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    Christophe Rogue, Comprendre Platon

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Christophe Rogue, Comprendre Platon Empty Christophe Rogue, Comprendre Platon

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 15 Sep - 14:48

    https://www.persee.fr/authority/156765

    "La philosophie platonicienne naît d'un scandale, celui de la mort de Socrate en 399. L'œuvre de Platon est tout entière postérieure à cette date."

    "Socrate, lui, n'a rien écrit, et dédaignait de le faire ; Platon, son plus célèbre disciple, a écrit une œuvre vaste, quoiqu'il ait pu penser des méfaits de l'écriture."

    "Éblouis par la magnificence du discours du sophiste Gorgias, les Athéniens ont inventé un verbe spécial : orgiazein (γoργiάζєιν), ou parler comme un vrai Gorgias...

    Le vrai problème avec Socrate, la raison pour laquelle on l'a mis à mort, ce n'est pas tant que, comme l'en accusent ses dénonciateurs, il corrompe la jeunesse ou ne croie pas aux dieux de la cité. Le vrai problème, c'est que, dans une cité tout acquise aux beaux parleurs, il ne parle pas comme il faut."

    "Déjà Sophocle avait, de façon tragique, exprimé l'angoisse grecque face à l'ambivalence du logos, inaperçue à l'époque archaïque: entre le logos d' Antigone, inspiré par les liens du sang, et le logos de Créon, qui exprimait la loi de la cité, le conflit, né d'une même réalité, paraissait insoluble.

    L'Athènes classique, qui s'étourdit de discours, a abandonné le rêve d'un logos archaïque où parler, ce serait toujours, à coup sûr, dire l'être. Ce n'est pas seulement que la confiance dans le langage lui fasse défaut; c'est sa conception de l'être elle-même qui vacille. Cette Athènes ivre de logos n'écoute pas seulement le sophiste Protagoras lui lire ses Antilogies, où il démontre la souplesse du langage en plaidant successivement des thèses opposées. Elle se corrompt aussi à l'écoute de ses leçons sur l'homme-mesure, où il semble ramener l'être des choses à ce qu'il paraît à chacun. Elle n'admire pas seulement l'éblouissant et paradoxal Éloge d'Hélène du grand Gorgias. Elle fait aussi bon accueil à son Traité sur le non-être. Dans l'étourdissement que provoque l'inflation du discours à Athènes, ce n'est pas seulement le langage qui se trouve dévoyé; c'est l'être même, dont on ne sait plus bientôt qu'en dire, s'il est un ou multiple, si même il existe.

    C'est ce dévoiement du discours que Socrate n'accepte pas. Le fondement de la démarche socratique, c'est de refuser le dévoiement et l'avilissement du logos. Plus que tout autre, Socrate s'est astreint à cette discipline du logos qui veut que, toujours, on saisisse bien ce que parler veut dire. C'est pourquoi il a passé son existence à arpenter les rues d'Athènes en relançant sans répit une même interrogation : qu'est ce que c'est ? [...] qu'est-ce que la vertu, le courage, la piété... ? Socrate n'a de cesse de parvenir à des définitions. C'est l'objet principal, pour ne pas dire le seul, de son enquête permanente. Car derrière l'espoir d'une définition enfin juste d'un mot, il y a le rêve d'un accord retrouvé avec l'être. Qui peut définir la justice sera nécessairement juste: car, si la justice est belle, comme on l'entend dire, nul, en en saisissant la définition, ne saurait tomber dans l'injustice. Retrouver l'accord perdu du logos et des choses, tel est le sens de la quête socratique.

    C'est donc bien à ce niveau qu'il y a scandale. Avant Socrate, d'autres savants ont pu être inquiétés pour impiété ou corruption supposée des esprits. Anaxagore, Protagoras ont essuyé des attaques. Mais chacun, en plaidant habilement sa cause, a su se tirer d'affaire, et aucun d'eux n'en est mort. Les Athéniens ont précisément mis à mort le seul d'entre eux qui, plutôt que de se gargariser de beaux discours, s'efforçait de retrouver le logos juste, celui qui est l'expression de l'être même des choses. La « justice » d'Athènes a mis à mort le seul Athénien pour qui le mot « justice » devait avoir une signification réelle, vérifiable, définissable. Et, plutôt que d'écouter les discours que Socrate pouvait leur tenir sur la justice, les Athéniens ont choisi de le punir pour son refus de les charmer avec de « beaux discours » qui ne disent rien sur leur objet."

