"La vie de Baudelaire méritait d’être écrite, parce qu’elle est le commentaire et le complément de son œuvre."
"Baudelaire eût dit volontiers :« Tout poète qui ne sait pas être à volonté brillant, sublime, ou terrible, ou grotesque, ne mérite pas le nom de poète. » Il s’est vanté plus d’une fois de tenir école de poésie & de rendre en vingt leçons le premier venu capable de faire convenablement des vers épiques ou lyriques. Il prétendait d’ailleurs qu’il existe des méthodes pour devenir original, & que le génie est affaire d’apprentissage."
"Une question saugrenue, une affirmation paradoxale lui servaient à juger l’homme à qui il avait affaire ; & si au ton de la réponse & à la contenance il reconnaissait un pair, un initié, il redevenait aussitôt ce qu’il était naturellement, le meilleur & le plus franc des camarades."
"Ni l’argent ni les« positions » n’étaient pour rien dans les rêves d’avenir."4
"Vers ce temps-là (1840) une évolution se fit dans l’esprit public. Les luttes littéraires étaient closes ; Victor Hugo, déformais incontesté, consacrait son triomphe par les Burgraves & les Rayons & les Ombres. L’intérêt, qui toujours déserte les causes gagnées, se tourna d’un autre côté : la Peinture détrôna la Poésie.
Delacroix, dont le génie commençait à s’imposer, ralliait autour de lui les braves qui n’attendent pas les décrets du suffrage universel pour reconnaître & défendre ce que leur jugement approuve. La bataille était là : Baudelaire y courut. Tout l’y invitait : son goût, sa nature d’artiste, son amour du combat, son mépris des majorités qui lui faisait prendre plaisir à se faire injurier par les myopes & les routiniers."
"Nul doute que ces apologies raisonnées, la seconde surtout, plus complète & plus travaillée, n’aient conduis parmi les contemporains de vives sympathies à Eugène Delacroix, qui s’en montra reconnaissant, en témoignant jusqu’à la fin de sa vie, à leur auteur, la plus bienveillante amitié."
"Baudelaire, malgré son amour de l’éclat & de la violence, malgré sa curiosité déjà notée des procédés & des raffinements, a toujours été dans sa critique de l’école philosophique. Il a écrit un jour cet axiome :« Pas de grande peinture sans de grandes pensées. »"
"Toute génération, toute famille d’écrivains que groupe une communauté d’idées & de goûts, trouve ou crée un endroit, journal ou revue, pour poser son programme. Ce journal fut, après 1840, le Corsaire-Satan, dirigé par Lepoittevin Saint-Alme, un vieillard solennel, à mine de vieux troupier, qui découvrait majestueusement ses cheveux blancs devant quiconque s’avisait de venir se plaindre des vivacités de la rédaction. Là débutèrent Champfleury, Murger, Th.. de Banville, Antoine Fauchery, Marc Fournier, A. Vitu, Henri Nicolle, A. Busquet, Édouard Plouvier, Charles de la Ronnat, Alexandre Weill, préludant de concert à des destinées bien diverses. Baudelaire s’y trouva porté tout naturellement ; & l’on vit alors apparaître sur le boulevard son fantastique habit noir, dont la coupe imposée au tailleur contredisait insolemment la mode, long & boutonné, évasé par en haut comme un cornet et terminé par deux pans étroits et pointus."
"La révolution de 1848 arrêta l’essor de ces jeunes talents & rompit le faisceau des camaraderies littéraires. La passion politique, le besoin subit d’action, la curiosité, l’esprit d’utopie créèrent, de ci, de là, des diversions & même des divergences. S’il ne prit pas activement part aux événements, Baudelaire en ressentit le contrecoup, & devait le ressentir. Il était loin de la sécurité olympienne qui fait rimer le Divan pendant la guerre, & peindre la Naissance de Vénus au bruit de l’émeute. Le poète qui a plongé si résolument dans les misères des infimes, qui a compati à leur perversité comme à leur détresse (Le Vin de l’assassin, Les deux Crépuscules), & tiré de leurs douleurs & de leurs joies, de leurs désespoirs, des chants si éloquents de pitié mélancolique, celui là, certes, était un poète humain."
"Le but pour Baudelaire, c’était le Beau ; sa seule ambition était la gloire littéraire. On échappe ainsi aux préjugés &. aux illusions imposées par la solidarité : on voit les torts des uns & des autres ; on n’est dupe d’aucun côté. Et c’est ainsi que l’on peut dire que pour les esprits élevés la sagesse est faite de contradictions."
"Vers ce temps-là aussi, une curiosité nouvelle s’empara de l’esprit de Baudelaire & remplit sa vie. On devine que je veux parler d’Edgar Poë, qui lui fut révélé par les traductions de Mme Adèle Meunier, publiées en feuilletons dans les journaux. Dès les premières lectures il s’enflamma d’admiration pour ce génie inconnu qui affinait au sien par tant de rapports. J’ai peu vu de possessions aussi complètes, aussi rapides, aussi absolues. À tout venant, où qu’il se trouvât, dans la rue, au café, dans une imprimerie, le matin, le soir, il allait demandant : — Connaissez-vous Edgar Poë ?"
