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    Patrick Rayou, La « dissert' de philo ». Sociologie d'une épreuve scolaire

    Johnathan R. Razorback
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    Patrick Rayou, La « dissert' de philo ». Sociologie d'une épreuve scolaire Empty Patrick Rayou, La « dissert' de philo ». Sociologie d'une épreuve scolaire

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 17 Jan - 13:39

    "Décalage important entre l’extension généralement bien reçue d’une discipline traditionnellement réservée à une élite à la totalité des séries du baccalauréat du second degré et les piètres performances des élèves lors de l’épreuve écrite de ce même examen. Une enquête de la Direction de l’évaluation et de la prospective2 (DEP) montre en effet que 71,2 % des candidats au baccalauréat ont moins de la moyenne à l’écrit de philosophie. Ce pourcentage est de 54,8 % en histoire et géographie, de 59,9 % à l’écrit de français, de 42,1 % en mathématiques. Une recherche d’Elisabeth Chatel3 confirme cette analyse et ajoute même que les notes obtenues en philosophie au baccalauréat sont aussi moins fiables. C’est en effet dans cette discipline qu’on trouve la corrélation la plus faible entre les notes obtenues en classe et celles qui sont décernées au baccalauréat."

    "Parfois considérée dans le passé comme un luxe inutile ou une menace pour l’ordre établi, la philosophie jouit aujourd’hui dans l’opinion d’une réputation tout à fait flatteuse. Elle sort des cénacles intellectuels pour « descendre » jusque dans les médias et certains cafés, mais ne parvient pas, dans le même temps, à accréditer une « forme scolaire » satisfaisante."

    "Il serait sans doute nécessaire de prendre en compte dans ce travail la façon dont l’histoire de la « corporation » des professeurs de philosophie structure l’enseignement de leur discipline, de la conception des programmes aux façons de faire la classe. Il n’est pas si fréquent en effet qu’un ministre, comme le fit Fortoul en 1852, raye d’un trait de plume l’existence d’un enseignement et celle du concours qui y prépare. Il semble ainsi que les enseignants de philosophie, qui ont eu quelques raisons de craindre la restriction de leur liberté critique, vivent toujours plus ou moins dans le sentiment du danger imminent de la disparition de leur discipline et se trouvent par là même poussés à affirmer son caractère intangible. D’où, sans doute, des difficultés à aborder de façon dépassionnée la question de la dissertation comme unique exercice formatif et évaluatif, ou une tendance à amalgamer les thématiques de la liberté doctrinale et de la liberté pédagogique."

    "Depuis plus d’un siècle, les savoirs sont, dans le système scolaire français, marqués par le projet politique républicain, par un idéal civique qui vise à soustraire les enfants aux influences des milieux locaux. Une « forme scolaire » caractéristique s’est donc mise en place, qui, si elle conforte la culture bourgeoise, n’en dérive cependant pas directement. Elle se caractérise en effet par un faible souci de l’utilité sociale et pratique des connaissances acquises, car l’école républicaine s’est essentiellement perçue comme indépendante du reste de la société, défendant une culture éloignée de celles qui se développent à l’extérieur d’elle. Dans ce contexte général, la philosophie jouit d’un statut particulier : tout en étant une des connaissances les moins utiles, les plus abstraites, elle se voit aussi parée d’un prestige de discipline de « couronnement » parce qu’elle est réservée au dernier stade du cursus secondaire. Ce statut doit largement à l’action de Victor Cousin qui a, en 1844, espéré remplacer avec elle les fondements culturels que la Révolution avait détruits. L’importance donnée à cette discipline s’est alors traduite par une secondarisation qui devait donner à la classe de philosophie le monopole sur l’enseignement, mais aussi sur l’activité philosophique elle-même. Il est en effet évident à l’époque que le philosophe ne peut être que professeur et que tout professeur de philosophie est un philosophe. La classe de philosophie fournit des élèves aux classes préparatoires, certains intègreront l’École normale supérieure, seront agrégés et deviendront à leur tour professeurs. En même temps, l’« éclectisme » défendu par Victor Cousin accrédite l’idée que la philosophie est achevée, toutes les vérités se trouvant, sous une forme particulière, dans chacune des doctrines enseignées. L’année de terminale peut alors en présenter la quintessence en un aperçu élémentaire.

    Cette situation particulière tient à la volonté du législateur, mais s’appuie aussi sur une sorte d’homologie entre le principe civique et une certaine conception de l’enseignement philosophique. Considérée, en particulier dans la tradition platonicienne, comme une démarche grâce à laquelle chacun, pour peu qu’il soit intellectuellement et moralement bien intentionné, peut s’affranchir des séductions du bon sens et de l’opinion, elle permet de sceller deux universels, celui de la citoyenneté et celui de la raison."

    "Son intervention tardive dans le cursus n’est généralement pas, comme on pourrait le penser, vécue comme une marginalisation, mais comme une consécration. Étendu à l’ensemble des séries du baccalauréat depuis 1981, il demeure cantonné à la classe de terminale malgré les propositions d’apprentissage précoce du rapport Bouveresse-Derrida que refusèrent assez largement les enseignants de philosophie."