    "Platon reprend, à la suite de son maître, une enquête qui a pour but de retrouver l'accord du logos et des choses. Il hérite d'abord de sa méthode de discussion, faite de questions et de réponses entre deux interlocuteurs: la dialectique."

    "L'enquête socratique visait surtout une sagesse pratique, en s'interrogeant sur la définition des vertus, des qualités morales. Très vite, Platon sera amené à dépasser ce premier niveau. Car la question qui se pose, lorsque, en définissant un objet, on réduit une multiplicité de choses à une unité, c'est la question de l'existence autonome de cette unité pure. Je me sers de la multiplicité des objets beaux pour approcher une définition du Beau. Mais le Beau existe-t-il en lui-même ? Peut-on admettre qu'il ne soit rien, dès lors qu'on réunit, grâce à lui, la multitude des objets beaux? Si le Beau n'existe pas en soi, comment expliquer qu'on puisse appliquer, à une multitude d'objets sensibles, ce même terme de beau ?

    Or que, dans la réalité, aucun objet ne nous soit donné comme étant le Beau en soi est une évidence. La définition du Beau atteint un degré d'universalité dont aucun exemple individuel ne peut rendre compte. L'effort de définition, de réapplication du langage à l'être, qu'entreprend Platon à la suite de Socrate, va le mener à ce moment fondamental qu'est la constitution du dualisme ontologique: l'idée qu'il y a deux niveaux distincts de réalité, le sensible et l'intelligible. Ce que l'on définissait auparavant comme unité d'une multiplicité sensible se verra reconnaître une existence propre, séparée : ce seront les Idées, dont le sensible est censé tirer, par participation (µє θєζις) toute sa réalité."

    "La suite de l'œuvre de Platon peut s'analyser, en effet, en un double mouvement. Jusqu'aux grands dialogues, on voit Platon s'efforcer de sauver la pureté des Idées de la réalité sensible. La difficulté de fonder l'existence en soi des Idées, loin des mirages de l'apparence sensible, tentative « sotériologique » pour sauver l'ordre du désordre, explique la récurrence de thèmes que nous appellerons disjonctifs (la réminiscence, la fuite du monde..., etc.), car ils impliquent une séparation profonde, un chôrismos (χωρτσµóς ) entre le sensible et l'intelligible. Passés les grands dialogues, c'est-à-dire à compter du Parménide et du Théétète, l'ambition platonicienne change d'orientation, sans perdre son caractère sotériologique : Platon prend conscience des extrêmes difficultés entraînées par le chôrismos et par la théorie de la participation qui permettait de le faire tenir. Il s'agit alors, comme l'a fort justement noté Léon Robin, reprenant l'expression à Eudoxe de Cnide, contemporain de Platon, de « sauver les apparences », c'est-à-dire de réintroduire l'ordre dans le désordre originel que constitue ce que le Timée appellera la chôra (Xώρα ), ce substrat informel du sensible, fondement obligé de toute position d'existence. Car si le dualisme ontologique mis en place par les grands dialogues avait permis de sauver la pureté des Idées, c'est la diversité et les contradictions du sensible, bien réel, que désormais il faut expliquer de façon plus satisfaisante.

