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    Julien Freyburger, L’œuvre partisane inachevée des ''gaullistes de gauche'' : l’exemple de l’Union démocratique du travail

    Johnathan R. Razorback
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    Julien Freyburger, L’œuvre partisane inachevée des ''gaullistes de gauche'' : l’exemple de l’Union démocratique du travail Empty Julien Freyburger, L’œuvre partisane inachevée des ''gaullistes de gauche'' : l’exemple de l’Union démocratique du travail

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 5 Jan - 14:26

    Depuis la création du Rassemblement du peuple français (RPF) en 1947 par Charles de Gaulle jusqu’à une période récente, une partie de la base gaulliste s’est toujours revendiquée « de gauche », porteuse d’une sensibilité sociale marquée et désireuse d’incarner une ligne politique distincte de l’alternative classique entre capitalisme et communisme.

    Les défenseurs de cette « troisième voie », parmi lesquels René Capitant et Louis Vallon, ont agrégé au fil des années et de la généalogie des différents mouvements gaullistes un large éventail de personnalités issues de la Résistance et de la France libre, des intellectuels, des universitaires, des journalistes, mais aussi des individus aux parcours complexes et sinueux. Quant au nombre d’adhérents, il a toujours été relativement modeste même s’il a pu atteindre, à l’apogée du gaullisme de gauche partisan, entre 2500[1] et 5000[2] personnes.

    L’histoire du gaullisme partisan présente en tous les cas une constante : les gaullistes de gauche[3] ont toujours occupé une position minoritaire au sein de la mouvance gaulliste et même, parfois, une position marginale au gré des parcours de leurs représentants, des idées et stratégies qu’ils pouvaient défendre. Les gaullistes de gauche ont constamment vécu dans l’ombre de leur grand-frère, que celui se nommât RPF, UNR, UD-Vème République ou RPR, en lui étant parfois inféodés ou en s’exonérant de sa tutelle ; les stratégies communes leur ont permis d’obtenir une fraction non négligeable de la représentation parlementaire gaulliste lors des élections législatives des années 1960.

    Le gaullisme de gauche a connu, au gré des initiatives partisanes, des rapprochements, des scissions et des ambitions, un foisonnement d’organisations, de clubs, de chapelles et de partis, parmi lesquels seuls quelques-uns ont pu marquer réellement les esprits et recueillir un soutien significatif de la part du corps électoral. L’organisation partisane qui a le plus prospéré dans cette galaxie gaulliste-sociale s’est avérée être l’Union démocratique du travail (UDT) qui a existé de façon autonome de 1959 à 1962 – l’apogée du gaullisme de gauche – avant de fusionner avec l’Union pour la nouvelle République (UNR), devenant ainsi une composante de l’UNR-UDT.

    On ne peut réellement bien appréhender le courant philosophique et politique du gaullisme de gauche sans envisager sa vie quelque peu tumultueuse. Il semble pertinent de remonter à ses origines avant de s’intéresser à l’entreprise partisane mouvementée des gaullistes situés « à la gauche du Général » (Charbonnel, 1996).


    [1] Selon Yves Billard, 2005, « Les gaullistes de gauche », in Becker J.-J. et al., Histoire des gauches en France, La Découverte, p. 192.

    [2] D’après Jérôme Pozzi (2011, Les Mouvements gaullistes, Partis, associations et réseaux 1958-1976, Presses universitaires de Rennes, p. 209) citant Bernard Cahen, 1962, Les gaullistes de gauche (mai 1958-août 1962), mémoire de droit, Paris. Il faut préciser que l’auteur du mémoire, jeune diplômé de Sciences Po et futur avocat, occupe au moment de sa rédaction la fonction de responsable des Jeunes de l’UDT.

    [3] L’expression « gaullistes de gauche » date du RPF et aurait été inventée par Jacques Soustelle (Debû-Bridel, 1970, p. 133).



    1. Les origines



    Parmi les nombreuses divisions qui ont jalonné l’existence du courant des gaullistes de gauche, une dichotomie entre l’hétérogénéité des parcours humains et la cohérence doctrinale frappe l’esprit.



    1.1 Une doctrine homogène



    Les idées-forces du gaullisme de gauche ont été exprimées à travers de nombreux supports écrits et oraux, qu’il s’agisse de textes et prises de positions ou de discours et déclarations. Ses principaux théoriciens, René Capitant et Louis Vallon, se réfèrent à un discours prononcé par le général de Gaulle à l’université d’Oxford le 25 novembre 1941 au cours duquel il a fait référence à « l’association du capital et du travail ».