    "Une autre caractéristique concerne le caractère indéclinable de l’enseignement philosophique : même si l’horaire qui lui est consacré varie en fonction des séries, il est construit sur un modèle identique. Il ne saurait, en effet, dans l’esprit de ses concepteurs, y avoir différents degrés de l’activité philosophique, car les exigences de la raison sont les mêmes pour tous. Chacun, quels que soient son bagage scolaire et son projet professionnel, doit pouvoir y entrer de plain-pied. L’année d’initiation est donc en même temps année de validation. Cette cohérence est maintenue jusque dans la formation des maîtres puisque la philosophie est la seule discipline dont le programme du baccalauréat et celui du concours de recrutement (le Capes) soient identiques."

    "Les réflexions en matière de pédagogie et de didactique peuvent apparaître totalement inutiles, voire nuisibles en ce qu’elles renvoient à d’improbables techniques ce que seule peut susciter la présence authentique d’un maître philosophant devant ses élèves."

    "La philosophie est nettement réclamée par les élèves de Seconde et ceux de Lycée professionnel qui ne l’ont pas encore à leur programme. Ils en attendent une confrontation, des clés pour comprendre l’actualité et le monde dans lequel ils vivent, mais aussi les idées et leur histoire."

    "Loin d’aider à se connaître soi-même, la philosophie scolaire est, pour cet élève un apprentissage de l’insincérité."

    "Lorsque Victor Duruy est chargé par Napoléon III, en 1863, de rétablir la classe de philosophie ainsi que le concours d’agrégation dans cette discipline, c’est parce que l’empire se croit désormais autorisé à développer une politique plus « libérale ». Il s’agit de redonner des valeurs morales à une société laïque et la philosophie bénéficie de la proclamation de l’autonomie de la recherche intellectuelle par laquelle elle n’est plus considérée comme servante de la théologie. Inversement, elle ne peut « ébranler ou ruiner la foi de personne ». Il existe cependant une autre raison, celle qui veut voir en elle un symbole de distinction sociale, une discipline destinée à relever le niveau de la bourgeoisie :

    « Puisque la France est le vrai centre du monde, assurons aussi aux enfants de la classe aisée, à ceux qui remplissent les carrières libérales […] à ceux qui sont appelés à marcher au premier rang de la société, assurons leur, par les lettres et par les sciences, par la philosophie et par l’histoire, la culture de l’esprit la plus large et la plus féconde afin de fortifier l’aristocratie de l’intelligence au milieu d’un peuple qui n’en veut pas d’autre et de donner un contrepoids légitime à cette démocratie qui coule à pleins bords. Si par l’enseignement primaire étendu, honoré et par l’enseignement secondaire français largement établi, nous relevons le niveau moral du peuple, relevons en même temps celui de la bourgeoisie par un enseignement secondaire classique vigoureusement constitué ».

    Il est assez évident que de tels enjeux historiques échappent aux lycéens d’aujourd’hui, car la liberté de penser et d’écrire n’est plus menacée, du moins de façon aussi autoritaire que celle qui procédait de l’interdiction pure et simple. De même, les stratégies distinctives qui ont pu s’appuyer sur un discours philosophique appréhendé et parfois cultivé comme ésotérique ne peuvent plus les concerner dans leur masse. De là, sans doute, nombre d’incompréhensions de leur part, relatives à cette matière encore marquée par sa constitution comme discipline scolaire. Nombre d’études, contemporaines de ce mouvement de massification ont montré que le lycée de l’élite supposait des connivences culturelles fortes avec leurs publics, que ne partagent plus nécessairement les nouveaux venus. Selon Louis Pinto :

    « Le discours dissertatif n’apparaît pas déductible simplement des exigences de “réflexion” et “d’argumentation” dans la mesure où il a pour fonction de manifester sous la forme méconnaissable d’un traitement purement cognitif la hiérarchie purement culturelle et scolaire qui est à son principe ».

    La dissertation n’aurait ainsi pour fonction que d’assurer l’autoreproduction du discours savant, le maintien de la hiérarchie entre culture savante et culture « vulgaire » par l’opposition du concept et de l’opinion. L’exigence de dépassement de l’opinion ne serait que le mime de la distance de classe, n’exprimerait que le jugement esthétique et éthique de la culture savante :

    « Plus que d’ordre linguistique ou cognitif, la dimension primordiale de la compétence philosophique est d’ordre esthétique, s’il est vrai que la posture philosophique se caractérise par tout ce que l’on associe habituellement au goût, un sens du concevable, de l’indécent et de l’incongru, de ce qui va ensemble et de ce qui jure, qu’il s’agisse de couleurs, de musiciens ou de concepts : l’élévation propre à l’activité philosophique est une des formes spécifiques au travers desquelles s’accomplit le sens social de la tenue.»

    Les conséquences didactiques d’un tel élitisme sont alors évidentes. Selon Pierre-Henri Tavoillot, L’échec actuel de cet exercice vient de ce qu’on a prétendu respecter l’idéologie spontanée des élèves (leur relativisme, leur culte de l’expression) tout en conservant secrètement les critères élitistes du modèle précédent (l’invention d’un problème, du contenu et du plan du travail à réaliser). L’ajout d’un sujet texte, dans les années 60, au moment où s’accroît de façon très importante le nombre des élèves confirme ainsi que la dissertation s’éloigne de tout caractère scolaire pour s’afficher comme l’exercice par excellence de la pensée. De façon plus large encore, le rapport à l’écrit que privilégie l’enseignement de la philosophie apparaît très éloigné de ce que vivent d’ordinaire ces élèves qui ne sont plus des « héritiers ». Il suppose, selon Bernard Lahire une capacité à devenir le législateur de ses pensées qui met en jeu des compétences politiques autant que techniques et justifie l’approche sociologique des difficultés qu’il suscite. Pour autant, on ne peut réduire ce rapport politique à l’écriture à l’importation, dans ce qui fut le saint des saints du système secondaire, de modalités d’organisation et d’expression des idées propres aux parents peu dotés en capital économique et culturel des nouveaux lycéens. Les analyses qui suivent voudraient précisément montrer que le type d’engagement que suppose cet enseignement est également peu compatible avec les modalités les plus courantes de l’expérience spécifique de ces jeunes."

