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    Michael Moorcock, Elric

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Messages : 19284
    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Michael Moorcock, Elric Empty Michael Moorcock, Elric

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 6 Mai - 21:17



    "Une mélancolie qu'il trouvait presque suave." (p.32)

    "Ses lèvres étaient figées en un sourire terrible par sa tranquillité." (p.33)

    "Il semble qu'il existe des sujets que les bonnes manières empêchent d'aborder. Comme dans bien des sociétés, je suppose, où les fondements mêmes de leur existence sont l'objet des tabous." (p.89)

    "Tout ce qu'ils savent que les gens préfèrent à la liberté." (p.91)

    "Jusqu'à présent, il n'avait regardé que vers le passé. Ce n'était pas là qu'il trouverait des réponses. Seulement des exemples difficilement applicables à sa présente condition." (p.176)

    "Les êtres les plus puissants ne sont pas nécessairement les plus intelligents, ni les plus sains d'esprits, ni les mieux élevés, en vérité. Plus on connaît les dieux, plus on apprend cette leçon fondamentale." (p.190)
    -Michael Moorcock, La Revanche de la Rose, tome 6 du Cycle d'Elric, 1993 (1991 pour la première édition britannique), 288 pages.

    https://fr.1lib.fr/book/4120898/7dd983?dsource=recommend

    https://fr.1lib.fr/book/4068201/19988a



    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 12 Sep - 10:02, édité 1 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

    Johnathan R. Razorback
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    Michael Moorcock, Elric Empty Re: Michael Moorcock, Elric

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 9 Mai - 16:02

    https://www.lesinrocks.com/2012/12/02/livres/michael-moorcock-interview-elric-11327854/


    Comment êtes-vous venu à la littérature de fantasy ?

    Michael Moorcock : Quand j’étais enfant, il y avait vraiment très peu d’auteurs. Parmi eux se trouvait Edgar Rice Burroughs. A quatre ans, mon père a quitté ma mère et il m’a laissé deux piles de bouquins de Burroughs. Je les ai lus, probablement à cinq ans. J’étais un lecteur précoce. Ensuite, je me suis tourné vers Howard, Leiber et, un peu plus tard, Anderson. J’ai également lu un peu de Lord Dunsany. Je détestais Tolkien : entre lui et moi ça n’a jamais collé. Puis j’ai commencé à écrire moi-même de la fantasy parce que l’éditeur Ted Carnell m’a demandé d’écrire une histoire de ce type. J’ai rédigé mon premier Elric… et voilà, j’étais lancé. Au départ, je ne pensais pas faire plus d’une nouvelle sur Elric, mais il a fallu en faire trois, puis cinq, puis un roman… Je ne m’attendais pas à ce succès immédiat.

    Vous avez souvent évoqué d’Elric comme un autre vous-même…

    C’est un lien émotionnel, évidemment. Quand je l’ai conçu, j’avais 17 ou 18 ans. Je me sentais à part, j’étais très romantique, vraiment barré et rebelle. Toutes mes relations me semblaient dramatiques. J’ai insufflé ces pensées et sentiments à mon personnage. Il y a peu, j’ai aussi réalisé qu’Elric n’avait pas de père, tout comme moi… Certains critiques ont suggéré que son ambivalence, son aspect changeant, avait rapport à la sexualité, mais je ne le crois pas. Durant la Seconde Guerre mondiale, le sud de Londres, où j’ai grandi, a subi des bombardements particulièrement intensifs. Chaque fois que vous sortiez, une maison de plus s’était effondrée. Le paysage changeait constamment, et vous acceptiez cela naturellement, sans en être particulièrement malheureux. C’est sans doute ce que vivent en ce moment les gamins en Syrie… Tout cela finissait par devenir une partie de votre psyché. Ballard avait en partie grandi dans un camp japonais pour prisonniers civils, mais la plupart des souvenirs qu’il avait conservés de cette époque étaient heureux. Il était libre, ses parents ne se souciaient que de le savoir en vie. Il ne subissait aucune pression morale.

    Par bien des détails, vos premiers récits évoquent le symbolisme "fin de siècle".

    Tout à fait. J’ai aussi nourri Elric de mes lectures des romans gothiques du milieu du XIXe siècle, qui m’ont grandement influencé. A l’époque, j’étais un peu le seul à les lire. Mes histoires semblaient neuves au public, mais pas tant que ça à mes yeux, car je savais ce qu’elles devaient à la tradition gothique.