    Ce double mouvement général, qui accomplit une véritable césure dans le platonisme, en séparant les grands dialogues des dialogues tardifs, explique la nette inflexion que subissent, chez le vieux Platon, les thèmes disjonctifs mis en place lors de la fondation du dualisme ontologique. Un exemple l'éclairera très bien. Ainsi, les recommandations relatives à l'astronomie, dans la République, sont éminemment caractéristiques de l'aspect disjonctif du dualisme des grands dialogues: en appelant à une astronomie pure de toute observation sensible et ne réfléchissant que de façon problématisée les mouvements idéaux des astres, Platon cherche à préserver à tout prix l'idéalité de l'intelligible de toute corruption sensible. Bien différent est le regard porté par un dialogue tardif tel que le Timée sur l'astronomie: on y voit en effet Platon s'y livrer à des considérations sur le don divin que constitue pour l'homme la vision, en tant qu'elle lui permet de se tourner vers les astres et, en réfléchissant leurs mouvements, d'apparenter son âme à celle du monde ; la médiation sensible, qui auparavant était exclue comme source de corruption, devient désormais le seul intermédiaire par lequel notre âme, engagée dans le sensible, peut remonter à l'information intelligible. L'astronomie de la République illustre ainsi ce que la pensée des grands dialogues a de disjonctif, tandis que celle du Timée montre bien l'effort platonicien pour rétablir la continuité perdue entre l'intelligible et le sensible.

    Si la philosophie de Platon suit un double mouvement que, dans chaque cas, nous avons pu qualifier de sotériologique, c'est avant tout une conséquence de son projet le plus fondamental, que l'on pourrait définir comme la volonté de se libérer du multiple pour parvenir à l'un. Dans son aspect disjonctif, le platonisme des grands dialogues est une volonté de s'échapper de la multiplicité sensible pour parvenir à l'unité pure de l'Idée. Dans sa phase tardive, le platonisme devient une volonté de réintroduire l'unité dans le désordre infiniment multiple du sensible. La raison de cette importance accordée à l'Un, qui deviendra le principe fondamental pour les néo-platoniciens, s'explique par cette évidence que l'unité, comme unité générique ou universelle, en tant qu'Idée, ou comme unité déterminée, en tant qu'identité sensible, a été très tôt reconnue par Platon comme l'exigence première de la pensée, le seul objet sur lequel elle puisse se fonder et s'énoncer comme telle. Cette évidence première, Platon l'a héritée de Socrate, déjà claire et pourtant encore à élucider: qu'est-ce en effet que l'exigence de définition sur laquelle se fonde le Qu'est-ce que c'est ? (τí έστı Wink qui dirige l'enquête socratique, hors celle de rassembler le multiple dans l'un ?"

    "Premiers dialogues ou dialogues socratiques

    Écrits dans les années qui suivent la mort de Socrate, ils se caractérisent par l'influence de celui-ci, tant au plan de la forme (courts entretiens consistant en des échanges de questions et de réponses brèves, autour d'un problème de définition) que du fond (importance des thèmes liés au savoir du non-savoir, de la connaissance des vertus et de la maîtrise de soi). Ils présentent souvent un caractère aporétique. Apologie de Socrate (procès de Socrate), Criton (l'obéissance aux lois), Hippias mineur (le mensonge), Lachès (le courage), Charmide (la sagesse); Lysis (l'amitié), Hippias majeur (le beau), Euthyphron (la piété), Alcibiade (authenticité contestée, la conduite du politique), Protagoras (la vertu peut-elle s'enseigner ?).

    Dialogues intermédiaires
    Écrits après le voyage en Grande Grèce de 388, ils sont plus élaborés que les précédents, et marquent déjà un apport platonicien par rapport à l'héritage socratique. Le recours au mythe fait son apparition, on décèle une influence orphique et pythagoricienne, et certains thèmes tels que la réminiscence commencent à être mis en forme.
    Gorgias (la rhétorique), Ménon (la vertu), Euthydème (les procédés éristiques), Cratyle (le langage), Ménexène (éloge d'Athènes), Ion (la rhapsodie).

    Grands dialogues
    Nettement plus systématiques dans leur visée, ils sont marqués par le dualisme ontologique et la prégnance des thèmes disjonctifs (réminiscence, fuite du monde, participation, métempsychose...).
    Phédon (l'immortalité de l'âme), Banquet (l'amour), République (la cité idéale), Phèdre (l'amour, la rhétorique).

    Dialogues tardifs
    S'ouvrant avec le Théétète et le Parménide, dont la datation exacte est malaisée, ils consacrent un renouveau de la pensée ontologique platonicienne, centré sur l'analyse de l'altérité et le statut accordé au non-être. Le caractère dialogué tend à devenir parfois artificiel, et Socrate peut s'effacer.
    Théétète (la science), Parménide (l'Un), Sophiste (le non-être), Politique (le gouvernant idéal), Philèbe (le plaisir), Timée (cosmologie), Critias (l'Athènes archaïque et l'Atlantide, inachevé), Lois (réalisation terrestre de la cité idéale, inachevé)."