    "Il est, par exemple, tout à fait admis de porter une chemise rouge, un foulard palestinien, d’avoir le crâne rasé et des chaussures de type militaire. Il suffit que toutes ces façons de se manifester aux autres soient prises pour des expressions de son originalité, surtout pas pour des symboles de causes politiques qui introduiraient immédiatement à des oppositions possibles ou réelles. Le port du « foulard islamique » à l’école qui, en France, constitue un sujet de conflit entre adultes parce qu’il met en jeu des conceptions différentes de la laïcité, laisse en général très indifférents les jeunes qui voient en lui un moyen comme un autre de se singulariser. On peut supposer que de telles attitudes ne favorisent pas la rencontre avec l’opposition traditionnelle entre l’être et le paraître que défend toute une tradition de la philosophie rationaliste."

    "Une telle distanciation ne relève pas de la seule compétence intellectuelle. Elle doit puiser aussi dans une capacité à objectiver les tensions à l’œuvre dans les problématiques, à laquelle forme peu une culture de l’expressivité pouvant aller jusqu’à proscrire de l’entre-soi de tout sujet de débat susceptible de révéler des fractures dans un monde supposé commun.

    Penser comporte toujours un risque, celui de dire « non », à l’opinion, aux sensations, à toutes les formes de certitudes préétablies."

    "Ce sont donc quatre-vingt-cinq copies de série L, rédigées lors de la session du baccalauréat de 1995 dans une académie de l’Ouest de la France qui ont servi de « matière première » à cette recherche. L’analyse a essayé d’établir le rapport existant entre les notes et appréciations du correcteur et des façons de faire récurrentes des élèves. Il s’agissait, en quelque sorte, de tester l’hypothèse d’une tension entre les exigences didactiques de la discipline, particulièrement visibles lors d’une évaluation, et des formes d’accueil dont on pouvait envisager qu’elles étaient partagées par les élèves ou des types d’élèves. Une approche plus serrée du type de construction commune à l’œuvre dans la rédaction des copies et leur évaluation a été tentée en sélectionnant une copie de série technologique du même baccalauréat, ayant obtenu la note « moyenne » de 8 sur 20 et en la soumettant au jugement de « jurys » d’élèves de différentes séries de terminale et à des professeurs de philosophie.

    Le versant « processus » a été exploré par le moyen, plus classique, d’entretiens avec des lycéens. Au total, trente-deux élèves de tous les types de terminales ont été interviewés entre 1997 et 1999. Ils appartiennent à des établissements de Seine St Denis parce qu’il paraissait évident, au début de la recherche, que ces élèves éprouvant souvent des difficultés particulières dans le rapport à l’écriture, devaient pouvoir faire apparaître plus que d’autres les obstacles rencontrés dans la rédaction d’une dissertation de philosophie."

    "A partir des difficultés rencontrées par les élèves (et leurs enseignants), conclure hâtivement à une tenue en mauvaise estime de cette discipline et de son épreuve au baccalauréat. Ce n’est apparemment pas du tout le cas, comme cela ressort tant de ce questionnaire que de celui que Jean-Paul Jouary et Françoise Raffin ont consacré aux élèves des terminales technologiques. Ce dernier fait, en particulier, état d’une forte reconnaissance de l’utilité de la philosophie et de l’attachement des élèves à la dissertation."

    "L’essentiel des reproches adressés aux copies par les correcteurs porte sur leur absence de problématisation."

    "copie suivante, rédigée lors de la session de 1995 du baccalauréat par un (e) élève de STT d’une académie de l’ouest. Ses caractéristiques formelles, les appréciations de son correcteur, la note qu’elle a obtenue (8 sur 20) la situent dans la moyenne des copies du paquet auquel elle appartenait. L’analyse qui en est tentée ci-après essaie de montrer que ses principales caractéristiques expriment précisément une volonté, de la part de son auteur, de satisfaire (certes a minima) à toutes les injonctions auxquelles ce genre d’exercice soumet les « nouveaux lycéens ».

    La conviction d’avoir raison fait-elle obstacle au dialogue:

    Il est intéressant de s’interroger sur cette réflexion philosophique car cette phrase « permet » d’identifier la relation entre la raison et le dialogue. En m’appuyant sur des citations de grands philosophes tels que Descartes, Montesquieu, Voltaire… je vais donc essayer de trouver des solutions qui répondraient à cette question.

    Mon premier point sera de découvrir ce qui est la raison ainsi que le dialogue puis de comprendre le rapport qu’il y a ou qu’il n’y a pas ?