    Telle que vous la pratiquiez, la fantasy participait-elle à la "contre-culture" ?

    Oui, les deux mouvements étaient très liés. Je vivais à Ladbroke Grove, un quartier où tout le monde était musicien. J’ai commencé à entretenir des relations avec des groupes. Un ami qui connaissait Pink Floyd nous a réunis sans que nous sachions ce qui allait se passer. Il pensait sans doute qu’une sorte d’alchimie se produirait. On est restés à glander pendant deux jours dans ces studios pleins de trucs électroniques… Mais cela n’a rien donné, parce que nous ne savions pas ce que nous faisions là. J’ai toujours eu une relation très forte avec la musique, mais je n’ai vraiment uni cet intérêt à la fantasy qu’à partir de ma collaboration avec Hawkwind. Nous avons notamment travaillé à un conte d’Elric (l’album , ndlr), mais nos goûts musicaux divergeaient. Je ne suis pas particulièrement amateur de musique psychédélique. Comme tous ceux de mon âge qui ont vécu au sud de Londres, je suis bien plus concerné par la tradition blues.

    Jouez-vous toujours de la guitare ?

    Je ne peux plus, j’ai beau essayer, ça ne marche plus, mes mains sont fichues. Alors, je me suis mis à l’harmonica. Je compose à l’harmonica et ça marche bien. Je travaille en ce moment à un album avec Martin Stone, un merveilleux guitariste. On s’est vu il y a quelques jours, avec Martin, et il a joué de la slide sur une steel-guitar pendant que je prenais l’harmonica. On s’est trouvés très rapidement, c’était merveilleux, et on a obtenu plusieurs titres en très peu de temps. C’est étrange, j’ai longtemps composé à la guitare, mais finalement, je trouve cela plus facile à l’harmonica !

    Etes-vous fier de ce que la revue New Worlds, que vous avez dirigée dans les années 60, a accompli ?

    Oui. Nous avons cherché aussi bien à apporter à la littérature générale des techniques et des sujets propres à la science-fiction qu’à mêler les fictions populaires à la "grande" littérature. Nous expérimentions. Beaucoup de nos premiers lecteurs en ont été contrariés et nous ont reproché d’avoir tué la science-fiction, d’avoir tout fichu en l’air. Mais nous voulions élever le genre et je crois que nous avons réussi à le faire. Une bonne partie de ce que nous avons écrit pendant les années 60 était vraiment bon, peut-être même est-ce le meilleur de nos œuvres. Dans les 70’s, j’ai accompli tout le travail expérimental que je voulais. Avec Le Seigneur des airs, qui se situait dans le futur mais avec la perception du XIXe siècle (on en parlerait aujourd’hui comme d’un roman steampunk), j’ai aussi commencé à explorer les racines de la science-fiction et à regrouper un certain nombre d’idées. Si vous le faites par vous-même, vous n’avez pas besoin de la théorie. Je lis peu de théorie.

    Aujourd’hui, vos livres passent pour des classiques. Pourtant, il semble que vous ne vouliez pas toujours pas vous positionner en auteur classique…

    Vous vous retrouvez soudain très respectable, dans des endroits respectables… et vous ne songez plus qu’à vous enfuir ! Je préfère les tensions de l’expérimentation, chercher du nouveau, même si c’est parfois inconfortable. En ce moment j’écris un livre qui tient à la fois de la fantasy et du genre historique et il m’est difficile de trouver la meilleure forme pour cette histoire. Je suis déprimé la moitié du temps, au plus bas, et je n’arrive pas à décider quoi faire… Mais je préfère cela à me répéter. Même dans les dernières histoires d’Elric, on peut trouver de nouveaux éléments. Je ne continuerais pas à en écrire si elles n’avaient quelque chose de neuf en elles.

    De quel roman êtes-vous le plus satisfait ?

