéciale. S'agréger au corps des initiés et par là se trouver distingué de la masse profane est ainsi l'un des bénéfices affectifs très concrets, et sans doute très déterminants, de l'engagement en science. Si, telle que Durkheim l'avait dégagée dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, l'opération symbolique de la coupure qui sépare des initiés et des profanes est formellement celle du sacré, alors la vocation scientifique est sans doute isomorphe à la vocation sacerdotale, elle-même la forme canonique de toutes les vocations." (p.35)

    "A la philosophie, donc, les "concepts", et à la science les "fonctions", selon une répartition en laquelle, un peu hypocrites sur les bords, Deleuze et Guattari demandent de ne voir aucune hiérarchie de dignité. A les lire en tout cas, tout décourage les sciences sociales de s'approprier le concept, présenté comme l'arme même de la problématisation philosophique, dans une conception de la philosophie entièrement thétique, procédant par positions, et même par positions unilatérales de problèmes fondamentalement incommensurables, qui ne laissent de place qu'à des opérations de relance créative ou de réappropriation singulière (toujours déformante), mais aucune à la discussion (dont on sait combien Deleuze l'avait en horreur), réduite à l'absurdité d'un parfait contresens: "il est vain de demander si Descartes a tort ou raison"." (p.44)

    "Tous leurs efforts de rupture [...] n'éviteront pas aux social scientists d'être, pour paraphraser Keynes, les esclaves qui s'ignorent de métaphysiciens du passé." (p.58)

    "Ce sont toujours les causes extérieures des affections, insiste Spinoza, qui déterminent les énergies désirantes individuelles à leurs poursuites particulières. Or la plupart de ces choses extérieures que nous rencontrons, qui nous affectent et qui nous meuvent, sont sociales, ou dotées de qualités sociales." (p.78)

    "La puissance est le pouvoir d'affecter, c'est-à-dire le pouvoir d'une chose de produire des effets sur une ou plusieurs autres choses, l'affect est l'effet en une certaine chose de l'exposition à la puissance d'agir d'une ou plusieurs autres choses." (p.83)

    "Les affects consistent synthétiquement en variations de puissance d'agir du corps et production corrélative d'idées par l'esprit." (p.84)

    "Le régime néolibéral de la mobilisation salarial vise [...] à reconfigurer les désirs individuels pour les aligner sur le désir-maître du capital. Le fordisme avait bien réussi à introduire des affects joyeux, ceux de la consommation marchande, dans le jeu passionnel du capitalisme, mais le détour de médiation était encore trop long. Le néolibéralisme entreprend de le raccourcir pour viser la pleine coïncidence du désir des individus et du désir de l'institution. Et -sans doute pas dans toutes les fractions du salariat...- il y parvient ! L'imaginaire de la marchandise s'enrichit alors d'un imaginaire de la réalisation de soi par la vie salariale, et peut-être faut-il attendre cette extension à une partie du salariat du désir de faire industriel autrefois réservé au capital pour mieux apercevoir le capitalisme comme un certain régime historique d'investissement conatif." (p.88-89)

    "L'énergie libre et sans objet du conatus se lie et s'investit dans des objets particuliers non par un quelconque pouvoir d'autodétermination mais sous le travail d'affections extérieures produites par des structures sociales. De cette énergie conative, on pourrait dire qu'elle est, littéralement parlant, amorphe ex ante. Elle ne prend forme qu'en se coulant dans les structure sociales, les formes institutionnelles et les rapports sociaux, qui lui offrent ses conditions concrètes d'exercice et, par là même, configurent ses investissements possibles en la déterminant à quelque chose -salut, gloire, fortune (ou tout autre objet à poursuivre)." (p.90)

    "Les institutions doivent être d'abord saisie dans leur pouvoir positif d'information (au sens aristotélicien du terme), pouvoir de donner forme à l'amorphe du conatus compris comme élan de puissance générique. L'extériorité du social n'a donc rien d'une extériorité répressive. Elle est d'abord ce par quoi le conatus intransitif en vient à se transitiver, c'est-à-dire, par soi sans objet, à s'actualiser comme désir de tels ou tels objets, non pas donc pouvoir négatif de détermination et de constitution -et cela sans exclure évidemment que certaines constructions institutionnelles aient, elles, pour effet spécifique de retenir les conatus et de leur interdire certaines poursuites." (p.91)