    Tout le monde sans exception se donne une valeur à sa conduite. Pour cela, l’homme se donne une raison. Cette raison fait appel à l’âme. L’âme est une substance pensante qui conditionne la vie humaine. La raison est totalement contradictoire des passions. Les passions contribuent aux actes corporels, par conséquent la raison a pour but d’identifier « les capacités intellectuelles ». La raison fixe à l’homme son droit d’existence et plus particulièrement sa propre prise en considération. La raison permet à l’homme de s’identifier, de se situer… Le philosophe « Descartes », approfondit cela en parlant du doute. Effectivement le doute cartésien est très significatif. Je doute donc je pense. Descartes dit : « Je ne peux pas douter que je doute, donc je ne peux pas douter que je pense lorsque je pense que je doute ». Cette expression philosophique prouve que l’homme est un être culturel et plus principalement intellectuel. Par conséquent il travail avec son âme ce qui nous fixe des raisons. Également, on peut s’appuyer sur le Cogito. L’existence du mot Je. L’interrogation sur ce Je est très significative. L’exemple est le suivant, « Je donc j’existe ». L’homme peut avoir l’idée du parfait (Dieu) mais il sait que personnes d’autres n’est parfait. Il est donc à la recherche d’une perfectibilité qui le pousse à la raison. L’homme est constamment en recherche de vérité, il vit dans un monde ou tout a un sens. L’homme est amené à réfléchir, à cogiter, à rechercher, à s’informer… L’homme se donne des raisons qui lui fixent elles-mêmes la raison pure et simple de son existence.

    Nous sommes des êtres humains, nous avons tous des facultés pensantes… Dialoguer est quelque chose de courant et d’indispensable dans les sociétés humaines. Effectivement la communication entre êtres intellectuels a pour but de mettre fins à des problèmes, des conflits. Le dialogue permet de trouver une vérité. Cependant nous nous apercevons que cette recherche de vérité s’est transformée en dogmes. La croyance, les religions contribuent à un dogmatisme qui n’a aucun but, cependant ceci est une force que certaines personnes se fixent pour se donner « raison ». Le dialogue fixe à l’homme des objectifs, des choix, des opinions. Également, nous pouvons nous apercevoir qu’au niveau politique il y a beaucoup de dialogues avec des hommes intellectuels qui ne parviennent pas à se mettre d’accord. Le philosophe Karl Marx nous parle du manifeste communiste. Le dialogue est certes un moyen d’expression, de transmission des messages mais il reste quelquefois ambigu. L’humain vit dans un monde ou tout a un sens, tout est relatif à l’histoire. Il y a eut retransmission de messages de génération en génération. Pour Saint Augustin, le passé, le présent et le futur n’existent pas, cependant, pour Kant il y a une histoire. Le philosophe fait référence aux objets dans l’espace donc pour lui il y a un vécu. À partir de là, le dialogue a eut lieu. Le passé est quelque chose de raconté par un historien. La transformation de ce qui a été et ce qui a dut être est différente. Nous ne pouvons pas être sûrs du passé, par exemple lors d’une guerre, l’historien doit dépouiller les critiques du vainqueur et celles du vaincu. Les informations sont alors très subjectives. Le dialogue est par conséquent très utile et très bénéfique car son but est d’identifier la raison d’un individu.

    La raison fixe à l’homme une valeur à sa conduite. Le dialogue est le moyen par lequel l’homme va fixer sa valeur. Par conséquent la conviction d’avoir raison ne peut pas faire obstacle au dialogue. Seulement, si on rentre vraiment dans le vif du sujet, on peut parler des personnes inconscientes qui à ce moment-là n’agissent plus par la parole mais par des actes de brutalité, vandalisme… À partir de cela, nous pouvons évoquer les inconscients psychiques et plus particulièrement de l’inconscient destructeur qui peut être soigné par la psychanalyse (Freud). Il est tout de même difficile à dire que la conviction ferait obstacle au dialogue. L’âme d’un être est réservée pour réfléchir, pour rechercher la vérité, pour comprendre, pour analyser, pour cogiter et enfin pour dialoguer. C’est à dire qu’il faut échanger ses idées, ses choix, ses opinions. Il faut recherché la vérité. Une personne qui est sur de ses affirmations et qui ne veut pas dialoguer ne possède en réalité que des opinions. Nous sommes tous emmenés à douter, à cogiter. On doit sans cesse se poser des questions pour être à la recherche de notre propre valeur. Un problème tout de même assez important vient se joindre à tout cela. L’humain comme j’ai pu en parler au préalable est un être intellectuel…

    Par conséquent, dans toutes les sociétés il y a un phénomène de hiérarchisation. L’humain est à la recherche de la perfection. La conviction d’avoir raison peut donc faire obstacle au dialogue devant un hiérarchique supérieur tant la vie en société est difficile et les places sur le marché du travail sont « restreintes ». Cette crainte est certes de plus en plus importante, mais cependant la communication faites par les hommes a sollicité l’apparition des Droits de l’homme (Liberté-Égalité-Fraternité). On peut également parler de la philosophie des lumières avec des philosophes comme Montesquieu, Voltaire, Diderot… Ceci aboutit à une idée de progrès.