    De toute ma production romanesque, c’est Mother London que je préfère car c’est une œuvre très "affirmative" et c’était important pour moi. A la même époque, je rédigeais The Pyat Quartet dont seul le premier roman, Byzance 1917, a été traduit en français. Quand il est sorti, beaucoup de gens ont mal interprété cet ouvrage. Ils ont pensé qu’il était antisémite, ce qui était inhabituel pour moi, et complètement ridicule car le livre traite de l’antisémitisme mais, bien évidemment, n’est pas antisémite. Et donc ces romans n’ont pas tous été publiés, aussi parce que les traductions coûtent très cher et qu’il s’agit de livres épais. Les éditeurs se sentent plus en sécurité en ne publiant que ce qu’ils connaissent, les romans de fantasy. C’est dans The Pyat Quartet et Mother London que mon ambition a été le mieux récompensée. J’ai énormément étudié pour les écrire. J’ai reçu des lettres d’Ukraine me demandant si j’étais Ukrainien – le récit de The Pyat Quartet se situait en Ukraine. Or, je ne me suis jamais rendu dans ce pays, mais j’ai lu tant et tant, non pas des livres d’histoire, mais des témoignages, énormément de témoignages de gens vivant là-bas… Et évidemment, j’ai aussi fait des recherches générales. Je suis devenu dingue en écrivant ces livres, complètement dingue. Le résultat, c’est que j’ai gâché un mariage… mais c’est aussi bien comme ça (rires).

    Les jeunes auteurs ont-il toujours ce souci d’expérimenter ?

    Tolkien et moi avons servi de modèles à la génération actuelle car nous étions pratiquement les seuls que l’on pouvait trouver en librairie. Au départ, j’en ai été ravi. Quand Donjons et Dragons m’a contacté pour incorporer mon matériel dans le leur, je leur ai dit "allez-y !" sans leur demander quoi que ce soit en retour. Je pensais qu’on marchait ensemble. Et puis, Warhammer a fait son affaire en nous pillant, Tolkien et moi. Et c’est devenu encore et toujours la même chose… J’ai vu la fantasy se dégrader et cela m’a irrité. Le courant principal cherche simplement à reproduire ce que nous avons déjà fait. Dans les années 60, des auteurs à succès comme Lawrence Durell ou Graham Greene écrivaient dans une tonalité très rétrospective. Mais nous rejetions ce sentiment de nostalgie. Aujourd’hui, la majeure partie de la science-fiction et de la fantasy présente exactement ce même caractère nostalgique que je n’apprécie pas du tout. Hormis China Miéville et John Harrison, qui sont très bons, il y a peu d’écrivains que j’admire vraiment. Même si j’ai du respect pour George Martin, il faut reconnaître qu’il n’écrit que des romans historiques avec un soupçon de fantasy. J’ai été particulièrement énervé par David Gemmell. Je le connaissais, c’était un type bien. Il m’a raconté – je ne m’en souvenais pas – qu’il m’avait rencontré quand il était enfant, dans une librairie. Il ne savait pas qui j’étais et il m’a demandé si je lisais… mes propres livres. Je lui avais répondu : "Oh non, ce ne sont que des conneries". Cela l’avait rendu malheureux pour des années, jusqu’à ce qu’il réalise que c’était moi qui lui avais dit ça. Il m’a semblé que pendant des années, il n’écrivait que des livres imitant ce que j’avais déjà accompli. Je n’ai guère de respect pour cela. D’autant qu’il s’est fait beaucoup d’argent (rires).

    Avec les ordinateurs, je suppose qu’il existe plein de possibilités d’interactivités intéressantes mais je suis toujours déçu par le résultat : tant d’opportunités pour mêler les médias et ce n’est pas tellement fait. Cela me surprend. Quand j’ai écrit le premier Jerry Cornelius, j’ai voulu le faire publier avec une cassette audio et des illustrations. Mais on m’a expliqué que c’était impossible, parce que la musique était taxée, et les illustrations aussi, mais différemment. Donc c’était impossible à vendre. Je n’ai pas pu le faire. Actuellement, je prévois de reprendre cette idée, le matériel est déjà là. Grâce à la musique, aux images et aux mots, vous pouvez stimuler tous les sens.

    La fantasy est-elle moins libre aujourd’hui ?

    Je l’ignore. Quand j’ai commencé, c’était une forme ouverte, exactement comme le rock’n roll. A chaque époque, on trouve une forme qu’il est possible de s’approprier – ainsi les jeux pour la dernière génération.

    Pourquoi la fantasy reste-t-elle si mal considérée par le plus grand nombre ?

    A une époque, en Angleterre et aux Etats-Unis, la fantasy et la science-fiction ont réussi à être bien considérés. Puis, en 1977, Star Wars est sorti et a établi une norme qui, de nouveau, a marginalisé la science-fiction. A mon avis, la culture moyenne a besoin d’exclure ce qu’elle ne comprend pas. Si vous lisez du Balzac, vous n’avez pas besoin de vous justifier.