"Je sens encore son regard chargé de mépris et de fureur, & qui voulait dire : Vous ne comprenez donc pas que toute chose que j’écris doit être irréprochable ?"
"Baudelaire travaillait en dandy. Nul ne fut moins besogneur que lui. S’il aimait le travail, comme art, il avait en horreur le travail-fonction. J’ai entendu des gens qui l’avaient mal connu, ou qui l’avaient connu trop tard, s’étonner que,« avec un si grand talent » Baudelaire ne gagnât pas beaucoup d’argent. C’était le méconnaître absolument. Quoiqu’il ait longtemps manifesté la prétention & même la conviction de s’enrichir par son travail, Baudelaire était trop délicat & trop respectueux de lui-même pour devenir jamais un money-making author."
"Les Fleurs du mal ont gagné leur procès en appel au tribunal de la littérature & de l’opinion publique. Les magnifiques plaidoyers de Théophile Gautier, les approbations, tant publiques que particulières, des maîtres de la poésie contemporaine, de Victor Hugo, de Sainte-Beuve, d’Émile Deschamps, &c., &c., ont effacé jusqu’au souvenir de ce« malentendu, » dont notre ami avait été si vivement choqué. Reste le livre, désormais serein & inattaquable, & dont les blessures ont été richement réparées par de nouvelles pousses."
"Charles Baudelaire, ne craignons pas de le dire, est, après les grands maîtres de 1830, le seul écrivain de ce temps, à propos duquel on ait pu prononcer sans ridicule le mot de génie."
"Quand il sentait que ce qu’il faisait cessait d’être du Baudelaire, il s’arrêtait ; & nulle considération, nul avantage, ni d’argent, ni de faveur, ni de publicité ne lui aurait fait faire un pas plus loin. Aussi est-il resté intègre & intact."
"Quiconque l’avait connu l’aimait.
Cet homme, que de certains esprits obtus & malveillants ont voulu faire passer pour insociable, était la bonté & la cordialité mêmes. Il avait la qualité des forts, la gaîté, au point d’aimer à divertir à ses dépens."
"II reste à ses amis son œuvre, son souvenir & le bonheur d’avoir vécu dans la confidence d’un esprit rare, d’une âme élevée, forte & sympathique, d’un de ces génies d’exception, sans pairs ni sans analogues, qui poussent en ce monde comme des fleurs magiques, dont la couleur, dont la feuille & le parfum ne sont qu’à elles, & qui disparaissent comme elles sont nées, mystérieusement ; de l’un des hommes, en un mot, les plus complets, les plus exquis & les mieux organisés qui aient été donnés à ce siècle."
-Charles Asselineau, Charles Baudelaire, sa vie et son œuvre (1869)
"Février 1848. Le Quartier Latin est en folie. Partout dans Paris, des barricades et des hommes exaltés annoncent la République et ses lendemains qui chantent. Carrefour de Buci, quelques insurgés viennent de mettre à sac la boutique d'un armurier. L'un d'entre eux se détache de ce groupe révolté. Pour lui, la révolution n'est qu'un prétexte pour crier sa fureur. Il porte "un beau fusil à deux coups et une superbe cartouchière de cuir jaune". Il cri à tue-tête: "Il faut aller fusiller le général Aupick !". Ce pilleur de magasins, cet homme qui vuet exécuter son beau-père, le second mari de sa mère, c'est Charles Baudelaire, le poète, le dandy, le solitaire, le dégoûté de la politique et des politiciens ! L'ivresse de la révolution l'emporte ce jour-là, un court mais spectaculaire moment, sur les autres ivresses, celles du vin, de la poésie, des paradis artificiels, de l'amour ou du sexe...Baudelaire, qui a vingt-sept ans, ne tuera pas le général Aupick qu'il hait pourtant au plus profond de son être. Mais, peu à peu, armé de sa plume et d'un sombre talent, il va fusiller pour de bon quelque chose de plus solide encore: la vieille poésie."
"[Baudelaire] ne croit pas à l'amour mais croit encore à la tendresse ; il ignore le progrès et la philanthropie, mais il croit à la charité et au courage ; il connaît le vice mais ne désespère pas de la vertu -la vraie, celle qui n'est pas simple hypocrisie ; il se souvient des heures d'extase et de rêverie mais se rappelle mieux encore les jours de solitude et d'angoisse ; il chante l'oubli du temps dans l'instant, mais montre aussi la marche intraitable des heures et le poids accablant des souvenirs ; il a conscience du mal qui est le propre de l'homme, mais proclame aussi que cette conscience dans le mal fait la gloire de l'homme...C'est ce mélange radical qui donne aux Fleurs du Mal leur inquiétante unité. Baudelaire accepte de vivre dans un monde absurde et cruel ; son œuvre est la saisie de ce monde ; la quintessence qu'il en a extraite après l'avoir serré dans sa main et d'être aussi laissé broyer par lui : double mouvement de connaissance du monde et de naissance de la poésie."
-Gilbert Maurin, Les grands écrivains.
"Tout livre qui ne s’adresse pas à la majorité [...] est un sot livre."
"Il faut mettre de l’importance à tout ce qu’on fait. C’est le seul moyen de ne jamais s’ennuyer."
-Charles Baudelaire.
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 10 Aoû - 21:24, édité 4 fois