    La raison fixe a l’homme une valeur a sa conduite, alors pourquoi ne faudrait-il pas dialoguer ? Nous avons tous une âme pour nous faire réfléchir et communiquer afin de chercher la vérité absolue…

    ATTENTES ET RÉPONSES

    Cette copie manifeste un certain type de construction, et, pour tout dire, une sorte de rhétorique à laquelle se reconnaît un écrit philosophique. Elle paraît cependant procéder à une interprétation bien particulière des consignes données. Le lecteur, après l’avoir parcourue, a beaucoup de mal à savoir quel type de problème est soulevé par l’énoncé, à identifier une position de son auteur qui résulterait d’une analyse personnelle nourrie de connaissances et références pertinentes. Il a pourtant aussi l’impression de lire une copie de philosophie, écrite par un élève qui joue le jeu, montre à de multiples reprises qu’il a suivi un cours et qu’il met en œuvre des consignes auxquelles il a été attentif.

    Cette tournure « philosophique » de l’écrit relève cependant, pour l’essentiel, d’un travail de mime de la forme philosophique. Il manque, d’emblée, la position claire d’un problème. Ce moment difficile de la dissertation a été comme contourné par l’affirmation selon laquelle le sujet est déjà une « réflexion », qui plus est « philosophique » (l. 2). À quoi bon, dans ces conditions, problématiser à nouveaux frais ? D’autant que, si la réflexion est déjà donnée dans le sujet, les réponses à y apporter sont également prêtes : les « grands » philosophes vont permettre de « trouver des solutions » (l. 5). Cette copie est assez typique du refus de dévolution du problème. Sa façon de commencer s’inscrit dans un procédé classique de double clôture par la constatation de l’appartenance d’un sujet au domaine consacré de l’enseignement philosophique et par la référence-révérence à des systèmes philosophiques incontestables puisque annexés à la forme scolaire.

    Le refus d’entrer, de fait, dans une démarche réflexive ne pourrait être aussi fort si toute la chaîne des attentes vis-à-vis du travail d’écriture n’était elle-même subvertie. C’est ainsi que les principaux termes de l’énoncé, quoique utilisés dans des sens nettement différents, ne sont pas clarifiés. Le sujet invite notamment à confronter le sens épistémologique de la raison telle qu’elle peut se construire dans le dialogue et celui, plus existentiel, qui découle de l’engagement d’une personne dans la recherche du vrai : dans l’exposition à l’autre que suppose le dialogue, des considérations relatives à l’identité personnelle (perdre la face, tenir un discours à et non un discours de…) ne risquent-elles pas de l’emporter ? L’auteur de la copie hésite bien entre deux acceptions : celle d’une raison comme finalité de nos actes (« tout le monde se donne une valeur à sa conduite » l. 10) et celle d’une raison plus substantielle comme structure intellectuelle du monde (l’homme poussé « à la raison », à la « vérité », l. 26), mais ce ne sont pas celles du sujet. L’analyse oscille ainsi entre la recherche de raisons que nous donnons à la vie et la prise en compte de ce que c’est qu’être un être de raison. Elle oublie alors le plus souvent la question de l’« avoir raison ». De plus, loin de s’aider par la mobilisation du cours ou de références philosophiques, l’auteur de la copie entrave sa réflexion par le recours à deux sens de « raison » (épistémologique : la vérité ; métaphysique : l’âme) qui ne s’articulent pas vraiment avec l’idée de finalité à laquelle, spontanément, il l’associe.

    De la même manière, la notion de dialogue est indistinctement prise comme la « recherche de vérité » (l. 35), celle d’un accord intellectuel (l. 33) ou politique (l. 37) ou, plus platement, l’expression ou transmission de messages (l. 42-43). La dimension épistémologique qui semble traverser ce sujet est alors largement méconnue.

    Les glissements de sens ne sont pas les seuls responsables de la confusion générale qui caractérise cette copie. Il y a, en effet, une façon de définir qui tue la problématique, lorsque les concepts importants sont appréhendés séparément les uns des autres. Le sujet est alors dépecé en morceaux qui, n’entretenant plus de tension les uns avec les autres, ne peuvent plus constituer les pièces d’un ensemble réflexif. D’autant que ce travail apparent de définition constitue la colonne vertébrale du devoir :

    Une première partie essaie de dire ce qu’est la raison (l. 10-30) : ce qui permet à l’homme de donner une valeur à sa conduite

    Une seconde tente de définir le dialogue (l. 31-55) : ce qui permet de trouver une vérité. Il arrive que cette recherche conduise à des dogmes, que le dialogue soit conflictuel.

    Une troisième est consacrée à la compréhension du rapport entre les deux premiers termes (l. 56-72) : la raison ne peut pas faire obstacle au dialogue, dont elle est constitutive. Mais une certaine éthique de la recherche et de l’échange paraît nécessaire.

    Une conclusion très académique en découle (l. 82-85) : loin de s’opposer à la recherche de raisons à la vie, le dialogue s’impose comme moyen de recherche de la vérité.

    Un « intrus » se glisse cependant dans cette mécanique, c’est un cinquième paragraphe (l. 73-81) non annoncé, qui ne paraît pas avoir statut de conclusion, mais d’expression d’une idée plus personnelle que rien n’a, jusque-là, préparée : être inférieur (jeune) en société peut mener à ne pas s’engager dans un dialogue avec un supérieur (un éventuel employeur). La question de l’égalité des statuts (intellectuels ? Sociaux ?) nécessaire à l’instauration d’un dialogue de bonne foi pouvait être un élément de réflexion parfaitement pertinent dans ce sujet. Elle n’est pourtant pas fouillée parce que, d’un point de vue logique tout au moins, les définitions sont toujours absentes. Ce paragraphe est sans doute celui où paraissent le plus en tension les vrais sujets de préoccupation de l’auteur (la « crainte de plus en plus importante » (l. 77) et les thèmes convenus et rassurants de la culture scolaire (les Droits de l’homme, les Lumières (l. 78, 79).

