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    Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc

    Johnathan R. Razorback
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    Péguy - Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc Empty Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 9 Fév 2019 - 22:59

    https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_de_Charles_P%C3%A9guy/Tome_5/Le_myst%C3%A8re_de_la_charit%C3%A9_de_Jeanne_d%27Arc

    "Ô mon Dieu si on voyait seulement le commencement de votre règne. Si on voyait seulement se lever le soleil de votre règne. Mais rien, jamais rien. Vous nous avez envoyé votre Fils, que vous aimiez tant, votre Fils est venu, qui a tant souffert, et il est mort, et rien, jamais rien. Si on voyait poindre seulement le jour de votre règne. Et vous avez envoyé vos saints, vous les avez appelés chacun par leur nom, vos autres fils les saints, et vos filles les saintes, et vos saints sont venus, et vos saintes sont venues, et rien, jamais rien. Des années ont passé, tant d’années que je n’en sais pas le nombre ; des siècles d’années ont passé ; quatorze siècles de chrétienté, hélas, depuis la naissance, et la mort, et la prédication. Et rien, rien, jamais rien. Et ce qui règne sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est rien que la perdition. Quatorze siècles (furent-ils de chrétienté), quatorze siècles depuis le rachat de nos âmes. Et rien, jamais rien, le règne de la terre n’est rien que le règne de la perdition, le royaume de la terre n’est rien que le royaume de la perdition. Vous nous avez envoyé votre Fils et les autres saints. Et rien ne coule sur la face de la terre, qu’un flot d’ingratitude et de perdition. Mon Dieu, mon Dieu, faudra-t-il que votre Fils soit mort en vain. Il serait venu ; et cela ne servirait de rien. C’est pire que jamais. Seulement si on voyait seulement se lever le soleil de votre justice. Mais on dirait, mon Dieu, mon Dieu, pardonnez-moi, on dirait que votre règne s’en va. Jamais on n’a tant blasphémé votre nom. Jamais on n’a tant méprisé votre volonté. Jamais on n’a tant désobéi. Jamais notre pain ne nous a tant manqué ; et s’il ne manquait qu’à nous, mon Dieu, s’il ne manquait qu’à nous ; et s’il n’y avait que le pain du corps qui nous manquait, le pain de maïs, le pain de seigle et de blé ; mais un autre pain nous manque ; le pain de la nourriture de nos âmes ; et nous sommes affamés d’une autre faim ; de la seule faim qui laisse dans le ventre un creux impérissable. Un autre pain nous manque. Et au lieu que ce soit le règne de votre charité, le seul règne qui règne sur la face de la terre, de votre terre, de la terre votre création, au lieu que ce soit le règne du royaume de votre charité, le seul règne qui règne, c’est le règne du royaume impérissable, du péché. Encore si l’on voyait le commencement de vos saints, si l’on voyait poindre le commencement du règne de vos saints. Mais qu’est-ce qu’on a fait, mon Dieu, qu’est-ce qu’on a fait de votre créature, qu’est-ce qu’on a fait de votre création ? Jamais il n’a été fait tant d’offenses ; et jamais tant d’offenses ne sont mortes impardonnées. Jamais le chrétien n’a fait tant d’offense au chrétien, et jamais à vous, mon Dieu, jamais l’homme ne vous a fait tant d’offense. Et jamais tant d’offense n’est morte impardonnée. Sera-t-il dit que vous nous aurez envoyé en vain votre Fils, et que votre Fils aura souffert en vain, et qu’il sera mort. Et faudra-t-il que ce soit en vain qu’il se sacrifie et que nous le sacrifions tous les jours. Sera-ce en vain qu’une croix a été dressée un jour et que nous autres nous la redressons tous les jours. Qu’est-ce qu’on a fait du peuple chrétien, mon Dieu, de votre peuple. Et ce ne sont plus seulement les tentations qui nous assiègent, mais ce sont les tentations qui triomphent ; et ce sont les tentations qui règnent ; et c’est le règne de la tentation ; et le règne des royaumes de la terre est tombé tout entier au règne du royaume de la tentation ; et les mauvais succombent à la tentation du mal, de faire du mal ; de faire du mal aux autres ; et pardonnez-moi, mon Dieu, de vous faire du mal à vous ; mais les bons, ceux qui étaient bons, succombent à une tentation infiniment pire : à la tentation de croire qu’ils sont abandonnés de vous. Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, mon Dieu délivrez-nous du mal, délivrez-nous du mal. S’il n’y a pas eu encore assez de saintes et assez de saints, envoyez-nous en d’autres, envoyez-nous en autant qu’il en faudra ; envoyez-nous en tant que l’ennemi se lasse. Nous les suivrons, mon Dieu. Nous ferons tout ce que vous voudrez. Nous ferons tout ce qu’ils voudront. Nous ferons tout ce qu’ils nous diront de votre part. Nous sommes vos fidèles, envoyez-nous vos saints ; nous sommes vos brebis, envoyez-nous vos bergers ; nous sommes le troupeau, envoyez-nous les pasteurs. Nous sommes des bons chrétiens, vous savez que nous sommes des bons chrétiens. Alors comment que ça se fait que tant de bons chrétiens ne fassent pas une bonne chrétienté. Il faut qu’il y ait quelque chose qui ne marche pas. Si vous nous envoyiez, si seulement vous vouliez nous envoyer l’une de vos saintes. Il y en a bien encore. On dit qu’il y en a. On en voit. On en sait. On en connaît. Mais on ne sait pas comment que ça se fait. Il y a des saintes, il y a de la sainteté, et ça ne marche pas tout de même. Il y a quelque chose qui ne marche pas. Il y a des saintes, il y a de la sainteté et jamais le règne du royaume de la perdition n’avait autant dominé sur la face de la terre. Il faudrait peut-être autre chose, mon Dieu, vous savez tout. Vous savez ce qui nous manque. Il nous faudrait peut-être quelque chose de nouveau, quelque chose qu’on n’aurait encore jamais vu. Quelque chose qu’on n’aurait encore jamais fait. Mais qui oserait dire, mon Dieu, qu’il puisse encore y avoir du nouveau après quatorze siècles de chrétienté, après tant de saintes et tant de saints, après tous vos martyrs, après la passion et la mort de votre Fils.