    "Dire une chose, ce n'est pas nécessairement dire ce qui est. Par suite, le logos n'est plus moral, il n'est plus le don des dieux qui évalue à coup sûr les hommes, leurs actions et ce qui les entoure. Cessant d'être cela, il est neutre : il est ce que l'on en fait, tendant vers la moralité chez celui qui s'efforce de retrouver les choses à travers lui, et vers l'immoralité chez celui qui s'en sert comme d'un refuge pour se dissimuler. De don divin, il est devenu un simple instrument, un outil de pouvoir, notamment pour les sophistes, qui, par l'enchantement de leurs discours, s'attirent les faveurs de la foule.

    Au fondement de la démarche du Socrate des premiers dialogues, il y a donc ce constat de la neutralité inacceptable du logos : le langage n'est plus nécessairement consubstantiel à la réalité qu'il sert à exprimer ; il peut être vrai ou faux ; sa déliaison par rapport à l'être implique la possibilité qu'on s'en serve comme d'un simple outil, ce qui implique pour les hommes la possibilité de l'erreur, de l'apparence, du mensonge et de la dissimulation. La philosophie advient par le scandale de la neutralité du langage, en se donnant comme idéal un langage en lui-même normatif, qui réalise à nouveau l'union perdue de l'éthique et du discours."

    "Savoir parler ne suffit pas ; il faut bien parler, et surtout savoir déjouer les apparences de vérité des discours de ceux qui ne font que parler bien. [...] La première illusion que Socrate doive démasquer chez ses interlocuteurs, c'est de croire que le simple fait de dire revient nécessairement à dire l'être, et que donc, dès lors qu'on saurait dire, on connaîtrait l'être."

    "Que savoir parler suffise à tout savoir, c'est la racine de la prétention démocratique : tous, sachant parler, auraient voix au chapitre, et exprimeraient une opinion légitime. C'est là au contraire, pour Socrate, la ruine même de tout savoir ; par principe, il récuse que l'on puisse prendre une décision à la majorité des voix, au lieu de se référer à l'avis de l'homme compétent."

    "Contre le grand nombre et la foule, l'exemple de l'art, de la technè, montre en effet qu'un seul peut avoir raison en dépit de tous. Le savoir technique est l'exemple même d'un savoir réservé : lorsque l'on touche un domaine de compétence particulier, chacun accorde qu'il faut laisser parler l'homme de l'art. [...]
    Qui prétendrait guérir un malade, qui n'est pas médecin ? Dès lors, et de même, lorsqu'il s'agit de tenir des discours, pourquoi tous voudraient-ils y prétendre, et pourquoi n'admettrait-on pas qu'il y a, là aussi, des spécialistes de l'art de bien parler ?"

    "Le paradigme technique, et l'idée de compétence qu'il sert à légitimer, sont tellement prégnants chez Platon qu'on le voit encore, dans les Lois, l'importer jusqu'en art et s'indigner de la « théâtrocratie » en vertu de laquelle le commun tendrait à supplanter l'aristocratie du bon goût."

    "Il n'y a pas de technè sans la connaissance de la cause, c'est-à-dire sans la connaissance de ce qui justifie la pratique ; sans le savoir de la cause, sans la possibilité de rendre raison (λóγoν δoυαı), nous n'avons affaire qu'à une simple routine empirique (έµπεıρíα), qui ne peut expliquer les motivations de son action. La véritable technè est donc incontestablement un savoir, comme cela est exprimé dès l'Apologie - à condition toutefois que ce savoir d'une chose précise n'entraîne pas l'illusion de tout savoir, comme c'est trop souvent le cas. Par ailleurs, si la technè est bien un savoir, à tel point qu'elle fournit à la recherche philosophique l'exemple même de ce qu'est la compétence, elle n'est pas un savoir absolu, mais bien au contraire un savoir limité à un domaine déterminé de l'être. En particulier, en tant que simple compétence, elle peut être caractérisée comme puissance (δύναµıς), c'est-à-dire faculté indistincte de faire une chose ou son contraire, autrement dit, de faire le bien ou le mal. Ainsi, par exemple, le médecin possède-t-il un savoir qui lui permet de tuer aussi bien que de guérir : en lui-même, le savoir médical n'indique en rien s'il est convenable ou non de guérir le malade ; il en offre simplement la puissance.

