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    Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression Empty Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 30 Mar - 17:47

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Serge

    "La science des luttes révolutionnaires que les Russes acquirent en plus d’un demi-siècle d’immenses efforts et de sacrifices, les militants des pays où l’action se développe aujourd’hui vont devoir, dans les circonstances créées par la guerre, par les victoires du prolétariat russe et les défaites du prolétariat international - crise du capitalisme mondial, naissance de l’Internationale communiste, développement très net de la conscience de classe chez la bourgeoisie : fascisme, dictatures militaires, terreur blanche, lois scélérates - les militants vont devoir se l’assimiler en un laps de temps beaucoup plus court ; elle leur devient nécessaire dès aujourd’hui. S’ils sont bien avertis des moyens dont l’ennemi dispose, peut-être subiront-ils des pertes moindres... Il y a donc lieu, dans un but pratique, de bien étudier l’instrument principal de toutes les réactions et de toutes les répressions, cette machine à étrangler toutes saines révoltes qui s’appelle la police. Nous le pouvons, puisque l’arme perfectionnée que l’autocratie russe s’était forgée pour défendre son existence - l’Okhrana (la Défensive), Sûreté générale de l’Empire russe - est tombée entre nos mains."

    "L’Okhrana succéda, en 1881, à la fameuse 3e Section du ministère de l’Intérieur. Mais elle ne se développa vraiment qu’à partir de 1900, date à laquelle une nouvelle génération de gendarmes fut mise à sa tête. Les anciens officiers de gendarmerie, surtout dans les grades supérieurs, considéraient comme contraire à l’honneur militaire de se ravaler à certaines besognes policières. La nouvelle école fit litière de ces scrupules et entreprit d’organiser scientifiquement la police secrète, la provocation, la délation, la trahison dans les partis révolutionnaires. Elle devait produire des hommes d’érudition et de talent, comme ce colonel Spiridovitch, qui nous a laissé une volumineuse Histoire du Parti socialiste-révolutionnaire et une Histoire du Parti social-démocrate.

    Le recrutement, l’instruction et le dressage professionnel des officiers de cette gendarmerie faisaient l’objet de soins tout spéciaux. Chacun avait, à la Direction générale, sa fiche."

    "L’Okhrana organisait des cours où l’on étudiait chaque parti, ses origines, son programme, ses méthodes et jusqu’à la biographie de ses militants connus."

    "Toute surveillance est d’abord extérieure. Il s’agit toujours de filer l’homme, de connaître ses faits et ses gestes, ses connexions et ensuite de pénétrer ses desseins. Aussi les services de filature sont-ils particulièrement développés dans toutes les polices et l’organisation russe nous donne-t-elle sans doute le prototype de tous les services semblables.

    Les « fileurs » russes (agents de surveillance extérieure) appartenaient, comme les « agents secrets » - en réalité mouchards et provocateurs - à l’ Okhrana, ou Sûreté politique. Ils constituaient le service de recherches, qui ne pouvait arrêter que pour un mois ; d’une façon générale, le service de recherches transmettait d’ailleurs ses captures à la Direction de la gendarmerie qui continuait l’instruction.

    Le service de surveillance extérieure était le plus simple. Ses nombreux agents, dont nous possédons les photographies d’identité, payés 50 roubles par mois, avaient pour unique tâche de filer d’heure en heure, de nuit et de jour, sans interruption aucune, la personne qu’on leur désignait. Ils ne devaient connaître, en principe, ni son nom, ni le but de la filature, par précaution sans doute contre une maladresse ou contre une trahison. La personne à filer recevait un surnom : le Blond, la Ménagère, Vladimir, le Cocher, etc. Nous retrouvons ce surnom en tête des rapports quotidiens, reliés et formant de gros cahiers, où les fileurs ont consigné leurs observations. Ces rapports sont d’une précision minutieuse et ne doivent pas contenir de lacune. Le texte en est généralement rédigé à peu près comme suit :

    Le 17 avril, à 9 h 54 du matin, la Ménagère est sortie de chez elle, a mis deux lettres à la poste au coin de la rue Pouchkine ; est entrée dans plusieurs magasins du boulevard X ; est entrée à 10 h 30 rue Z, n° 13, en est ressortie à 11 h 20, etc.