    Ce thème a été repris au moment de la fondation du RPF, le 7 avril 1947, et, plus particulièrement, à Saint-Etienne le 4 janvier 1948. C’est à l’occasion d’un déplacement dans la cité stéphanoise que le général de Gaulle a souhaité développer sa pensée : l’association capital-travail, c’est d’abord une « rémunération proportionnée au rendement global de l’entreprise », devenue, dans les années 1960, la « participation » des salariés ; c’est aussi la codécision, voire la cogestion, le partage du pouvoir dans l’entreprise. Cette orientation avait donné lieu à une première réforme avec la création des comités d’entreprise en février 1945 par le gouvernement provisoire de la République française.

    Les idées développées par Marcel Loichot (1912-1982), polytechnicien, patron social et gaulliste, dans son ouvrage, La Réforme pancapitaliste[1], ont été source d’inspiration pour le général de Gaulle, de même que le refus des chrétiens de gauche d’un antagonisme capital-travail et leur recherche d’une « association » des deux facteurs de production, thème cher aux gaullistes de gauche porteurs des idées du christianisme social, à l’instar de Louis Vallon et de Léo Hamon. René Capitant, de son côté, n’hésitait pas à ponctuer son propos de citations de Marx, dont il reprenait les concepts de « plus-value » et d’« aliénation », tout en réfutant celui de « lutte des classes ». Il en appelait à « une révolution, oui, parce qu’elle renversera le principe de l’ordre capitaliste » [mais] « une révolution pacifique, conduisant à l’union sociale, et non à la guerre des classes » (Ecrits politiques, 1970). On retrouve dans ces propos des thèmes fondamentaux du gaullisme : « union nationale », « union sociale », « rassemblement », « République », exprimant une volonté de dépasser les affrontements politiques ou sociaux et de fédérer par-delà des clivages classiques.

    Les gaullistes de gauche n’ont de cesse de vouloir « créer un ordre social plus juste, se situant au-delà du communisme et du capitalisme et se fondant sur une croissance économique dûment orientée par les pouvoirs publics »[2]. « Cette création, nous en sommes convaincus, sera l’œuvre originale de de Gaulle et des gaullistes soucieux de perpétuer le gaullisme par de Gaulle, ses œuvres et ses disciples »[3]. La raison d’être du gaullisme de gauche est « l’espérance sociale » […]. « Rappeler cette vérité au sein du gaullisme est la tâche de ceux qu’on appelle des gaullistes de gauche »[4].

    Outre leur sensibilité sociale, les gaullistes de gauche expriment la conviction que la formation gaulliste aînée, le parti majoritaire, « officiel », a un positionnement politique et idéologique trop à droite : « La droite pèse trop lourdement sur l’expérience en cours »[5]. Si l’on ne peut manquer de sourire à la lecture de ce constat d’un homme de gauche estimant que la ligne politique suivie est trop à droite, il ne faut pas occulter le sens profond du propos qui, au-delà de l’apparence, a pour visée la préservation de l’ambition du général de Gaulle de rassembler les Français au-delà du clivage droite-gauche. Or, un positionnement et une ligne politiques par trop marqués auraient pour effets de tenir à l’écart une partie substantielle des citoyens-électeurs et d’affaiblir le général de Gaulle qui a rappelé avec force lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1965 que « La France, c’est tout à la fois, c’est tous les Français. Ce n’est pas la gauche, la France ! Ce n’est pas la droite, la France ! »[6]

    Défenseurs de l’orthodoxie gaulliste, les gaullistes de gauche nourrissent une grande méfiance à l’égard du gaullisme partisan. Ils rejettent avec force le terme de « parti » et estiment que le RPF puis l’UNR sont devenus des forces partisanes comme les autres, des machines électorales privilégiant la conquête et la conservation du pouvoir au détriment des idées et des valeurs défendues par le gaullisme. « Ainsi, l’histoire des différents mouvements de ce rameau de la famille gaulliste oscille entre l’attraction et la répulsion vis-à-vis d’une formation mère, dont les dirigeants ont tendance à les considérer comme des compagnons sympathiques mais marginaux » (Pozzi, 2011, p. 206), tandis que l’opinion les perçoit comme des « enfants terribles du gaullisme » (Charbonnel, 2002, p. 85).