    En tant qu'elle est un savoir régionalement limité, et, par essence, neutre, la technè doit être mise en relation avec un savoir concernant les fins, par rapport auxquelles elle n'apparaît que comme un simple moyen. Dans la République, Platon évoque ce problème, lors de la discussion entre Socrate et Thrasymaque. Il y a en fait trois possibilités : ou bien la technè entre dans des rapports de hiérarchie entre technai, et se soumet à une technè directive - mais alors on risque peut-être de s'engager dans une régression à l'infini, en ne trouvant pas cette technè supérieure qui les dirigerait toutes - ; ou bien elle se réfléchit elle-même pour parvenir à sa propre perfection ; ou bien enfin elle est en soi parfaite, c'est-à-dire qu'au nom de sa définition même de technè elle ne peut jamais faillir. Socrate ne pousse pas à terme son analyse ; la troisième possibilité, retenue par Thrasymaque, aboutit précisément à mettre en évidence les limites de la technè : sa fin réside tout entière hors d'elle-même ; la deuxième solution n'est par conséquent pas possible non plus, puisque ce serait supposer que la technè se donne elle-même comme sa fin ; reste donc, en fait, la première solution, avec le risque de régression à l'infini qu'elle comporte : il faut qu'il y ait un rapport de hiérarchie des savoirs, comme, dans le même temps, une science suprême et absolue qui les gouverne tous. [...]

    Il y a une technè supérieure, une technè qui réalisera suprêmement l'objet de toute technè, car de tout elle rendra raison : cet art suprême s'identifie à l'art du bien parler, qui retrouve l'être naturel d'un logos attaché aux choses mêmes. Platon va lui donner un nom : la dialectique (δıαλετıκή). Retrouver, par la dialectique, le logos de l'être, c'est l'objet de la philosophie."

    "Le nerf de la critique platonicienne des discours sophistiques est de les caractériser comme discours d'apparence, c'est-à-dire comme discours renonçant d'emblée à la réapplication du logos sur l'être à laquelle la philosophie s'attache."

    "Porter la contradiction partout ne signifie pas savoir. Vaincre en réfutant toujours ne produit aucun savoir positif, et l'on peut être un grand raisonneur (λoγστκóς) tout en étant parfaitement ignorant : les sceptiques, plus tard, ne revendiqueront pas autre chose. L'ivresse que procure un logos apparemment invincible, mais qui ne produit rien, aboutit vite à la déconvenue, car le véritable logos est destiné à dire quelque chose - l'être. Cette déconvenue, c'est celle des jeunes gens que décrira la République : adonnés trop tôt à la dialectique, ils ont confondu le plaisir vain de la ratiocination avec l'usage véritablement philosophique du logos. Le langage porte en lui la contradiction, et ne saurait à lui seul fonder le savoir. C'est ce qu'aurait voulu Cratyle : le savoir aurait été attaché aux mots eux-mêmes ; percer le mystère des mots aurait conduit directement à l'être. Mais cette voie est une illusion : le langage peut posséder une forme de lien à l'être des choses qu'il évoque, ainsi par exemple dans le cas des onomatopées ; mais il est aussi très largement conventionnel. Il ne peut donc, à lui seul, constituer le fonds du savoir."

    "Pour Platon, l'être et le logos qui l'exprime ne peuvent être qu'un, sans quoi il faut renoncer à toute idée de vérité et conséquemment à toute morale."

    "On rapporte ainsi l'exemple de Cratyle, relativiste disciple d'Héraclite, qui aurait renoncé à exprimer l'être insaisissable et toujours fluent des choses, pour se contenter de les désigner du doigt.
    Désigner la réalité, ce n'est pas la dire, et en nous la montrant, le langage ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà par la vue."

