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    Federico Chabod, L'Idée de nation

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Federico Chabod, L'Idée de nation Empty Federico Chabod, L'Idée de nation

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 24 Avr - 16:44

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Federico_Chabod

    https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1987_num_45_1_1671

    Introduction de Jean-Luc Pouthier à sa traduction publié en appendice à Georges Gusdorf, "Le cri de Valmy", Communications (numéro thématique : Éléments pour une théorie de la nation), Année 1987, 45, pp.117-155, p.152-155.

    "Federico Chabod a professé son cours sur l'Idée de nation à Milan, pendant l'hiver 1943-1944. L'Italie du Nord était alors occupée par l'armée allemande qui maintenait tant bien que mal en place le régime de la République sociale italienne, dernier avatar de la dictature de Mussolini. Chabod était déjà connu bien au-delà des frontières de l'Italie pour ses travaux sur Machiavel et sur le règne de Charles Quint. S'il s'intéressa à la nation, prélude à sa grande Histoire de la politique extérieure italienne de 1870 à 1896 qui parut en 1951, le contexte de la guerre n'y fut certainement pas étranger. Federico Chabod devait en effet rejoindre les rangs de la résistance, débouché logique d'une opposition intellectuelle au fascisme qui ne s'était jamais démentie. Son cours était donc un acte de résistance, et lire à des étudiants le texte de la Marseillaise à Milan, à cette époque, prouvait s'il en était besoin le courage de cet historien. Pour Chabod, la nation n'était certainement pas méprisable. Et quel Italien aurait pu penser cela moins d'un siècle après l'unité ? Mais cela n'impliquait pas pour autant que l'on admît la dérive nationalitaire qui venait de conduire le monde à la guerre.
    Chabod défend la nation contre le nationalisme: son plaidoyer mérite d'être entendu.
    "

    Federico Chabod, L'Idée de nation:

    "Il existe deux façons de considérer la nation: l'une, naturaliste, débouche fatalement sur le racisme ; l'autre est volontariste. Certes, l'opposition n'est pas toujours aussi tranchée: une doctrine à base naturaliste peut intégrer dans une certaine mesure des facteurs volontaristes (éducation, etc.) ; de la même façon, il n'est pas sûr qu'une doctrine à base volontariste doive dénier quelque rôle que ce soit aux facteurs naturels (milieu géographique, race, etc.). Mais c'est en mettant l'accent de manière plus ou moins forte sur l'un ou l'autre élément qu'une doctrine prend son caractère particulier.
    Or, depuis le début, en terre allemande, le critère ethnique (c'est-à-dire naturaliste) est présent.
    Il suffit de penser à la façon même dont Herder considère la nation comme un fait "naturel", aux caractères physiques "permanents" qu'il attribue aux diverses nations, sur la base du "sang" (la lignée) et du "sol" auquel ce sang reste attaché.
    Au début du XIXe siècle, c'est Friedrich Schlegel, dans ses
    Leçons philosophiques de 1804-1806, qui met l'accent sur l'importance du facteur ethnique: "plus la souche est ancienne et pure, plus les coutumes le sont : et plus les coutumes le sont, plus l'attachement qu'on leur porte est fort et vrai, plus grande sera la nation".
    On trouve donc logiquement chez lui, comme auparavant chez Möser et Herder, une hostilité à tout mélange avec un sang étranger, une fermeture, pour ainsi dire, de son propre monde à toute influence extérieure. Bien sûr, par la suite, il apparaîtra que seule la souche allemande est ancienne et pure ; et si, au début du XVIe siècle déjà, l'historien Aventinus avait mis en valeur, dans ses
    Annales ducum Boiariae, les affinités entre les Grecs et les Germains, cette affinité présumée est proclamée à grand bruit par la culture allemande de la fin du XVIIIe siècle, tout imprégnée de l'idée que, comme les Grecs furent autrefois le miroir le plus pur de l'humanité, les Allemands seraient désormais destinés à en devenir le véritable phare.

    C'est ce qu'affirme, avec beaucoup de conviction, Friedrich Schiller: dans l'esquisse d'une poésie qu'il appellera ensuite
    Grandeur allemande (et que l'on peut dater de 1801), il s'exclame: "Les événements ont pu prendre un cours différent, mais il faut que celui qui crée l'esprit, même s'il a été dominé depuis les origines, finisse par dominer. Les autres peuples seront des fleurs fanées quand celui-là sera un fruit mûr et durable. Les Anglais sont avides de trésors, les Français de splendeur". C'est aux Allemands qu'appartient la destinée la plus haute: "vivre en symbiose avec l'esprit du monde [...] Chaque peuple à son heure dans l'Histoire: l'heure des Allemands sera la moisson de tous les âges".
    En s’appuyant sur des facteurs naturalistes, la pensée allemande aura toujours plus tendance, au cours du XIXe siècle, à définir la nation par des critères externes: race et surtout territoire (sur lequel l'école géographique allemande de Ratzel mettra particulièrement l'accent).
    Dans la
    Abhandlung ûber den Ursprung der Sprache, Herder avait parlé du langage comme d'une création de l'esprit, "un trésor de la pensée humane où chacun crée quelque chose à sa propre façon", si bien que l'on ne pouvait imaginer de mettre la même langue dans la bouche de deux hommes différents (concept tout à fait moderne). Eh bien ! même la langue deviendra peu à peu une expression de la "race", ce qui l'amènera à se rigidifier dans un sens naturaliste.
    Et tout comme on parlait de "souche pure", de race pure, on se mettra à parler de langue "pure", non "contaminée": Fichte l'avait déjà dit, en revendiquant bien sûr pour les seuls Allemands la capacité de posséder une telle langue pure, susceptible de conserver la clarté primitive des images et la fluidité fraîche et pérenne de la conscience.