    "L'individuation de la puissance n'a donc rien d'incompatible avec l'hétéronomie -structurale- de ses déterminations. [...] Quoiqu'ils puissent être l'effet de structures sociales, par construction globales, il y a donc une localité intrinsèque des affects: pas d'affects sans corps à affecter -chose locale." (p.92)

    "Chaque complexion affective (que Spinoza nomme ingenium) à ses seuils propres. Certains, par résignation ou par endurance, supportent des affections attristantes qui en auraient fait basculer d'autres bien avant dans la fuite ou la rébellion. Il est cependant des affections qui font passer leurs seuils à un grand nombre, et transforment alors une divergence individuelle en mouvement collectif.
    Spinoza, dans le
    Traité politique, nomme indignation l'irréductible quant-à-soi qui à un moment fait dire "pas au-delà de ça, tout plutôt que ça"." (p.97)

    "Une institution, quelle qu'elle soit, n'est que la stabilisation temporaire d'un certain rapport de puissance [...] L'imperium de l'institution n'est pas autre chose que l'affect commun qu'elle réussit à produire pour déterminer les individus à vivre selon sa norme -et que Spinoza nomme obsequium, affect de reconnaissance de l'autorité institutionnelle et d'obéissance à ses commandements: ainsi l'obsequium salarial produit-il en tous les normalisés le mouvement de se lever le matin pour "aller au travail" et y faire ce à quoi on a été assigné. Mais, comme tout affect, cet affect commun n'est déterminant qu'à la condition de ne pas être "réprimé ou supprimé par un affect contraire et d'intensité supérieure". A des degrés divers, s'étalant de la reproduction du régime à la crise ouverture, le rapport de puissance entre l'obsequium institutionnel et les affects contraires, réactionnels, que font le plus souvent naître la subordination et le commandement, ce rapport de puissance entre l'institution et ses sujets est toujours sous tension." (p.98-99)

    "Rien donc ne peut figer la dynamique collective des affects -et partant garantir la pérennité aux ordres institutionnels qui en procèdent. Et voilà où un structuralisme spinozien des passions peut renouer avec le changement et l'histoire: en ce point où le ratage des interactions institutionnelles qui effectuent les rapports structuraux fait renaître l'indignation et nourrit l'antagonisme des affects communs. [...]
    Un structuralisme des passions est donc nécessairement un structuralisme dynamique puisque les pôles de puissance individués ne sont tenus à un ordre institutionnel que par des balances affectives dont rien, jamais, ne permet d'exclure qu'elles viennent à être modifiées, soit que le cumul d'affects tristes en longue période fasse passer à un nombre suffisant de ses sujets leur point d'intolérable, soit qu'un incrément de domination imprudent le rende odieux à tous -et l'histoire est pleine de ces petits événements, de ces micro-abus (mais de trop) qui précipitent sans crier gare une sédition de grande ampleur, effet en apparence sans commune mesure avec sa cause, alors qu'il a été préparé par des cumuls de longue date
    ." (p.100)

    "Devenir séditieux n'est pas faire un saut miraculeux hors de l'ordre causal mais seulement se trouver déterminé à faire autre chose. Les séditions ou les révolutions ne sont pas des moments bénis de suspension de l'enchaînement des causes et des effets, ou de recouvrement par les hommes d'un pouvoir de création inconditionnée. C'est toujours le jeu nécessaire des puissances et des passions, mais poursuivis dans d'autres directions." (p.102)

    "Comme nombre de commentateurs l'ont fait remarqué, le Traité politique rompt avec le Traité théologico-politique, en abandonnant définitivement tous les reliquats de contractualisme qui y subsistaient encore: il n'y a ni "abandon", ni "transfert", ni "cession" des droits naturels au souverain par entrée dans l'état civil, pour cette raison précise que le droit naturel, essence actuelle de l'homme, ne saurait sans absurdité de chacun continue-t-il de s'exercer, bien sûr dans les conditions affectives qui lui sont faites, notamment du fait de son inclusion dans l'ordre institutionnel de la Cité, mais sans jamais pouvoir exclure que cet exercice ne le conduise, en certaines circonstances, à se retourner contre cet ordre institutionnel -et ce que Spinoza dit de la Cité, on peut l'étendre à toute configuration de structures." (p.104-105)