    Avant, les écrivains de grande littérature qui lisaient de la science-fiction ne pouvaient l’admettre. S’ils le faisaient sans s’excuser, ils craignaient que leurs carrières en soient affectées. Mais les auteurs qu’ils lisaient et qu’ils auraient pu prendre pour exemple étaient aussi bons que d’autres, sinon meilleurs dans bien des cas. Même quand Doris Lessing a écrit sa propre science-fiction, les gens se sont montrés embarrassés, ont déclaré qu’elle était dingue et devait arrêter d’écrire de tels livres. Cela ne fait que quelques années que ces romans sont pris au sérieux. Margaret Atwood a quant à elle nié avoir écrit de la science-fiction, ce qui m’a semblé pathétique. Elle voulait dire qu’elle n’était pas un écrivain de genre, qu’elle n’écrivait que par elle-même et que même si certains de ses thèmes venaient de la littérature de genre, ils lui apparaissaient comme neufs. Je dirais que depuis dix ans, la situation a changé, notamment grâce à des auteurs comme Michael Chabon. Quelques romanciers américains ont commencé à écrire de la science-fiction et à parler en sa faveur. Les gens ont commencé à accepter qu’il existe de bons écrivains qui n’écrivent que de la fantasy et de la science-fiction. J’espère en être un bon exemple.

    Mervyn Peake a-t-il eu une grande influence sur vous ?

    Oui. Peake n’était pas vraiment un auteur de fantasy dans le sens où on l’entend quand on se réfère à Tolkien. Son œuvre est davantage fantastique, comme l’est celle de Kafka, du moins à mes yeux. Il est plus proche des auteurs modernes de "réalisme magique" que de la tradition fantasy. Ce que j’aimais chez lui, c’est que tout était basé sur les personnages. Mervyn inventait des personnages aussi torturés que le sont les gens dans la réalité. Je pense que c’est une des raisons pour lesquelles il n’a jamais eu autant de succès que Tolkien. Il a néanmoins été classé par le Times parmi les 100 écrivains les plus lus en Angleterre. Il figurait à la 49e place. Il est bon de voir des auteurs longtemps marginalisés être enfin reconnus.

    Je connais la famille de Peake, nous sommes très proches et j’ai grandi avec eux. Son fils Sebastian avait exactement mon âge. Il est mort le mois dernier. J’ai essayé de ne pas me montrer trop sentimental à ce sujet, mais cela m’a terriblement déprimé. Je suis très émotif, même si j’essaye de le cacher aux autres. Il y a une semaine, je marchais dans la rue et j’ai soudain réalisé à quel point Sebastian était important pour moi. Quant à Mervyn… l’aspect si tragique de sa vie m’a énormément affecté, a changé ma façon de regarder le monde. Il était très humain, avait un grand sens de l’humour, aucune arrogance. Sa famille est devenue ma famille, peut-être plus que ne l’était ma propre famille. Nous avions davantage en commun. Nous étions toujours très enthousiastes et demeurions, ce que des esprits cyniques appelleraient… jeunes ?

    Les grands génies comme Shakespeare, Balzac ou Dickens survivent à leur mort, mais les modestes écrivains de genre… Ils continuent pourtant à mieux vendre que les auteurs "littéraires". Angus Wilson a aussi été un de mes amis et mentors. J’adore son œuvre. Mais on l’a oublié dès qu’il est mort, comme si ses livres n’avaient jamais existé. Pourtant, ses descriptions de la société sont toujours très actuelles, très exactes. De même, Peake avait un style si singulier… Chez Tolkien, le style est mignon, comme celui d’une nourrice s’adressant à des petits enfants. Je crois que c’est la raison pour laquelle je l’ai immédiatement détesté. Son ton était celui de Children’s Hour, une émission de la BBC que j’ai écoutée pendant quelques années durant mon enfance. Elle était spécialement conçue pour que les enfants fassent pipi et aillent se coucher à l’heure exacte. Bien qu’étant enfant, je savais instinctivement ce qu’ils essayaient de me faire… (rires) Evidemment, on ne trouvait rien de tout ça chez Peake, qui avait un style beaucoup plus instinctif et idiosyncratique. Je n’aurais pas pu avoir de meilleur modèle que lui. Je ne suis pas sûr que j’aurais écrit sans lui. Je n’aurais jamais écrit de fantasy, en tout cas.