    Dans les cas les plus sérieux, deux agents filaient à la fois la même personne sans se connaître ; leurs rapports se contrôlaient et se complétaient.

    Ces rapports quotidiens étaient remis à la gendarmerie pour y être analysés par des spécialistes. Ces fonctionnaires - limiers en chambre - d’une dangereuse perspicacité, dressaient des tableaux synoptiques résumant les faits et les gestes d’une personne, le nombre de ses visites, leur régularité, leur durée, etc. ; par endroits, ces schémas permettaient d’apprécier l’importance des relations d’un militant et son influence probable.

    Le policier Zoubatov - qui, vers 1905, tenta de s’emparer du mouvement ouvrier dans les grands centres en y créant des syndicats - avait porté la filature au plus haut degré de perfection. Ses brigades spéciales pouvaient filer un homme par toute la Russie, voire par toute l’Europe, se déplaçant avec lui de ville en ville ou de pays en pays. Les fileurs au reste ne devaient jamais s’embarrasser de frais. Le carnet de dépenses de l’un d’entre eux, pour le mois de janvier 1903, nous donne un chiffre de frais généraux s’élevant à 637 roubles 35. Pour concevoir l’importance du crédit ouvert de la sorte à un très ordinaire mouchard, que l’on veuille bien se souvenir qu’à cette époque un étudiant vivait facilement de 25 roubles par mois. Vers 1911, la coutume naquit d’envoyer des fileurs à l’étranger pour y surveiller les émigrés et prendre contact avec les polices européennes. Les mouchards de S.M. impériale furent dès lors chez eux dans toutes les capitales du monde.

    L’Okhrana avait notamment pour mission constante de rechercher et de surveiller certains révolutionnaires jugés les plus dangereux, principalement terroristes ou membres du parti socialiste-révolutionnaire qui exerçaient le terrorisme. Ses agents devaient être constamment porteurs de carnets de photographies contenant 50 à 70 portraits parmi lesquels nous reconnaissons au hasard Savinkov, feu Nathanson, Argounov, Avksentieff (hélas !), Karéline, Ovssiannikov, Véra Figner, Pechkova (Mme Gorki), Fabrikant. Des reproductions du portrait de Karl Marx étaient aussi mises à leur disposition ; la présence de ce portrait dans un intérieur ou dans un livre constituait un indice.

    Détail amusant : la surveillance extérieure ne s’exerçait pas que sur les ennemis de l’ancien régime. Nous possédons des carnets attestant que les faits et gestes des ministres de l’Empire n’échappaient pas à la vigilance de la police."

    "Le mécanisme le plus important de la police russe était à coup sûr son « agence secrète », nom décent du service de provocation dont les origines remontent aux premières luttes révolutionnaires et qui atteignit un développement tout à fait extraordinaire après la révolution de 1905.

    Des policiers (dits : officiers de gendarmerie) spécialement formés, instruits et triés, procédaient au recrutement des agents provocateurs. Leurs succès plus ou moins grands dans ce domaine les classaient et contribuaient à leur avancement. Des instructions précises prévoyaient les moindres détails de leurs relations avec les collaborateurs secrets. Des spécialistes hautement rétribués réunissaient enfin en un faisceau tous les renseignements fournis par la provocation, les étudiaient, formaient et tenaient des dossiers.

    Il y avait dans les bâtiments de l’Okhrana (Petrograd, Fontanka, 16) une chambre secrète où n’entraient jamais que le directeur de la police et le 8

    fonctionnaire chargé d’y classer les pièces. C’était celle de l’agence secrète. Elle contenait notamment l’armoire à fiches des provocateurs - où nous avons trouvé plus de 35 000 noms. Dans la plupart des cas, par un surcroît de précautions, le nom de « l’agent secret » est remplacé par un sobriquet, ce qui fait que le travail d’identification de certains misérables dont, après la révolution, les dossiers complets tombèrent entre les mains des camarades, fut singulièrement difficile. Le nom de provocateur ne devait être connu que du directeur de l’Okhrana et de l’officier de gendarmerie chargé d’entretenir avec lui des relations permanentes."
    -Victor Serge, Ce que tout révolutionnaire doit savoir de la répression, Maspero, 1975 (1925 pour la première édition française à la Librairie du travail).




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