    "Insensible et inconsciente, non pas physique mais gnoséologique, la violence symbolique consiste en l'imposition aux dominés des catégories des dominants, et par conséquent de principes de vision qui leur font appréhender un monde objectivement contingent et défavorable comme naturel et acceptable -parfois même heureux. On pourrait donc définir la légitimité chez Bourdieu: elle est l'effet spécifique de la violence symbolique -et par là le premier contributeur à la reproduction d'un ordre de domination." (p.125)

    "Les substitutions respectives des sujets aux rapports, de la réflexivité aux déterminations, des valeurs à la force, et de l'accord au conflit [...] donnent une sorte de dénominateur commun qui atteste un changement d'époque. Chacun dans son genre, Habermas et Ricœur peuvent en être présentés comme les grandes cautions philosophiques. A leur manière et avec leurs différences spécifiques, la micro-histoire, les sociologies tourainniennes et boudonniennes, le paradigme du don, entre autres, en participent à un degré ou à un autre.
    Dans le champ de l'économie hétérodoxe, l'école des Conventions, à laquelle on adjoindra le courant des Économies de la grandeur, en est le représentant le plus typique
    ." (p.126-127)

    "Les affections sont réfractées par ma constitution affective. Il y a donc autant d'être affecté, et par suite de juger, qu'il y a d'ingenia. [...] Ce qui est une façon de souligner que l'ingenium n'est pas donné une fois pour toutes, mais se constitue dynamiquement et se transforme sans cesse au fil des affections rencontrées et des affects éprouvés -Spinoza, sociologue avant l'heure, n'omet pas de mentionner l'importance qu'y prend la prime éducation." (p.134-135)

    "Le droit naturel selon Spinoza, proche en cela de celui de Hobbes, est parfaitement étranger à la pensée du jusnaturalisme et des droits subjectifs. Le droit naturel n'est pas autre chose que l'expression brute du conatus. [...] Le conatus à l'état brut est un vouloir pour soi sans aucun principe de réfrènement ni de modération a priori." (p.139)

    "Si le conatus est une force, seule une autre force ou une composition de forces peut l'empêcher d'aller au bout de ce qu'il peut. Tel est bien le cas dans le rapport institutionnel auquel le conatus n'est tenu que par une configuration de puissances et d'affects. [...] S'il y a bien quelque chose comme des puissances affectives, alors à n'en pas douter elles prennent une part décisive à la production et à la reproduction des renoncements que les institutions imposent à leurs sujets." (p.141)

    "La signification objective de ce qu'on persiste à appeler la légitimité de l'Etat, par exemple, tient simplement au fait qu'il parvient à mobiliser suffisamment de puissance, sous des formes variées -puissance de sa force policière mais aussi puissance des affects, joyeux ou tristes, qui déterminent les sujets à l'obsequium -pour se maintenir. Plutôt que de chercher d'introuvables explications dans le royaume autonome du sens, il s'agirait d'en revenir à une rustique immanente: une institution ne se maintient pas parce qu'elle jouirait de cette vertu un peu vaporeuse qu'est la "légitimité", mais tout simplement parce qu'elle est soutenue, et plus précisément encore parce qu'elle n'est pas renversée. Il y a plus de profondeur qu'on ne croit dans cette apparente trivialité. Les choses continuent d'être tant qu'elles n'ont pas rencontré des choses plus puissantes déterminées à les détruire. Il n'y a là rien d'autre que la conséquence la plus directe de l'ontologie du conatus." (p.152)

    "En fait c'est l'histoire qui tranche, celle dont on dit parfois, non sans raison, qu'elle est l'expression du point de vue des vainqueurs. De Gaulle est légitime en 1944 -il a gagné. En 1940 c'est une autre affaire -sauf, bien entendu, d'un point de vue moral." (p.153)