    Attachés au rassemblement populaire le plus large et désireux de transcender les clivages politiques traditionnels, les gaullistes de gauche éprouvent une certaine méfiance à l’égard des notables et des représentants et accordent une place privilégiée aux militants qu’ils reconnaissent comme leurs « compagnons », terme usuel par ailleurs dans l’ensemble du mouvement gaulliste et pendant de celui de « camarades » plus répandu dans les formations de gauche classiques.

    Aux éléments qui précèdent, il faut ajouter l’Algérie française, largement soutenue dans les rangs de l’UNR, à laquelle les gaullistes de gauche comptent bien substituer une forme d’association plus progressive. C’est la gestion du dossier algérien qui a causé la rupture de Jacques Soustelle avec la ligne politique définie par le général de Gaulle.



    1.2 Un recrutement hétérogène



    La diversité des profils des gaullistes de gauche contraste avec la fermeté de leur soutien au général de Gaulle et à sa politique : « Avant toute chose, les gaullistes de gauche sont des gaullistes, des plus fervents et des plus convaincus. » (Billard, 2005, p. 191). Quels que soient leurs engagements politiques ou syndicaux d’origine, presque tous les gaullistes de la première génération figurent parmi les fondateurs du RPF, qu’ils soient issus de la Résistance (René Capitant, Philippe Dechartre, Gilbert Grandval, Léo Hamon, Jean de Lipkowski, Yvon Morandat, Louis Vallon, parmi d’autres) ou de la France libre (Roger Barberot ou le général Billotte). D’autres les rejoignent progressivement, à l’instar de chrétiens de gauche comme Edmond Michelet qui est membre du MRP, de syndicalistes comme Jean Bernasconi ou d’authentiques militants de la « gauche traditionnelle » comme Manuel Bridier (membre du Parti communiste), Jean-Claude Broustra (adhérent de l’UDSR) ou Paul Alduy (SFIO).

    Le mouvement des gaullistes de gauche a aussi séduit un certain nombre « [d’] hommes de qualité dont les écrits témoignent d’une grande réflexion, d’une profondeur d’analyse et d’une belle culture. Plusieurs d’entre eux appartiennent plus aux intellectuels de leur temps qu’au monde politique » (Lachaise, 2007, p. 69). En plus de René Capitant, Louis Vallon et Léo Hamon, on peut citer, entre autres, Jean Cazeneuve, François Mauriac, Charles d’Aragon, Maurice Clavel, David Rousset, Stanislas Fumet ou bien encore Philippe de Saint-Robert.

    C’est entre 1947 et 1953, au sein du RPF, que le courant gaulliste de gauche fait son apparition et commence à s’organiser. A compter de la scission du RPF jusqu’en 1958, les gaullistes de gauche se retrouvent autour de grandes figures comme Jacques Chaban-Delmas, parmi ceux qui ont fait le choix de soutenir Pierre Mendès France en 1954 et le Front républicain, coalition de centre-gauche constituée à l’occasion des élections législatives de janvier 1956 pour contrer le mouvement poujadiste.


    [1] 1966, Robert Laffont.

    [2] Notre République, n°16, 17 mars 1960.

    [3] Ibid.

    [4] Hamon L. in Le Travailliste, n°12, mars 1967 (organe mensuel du Front travailliste).

    [5] Position exprimée par Louis Vallon lors de la première réunion publique de l’UDT, cité in Debû-Bridel, 1970, p. 177-178.

    [6] De Gaulle C., entretien radiodiffusé et télévisé avec Michel Droit, 15 décembre 1965.



    2. L’accomplissement provisoire



    De très nombreuses organisations ont jalonné le parcours des gaullistes de gauche, parmi lesquelles le Centre de la réforme républicaine (CRR), créé le 23 juillet 1958. Le CRR, dont le chef de file est Jean de Lipkowski – qui avait appelé dès le 18 juin 1958 au « regroupement des forces démocratiques de la gauche française », est la première véritable tentative de rassemblement de la gauche gaulliste sous la Cinquième République. Sa volonté d’indépendance à l’égard de l’UNR n’a pas été payante sur le plan électoral puisqu’aucune circonscription n’a été gagnée par ses candidats au soir des élections législatives de 1958. Cet échec électoral aurait pu sonner le glas des ambitions politiques des gaullistes de gauche si une autre initiative n’avait été prise au début de 1959 : la création de l’UDT, la démarche la plus aboutie des tentatives d’organisation partisane des gaullistes de gauche, qui « marque l’apogée du gaullisme de gauche comme force politique organisée » (Billard, 2005, p. 192).



