https://en.wikipedia.org/wiki/Max_Raphael
"« Comment l’art, qui constitue la superstructure idéologique d’un certain mode de production économique, peut-il continuer à agir alors que ce mode de production a disparu ? » (p. 15), interroge-t-il. Assurément, ce n’est pas comme souvenir de « l’enfance sociale de l’humanité » ni, à l’instar de la religion et selon la célèbre formule de Marx, comme « opium du peuple », que l’art continuerait d’agir. Pour comprendre comment, il faut aussi abandonner – troisième « objection » – le diagnostic d’un l’idéaliste comme Paul Valéry qui constatait, devant le carnaval kitsch de la modernité et l’épuisement des promesses de l’humanisme, la « crise de l’esprit européen ». Or, écrit Raphael, « c’est une bien primitive erreur de pensée que de considérer que le monde touche à sa fin, simplement parce que le monde humaniste bourgeois s’effondre » (p. 24)."
"L’art peut contribuer à la construction du monde à venir, où l’humanité s’accomplira comme totalité plurielle, au sein de laquelle chaque individu sera en mesure de donner forme à son existence selon la mesure de ses forces créatives. Mais ce n’est pas en livrant l’image de ce futur ni en idéalisant une quelconque représentation que ce devenir sera possible. Voilà un aspect décisif du lien entre esthétique et politique chez Raphael : sa théorie politique de l’art ne repose pas sur la défense d’un type de langage artistique, d’un style, ni d’une esthétique entendue comme norme formelle ou esthétisation d’une idéologie, comme cela apparaît au contraire dans d’importants débats internes à l’esthétique marxiste au XXe siècle, opposant par exemple les tenants du réalisme à ceux du formalisme abstrait. Sa théorie ne prescrit pas une manière de faire de l’art mais définit une voie pour faire l’expérience des œuvres – toutes les œuvres – et les penser."
"L’art, selon sa définition, est un « réceptacle d’énergies psychiques » (p. 25) qui donnent forme à la nature et à la société. Il est un « acte de production qui dissout et met en mouvement des réalités figées et réifiées, pour donner à ce processus une forme durable dans laquelle des éléments disparates sont rassemblés en une unité et fondus en une totalité » (p. 25).
Pour le comprendre, il ne faut pas s’en tenir à une « étude de l’art » qui risquerait de figer à nouveau ce que l’art met justement en mouvement. Nous avons besoin au contraire, selon sa formule, d’une « étude créatrice de l’art » (p. 52). Etude créatrice : autrement dit, qui remonte de l’art créé au processus de création, c’est-à-dire qui mette au jour ce en quoi l’œuvre dissout la simple existence factuelle des choses pour produire une « réalité rehaussée » chargée de significations nouvelles."
"[A contrario de la tradition kantienne] Celle ou celui qui se livre à une telle étude créatrice de l’art ne peut donc demeurer passivement, ni de façon désintéressée, ce qu’elle ou il était comme individu existant avant d’entrer dans le processus de création dans lequel l’œuvre l’entraîne désormais. Car, pour Max Raphael, les « énergies psychiques générées par l’œuvre d’art » doivent être « utilisées pour intensifier à leur tour les pouvoirs créateurs du spectateur » (p. 52). Ce pouvoir créateur opère en direction d’une « mise en forme de soi » autant que d’une mise en forme sociale et économique. Dans l’usage du syntagme « mise en forme » il s’agit bien de comprendre le potentiel de changement immanent à ce qui existe, plutôt que d’entendre l’invocation d’une transformation dont la téléologie serait prédéterminée."
-David Zerbib, « Max Raphael, La Lutte pour comprendre l’art », Critique d’art, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 05 juin 2024.
https://journals.openedition.org/rgi/466
"« Comment l’art, qui constitue la superstructure idéologique d’un certain mode de production économique, peut-il continuer à agir alors que ce mode de production a disparu ? » (p. 15), interroge-t-il. Assurément, ce n’est pas comme souvenir de « l’enfance sociale de l’humanité » ni, à l’instar de la religion et selon la célèbre formule de Marx, comme « opium du peuple », que l’art continuerait d’agir. Pour comprendre comment, il faut aussi abandonner – troisième « objection » – le diagnostic d’un l’idéaliste comme Paul Valéry qui constatait, devant le carnaval kitsch de la modernité et l’épuisement des promesses de l’humanisme, la « crise de l’esprit européen ». Or, écrit Raphael, « c’est une bien primitive erreur de pensée que de considérer que le monde touche à sa fin, simplement parce que le monde humaniste bourgeois s’effondre » (p. 24)."
"L’art peut contribuer à la construction du monde à venir, où l’humanité s’accomplira comme totalité plurielle, au sein de laquelle chaque individu sera en mesure de donner forme à son existence selon la mesure de ses forces créatives. Mais ce n’est pas en livrant l’image de ce futur ni en idéalisant une quelconque représentation que ce devenir sera possible. Voilà un aspect décisif du lien entre esthétique et politique chez Raphael : sa théorie politique de l’art ne repose pas sur la défense d’un type de langage artistique, d’un style, ni d’une esthétique entendue comme norme formelle ou esthétisation d’une idéologie, comme cela apparaît au contraire dans d’importants débats internes à l’esthétique marxiste au XXe siècle, opposant par exemple les tenants du réalisme à ceux du formalisme abstrait. Sa théorie ne prescrit pas une manière de faire de l’art mais définit une voie pour faire l’expérience des œuvres – toutes les œuvres – et les penser."
"L’art, selon sa définition, est un « réceptacle d’énergies psychiques » (p. 25) qui donnent forme à la nature et à la société. Il est un « acte de production qui dissout et met en mouvement des réalités figées et réifiées, pour donner à ce processus une forme durable dans laquelle des éléments disparates sont rassemblés en une unité et fondus en une totalité » (p. 25).
Pour le comprendre, il ne faut pas s’en tenir à une « étude de l’art » qui risquerait de figer à nouveau ce que l’art met justement en mouvement. Nous avons besoin au contraire, selon sa formule, d’une « étude créatrice de l’art » (p. 52). Etude créatrice : autrement dit, qui remonte de l’art créé au processus de création, c’est-à-dire qui mette au jour ce en quoi l’œuvre dissout la simple existence factuelle des choses pour produire une « réalité rehaussée » chargée de significations nouvelles."
"[A contrario de la tradition kantienne] Celle ou celui qui se livre à une telle étude créatrice de l’art ne peut donc demeurer passivement, ni de façon désintéressée, ce qu’elle ou il était comme individu existant avant d’entrer dans le processus de création dans lequel l’œuvre l’entraîne désormais. Car, pour Max Raphael, les « énergies psychiques générées par l’œuvre d’art » doivent être « utilisées pour intensifier à leur tour les pouvoirs créateurs du spectateur » (p. 52). Ce pouvoir créateur opère en direction d’une « mise en forme de soi » autant que d’une mise en forme sociale et économique. Dans l’usage du syntagme « mise en forme » il s’agit bien de comprendre le potentiel de changement immanent à ce qui existe, plutôt que d’entendre l’invocation d’une transformation dont la téléologie serait prédéterminée."
-David Zerbib, « Max Raphael, La Lutte pour comprendre l’art », Critique d’art, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 05 juin 2024.
https://journals.openedition.org/rgi/466