    L'idée italienne de la nation repose en revanche sur des bases tout à fait volontaristes.
    La très belle définition de la nation comme un "plébiscite de tous les jours" fut inventée par Renan. Mais on en trouve déjà la substance chez Mazzini et chez Pasquale Stanislao Mancini. [...]
    Mazzini écrivait en 1835: "
    Une nationalité comprend une pensée commune, un droit commun, une fin commune: tels en sont les éléments essentiels [...] Là où les hommes ne reconnaissent pas un principe commun, en l'acceptant dans toutes ses conséquences, là où il n'y a pas identité d'intention pour tous, il n'existe pas de Nation, mais une foule et un rassemblement fortuits que la moindre crise suffira à dissoudre".
    En 1859, Mazzini affirme que "
    La Patrie est une Mission, un Devoir commun. La Patrie, c'est votre vie collective, la vie qui noue dans une tradition de tendances et de sentiments identiques toutes les générations qui ont surgi, qui ont travaillé et qui sont passées sur votre sol [...] La Patrie, c'est avant toute autre chose la conscience de la Patrie. L'espace où vous vous déplacez, les frontières que la nature a créées entre votre terre et celle des autres et la langue qu'on y entend ne sont que la forme visible de la Patrie: mais si l'âme de la Patrie ne palpite pas dans ce sanctuaire de votre vie qui s'appelle la Conscience, cette forme reste semblable à un cadavre sans mouvement ni souffle de vie et, vous, vous êtes une foule anonyme, pas une Nation: des gens, pas un peuple. [...] La Patrie, c'est la foi dans la Patrie. Quand chacun de vous possédera cette foi et sera prêt à la sceller de son propre sang, alors seulement vous aurez une Patrie. Pas avant".
    En 1871, Mazzini toujours s'exclame: "
    La Nation n'est pas un territoire que l'on renforce par l'accroissement de sa superficie ; ce n'est pas un rassemblement d'hommes qui parlent la même langue [...] C'est un tout organique par l'unité des fins et des facultés [...] La langue, le territoire, la race ne sont que des indices de la Nationalité, peu stables quand ils ne sont pas liés entre eux et qui appellent de toute façon la confirmation de la tradition historique, du long développement d'une vie collective empreinte des mêmes caractères".
    Mancini est plus net et systématique. Dans un cours donné à l'université de Turin le 22 janvier 1851,
    Della Nazionalità come fondamento al diritto delle genti, il explique: "[...] les conditions naturelles et historiques, la communauté de territoire, d'origine et de langue ne suffisent pas à définir la Nationalité au sens où nous l'entendons. Ces éléments sont comme une matière inerte capable de vivre, mais à laquelle on n'a pas encore donné le souffle de la vie. Or, en quoi consiste cet esprit vital, cet accomplissement divin de l'être d'une nation, ce principe de son existence visible ? C'est la Conscience de la Nationalité, le sentiment qu'elle a acquis d'elle-même et qui la rend capable de se constituer à l'intérieur et de se manifester au-dehors. Multipliez autant que vous le voulez les points de contact matériel et extérieur au sein d'un rassemblement d'hommes: ceux-ci ne formeront jamais une Nation sans l'unité morale d'une pensée commune, d'une idée prédominante qui fait d'une société ce qu'elle est parce qu'elle se réalise en elle". [...]
    Au cours de l'été 1870, Mancini a précisé son idée: dans son discours du 19 août 1870, devant la Chambre, il rappelait ses affirmations antérieures: "
    Le principe qui s'appelle souveraineté nationale en droit public, et que l'on applique par le suffrage universel, est le même que celui auquel on donne le nom de principe de Nationalité en droit internationale. Et c'est de cette idée que s'inspire la superbe formule: Rome des Romains, et, lorsque les Romains le voulurent, de l'Italie".
    L'opposition de ces deux conceptions, italienne et allemande, ne fut jamais plus fort qu'en 1870-1871, à l'époque de la guerre franco-prussienne, lorsque Bismarck décida d'annexer l'Alsace-Lorraine. Les Allemands (parmi lesquels des savants de grand renom comme Mommsen et Strauss) soutenaient que l'Alsace était allemande par sa langue, sa race et ses traditions historiques ; ce à quoi un grand nombre de journaliste de la droite italienne (Bonghi dans la
    Perseveranza ou la Nuova antologia, Giacomo Dina, directeur de l'Opinione) répliquaient que le problème n'était pas là et qu'il ne pouvait être résolu sur ces bases, contre le "vote des peuples et la conscience des nations". Il s'ensuivit des polémiques acerbes, qui mirent en évidence la différence fondamentale entre ces deux conceptions.
    Volonté, c'est-à-dire pleine conscience, chez un peuple, de ce qu'il veut: voilà le facteur déterminant de la nationalité pour les Italiens.
    "
    -Federico Chabod, L'idea di nazione (1979).



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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