    Le mode argumentatif porte la même marque d’artificialité. Une sorte de forçage logique permanent rattache entre eux des segments d’argumentation sans rapports entre eux, du fait qu’ils prennent, sans le dire, des concepts dans des sens différents ou associent des propositions de statut différent (« donc » l. 5, 75 ; « par conséquent » l. 13, 53, 56 ; « alors » l. 62). De faux constats (effectivement l. 18, 33 : « la raison est totalement contradictoire des passions » l. 12), des affirmations gratuites (« Il faut échanger ses idées l. 65, « Il faut rechercher la vérité » l. 64… « On doit », l. 68) sont responsables de l’ambivalence entre rigueur apparente du raisonnement et vacuité de l’analyse.

    D’autres modalités paraissent à l’œuvre pour assurer la cohésion et la pertinence du propos. Elles relèvent d’une part de la référence implicite à un cours de philosophie (comment un correcteur pourrait-il récuser ce qu’a dit un de ses collègues sur le même thème ?) qui a dû mettre certains thèmes en relation sur des sujets qui ne sont malheureusement pas toujours ceux dont il faut traiter le jour de l’examen. Les « également » (l. 22 : « Également on peut s’appuyer… », l. 39 : « Également nous pouvons nous apercevoir… », l. 78 : « On peut également parler… ») sont un des signes de cette manière artificielle de s’autoriser à donner plus de compréhension ou d’extension à l’argument en restant, on l’espère, dans le domaine de la philosophie.

    Une autre ressource incontestable paraît d’autre part s’offrir avec des éléments qui relèvent de ce que Weber appelle l’autorité traditionnelle. Il peut s’agir tout simplement d’une posture d’allégeance qui témoigne des bonnes dispositions du candidat à l’égard de la discipline et de son mode d’évaluation (« Il est intéressant de s’interroger… », l. 2), de façons de situer sa propre réflexion dans le droit fil de la tradition philosophique en la présentant comme un appui (« Le philosophe “Descartes” approfondit cela », l. 17, « On peut s’appuyer sur le Cogito », l. 23) ou en la saluant en connaisseur (« L’interrogation sur ce Je est très significative, l. 23 »). Les références ont alors plutôt statut de révérences, ne sont fédérées que par la qualification de « grands philosophes » accordée à leurs auteurs et le fait qu’elles ont un rapport avec une thématique de la raison : métaphysique avec Descartes, plus historique avec les Lumières. Les autres sont appelées au fil de la plume : Marx à propos du conflit, Kant et St Augustin à propos du temps. Montesquieu et Voltaire, annoncés comme supports du raisonnement ne sont évoqués rapidement qu’en conclusion. C’est le type même de la révérence, car aucune prise n’est donnée au lecteur pour juger de la pertinence d’un tel renvoi. Cela paraît cependant sans doute au scripteur une manière cultivée de clore la copie."

    "Dans un schéma idéal, la réflexion devrait s’organiser selon une sorte d’horizontale qui, dans le laps de temps autorisé par l’épreuve, soit susceptible de coudre ensemble les analyses conceptuelles, les éléments tirés de l’expérience propre et les connaissances et références empruntées au monde partagé d’une tradition intellectuelle. Ce dernier se déploie selon une verticale qui s’origine dans l’histoire des idées et procède d’une logique propre, évidemment indépendante des raisons pour lesquelles l’auteur de la copie l’emprunte. Ces éléments de l’« espace du tiers » sont bien présents dans les copies, mais ils jouent rarement leur rôle car ils tendent à se substituer purement et simplement à la réflexion de l’élève. Au lieu de lester sa démarche de notions et arguments qui représentent tout à la fois des économies d’analyse et des acquis de l’histoire des idées, ils déstructurent et hachent sa réflexion. La synchronie de la tradition s’impose en quelque sorte à la diachronie de la démarche, l’élève s’estimant sans doute trop peu assuré pour ne la convoquer que comme appui ou comme antithèse de ses propres positions. Ce qui pourrait être appui intellectuel devient caution scolaire. Il s’ensuit une certaine obturation de la recherche, soit parce que cette dernière inquiète et qu’on préfère ramener l’inconnu au connu, soit parce qu’on pense réellement que la copie sera jugée à sa capacité à faire état des connaissances disponibles sur le sujet."

    "On retrouve souvent, inchangée à la fin de chaque paragraphe, voire à la fin de la copie, l’idée qui était déjà exprimée au début."

    "Il est assez significatif que l’élève, au lieu de dire qu’il approfondit sa réflexion en s’aidant de Descartes, dise maintenant que : « Descartes approfondit la réflexion »."

    "L’élève semble puiser dans une batterie de connaissances mobilisables des éléments qui lui permettent de ne pas rester « sec » sur un tel sujet, de donner des signes manifestes de son sérieux : il accepte de jouer le jeu de l’écriture, il a suivi des cours, retenu les thèses d’auteurs consacrés. Il ne se permet qu’à de rares reprises quelques interventions dans lesquelles perce un point de vue qui n’ose s’affirmer vraiment. La résonance substituée au raisonnement participe d’une posture d’extériorité que prend l’élève, non par rapport à sa création cependant, mais par rapport à sa propre pensée."  