    Elle se rassied et recommence à filer.

    Enfin ce qu’il nous faudrait, mon Dieu, il faudrait nous envoyer une sainte… qui réussisse."

    "[Hauviette:] Tu veux être comme les autres. Tu veux être comme tout le monde. Tu ne veux pas te faire remarquer. Tu as beau faire. Tu n’y arriveras jamais."

    "Hauviette: Malheureuse, malheureuse, je suis malheureuse quand c’est mon tour. C’est pas toujours mon tour. Seulement je suis une fille qui voit clair. Tu veux voir madame Gervaise à cause de cette détresse que tu as dans l’âme, jusqu’au fond, jusqu’au dernier fond de l’âme. On s’imagine ici, dans la paroisse, que tu es heureuse de ta vie parce que tu fais la charité, parce que tu soignes les malades et que tu consoles ceux qui sont affligés ; et que tu es toujours là avec ceux qui ont de la peine. Mais moi, moi Hauviette, je sais que tu es malheureuse.

    Jeannette: Tu le sais parce que tu es mon amie, Hauviette.

    Hauviette: Je ne suis pas amie seulement, je suis une fille qui voit clair. De faire du bien aux autres, nous autres ça nous ferait du bien, si seulement on en faisait. Mais toi rien ne te fait du bien. Tout te fait du mal. Tout te laisse sur ta faim. Tu te consumes, tu te consumes, tu es consumée de tristesse, tu es perdue de tristesse, tu as, pauvre grande, tu as une fièvre, une fièvre de tristesse, et tu ne guéris point, tu ne te guéris jamais. Tu as une grande fièvre. Tu es pétrie de tristesse. Ton âme est pétrie de tristesse. Ton oncle est allé la chercher, hein.

    Jeannette: Il est vrai que mon âme est dans la tristesse. Tout-à-l’heure encore…

    Hauviette: Alors pourquoi faire semblant, pourquoi vouloir ressembler à tout le monde.

    Jeannette: Parce que j’ai peur."

    "Qu’importent nos efforts d’un jour ? qu’importent nos charités ? Je ne peux pourtant pas donner toujours. Je ne peux pas donner tout. Je ne peux pas donner à tout le monde. Je ne peux pourtant pas faire manger aux passants tout le pain de mon père. Et même alors, est-ce que ça paraîtrait ? dans la masse des affamés. Elle cesse insensiblement de filer. Pour un blessé que nous soignons par hasard, pour un enfant à qui nous donnons à manger, la guerre infatigable en fait par centaines, elle, et tous les jours, des blessés, des malades et des abandonnés. Tous nos efforts sont vains ; nos charités sont vaines. La guerre est la plus forte à faire la souffrance. Ah ! maudite soit-elle ! et maudits ceux qui l’ont apportée sur la terre de France.

    Elle s’est complètement arrêtée de filer.

    Un silence.

    Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours plus vite que nous, ils en feront toujours plus que nous, davantage que nous. Il ne faut qu’un briquet pour brûler une ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir. Ça n’est pas difficile ; ça n’est pas malin. Il faut des mois et des mois, il a fallu du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut qu’un briquet pour flamber une moisson. Il faut des années et des années pour faire pousser un homme, il a fallu du pain et du pain pour le nourrir, et du travail et du travail et des travaux et des travaux de toutes sortes. Et il suffit d’un coup pour tuer un homme. Un coup de sabre, et ça y est. Pour faire un bon chrétien il faut que la charrue ait travaillé vingt ans. Pour défaire un chrétien il faut que le sabre travaille une minute. C’est toujours comme ça. C’est dans le genre de la charrue de travailler vingt ans. C’est dans le genre du sabre de travailler une minute ; et d’en faire plus ; d’être le plus fort. D’en finir. Alors nous autres nous serons toujours les moins forts. Nous irons toujours moins vite, nous en ferons toujours moins. Nous sommes le parti de ceux qui construisent. Ils sont le parti de ceux qui démolissent. Nous sommes le parti de la charrue. Ils sont le parti du sabre. Nous serons toujours battus. Ils auront toujours le dessus dessus nous, par dessus nous.

    Nous aurons beau dire.

    Un silence.

    Pour un blessé qui se traîne au long des routes, pour un homme que nous ramassons au long des routes, pour un enfant qui traîne au bord des routes, combien la guerre n’en fait-elle pas, des blessés, des malades, et des abandonnés, de malheureuses femmes, et des enfants abandonnés ; et des morts, et tant de malheureux qui perdent leur âme. Ceux qui tuent perdent leur âme parce qu’ils tuent. Et ceux qui sont tués perdent leur âme parce qu’ils sont tués. Ceux qui sont les plus forts, ceux qui tuent perdent leur âme par le meurtre qu’ils font. Et ceux qui sont tués, celui qui est le plus faible, perdent leur âme par le meurtre qu’ils subissent, car se voyant faibles et se voyant meurtris, toujours les mêmes faibles, toujours les mêmes malheureux, toujours les mêmes battus, toujours les mêmes tués, alors les malheureux ils désespèrent de leur salut, car ils désespèrent de la bonté de Dieu. Et ainsi, de quelque côté qu’on se tourne, des deux côtés c’est un jeu où, comment qu’on joue, quoi qu’on joue, c’est toujours le salut qui perd, et c’est toujours la perdition qui gagne. Tout n’est qu’ingratitude, tout n’est que désespoir et que perdition.

    Un silence.

    Et le pain éternel. Celui qui manque trop du pain quotidien n’a plus aucun goût au pain éternel, au pain de Jésus-Christ.

    Un silence.

    Maudite soit-elle, maudite de Dieu ; même ; et maudits ceux qui l’ont apportée sur la terre de France ; et ceux qui l’ont apportée sur la terre de France, faudra-t-il, mon Dieu, faudra-t-il qu’ils soient maudits aussi de vous. Faudra-t-il que nous vous demandions des malédictions, vos malédictions contre eux. Et votre réprobation. Votre métier, vous mon Dieu, c’est la bénédiction. Quand nous vous demandons vos bénédictions, nous vous faisons faire votre métier. Vous étiez fait pour verser vos bénédictions comme une pluie, comme une pluie bienfaisante, comme une pluie douce, tiède, agréable, comme une pluie fécondante sur la terre, comme une bonne pluie, comme une pluie d’automne sur la tête, sur les têtes de tous vos enfants ; ensemble. Sera-t-il dit, mon Dieu, sera-t-il dit qu’à présent nous vous demanderons, que nous aurons à vous demander des malédictions, vos malédictions, nous tous vos enfants, les uns contre les autres.

    Quand nous vous demandons des malédictions, quand nous vous demandons votre réprobation, nous ne vous faisons pas faire votre métier, nous vous faisons faire le contraire de votre métier.

    Un silence.

    Mon Dieu, mon Dieu nous ne vous faisons pas faire votre métier.

    Un silence.

    Elle se remet à filer.

    Et puis ! qu’est-ce que ça lui fait ? mes malédictions. Je pourrais passer ma vie entière à la maudire, du matin au soir, et les villes n’en seront pas moins efforcées, et les hommes d’armes n’en feront pas moins chevaucher leurs chevaux dans les blés vénérables."