    "Si la réfutation des doctrines protagoréenne et héraclitéenne n'intervient pas dès les dialogues socratiques, elle constituera la légitimation a posteriori d'une exigence déjà contenue dans la conception socratique du discours : la vérité est une, et on doit l'atteindre en réappliquant le logos aux choses ; car il n'y a qu'un seul logos vrai des choses.

    Dès l'Euthydème, Platon émet l'idée que la thèse de l'homme-mesure se réfute elle-même. Dans le Gorgias, il suggère que si les logoi des hommes différaient absolument les uns des autres, il ne saurait y avoir de communication intersubjective. Il faut attendre le Théétète, cependant, pour avoir une réfutation en bonne et due forme - il est vrai que, le dialogue portant sur la science, cette réfutation se faisait encore plus nécessaire. Platon commence par objecter l'exemple des sensations aberrantes, le fait de ressentir une chose qui n'a absolument aucune sorte de réalité : délirer au cours de ses rêves, ou être victime d'hallucinations visuelles ou auditives sont des phénomènes qui, contre l'avis de Protagoras, nous imposent de donner une valeur de vérité à la sensation : qui oserait prétendre que celui qui se prend pour un dieu, ou qu'il a des ailes et qu'il vole, n'a pas des sensations fausses ? Par ailleurs, celui qui, comme Protagoras, prétend que chacun est mesure pour lui-même des choses qui sont et de celles qui ne sont pas, tombe sous le coup d'un reproche de légitimité : car si chacun est juge pour lui-même, à quoi sert le sophiste, qui prétend enseigner ? Enfin et surtout, la thèse de l'homme-mesure conduit à l'impossibilité de l'erreur, de l'opinion fausse, puisque, comme on l'a déjà vu, tous les discours sont vrais : si tout est vrai, rien n'est vrai. Cette absence d'erreur ne signifie que le règne de la contradiction absolue, puisque, comme l'avait déjà montré l'Euthydème, les propositions les plus absurdes deviennent inattaquables, et Socrate peut dire sans crainte que les honnêtes gens sont injustes. Dès lors, le défaut le plus visible et le plus grave de la thèse de l'homme-mesure, c'est qu'elle ne se préserve pas elle-même de la réfutation : dès lors que je dis que tous les discours sont vrais au même titre, je ne puis plus me défendre du discours de ceux qui affirmeront que le mien est faux. La théorie protagoréenne fonctionne en deçà des principes de contradiction et de tiers-exclu qu'Aristote mettra tant de soin à imposer contre les sophistes. Elle est le reflet d'un pragmatisme qui donne voix à tous les discours, tout en renonçant à l'idée, tant morale que scientifique, d'une vérité une. Elle recouvre, en définitive, une volonté de forcer le discours pour mieux laisser passer le discours de la force, au détriment de la vérité. Ouvrant la voie aux prestiges d'un discours libéré de toute contrainte, on comprend qu'elle ait pu plaire à Nietzsche."

    "La véritable cause de l'impiété, ce sont les discours impies, ceux, en vers ou en prose, de poètes et soi-disant physiciens qui ne font pas intervenir les dieux dans la création du monde, mais se cantonnent au matérialisme le plus strict : l'âme (ψυχ) elle-même dériverait de principes matériels. Le plus grave dans cette erreur, qui met en premier ce qui est dernier (στερoν πρóτερoν), ce n'est pas simplement sa fausseté, mais le fait qu'il soit possible de la dire. [...]

    Puisque le langage des dieux ne nous est pas connu, il ne nous reste qu'à nous servir de celui dont nous disposons, qui n'en est qu'une forme dégénérée. Mais pour le racheter, et par la même occasion pour nous racheter nous-mêmes, il faudra le purifier des subversions par lesquelles les hommes ont achevé de le corrompre."

    "Le simple fait de parler sans dire l'être, comme le font trop les hommes, est immoral en soi et répréhensible. [...]
    Le logos du philosophe se sépare de celui des hommes, en ce qu'il ne cherche pas à « adapter son langage et sa conduite à ses relations avec les hommes », mais simplement à être capable « d'un langage qui soit agréable aux dieux »."
    -Christophe Rogue, Comprendre Platon, Paris, Armand Colin, 2009 (2004 pour la première édition Nathan/Sejer).




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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