    "La conviction, parfois affirmée par des enseignants, qu’il faudrait, avant toute chose, asseoir la maîtrise de la langue écrite avant de pouvoir initier les élèves à la lecture et à l’écriture philosophiques paraît assez illusoire. Elle suppose en effet que l’apprentissage de la langue relève d’une sorte de technique qui, une fois possédée, pourrait servir d’appui pour accéder au sens. Or les difficultés en philosophie ne font sans doute que prendre le relais de difficultés déjà rencontrées dans la façon de construire du sens dans des pratiques qui mettent en tension l’élève et la personne."

    "Une des plus grandes surprises procurées par la lecture de ces copies est de constater que le « je » expressif des lycéens, tant de fois revendiqué lors des entretiens faits avec eux, n’apparaît pratiquement pas dans leur écriture. Il ne s’agit évidemment pas de la seule absence d’expressions dans lesquelles ils diraient des choses comme : « je crois que l’homme ne triomphera jamais de la mort », mais de l’inexistence quasi totale de blocs d’écriture dans lesquels, sous une forme ou sous une autre, ils exprimeraient, telle quelle, une opinion personnelle. En apparence en effet est respectée l’exigence d’une écriture suffisamment impersonnelle pour donner prise à la critique d’un lecteur et qui passe par la médiation de références conceptuelles partagées."

    "Le « je » des dissertateurs paraît bien le résultat d’un compromis : purgé de ce que l’affirmation plus brutale des convictions personnelles peut avoir d’académiquement répréhensible et de scolairement dangereux, il ne reprend cependant les références argumentatives de l’espace du tiers qu’en les vidant, par la pure et simple juxtaposition, de ce qu’elles renferment d’engagements et de confrontations. Mais ce compromis ressemble aussi à un « malentendu didactique », car il est précisément ce que le correcteur déplore le plus dans les annotations justifiant les notes attribuées. Là où les candidats voient sans doute une preuve de leur ouverture à une multitude d’aspects du problème ou de solutions à y apporter, l’enseignant repère un manque d’implication personnelle. Il sanctionne négativement des copies qui, au lieu de ramener l’énoncé à l’unité d’un problème, le diffractent au contraire en une multitude de questions juxtaposées (« Deux pages et beaucoup de questions : ce n’est pas une dissertation » n° 1). Il est également sévère avec celles qui ne réduisent pas la masse des connaissances disponibles en les subordonnant à un axe de réflexion (« Réflexion décousue, par simples associations d’idées » n° 16, « Le niveau d’interprétation est faible » n° 27, « Réflexion complètement décousue : un bavardage ! » n° 42, « Des “triompher” sans rapport les uns avec les autres, sans approfondissement » n° 46, « Faible : le sujet est refusé. L’amorce de l’analyse du sujet est reportée en conclusion » n° 76). Il est en revanche louangeur envers des tentatives de reformulation du sujet, comme celles de la copie n° 51 qui estime que la vraie question porte sur le droit à envisager un tel triomphe et assimile cette prétention à une névrose (« La remise en question du sujet est intéressante »)."

    "En droit, le destinataire de la copie est considéré comme un autre soi-même qu’il faut convaincre, qui présente les mêmes exigences que soi pour admettre un argument, mais par rapport à qui, on jouit aussi d’un statut de dignité intellectuelle identique. En fait, il paraît plutôt identifié au correcteur (comme autre professeur) supposé trouver dans la copie des choses semblables à ce que lui-même a mis dans le cours fait à ses élèves. Notre échantillon contient un nombre majoritaire de copies présentant ce que Françoise Raffin nomme une « version dépressive » de l’échec du dialogue, caractérisée par une soumission au principe d’autorité. Les deux autres versions (« libertaire », caractérisée par le refus de la preuve, ou « agressive », qui disqualifie le sujet et le correcteur) sont beaucoup plus rares. Nous retrouvons ce que dit Isabelle Delcambre des dissertations en général : en milieu scolaire, le destinataire se dédouble en destinataire réel (le professeur-correcteur) et en destinataire fictif (l’auditoire universel), mais c’est surtout au premier qu’on s’adresse, les stratégies de justification prenant le dessus sur les stratégies argumentatives stricto sensu."

    "Demande en effet à être convaincu alors que le scripteur semble penser que la seule restitution des connaissances dispensées dans le cours de philosophie et éventuellement quelques lectures, elles aussi encadrées par le professeur, suffisent. Il voudrait être pris pour autre chose qu’un certificateur de copies conformes, validant ou invalidant la présence de propos et de références convenus."

    "Le genre auquel s’apparente ce type de devoirs est clairement défini comme celui d’une pure et simple restitution, d’une récitation qui n’engage en rien son auteur."

    "Le candidat estime sans doute qu’il ne faut rien oublier de tout ce qui peut avoir rapport avec la thématique de la mort."

    "Un adverbe, présent dans cette copie comme dans beaucoup d’autres, illustre bien cette façon de passer d’une considération à l’autre, d’offrir sans fermeture aucune, ses connaissances sur le sujet, c’est « également » (« Il existe également le concept de réminiscence »). Il permet une manipulation des savoirs selon leur valeur d’échange scolaire supposée, la question de leur usage ne relevant apparemment pas de ce genre d’exercice. Il circonscrit un monde d’équivalences sans doute légitimes parce qu’elles se situent incontestablement à l’intérieur de la forme scolaire. Les différentes références qu’il permet de connecter entre elles pour mener la réflexion sont alors arrachées à l’histoire, au terreau de leur problématique."