    "

    Heureuse celle qui versa sur ses pieds le parfum de l’amphore, celle qui versa sur sa tête le parfum du vase d’albâtre, à Béthanie, dans la maison de Simon, surnommé le lépreux ; sur ses pieds, sur ses vrais pieds, sur son corps charnel, sur sa tête réelle, sur la tête de son corps ; heureuses toutes et tous, heureux pêle-mêle, pécheurs et saints. Il a été accordé, mon Dieu, aux pécheurs de ce temps-là, aux pécheurs de ce temps et de ce pays-là ce que vous avez refusé, mon Dieu, ce qui n’a pas été accordé aux saints, ce que vous n’avez pas accordé à vos saints de tous les temps. Il a été donné aux plus grands pécheurs d’alors et de là ce qui n’a pas été donné aux plus grands saints des plus grands siècles. Ce qui n’a pas été donné depuis. Jamais. À personne. Heureuse celle qui d’un mouchoir, d’un vrai mouchoir, d’un mouchoir pour se moucher, d’un mouchoir impérissable essuya cette face auguste, sa vraie face, sa face réelle, sa face d’homme, d’un blanc mouchoir blanc cette face périssable ; sa face pitoyable ; et de le voir alors, dans cet état, le sauveur du genre humain, de le voir ainsi, lui, le sauveur de tout le genre humain, quel cœur insensible ne se fût amolli, quels yeux, quels yeux humains n’eussent versé des larmes ; cette face de sueur, toute en sueur, toute sale, toute poussiéreuse, toute pleine de la poussière des chemins, toute pleine de la poussière de la terre ; la poussière de sa face, la commune poussière, la poussière de tout le monde, la poussière sur sa face ; collée par la sueur. Heureuse Madeleine, heureuse Véronique ; heureuse sainte Madeleine, heureuse sainte Véronique, vous n’êtes pas des saintes comme les autres. Tous les saints sont saints, toutes les saintes sont saintes, mais vous vous n’êtes pas des saintes comme les autres. Tous les saints, toutes les saintes sont assis avec Jésus à la droite du Père. Tous les saints, toutes les saintes contemplent Jésus assis à la droite du Père. Et il y a, dans le ciel il a son corps d’homme, son corps humain glorieux, puisqu’il y est monté, tel que, le jour de l’Ascension. Mais vous autres, vous seuls, vous avez vu, vous avez touché, vous avez saisi ce corps humain dans son humanité, dans notre commune humanité, marchant et assis sur la terre commune. Vous seuls vous l’avez vu par terre. Vous seuls vous l’avez vu deux fois et non pas une seulement ; non pas une fois seulement, comme tous les autres, dans votre éternité ; non pas seulement la deuxième fois, qui dure éternellement ; mais une première fois, une fois antérieure, une fois terrestre ; et c’est cela qui ne fut donné qu’une fois, c’est cela qui n’a pas été donné à tout le monde. Il y a plusieurs classes de saints, il y en a deux, et vous êtes de la première classe, et nous tous tous les autres, pécheurs et saints, nous ne sommes tous après que des ouvriers de la onzième heure ; et les saints mêmes, les autres saints dans le ciel, ils ne sont, après, désormais ils ne sont que des saints de la onzième heure. Car ils ne le voient que dans l’éternité, où on a le temps, et vous vous le voyez aussi dans l’éternité ; et vous l’aviez vu, vous l’avez vu sur la terre, où l’on n’a pas le temps. Histoire unique, histoire terrestre, qui passa si vite, qui ne recommencera point. Mystère effrayant, vous avez approché ce mystère effrayant. Villes cathédrales, vous n’avez point vu cela. Vous enfermez dans vos églises cathédrales des siècles de prière, des siècles de sacrements, des siècles de sainteté, la sainteté de tout un peuple, montant de tout un peuple, mais vous n’avez pas vu cela. Et eux ils l’ont vu. Tous ils l’ont vu, sans se déranger, ceux qui étaient là et ceux qui étaient venus, ceux qui étaient venus exprès et ceux qui n’étaient pas venus exprès ; les bergers, les mages, et l’âne, et le bœuf qui soufflait dessus pour le réchauffer. Il était à portée de la voix, il était à portée de la main, il était à portée des yeux, du regard des yeux, et cela ne recommencera point. Reims, vous êtes la ville du sacre. Vous êtes donc la plus belle ville du royaume de France. Et il n’y a pas de cérémonie plus belle au monde, il n’y a pas dans le monde de cérémonie aussi belle que le sacre du roi de France, dans aucun pays. Mais d’où venez-vous, ville de Reims, que faites-vous, cathédrale de Reims. Qui