    "Il y a des institutions ou des régimes institutionnels sous lesquels la vie est plus agréable que d'autres. [...] Plutôt donc que de se mettre à la recherche d'introuvables critères du légitime, il serait peut-être plus judicieux de qualifier une institution par le régime collectif d'affects et de puissance qu'elle instaure. Il y a là assurément de quoi faire à nouveau des différences significatives entre les institutions, quoique au plus loin de la polarité trompeuse du légitime et de l'illégitime, et particulièrement si l'on achève de formuler la question du régime collectif d'affects en la complètent ainsi: cette institution sous laquelle nous sommes, fonctionne-t-elle plutôt aux affects joyeux ou plutôt aux affects tristes ? Telle est bien la seule question normative qu'admette le point de vue du conatus -car il en admet une !- mais d'une normativité toute particularité: la normativité immanente de la puissance." (p.154-155)

    "Il appartiendrait (à venir) de recension systématique des marqueurs lexicaux et des allusions discrètes de mettre en évidence la profonde influence spinoziste qui travaille la sociologie de Durkheim et de Mauss de manière aussi souterraine que dissimulée -comme il est nécessaire de le faire au moment de fonder une science sociale par séparation d'avec la philosophie- mais dont on peut se faire une première idée à l'échantillon suivant, précisément relatif à la récusation de l'homme "empire dans un empire", à l'affirmation de sa pleine appartenance à l'ordre commun de la nature et de sa soumission à l'enchaînement des causes et des effets: "Toutes les traditions métaphysiques qui font de l'homme un être à part, hors nature, et qui voient ses actes absolument différents des faits naturels, résistent aux progrès de la pensée sociologique [...]. Tout ce que postule la sociologie, c'est simplement que les faits que l'on peut dire sociaux sont dans la nature, c'est-à-dire sont soumis au principe de l'ordre et du déterminisme universels, par suite intelligibles [...] Il est donc rationnel de supposer que le règne social [...] ne fait pas exception [...]." (Paul Fauconnet et Marcel Mauss, "La sociologie: objet et méthode", in Marcel Mauss, Essais de sociologie, op.cit, p.6-7). Durkheim n'en dit pas moins, et d'ailleurs en termes étrangement spinozistes: "Si la société est une réalité spécifique, elle n'est pas cependant un empire dans un empire ; elle fait partie de la nature, elle en est la manifestation la plus haute. Le règne social est un règne naturel, qui ne diffère des autres que par sa complexité plus grande" (Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, "Quadrige", 1990, p.25)." (p.178)

    "La philosophie de Spinoza abandonne les solutions d'extériorité transcendante et ne cherche qu'ici-bas les origines de toutes les puissances sociales." (p.181)

    "Le pouvoir d'affecter du souverain ne lui appartient pas ; celui qui règne n'est que le réceptacle d'une puissance qui n'est pas la sienne, le point en lequel s'investit et par lequel transite la puissance de la multitude avant de retomber sur la multitude. Le fait constitutif du pouvoir, par où prend sens la distinction de la postestas (pouvoir) et de la potentia (puissance), est donc la capture." (p.183)

    "Rompant avec les fictions rationalistes du contractualisme, Spinoza identifie dans l'affect commun à la fois un (l')opérateur de communauté et le principe véritable de l'imperium, c'est-à-dire de l'autorité politique. [...] L'autorité politique n'a donc pas d'autre base que les passions de la multitude elle-même en son pouvoir d'auto-affection, c'est-à-dire en son pouvoir, comme multitude, d'impressionner chacun de ses membres." (p.188)

    "L'affirmation [...] est l'expression même de la puissance -"affirmation et résistance", dit Laurent Bove, sont les gestes les plus fondamentaux du conatus." (p.212)

    "Une domination est une certaine production sociale d'affects qui fait désirer ce que Spinoza, et Bourdieu après lui, nomme obsequium, le comportement ajusté aux réquisits de la norme dominante." (p.225)

    "Si être aliéné c'est être la proie des forces extérieures et n'être pas capable de se gouverner intégralement soi-même, alors l'aliénation est la condition universelle du mode fini humain. Voir le travail des causes extérieures sur autrui n'offre donc aucune raison suffisante de s'en croire affranchi soi-même. Aussi toute tentative de disqualifier les désirs de cet autrui au motif que, d'origines hétéronomes, ils ne seraient pas vraiment "les siens", se dissout moins dans l'erreur que dans la plus complète trivialité." (p.237)