    2.1 Les ambitions



    Contrairement aux autres organisations gaullistes de gauche, que celles-ci aient précédé l’UDT, qu’elles lui aient succédé ou même qu’elles se soient constituées concomitamment (tel le MPC de Jacques Dauer, créé pour soutenir la politique algérienne du général de Gaulle et contrer l’OAS), l’UDT fédère la quasi-totalité des gaullistes de gauche qui se rangent derrière ses dirigeants, Louis Vallon, Léo Hamon et Gilbert Grandval. Des hommes issus de la « gauche classique » adhèrent à l’UDT, tels Maurice Clavel, Joseph Kessel et l’ancien ministre mendésiste et maire d’Alger Jacques Chevallier.

    Il faut cependant souligner que malgré le ralliement d’hommes issus des partis de gauche classiques, l’UDT recrute essentiellement dans les rangs de l’UNR et constitue, de ce fait, une concurrence pour le mouvement gaulliste officiel, cette dernière se manifestant tant du point de vue des adhérents que de celui des électeurs. La défiance à l’égard de l’UNR est constamment réitérée, ainsi qu’en témoigne ce passage du discours du général Billotte, prononcé à l’occasion de la première Convention nationale de l’UDT, le 12 juin 1960 :



    « Notre mouvement est né parce que les Français, qui étaient à la fois gaullistes et de gauche, ne pouvaient plus se reconnaître dans un parti qui, en période électorale, avait bien pris le label gaulliste, mais dont les tendances et les alliances le classaient, sans doute pour toujours et malgré la présence dans son sein de gaullistes authentiques et très proches de nous, comme un parti de droite. La gauche c’est le mouvement et le progrès, la droite c’est le conservatisme et l’immobilisme »[1].



    Malgré cette défiance à l’égard du mouvement gaulliste officiel, l’UDT a toujours pu bénéficier d’un soutien du général de Gaulle. Ce soutien pouvait se manifester aussi bien par un appui aux initiatives et démarches des gaullistes de gauche, parfois au détriment de la formation gaulliste officielle, que par une contribution discrète à leurs entreprises. C’est ainsi qu’il soutint, en utilisant ses moyens personnels, leur journal hebdomadaire, Notre République (Charbonnel, 1996, p. 169). De plus, « Etienne Burin des Roziers, secrétaire général de l’Elysée, ne ménagea pas sa bienveillance à leur égard » (ibid.). Le consentement de l’Elysée à la création de l’UDT a fait l’objet de témoignages :



    « Il était indispensable d’opposer, face aux forces de réaction maîtresses du Parlement et qui tentaient d’accaparer le pouvoir, un mouvement de gauche, progressiste […]. Alors fut créée, avec l’accord de l’Elysée […] l’UDT […]. L’UDT démarra avec la bénédiction plénière du général de Gaulle. Notre gaullisme était sans réserve, mais également notre volonté de faire échec à la réaction »[2].



    Ce soutien constamment manifesté par le général de Gaulle à l’UDT repose sur une autre explication que la seule sympathie bienveillante du chef de l’Etat à l’égard des gaullistes de gauche. La raison est à rechercher du point de vue du dossier algérien qui, en plus de susciter un embarras significatif à la tête de l’Etat, est susceptible de générer des divisions au sein même de la famille gaulliste. La base militante est majoritairement favorable à l’Algérie française et certaines personnalités de premier plan, au premier rang desquelles Jacques Soustelle, aussi.



    « Le général de Gaulle, inquiet des risques éventuels d’éclatement de l’UNR, se montre plein d’égard pour ces quelques grognards. Au cas où la dissidence de Jacques Soustelle entraînerait une vague de démissions parmi les cadres de l’UNR, les gaullistes de gauche, avec le renfort des « inconditionnels » de l’Association nationale, pourraient constituer le noyau d’une refonte du gaullisme et d’une reconquête du mouvement »[3].