êtes-vous. Une étable, dans ce bourg perdu, une pauvre étable, dans ce pauvre petit bourg de Bethléhem, une étable a vu naître une royauté qui ne périra pas, une simple étable, une royauté qui ne disparaîtra point dans les siècles des siècles, jamais, une étable a vu naître un roi qui régnera éternellement. Dans ce pays-là. Voilà ce qu’ils font dans ce pays-là. Et le roi de France, qui est le plus grand roi du monde, fait des entrées solennelles, il fait dans Reims une entrée solennelle, et rien n’est plus beau que l’entrée du roi dans Reims, rien n’est plus beau au monde, rien dans le monde n’est aussi beau, dans tout le monde ; et vingt rois de France ont fait dans Reims, dans la cathédrale de Reims vingt entrées solennelles, vingt entrées somptueuses. Mais vous Jérusalem vous êtes plus heureuse ; vous êtes heureuse entre toutes les villes ; vous êtes infiniment plus grande, et plus heureuse, et plus honorée. Vous avez reçu un honneur infiniment plus grand. Vous êtes heureuse par dessus la tête de toutes les villes, car il est entré dans vos murs, monté sur l’ânon d’une ânesse ; et cela ne recommencera point ; et le peuple de ce pays-là jetait des palmes et des feuilles, des rameaux et des fleurs sous les pieds de l’ânesse. D’autres paroisses ont vu naître, ont fait naître, ont produit d’autres saints. Mais ces paroisses-là elles ont vu naître, elles ont fait naître, elles ont produit le grand saint, le saint des saints : quelle élection. Pendant que vous vous amusez, paroisses chrétiennes, à faire des saintes et des saints, une paroisse s’était levée de bonne heure. Elle s’était levée avant tout le monde. Et elle avait produit le saint qu’on ne refera point. Heureux celui qui se trouva là, juste au moment où il fallait porter sa croix, l’aider à porter sa croix, une lourde croix, sa vraie croix, cette lourde croix de bois, de vrai bois, sa croix de supplice, une lourde croix bien charpentée. Comme pour tout le monde, pour tous les autres suppliciés du même supplice. Un homme qui passait par là, sans doute. Ah il avait bien pris son temps, celui-là, cet homme qui passait par là, juste à ce point, juste alors, juste à ce moment-là. Cet homme qui passait juste là. Combien d’hommes depuis, des infinités d’hommes dans les siècles des siècles auraient voulu être là, à sa place, avoir passé, être passés là juste à ce moment-là. Juste là. Mais voilà, il était trop tard, c’était lui qui était passé, et dans l’éternité, dans les siècles des siècles il ne donnerait pas sa place à d’autres ; et eux, les tard venus, ils ont été forcés de se rabattre sur d’autres croix, de s’exercer, de faire des exercices, de se rabattre à porter d’autres croix. De s’en fabriquer, eux-mêmes, d’autres croix. De s’en faire fabriquer. Artificiellement. Cela ne revient pas au même. Un homme de Cyrène, nommé Simon, qu’ils contraignirent de porter la croix de Jésus. Il n’a plus besoin, aujourd’hui, qu’on le contraigne d’avoir porté la croix de Jésus. Heureux surtout, heureux celui, et lui aussi il ne donnerait pas sa place à un autre, lui non plus, heureux celui qui pourtant ne le vit qu’une fois. Heureux celui, heureux surtout, heureux sur tous, le plus heureux de tous, heureux celui qui le vit dans le temps, et qui pourtant ne le vit qu’une fois. Heureux celui qui le vit dans le temple ; et ensuite ; car cela suffisait ; fut rappelé comme un bon serviteur. C’était un vieil homme de ce pays-là ; un homme qui approchait du soir et qui touchait au soir, au dernier soir de sa vie. Mais il ne vit pas se coucher son dernier soir sans avoir vu se lever le soleil éternel. Heureux cet homme qui prit l’enfant Jésus dans ses bras, qui l’éleva dans ses deux mains, le petit enfant Jésus, comme on prend, comme on élève un enfant ordinaire, un petit enfant d’une famille ordinaire d’hommes ; de ses vieilles mains tannées, de ses vieilles mains ridées, de ses pauvres vieilles mains sèches et plissées de vieil homme. De ses deux mains ratatinées. De ses deux mains toutes parcheminées. Et voici qu’il y avait un homme en Jérusalem, nommé Siméon, et cet homme juste et craignant (Dieu), attendant la consolation d’Israël, et l’Esprit saint était en lui. Et il avait reçu réponse de l’Esprit saint, qu’il ne verrait point la mort, qu’il n’eût vu avant le Christ du Seigneur.