    "Il n'y a pas d'un côté la contrainte (servitude) et de l'autre la liberté (consentement), avec une case intermédiaire pour ce qui serait des égarements de la liberté (servitude volontaire): il n'y a que l'universelle servitude passionnelle, c'est-à-dire l'assujettissement à l'enchaînement des causes et des effets, qui détermine chacune de nos mises en mouvement. Mais cela sans oublier le moins du monde qu'assujetti heureux ou assujetti triste, ça fait, conceptuellement et existentiellement parlant, de considérables différences !" (p.238)

    "Conception distributive de la domination comme répartition inégale des chances de joie. En ce sens "domination" renvoie à l'ensemble des mécanismes permettant de cantonner certains, les plus nombreux, à des domaines de joie restreints, et de réserver à d'autres, les oligoi, des domaines de joie élargis. Le commandement par exemple fait très évidemment partie de ces chances de joie inégalement distribuées -nécessitant de fixer ailleurs, et à d'autres choses, ceux qui en sont écartés. Laurent Bove souligne le caractère quasi axiomatique aux yeux de Spinoza de la préférence non seulement pour vivre à sa guise (ex suo ingenio) plutôt qu'à la guise d'un autre, mais même "pour gouverner plutôt que d'être gouverné" (TP, VII, 5). "Rien n'est plus insupportable aux hommes que d'être soumis à leurs égaux et d'être dirigés par eux", note pour sa part le Traité théologico-politique (TTP, V, Cool. Il faut donc tout un travail social pour dissimuler l'égalité réelle, celle de cette "nature humaine une et commune à tous" (TP, VII, 27), et recréer de l'inégalité imaginaire seule à même de faire consentir au fait du gouvernement comme aux privilèges d'assignation." (p.239-240)

    "Ces hommes peints dans la Théorie des sentiments moraux, dévorés par une passion de reconnaissance à laquelle seuls les accomplissements de la richesse peuvent apporter satisfaction." (p.247)

    "La rigueur intellectuelle des savants ne doit rien à un amour natif et pur de la vérité, mais tout à la surveillance mutuelle des savants par les savants, qui ne louperont pas le déviant et, par là, incitent chacun à se tenir à carreau avec les règles de l'argumentation scientifique. La vertu scientifique n'est donc en rien une propriété individuelle mais un effet de champ infusé en chacun des individus. Comme l'expérience l'a suffisamment montré, il suffit de sortir un savant de son univers scientifique, et de le plonger dans un univers à contrôle intellectuel plus lâche, comme l'univers médiatique, pour le voir à brève échéance se mettre à tenir des discours d'une médiocrité qu'il n'aurait jamais osé exposer au regard de ses pairs.
    La vertu n'appartient donc pas aux individus, elle est l'effet social d'un certain agencement des structures et des institutions telles qu'elles configurent des intérêts affectifs au comportement vertueux
    ." (p.259-260)

    "L'insuffisance ontologique du mode fini, sa condamnation sans appel à la causalité inadéquate, le vouent à la communication constante avec les autres modes, parmi lesquels, surtout, les autres hommes. Le monde de l'insuffisance est donc nécessairement, par le fait même, un monde de connexions et de nourrissages mutuels, un monde d'interdépendances constitutives qu'Étienne Balibar, empruntant à Simondon, nomme le "transindividuel", et qui fait dire à Spinoza que rien n'est plus utile à l'homme que l'homme." (p.275)
    -Frédéric Lordon, La Société des affects. Pour un structuralisme des passions, Éditions du Seuil, coll. L'ordre philosophique, 2013, 284 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
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    Frédéric Lordon, Œuvre Empty Re: Frédéric Lordon, Œuvre

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 12 Jan - 10:00

    https://blog.mondediplo.net/2009-01-05-Pour-un-systeme-socialise-du-credit

    https://blog.mondediplo.net/2018-01-08-Macron-decodeur-en-chef

    "Nous disposons d’un point de départ très assuré : le capitalisme détruit les hommes, et il détruit la planète (et par-là re-détruit les hommes, mais d’une autre manière). Nous en tirons immédiatement les impératifs directeurs d’une autre organisation sociale : 1) dans le processus nécessairement collectif de la reproduction matérielle, les individus sont convoqués en égaux  : ils n’ont pas à être soumis à des rapports de subordination hiérarchique qui les maltraitent ; 2) une organisation sociale digne de ce nom se donne pour devoir de relever chacun de l’inquiétude de subsistance et de lui garantir, dans des conditions collectivement déterminées, la plus grande tranquillité matérielle sur toute la vie ; 3) la production globale, si elle est nécessaire, est décrétée a priori ennemie de la nature, donc subordonnée, dans cette mesure, à de rigoureux compromis, ce qu’on exprimera autrement en disant que l’activité économique doit tendre à sa propre minimisation relative. [...]