    "L’enseignant de philosophie est souvent excédé de trouver des «incipit » de copies sur le modèle érodé de : « depuis qu’il y a des hommes et qu’ils pensent…». Si cette entrée caricaturale est évitée dans notre échantillon, sa rhétorique n’en a pas pour autant disparu. Si elle se maintient malgré les mises en garde fréquentes et souvent virulentes des enseignants, c’est sans doute qu’elle remplit une importante fonction. Une hypothèse vraisemblable est qu’en plaçant, dès le début de la copie, la réflexion sous les auspices d’une tradition de questionnement, il paraît possible de se mettre à l’abri d’une critique de hors sujet : comment peut-on reprocher à l’apprenti d’entreprendre, à son tour, une démarche que toute une tradition et ses maîtres ont consacrée ?

    Les incipit « de tout temps » essaient donc de montrer que l’humanité s’est toujours posé le genre de questions que la copie va aborder. La problématisation prend alors le statut d’observable, ce qui revient à la nier au moment même où on la pose… On peut commencer sa copie par des considérations à caractère éternitaire, qui naturalisent le problème en faisant de la mort un thème central de l’existence de l’« Homme » :

    « La mort a toujours été un problème épineux pour l’homme » n° 3 ; « L’homme se trouve quotidiennement confronté à la mort » n° 4 ; « L’homme meurt, cette vérité fait partie de son existence et de son destin » n° 10 ; « L’homme, depuis le début de son évolution, qu’importe qu’il soit au stade d’Homo Sapiens, d’Homo Faber ou d’Homo Loquens… n°11 ; L’homme, être doué de raison, a toujours eu la nécessité d’éprouver des angoisses quasi-existentielles dans un monde où la somme des maux a tendance à dépasser celle des biens » n° 25 ; « De tout temps l’homme a essayé de se battre contre ce phénomène » n° 69 ; « L’Homme a toujours été fasciné, effrayé par la mort » n° 83."

    "La difficulté d’ensemble des auteurs de ces copies semble être de se situer dans une perception dialectique des « partenaires » d’un texte : le sujet énonciateur y est en effet substantialisé, dans la mesure où il ne se prête pas à la critique d’autrui (à quoi sert-il de risquer une réflexion dans un espace public déjà tellement peuplé de pensées scolairement légitimes ?), le destinataire y est identifié au professeur ou au correcteur (à quoi sert la dissertation, sinon d’abord à avoir des notes ?), le tiers est perçu lui-même comme un réservoir éternel d’éléments constitutifs de la pensée philosophique (à quoi servent les cours et les lectures, sinon à prouver qu’on a appris ?). La dénaturation et le cloisonnement d’instances qui devraient au contraire être en constante interrelation dans l’écriture des textes philosophiques, paraît très peu favorable à la mise en place de conflits socio-cognitifs décisifs pour l’évolution des représentations chère aux didacticiens. Selon M. Tozzi15, il est nécessaire de construire de tels conflits par la mise en rapport de trois interlocuteurs ; professeur, lors des dialogues maître-élèves, les philosophes rencontrés par la lecture, les camarades, lors des débats en classe ou du travail par groupes."

    "Le « par exemple » y justifie souvent l’illustration de son propre propos par celui d’un philosophe autorisé, il est beaucoup plus rarement l’indication d’un objet intuitif qui permettrait de mieux objectiver le raisonnement."

    "Le recours à des citations – dont la reproduction souvent assez exacte témoigne d’un effort de mémorisation qui contraste avec souvent avec la faible pertinence de l’utilisation –, lorsqu’il est peu maîtrisé, freine la démarche de l’élève en même temps qu’il trahit la pensée de l’auteur mobilisé."

    les auteurs sont à la fois des personnages aux idées « philosophiquement correctes » et des pourvoyeurs d’idées prêtes à l’emploi qui dispensent de reprendre à son compte des démarches éprouvantes tant intellectuellement que d’un point de vue identitaire.

    "Cette posture peut ainsi donner lieu à quelques-uns des « monstres » que nous venons de décrire, elle peut carrément engendrer des copies dans lesquelles la seule fonction du scripteur est de trouver quelques connecteurs judicieux entre les fragments d’idées attribuées à quelques auteurs sommairement regroupés en camp du « oui » et camp du « non »."

    "L’enseignant n’attend pas absolument des références, puisqu’il est capable de mettre la meilleure note à une des rares copies qui n’en comporte pas, mais aussi qu’il tient compte de celles qui en ont, même peu pertinentes."

    " [Les copies] se situent dans une quatrième acception du vrai, substituée aux contraintes habermassiennes qui définissent les conditions d’un débat public. La particularité du registre de la validité étant de n’avoir égard qu’aux conditions de la cohérence interne du discours, sans souci de sa confrontation au monde réel, à l’organisation sociale du débat, à la véracité des propos tenus."
    -Patrick Rayou, La « dissert' de philo ». Sociologie d'une épreuve scolaire, Presses universitaires de Rennes, 2002.

    Le sujet c'est leur sujet ; le problème c'est MON problème. Faire comme si le problème était neuf. CONVRAINCRE le correcteur



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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