    Et il vint dans l’esprit dans le temple. Et comme l’enfant Jésus y entrait, conduit par ses parents, pour qu’ils fissent pour lui selon la coutume de la loi ;

    Et lui-même le prit dans ses bras, et bénit Dieu, et dit :

    Maintenant tu laisses aller ton serviteur, Seigneur, selon ta parole en paix.

    Parce que mes yeux ont vu ton salutaire,

    Que tu as préparé devant la face de tous les peuples ;

    Lumière pour la révélation des nations, et gloire de ton peuple d’Israël.

    Et son père et sa mère étaient en admiration sur ce qu’on disait de lui.

    Attendant la consolation d’Israël ; et la consolation est venue ; et la consolation n’a point suffi. La consolation est venue, et la consolation n’a pas consolé.

    La consolation n’a pas consolé Israël ; et elle n a pas consolé votre chrétienté non plus, ô mon Dieu.

    Attendant la consolation d’Israël ; depuis cinquante ans, mon Dieu, depuis quatorze siècles, depuis cinquante ans nous attendons la consolation de votre chrétienté.

    Attendant la consolation d’Israël ; du royaume d’Israël ; jusqu’à quand, ô mon Dieu, attendrons-nous la consolation du royaume de France ; la consolation de la grande pitié qui est au royaume de France.

    La consolation est venue ; et elle n’a pas consolé assez ; elle n’a pas consolé suffisamment.

    Mais lui, ce vieillard, ce vieillard de ce pays-là, on ne sait pas qu’il ait plus rien vu ensuite. Et heureux il ne connut plus aucune histoire. Heureux, le plus heureux de tous, il ne connut plus nulle autre histoire de la terre.

    Il pouvait se vanter, celui-là aussi, de s’être trouvé au bon endroit. Il avait tenu, car il avait tenu, dans ses faibles mains, le plus grand dauphin du monde, le fils du plus grand roi ; roi lui-même, le fils du plus grand roi ; roi lui-même Jésus-Christ ; dans ses mains il avait élevé le roi des rois, le plus grand roi du monde, roi par dessus les rois, pardessus tous les rois du monde.

    Il avait tenu dans ses mains la plus grande royauté du royaume du monde.

    Et il ne connut plus nulle autre histoire de la terre.

    Car au soir de sa vie, au soir de sa journée, d’un seul coup, du premier coup il avait connu la plus grande histoire de la terre.

    Et aussi la plus grande histoire des cieux.

    La plus grande histoire du monde.

    La plus grande histoire de jamais. La seule grande histoire de jamais.

    La plus grande histoire de tout le monde.

    La seule histoire intéressante qui soit jamais arrivée." (77-83)
    -Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc, Œuvres complètes de Charles Péguy, volume 5, Nouvelle Revue Française, 1916 (p. 29-250).



    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Péguy - Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc Empty Re: Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 9 Fév 2019 - 23:43

    "[Madame Gervaise:] Il y a, ailleurs il y a une souffrance qui est perdue ; qui est toute perdue ; qui est toujours perdue ; quand même on ne voudrait pas ; quoi qu’on veuille ; quoi qu’ils veuillent ; quoi qu’ils veuillent éternellement.

    Quoi qu’ils fassent. Eternellement quoi qu’ils fassent.

    C’est ça l’enfer. Autrement il n’y aurait pas d’enfer. Ça serait la même chose que nous ; ça serait la même chose partout.

    Dans toute la création. Si leur souffrance pouvait servir, mon enfant, ma pauvre enfant, ils seraient comme nous ; ils seraient nous ; il n’y aurait pas, il n’y aurait jamais eu de jugement. Si leur souffrance pouvait servir, sitôt qu’une souffrance peut servir, elle s’appareille, elle s’apparente, elle se lie à la souffrance de Jésus-Christ. Elle devient de la même race. Elle devient, aussitôt elle devient de la même sorte, de la même race, de la même famille que la souffrance de Jésus-Christ.

    Elle devient la sœur de la souffrance de Jésus.

    Elle devient de la souffrance en communion.

    Il n’y aurait aucune différence.

    Si leur souffrance servait, mon enfant, si elle pouvait servir, mais alors ils seraient dans la communion.

    Or ils ne sont pas dans la communion.

    Toute souffrance qui peut servir, toute souffrance qui sert est sœur de la souffrance de Jésus-Christ ; elle est fille de la souffrance de Dieu ; elle est la même que la souffrance de Jésus-Christ.

    Il n’y aurait pas eu de jugement.

    Il y a, ailleurs il y a une souffrance qui ne sert pas, qui ne sert éternellement pas. Qui est toujours vaine, vide, qui est toujours creuse, toujours inutile, toujours stérile, toujours non appelée, toujours donc non élue, toute, toujours, éternellement toute, éternellement toujours, quoi qu’ils veuillent.

    Quoi qu’ils fassent. Quoi qu’ils fassent éternellement.

    Quoi qu’il y ait.

    Apprenez, mon enfant, apprenez ce que c’est que l’enfer.

    Là est la marque, là est la distinction, là est la différence. Elle est infinie. Autrement, s’ils servaient, ils seraient comme nous. Ils seraient aussi heureux que nous. Ils seraient comme Jésus en croix. Mais nous seuls avons le droit d’être comme Jésus en croix. Nous seuls avons le droit d’être a l’image et à la ressemblance, à l’imitation de Jésus, de souffrir à l’image et à la ressemblance ; à l’imitation de Jésus. Eux autres, les malheureux, ils n’ont pas même le droit d’être en croix.