    "L’alternative au capitalisme — on l’appellera désormais génériquement « communisme » —, ait impérativement à se situer à l’échelle macrosociale ne signifie en rien qu’elle doive n’être préoccupée que d’elle. L’exclusivité du macrosocial débouche nécessairement sur celle de l’État, lieu institutionnel unique où le macrosocial s’exprime et se totalise. Or, nous savons ce que ça donne : l’asservissement des multiplicités du social sous la férule du pouvoir-planificateur unique — précisément le genre de chose que personne ne veut revoir. Dans l’épouvantail que constitue le seul mot de « communisme », on trouve pêle-mêle, le goulag, le KGB, l’abolition de « la propriété » (qui nous oblige à vivre en appartements collectifs, peut-être même à partager nos vêtements) et, donc, le Gosplan dont les aberrations, et les incuries, n’ont eu de bon que de nourrir l’humour soviétique."

    "En matière d’institutions et d’organisations collectives, plus c’est loin, moins c’est contrôlable ; moins c’est contrôlable, plus ça échappe ; plus ça échappe et plus ça se sépare, plus ça vit sa vie propre, plus ça oublie pour quoi c’était fait à l’origine, et plus ça oppresse — à la fin, plus ça opprime."

    La cotisation générale, c’est le point de départ et le cœur même de la construction. L’intégralité de la valeur ajoutée des entreprises est apportée en ressource cotisée à un système de caisses qui va en effectuer la redistribution. En premier lieu sous la forme du salaire, attaché à la personne même, donc détaché de l’emploi. L’emploi est une catégorie capitaliste. Qui suspend la rémunération, donc la vie matérielle, des individus à un lieu fantastique, nommé « marché du travail », transfiguration impersonnelle d’un lieu réel : l’arbitraire patronal.

    Plus exactement, la vie matérielle des personnes est suspendue à un double arbitraire : l’arbitraire du marché (des biens et services), réfracté par l’arbitraire du patron. Le marché fluctue, et le patron décide souverainement de ce qu’il va faire des salariés dans cette fluctuation. On travaillait dans un secteur, et un jour surgit un concurrent inattendu avec un coût de production moitié moindre, ou bien une innovation qui déclasse fatalement les anciennes productions (disques vinyl, CD, mp3), ou bien une pandémie imprévisible qui met à terre le secteur entier (transport aérien, spectacle) : fluctuation. Parfaitement hors de la responsabilité des salariés mais dont les salariés porteront néanmoins tous les effets."

    "Le deuxième coup de génie, c’est le conventionnement. Une partie du salaire est versée en monnaie sur un compte ordinaire, une autre sur une carte — une carte Vitale étendue ! — qui ne peut être utilisée qu’auprès d’un certain nombres de producteurs agréés (alimentation, transports, énergie, etc.), dûment conventionnés par décision citoyenne (dans des assemblées à divers niveaux territoriaux) pour leur respect d’un certain nombre de normes (environnementales, ancrage local et respect des circuits courts, pratiques productives, etc.). Si bien que les individus ont accès à trois sortes de consommation : la consommation privée libre ; la consommation privée « encadrée », celle qui est permise par la carte Vitale étendue et « dirige » la demande vers des offres conventionnées, c’est-à-dire conformes à une norme politique de non-nuisance, donc soustraite aux dégâts d’indifférence des productions capitalistes ; enfin la consommation socialisée gratuite (santé, éducation) dont le champ pourrait être étendu (transports, logement)."