    Vous avez écrit tant de livres… Est-ce une nécessité vitale pour vous ?

    Pas du tout. Je n’ai rien d’un auteur obsessionnel. J’ai simplement l’habitude d’écrire mes romans rapidement, la plupart ont été rédigés en trois jours. Pour Gloriana, sans doute le livre qui m’a pris le plus de temps, il m’a fallu six semaines. Je n’arrivais pas à arrêter d’écrire toute cette poésie avant de revenir à la narration ordinaire… Quand vous écrivez un livre en trois jours, vous ne lui accordez pas une grande valeur et vous ne pouvez pas vraiment comprendre pourquoi des gens viennent ensuite vous acclamer. Les romans de Jerry Cornelius ont été un peu plus difficiles parce qu’ils abordaient un territoire tout à fait vierge. Une fois que vous avez une idée claire de la forme, les difficultés sont aplanies. Je suppose que pour la plupart des romanciers, la structure prend plus de temps que l’écriture même. Lorsque j’écris un nouveau livre, c’est sa musique qui vient en premier. J’entends vraiment le livre, son rythme, ses images. Après viennent les personnages et l’histoire. Mais je dois reconnaître que je suis devenu un auteur de fantasy car pour moi… (mon agent ne serait pas content de m’entendre le dire), c’est très, très facile. C’est un certain savoir-faire que j’ai, et qui n’a rien de conscient. En musique, certains ont un talent pour imaginer des structures mélodiques : si vous savez procéder ainsi, vous gagnez beaucoup de temps ! Je comptais prendre ma retraite à 65 ans et écrire encore un livre peut-être... Mais ce n’est pas du travail pour moi. Parfois, je pense que j’ai trop écrit parce que cela m’était trop facile.

    Les films peuvent parfois faire obstacle aux livres. Pensez-vous que ce soit le cas avec Le Seigneur des anneaux ?

    Oh, j’ai préféré les films aux livres. Ce que je n’aime pas dans Le Seigneur des anneaux, encore une fois, c’est son ton. Pour des oreilles anglaises, c’est celui de la middle-class répressive, d’un certain type de conservatisme et de mentalité religieuse.

    Les bons hobbits d’un côté, les gros méchants de l’autre ?

    Oui, c’est ça. Gollum est mon personnage préféré, je feuilletais les bouquins – je ne les ai jamais vraiment lus et pourtant, j’ai durement essayé – uniquement pour arriver aux passages avec Gollum.

    C’est un personnage tragique…

    Oui, en ce sens, il est comme Elric. Les Américains ne l’aiment pas car ils ont besoin de bien distinguer les bons des mauvais. Ils veulent aimer les bons. Je n’ai jamais compris ça, moi que les méchants ont toujours davantage séduit … (rires). Les femmes aiment Elric car c’est un mauvais garçon, torturé, malheureux. Beaucoup l’aiment pour cette raison. Mais la majorité du public ne veut pas d’un personnage de ce type.

    Pourquoi Elric n’a-t-il jamais été incarné au cinéma ?

    On a failli le faire, il y a environ dix ans. Universal avait les droits depuis longtemps. Mais comme John Carter a très mal marché aux Etats-Unis, ils ne veulent pas prendre de risques et sortir des sentiers battus. Je n’avais pas écrit le script. Je ne devrais pas me plaindre parce que j’aime bien les gars qui l’ont fait et qu’ils m’ont fait gagner beaucoup d’argent, mais… Ce que je n’ai pas aimé dans ce script, c’est qu’ils ont voulu se servir d’Elric et d’un de ses compagnons pour faire un film de potes du type Butch Cassidy et le Kid. Or, Elric doit rester en-dehors de la culture de masse. Tous mes lecteurs le sont. Ils n’ont rien de cinglés, évidemment, mais ils doivent nécessairement se sentir un peu séparés de la masse pour apprécier Elric. J’ai eu une enfance heureuse, je n’ai pas été torturé, mais en même temps je me suis toujours senti à part. J’étais extrêmement sensible, je recevais toutes les informations du monde extérieur comme si dix radios me parvenaient en même temps. Il a fallu que j’apprenne à faire le tri dans toutes ces sensations, et écrire m’y a aidé.

    Faut-il voir dans le "Champion éternel" et dans le multi-univers un système philosophique, ou métaphysique ?