    Trop tard, trop tard, après il est trop tard.

    Il y a sur terre, et c’est tout. Après ce n’est plus sur terre.

    Il y a la souffrance de dessus terre, et après c’est tout.

    Autrement ils ne seraient pas morts, ils ne seraient pas perdus, ils ne seraient pas damnés, ils ne seraient pas jugés.

    Ils seraient des hommes comme nous ; ils seraient vivants, terrestres ; ils seraient des vivants ; ils seraient avant le jugement. Ils ne seraient pas après.
    [...]
    a qu’une. Il n’y a qu’une Église. Il y a plusieurs Églises. Il y a la militante, où nous sommes. Il y a la souffrante, où nous éviterons d’être ; s’il plaît à Dieu. Il y a la triomphante, où nous devons demander d’être. S’il plaît à Dieu. Mais il n’y a pas une Église infernale.

    Il n’y a pas une Église d’enfer.

    C’est insensé. C’est une imagination absurde. C’est inconcevable. Toutes trois sont des Églises vivantes ; il n’y a pas, il ne peut pas y avoir une Église morte.

    L’Église est essentiellement, substantiellement vivante. Elle reçoit de Dieu perpétuellement une vie, Jésus lui a promis une vie éternelle. Elle est naturellement, surnaturellement vivante. Il n’y a pas, il ne peut y avoir une Église morte.

    Si leur souffrance pouvait servir, servait, ils seraient une Église, ils seraient dans l’Église.

    Militante, souffrante, triomphante, toutes trois vivantes, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir une Église morte.

    Un silence.

    Il y a l’Église militante ; nous en sommes ; c’est l’Église des soldats d’une certaine guerre ; nous en sommes ; tout le monde y passe, tout le monde y a passé ; nous savons ce que nous avons à y faire.

    Nous y passons. Tout le monde y fait un service, un certain temps de service.

    Un service qu’on ne recommence pas.

    On ne rengage pas.

    Après on se divise.

    Il y a l’Église souffrante. Nous devons tâcher, nous devons demander de ne pas en être. C’est la loi ; c’est la règle. Pour eux, pour eux utilement nous pouvons, nous devons multiplier notre travail, nos prières, nos souffrances. Nos mérites, s’il est permis de dérober ce mot à Jésus-Christ. Aux seuls mérites. Aux mérites de Jésus-Christ. Là peuvent être nos pères et les pères de nos pères. Dieu ait leur âme. Travailler pour eux, prier pour eux, souffrir pour eux. Mériter pour eux. C’est la loi ; c’est la règle. Et on n’a pas besoin de nous le demander ; on n’a pas besoin de nous le commander. Ni de nous y forcer ni même de nous y engager. C’est notre mouvement, c’est notre mouvement propre ; c’est notre amour même ; c’est la communion même.

    C’est le mouvement propre, le mouvement naturel de notre amour.

    De notre amour humain, de notre amour familial, de notre amour filial.

    Il y a l’Église triomphante. Nous devons tâcher d’en être. Il n’y a pas à s’en cacher. Il n’y a pas à faire le modeste. Nous devons tâcher, nous devons demander d’en être. C’est la loi ; c’est la règle. Commune. Nous devons les prier, et en attendant nous devons les prier pour les autres et pour nous, on n’a pas besoin de s’en cacher, les prier, pour les autres de la souffrante et pour les autres de la militante, pour les autres de la terre et pour nous et pour les autres d’ailleurs, leur demander leur intercession, leur demander d’intercéder pour les autres et pour nous, pour tous ceux de la souffrante et pour tous ceux de la militante. Pour être avec eux plus tard. Parmi eux. Pour être avec eux comme eux. Ce n’est pas seulement la loi et la règle. C’est aussi notre mouvement même. C’est aussi notre amour même. C’est aussi la communion même. C’est notre mouvement propre.

    C’est le mouvement propre, le mouvement naturel de notre amour. Le mouvement de notre charité.

    De notre amour humain, de notre amour familial, de notre amour filial. De notre charité.

    Et il y a encore cette différence. Et elle est capitale. Et elle est tout. Que ceux de la souffrante sont sûrs d’y aller. Et que nous ne sommes sûrs de rien. Puisque nous sommes avant.

    De rien du tout.

    Puisque nous ne sommes pas encore décidés.

    Pas encore dirigés.

    Séparés.

    Acheminés vers l’un des trois chemins.

    Sur l’un des trois chemins.

    Sur l’une des deux routes.

    Telle est la communion, telle est la vie des trois Églises vivantes. Mais il n’y a point d’Église morte, il n’y a pas une Église qui ne communierait pas.
    "

    "[Jeannette:] Simplement : — Alors il y a tant de souffrance perdue."