    "La manière même dont Friot présente la trouvaille du conventionnement révèle en creux une faiblesse de sa proposition d’ensemble. Car, nous dit-il, le conventionnement aurait surtout pour vertu de détourner la demande (celle de la consommation privée « encadrée ») des offreurs capitalistes pour l’orienter préférentiellement vers des entreprises passées à la propriété d’usage et à l’autogestion, retirées des marchés de capitaux pour leur financement et des circuits les plus néfastes de la mondialisation pour leur sous-traitance. À quoi l’on comprend, logiquement, que Friot veut planter son innovation dans le capitalisme pour l’y faire prospérer. En pariant que son dynamisme évolutionnaire sera soutenu par ses bonnes propriétés politiques. Et finira par gagner tout le terrain. Soit, formellement, le même argument — et la même erreur stratégique — que le dernier municipalisme de Bookchin : « notre système n’est pas seulement bon, il est le meilleur — entendre par là : politiquement le plus convaincant —, par conséquent il remportera la “compétition des systèmes” ».

    Malheureusement, ça n’est pas ainsi que les choses se passeront."
    -Frédéric Lordon, "Ouvertures", 20 mai 2020: https://blog.mondediplo.net/ouvertures

    "On ne mesure pas toujours en effet le caractère absolument névralgique de la finance dans la configuration institutionnelle d’ensemble du néolibéralisme, et ses propriétés d’intensification de tous les mécanismes de la coercition capitaliste. Elle est presque à elle seule — il y a la concurrence aussi — la source du double fléau néolibéral, celui qui détruit les salariés du privé sous la contrainte de la rentabilité, celui qui détruit les services publics sous la contrainte de l’austérité. Le premier est lié au pouvoir des actionnaires formé dans le marché des droits de propriété, le second au pouvoir des créanciers formé dans les marchés obligataires.

    Contrairement à ce qu’on croit spontanément, le pouvoir des actionnaires n’est pas un pouvoir de bailleurs. À l’envers de ce qui est répété par tous les appareils de l’idéologie néolibérale, les actionnaires apportent finalement si peu d’argent aux entreprises que celles-ci ne dépendent que marginalement d’eux pour leur financement."

    "Conceptuellement parlant, par finance, il faut entendre l’ensemble des institutions et des procédés qui permettent temporairement à certains agents économiques de dépenser plus qu’ils ne gagnent. Et c’est tout.

    En ce sens le plus fondamental, la finance est consubstantielle au capitalisme lui-même, indépendamment de ses formes historiques : car l’impulsion du cycle capitaliste de la production suppose l’avance. Impossible, en effet, de produire avant d’avoir réuni les moyens de produire : équipements, consommations intermédiaires, salaires à verser. Il faudra attendre d’avoir produit, et puis surtout vendu, pour toucher le premier sou. Mais alors comment produire, c’est-à-dire avoir payé les moyens de produire, sans ce « premier sou » ? C’est à cette question que répond toute la logique de l’avance — qui est la logique de la finance.

    Dès ce moment-là, le ver est dans le fruit. Car, dans le capitalisme comme univers d’agents privés, il s’en trouvera sans doute certains capables, ou désireux, de dépenser moins qu’ils ne gagnent (on les appellera des épargnants, plus tard des « investisseurs ») pour accepter de financer les autres qui ont besoin de dépenser plus qu’ils ne gagnent. Bien sûr ce « plus » ne peut être que temporaire : à un moment il faudra rendre. C’est que les apporteurs de l’avance ne se contenteront pas du sourire de l’entrepreneur. Ils apportent leur argent, c’est entendu, mais précisément : c’est leur argent. Alors ils veulent leur retour — davantage même : leur retour augmenté. Ce sera l’intérêt ou le dividende, selon la forme de l’avance : dette (obligations) ou fonds propres (actions). La tenaille de l’avance, tenaille des « apporteurs », est formée, on n’en sortira plus. Servitude débitrice ou servitude actionnariale, les « avancés » seront bien avancés : ils connaitront la servitude
    ."
    -Frédéric Lordon, "Fermer la finance", 4 juillet 2020: https://blog.mondediplo.net/fermer-la-finance

    "Il s’agirait quand même de se souvenir de la fin de la politique, qui est de vivre bien."