    Pas vraiment. Au départ, Balzac n’a pas décidé d’écrire sa Comédie Humaine, il y a pensé tardivement, après avoir écrit de nombreux livres. C’est ainsi que cela se passe, vous écrivez un peu ici et là et puis vous réalisez que vous pouvez utiliser le même personnage pour soutenir des thèmes. Ce que nous recherchions essentiellement dans New Worlds, c’était de nouvelles formes de récits. Quand vous utilisez une personne réelle pour un récit fictif, comme Ballard l’a fait dans La Foire aux atrocités ou moi-même avec Le Seigneur des airs, ce n’est pas tant pour nous amuser que parce que chaque personnage charrie ses propres histoires. Si je me sers de Marilyn Monroe, des tas d’histoires vous viendront tout de suite en tête, c’est une façon d’expérimenter à la fois pour l’écrivain et pour le lecteur.

    Quel lien gardez-vous avec un livre, une fois qu’il est écrit ?

    Je l’oublie. Si je n’arrive pas à m’endormir ou que je me réveille au milieu de la nuit, j’ouvre un de mes bouquins et je trouve immédiatement le sommeil. Je n’ai jamais eu la force de finir de lire un de mes propres livres. Je n’ai jamais fait plus d’un jet. Un jet, et je l’envoie à la relecture, pour les quelques erreurs, et puis, direct à l’éditeur. Mais comme je n’ai pas lu la plupart de mes romans, je n’ai pas la moindre idée de ce dont les gens parlent quand ils les évoquent.

    Mais comment faites-vous pour suivre un cycle ?

    Tout est à l’intérieur, ce sont mes propres œuvres. Je me rappelle les personnages, bien sûr et j’ai un souvenir global de ce qu’ils ont fait. J’ai un ami, mon bibliographe, qui lit tous les livres et me montre mes erreurs, si je ne suis pas bien la chronologie. Linda, mon épouse, les relit aussi. Mes femmes précédentes ne lisaient jamais mes livres. Mais Linda, à peine en a-t-elle lu un qu’elle est devenue accro, et c’est le pire des éditeurs. Elle est terrible, elle me fait réécrire et réécrire, ce qui est si dur pour moi… Mais c’est un très bon éditeur.

    Où en êtes-vous avec Elric ?

    L’année dernière, j’en ai écrit un avec Fabrice Colin, Elric, Les Buveurs d’âmes. Il a été publié en français et est assez différent des Elric précédents. Je ne sais pas si j’en écrirais encore en français, car il ne s’est pas très bien vendu. La fantasy se vend mal en ce moment.

    On me laisse publier ce que je veux mais, ordinairement, rien ne se vend aussi bien qu’Elric. Au départ j’ai vendu très peu d’exemplaires de Mother London, maintenant, il se vend beaucoup mieux. Cela prend du temps pour les vendre, mais ils se vendent bien. Votre éditeur vous propose 10 dollars pour un bouquin expérimental, et 50 000 pour un classique populaire comme Elric. Beaucoup d’argent est en jeu. J’ai la chance de pouvoir gagner de l’argent d’un côté pour pouvoir ensuite écrire des romans plus expérimentaux. Une fois que vous avez accompli quelque chose, vous ne désirez pas vraiment continuer à le refaire perpétuellement. Je peux écrire des histoires d’Elric mais je dois avoir une idée. Ordinairement, elle me vient tous les dix ans. Et je ne veux pas verser dans la nostalgie.

    N’en avez-vous jamais eu marre, d’Elric ?

    Jamais. Elric est mon ami, il m’a permis de faire tant de choses… Si je peux vivre où je veux, écrire ce que je veux, c’est grâce à lui. Prenez Simenon. Il écrivait des Maigret, ce qui lui permettait de faire ce qu’il voulait à côté. Maigret l’a ainsi suivi, a évolué avec lui. Moi, j’ai Elric. Seulement, j’ai eu plus de mal à le faire évoluer : je l’avais tué à la fin d’une de mes premières nouvelles ! (rires) C’était nécessaire à la saga, Elric devait savoir qu’il allait mourir. Mais le personnage reste. L’histoire est finie, mais le personnage existe, et tant qu’il existe, d’autres histoires continuent de me venir. Je ne sais pas… finalement, peut-être qu’écrire des histoires est bien ce qui me garde en vie.

    Recueilli par Louis-Julien Nicolaou, 02/12/2012.

    https://www.youtube.com/watch?v=N-yHay62Pss




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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