    "Alors le monde commença à trouver qu’il était trop grand. Et à lui faire des embêtements."

    " [Jeannette:] Jamais les hommes de ce pays-ci, jamais des saints de ce pays-ci, jamais des simples chrétiens même de nos pays ne l’auraient abandonné. Jamais des chevaliers français ; jamais des paysans français ; jamais des simples paroissiens des paroisses françaises. Jamais les hommes des croisades ne l’auraient abandonné. Jamais ces hommes-là ne l’auraient renié. On leur aurait plutôt arraché la tête.

    Des gens du pays lorrain. Des gens du pays français.


    [Madame Gervaise:] Il fallait que les prophéties fussent accomplies.

    [Jeannette:] Ils auraient laissé à d’autres le soin de les accomplir. Jamais le roi de France ne l’aurait abandonné. Jamais Charlemagne et Roland, jamais les gens de par ici n’auraient laissé faire ça. Jamais les ouvriers des villes, jamais les ouvriers des bourgs n’auraient laissé faire ça. Le maréchal aurait pris son marteau. Les femmes, les pauvres femmes, les glaneuses auraient pris des serpettes. Jamais Charlemagne et Roland, les hommes de la croisade, monseigneur Godefroy de Bouillon, jamais saint Louis et même le sire de Joinville ne l’au- raient abandonné. Jamais nos Français ne l’auraient renoncé. Saint Louis, roi de France, saint Louis des Français. Jamais saint Denis et saint Martin, sainte Geneviève et saint Aignan, jamais saint Loup, jamais saint Ouen ne l’auraient abandonné. Jamais nos saints ne l’auraient renoncé. C’était des saints qui n’avaient pas peur."

    "[Madame Gervaise:] Et non seulement, mon enfant, tout le monde obéissait, tout le monde suivait ; tout le monde pliait : non pas seulement cela ; mais tout le monde était heureux ; tout le monde se réjouissait en eux, tout le monde se réjouissait d’eux, tout le monde se nourrissait d’eux ; tout le monde était heureux d’obéir, heureux de suivre, heureux de se soumettre, heureux de plier le front. Tu aurais plié, mon enfant, tu aurais courbé le front. Tout le monde obéissait, suivait avec joie. Ce n’étaient pas comme aujourd’hui astreintes et ingratitudes, rigueurs et duretés, ce n’étaient pas que contraintes et forcements. C’était une joie intarissable, une bénédiction perpétuelle, une joie, une douceur de suivre, un contentement d’y aller. Il aurait fallu faire effort, au contraire, pour n’y point aller, un effort ingrat, un effort impossible, un effort aussi que nul ne faisait, que l’on n’avait point le courage de faire. Une joie de plénitude et de bénédiction. On était comme une terre éclairée, chauffée du soleil, arrosée des bonnes pluies tièdes de printemps, des bonnes pluies tièdes d’automne. On se rendait. On se fondait. Et on se sentait dans la liberté, on sentait que l’on était dans la liberté. On était dans la joie, tu comprends. On pleurait de joie. Tu en aurais pris pour ton grade. On pleurait de joie. On se rendait. On pleurait de grâce. Tout le monde. On buvait ce lait. On se ravitaillait, on se rassasiait, on se baignait dans cette grâce. Il y en avait de trop. On en perdait. On en a trop perdu. On ne savait plus quoi en faire. Ça coulait de toutes parts. Ce n’était pas comme aujourd’hui. Aujourd’hui on en manque. Aujourd’hui nous canalisons. Aujourd’hui nous sommes comme des cultivateurs, comme des paysans, comme des laboureurs, comme des jardiniers qui manquent d’eau ; et alors nous faisons des barrages pour ne rien perdre de ce maigre filet ; pour ne rien laisser perdre. Nous faisons des barrages, et des canaux, et des canalisations ; nous administrons, nous régularisons, nous utilisons ce mince filet d’eau ; d’une eau éternelle ; de l’eau, d’une eau d’une source éternelle. Nous l’utilisons au plus, tant que nous pouvons. Et nos terres demeurent maigrement arrosées. Nos terres demeurent maigres. Un maigre filet d’eau. De maigres terres. De maigres moissons. Dans nos bras maigres nous ne rapporterons que des moissons maigres. Heureux encore si nous en rapportons. Un fleuve coulait. Un fleuve intarissable coulait. Il y a de la différence entre un grand fleuve et des amusements d’enfant. Entre un grand fleuve et des canaux, artificiels, des amusements d’eau."

    "[Jeannette:] Je dis seulement : Je suis comme tout le monde ; (mais) je sais que je ne l’aurais pas abandonné."
    -Charles Péguy, Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc, Œuvres complètes de Charles Péguy, volume 5, Nouvelle Revue Française, 1916 (p. 29-250).



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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