    Il y a bien une dimension stratégique dans l’attitude du général de Gaulle qui accorde une attention et un soin particuliers aux souhaits exprimés par les gaullistes de gauche. En cas d’implosion de l’UNR sur fond de gestion de la crise algérienne par le pouvoir, le président de la République disposerait d’une alternative partisane susceptible de structurer ses soutiens. Cette possibilité est d’autant plus fiable que la position des gaullistes de gauche s’est toujours différenciée de celle du mouvement gaulliste majoritaire, celui-ci étant beaucoup moins enclin que ceux-là à considérer que l’indépendance algérienne était inéluctable. Il s’agit d’un « choix constitutif de l’UDT » (Billard, 2005, p. 192).

    La phase d’autonomie de l’UDT aura duré trois années, de sa création à l’alliance conclue avec l’UNR dans la perspective des élections législatives de 1962, la décision de fusion entre les deux formations étant intervenue le 10 novembre 1962.



    2.2 Les obstacles



    Structurellement minoritaire et électoralement dépendante, l’UDT éprouvait « le désir de trouver une place et de se faire entendre dans le système partisan » (Lachaise, 2007, p. 66). Les gaullistes de gauche se devaient de faire un choix qui pouvait se résumer ainsi : « Agir de l’intérieur ou de l’extérieur de l’organisation, c’est l’éternel problème tactique des minorités actives » (Charlot, 1970, p. 107).

    Eprouvant de vives réticences à l’égard des partis politiques « classiques » auxquels ils assimilaient l’UNR, conspués par la gauche « classique » qui les accusait de ne pas assumer des valeurs de droite en les identifiant au mouvement gaulliste « officiel »[4], les gaullistes de gauche ne bénéficiaient pas de tous les égards de la part des autres gaullistes : « pour le gros de l’UNR, nous étions des mendésistes déguisés en gaullistes » se souvient J. Debû-Bridel (1970, p. 177).

    Les gaullistes de gauche étaient partagés entre une indépendance parfois proche de la marginalité et une alliance avec l’UNR susceptible de leur permettre de se faire une place moins inconfortable et entendre au sein de la famille gaulliste rassemblée. Le souvenir de l’échec électoral du CRR aux législatives de 1958 était aussi un élément de nature à les faire réfléchir.

    Parmi les gaullistes de gauche, les initiateurs des textes favorables à la « participation » des salariés au sein de l’entreprise ont dû affronter le doute voire l’opposition des autres gaullistes, représentatifs d’une pensée libérale ou conservatrice très présente au sein du mouvement. Déjà au sein du RPF, « l’avant-projet, préparé par Louis Terrenoire et Louis Vallon, s’est heurté, au sein du comité national d’études […], à l’opposition résolue de Raymond Aron, de Gaston Palewski et de Georges Pompidou » (Billard, 2005, p. 191), la proposition de loi qui allait suivre n’étant plus qu’une version très allégée des propositions formulées initialement ; elle ne prévoyait plus l’imposition des contrats d’association capital-travail aux entreprises dont seul le volontarisme était sollicité.

    Outre le manque d’homogénéité qui résultait de la grande diversité des origines des gaullistes de gauche – venus d’horizons aussi différents que l’extrême-gauche, la gauche classique, le parti radical ou la droite classique et le gaullisme de la Libération, et les relations à géométrie variable entretenues avec le mouvement gaulliste majoritaire, l’UDT était également contrainte par le système électoral de la Cinquième République. Ce dernier n’était pas favorable aux petites formations politiques et, fort logiquement, la vie politique évoluait vers la bipolarisation.

    Un élément a été décisif dans le choix de l’UDT de s’allier électoralement avec l’UNR : la volonté exprimée par le général de Gaulle de voir la famille gaulliste rassemblée à la veille des élections législatives de 1962, de façon à rééquilibrer vers la gauche la majorité, afin que l’UDT puisse faire contrepoids aux quelques ralliés républicains indépendants (R. Mondon, V. Giscard d’Estaing) qui soutiennent le pouvoir gaulliste. Les négociations ont été facilitées grâce à l’expression de la volonté présidentielle : sur les 34 circonscriptions dans lesquelles ont été investis des candidats sous l’étiquette « UNR-UDT », quinze ont vu l’élection de gaullistes de gauche ; d’autre part, des places de choix au sein de la direction de l’UNR-UDT ont été réservées aux « compagnons » venant de la gauche. Les nouveaux députés ont ainsi pu tenter d’influer sur les textes en discussion à l’Assemblée Nationale et le chef de l’Etat a signé le 17 août 1967 l’ordonnance sur l’intéressement des salariés aux bénéfices dans l’entreprise. Plus tard, le général de Gaulle a évoqué une « triple participation » aux résultats, au capital et aux responsabilités mais cette idée, qui devait être présentée dans le cadre du référendum annoncé au cœur de mai 1968, est demeurée sans lendemain.