    "Quand, par exemple, un agriculteur cesse d’être tenu par la camisole de la grande distribution, avec ses exigences de prix, donc de productivité, donc de chimie, quand il cesse d’être tenu par la dette contractée pour les investissements de mécanisation, imposés eux aussi par la logique des rendements et des prix bas, toutes choses avec lesquelles il peut rompre dès lors qu’il est sous la garantie économique générale, alors il produit pour la satisfaction de produire bien : des produits sains et de bonne qualité — sans doute en moins grandes quantités, mais il y aura bien plus de candidats à l’activité agricole si elle est satisfaisante, défaite de l’esclavage capitaliste et relevée de l’incertitude économique."

    "Le communisme perdra la bataille imaginaire, et puis la bataille politique, s’il s’enferme dans l’austérité des intellectuels critiques et leur désintérêt ostentatoire, quand ça n’est pas leur mépris, pour les objets, pour la vie sensible, à commencer par la vie domestique. « Pensons surtout à développer nos intellects », « soyons de purs esprits », « les objets nous sont indifférents », « nous sommes bien au-dessus des contingences matérielles », « ces choses n’ont aucune importance ». Quelle erreur."
    -Frédéric Lordon, "Pour un communisme luxueux", 11 août 2020: https://blog.mondediplo.net/pour-un-communisme-luxueux

    "Le CNRS en France a longtemps été une réalisation, sans doute approximative mais néanmoins exemplaire, du « salaire à vie » et de ses vertus : des individus, certes sélectionnés, mais payés quasiment sans contrepartie, à faire pour ainsi dire ce qu’ils veulent. Mais précisément, ce qu’ils veulent, ici, c’est faire de la recherche ! Alors, ils la font, sans compter leur temps, et au mieux de ce qu’ils peuvent, pour cette éternelle simple raison que c’est leur désir. Et dans ces conditions, la recherche est excellente.

    Lire aussi Alain Garrigou, « Ubu règne sur l’université française », Le Monde diplomatique, septembre 2017.
    Mais que des gens soient ainsi laissés à très peu de contrainte, pas loin de leur libre-vouloir et, pire encore, hors-marché, c’est insupportable au néolibéralisme. Aussi, là où il n’y avait que peu de contrainte, le néomanagement appliqué à la recherche a-t-il décidé d’en mettre toujours plus, notamment des contraintes de surveillance (reporting) et d’évaluation. Mais, bien plus désastreusement, des contraintes de fragilisation générale des positions : par la concurrence. Concurrence pour les ressources nécessaires à la recherche (crédits d’équipement), concurrence pour l’accès aux postes statutaires. La déstabilisation n’est-elle pas une merveilleuse stimulation ?

    Eh bien non, elle est le pire des corrosifs. Sous son action toxique, les agents commencent à se battre — et les externalités positives d’une activité fondamentalement coopérative sont détruites. Mais surtout, ils cèdent à l’affolement dès lors que leurs conditions matérielles d’existence sont directement menacées, et commencent à chercher, dans la panique, à identifier les stratégies institutionnelles gagnantes. Le mimétisme, c’est-à-dire le conformisme, est malheureusement la seule solution rationnelle à ce problème. Malheureusement, en effet, car la créativité de la recherche n’y survit pas quand chacun ne cherche plus… qu’à se rallier aux courants dominants, rationnellement interprétés comme ceux qui bénéficient de la meilleure validation institutionnelle, donc des meilleures chances de salut matériel. L’innovation scientifique et intellectuelle suppose de faire ce qui ne se fait pas encore ; or tout le monde est déterminé par le nouvel agencement institutionnel concurrentiel à faire comme tout le monde ; fin de l’histoire."
    -Frédéric Lordon, "Garantie économique générale et production culturelle", 18 août 2020: https://blog.mondediplo.net/garantie-economique-generale-et-production

    "Pierre Charbonnier, lui, prend le parti d’un « centrisme  » raisonnable des petits pas. Quelle riche idée, on est frappé par la justesse de la position, par son adéquation aux temps."
    -Frédéric Lordon, "Pleurnicher le Vivant", 29 septembre 2021: https://blog.mondediplo.net/pleurnicher-le-vivant

    "La glorification du « vivant » qui ne débouche pas immédiatement sur une mise en cause de la puissance biocide est une collaboration qui s’ignore."
    -Frédéric Lordon, "Maintenant il va falloir le dire", 30 novembre 2021: https://blog.mondediplo.net/maintenant-il-va-falloir-le-dire



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