    [1] Discours reproduit dans Notre République, n°19, juillet 1960.

    [2] Debû-Bridel, 1970, p. 177.

    [3] Pozzi, 2011, p. 210.

    [4] Les qualificatifs utilisés furent variés : « opposition de Sa Majesté » ou « alibis d’une droite cherchant à se camoufler » (Debû-Bridel, 1970, p. 177 ; Charbonnel, 2002, p. 85)



    Eléments conclusifs : éparpillement et déclin progressif



    La fin des années 1960, marquée par la démission puis le décès du général de Gaulle, a suscité une grave crise d’identité parmi les gaullistes de gauche qui, plus attachés encore que les autres gaullistes à la personne de l’homme du 18 juin, ne se sont jamais vraiment remis de ces événements. La « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas a permis de maintenir une majorité d’entre eux au sein du mouvement gaulliste mais le virage plus conservateur opéré par le président Pompidou puis le soutien apporté par Jacques Chirac au candidat Giscard d’Estaing et, enfin, la création du RPR ont achevé de disloquer le socle des gaullistes de gauche, malgré des tentatives de constitution d’une nouvelle organisation partisane. La plus aboutie d’entre elles a émané de Jean Charbonnel : à l’hiver 1976-1977, le lancement de la Fédération des républicains de progrès a permis de rassembler une nouvelle fois la majeure partie des gaullistes de gauche. La nouvelle organisation a disparu au moment où son fondateur a choisi de rejoindre le RPR, en janvier 1980.

    Depuis lors, les gaullistes de gauche ont suivi des chemins fort différents. Certains, tel Léo Hamon, se sont ralliés à François Mitterrand, d’autres ont été à l’origine de la création de formations groupusculaires, d’autres encore sont demeurés au sein des partis néo-gaullistes successifs.

    Le gaullisme de gauche, s’il a pu être au moins en partie incarné par une personnalité comme Philippe Séguin, ne représente aujourd’hui qu’une forme de nostalgie et n’a plus de réalité politique, en dehors des convictions profondes d’individus faiblement organisés sur le plan du collectif. En dehors de « l’âge d’or » que les gaullistes de gauche ont connu avec l’UDT lors des débuts de la Cinquième République, la faiblesse de leur organisation demeure une constante de l’histoire politique récente.



    Sigles



    CRR : Centre de la réforme républicaine

    MPC : Mouvement pour la communauté

    MRP : Mouvement républicain populaire

    OAS : Organisation armée secrète

    RPF : Rassemblement du peuple français

    RPR : Rassemblement pour la République

    SFIO : Section française de l’internationale ouvrière

    UD-Vème République : Union des démocrates pour la Cinquième République

    UDSR : Union démocratique et socialiste de la Résistance

    UDT : Union démocratique du travail

    UNR : Union pour la nouvelle République



    Bibliographie



    Billard Y., 2005, « Les gaullistes de gauche », in Becker J.-J. et al., Histoire des gauches en France, La Découverte, p. 190-196.

    Capitant R., 1971, Ecrits politiques 1960-1970, Flammarion.

    Charbonnel J., 1996, A la gauche du Général, Plon.

    Charbonnel J., 2002, Le gaullisme en questions, PUF.

    Charlot J., 1970, Le phénomène gaulliste, Fayard.

    Charlot J., 1992, « Le gaullisme », in J.-F. Sirinelli (dir.), Histoire des droites en France, tome 1, Politique, Gallimard, p. 653-689.

    Debû-Bridel J., 1970, De Gaulle contestataire, Plon.

    Guiol P., 1985, L’impasse sociale du gaullisme, Le RPF et l’Action ouvrière, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

    Hamon L., 1991, Vivre ses choix, Robert Laffont.

    Lachaise B., 2007, « Les « clous de girofle » du gaullisme », in G. Richard, J. Saintlivier (dir.), Les partis et la République, La recomposition du système partisan 1956-1967, Presses universitaires de Rennes, p. 63-73.

    Pozzi J., 2011, Les Mouvements gaullistes, Partis, associations et réseaux 1958-1976, Presses universitaires de Rennes.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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