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    Thomas De Koninck, L’intellection des indivisibles et l’appréhension des natures simples. Aristote et Descartes

    Johnathan R. Razorback
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    Thomas De Koninck, L’intellection des indivisibles et l’appréhension des natures simples. Aristote et Descartes Empty Thomas De Koninck, L’intellection des indivisibles et l’appréhension des natures simples. Aristote et Descartes

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 22 Aoû - 19:56

    https://www.erudit.org/fr/revues/ltp/1997-v53-n3-ltp2159/401126ar.pdf

    "Un aveugle de naissance raisonnant — « syllogisant » — sur les couleurs, utilise des mots sans savoir de quoi il parle, il discute de ce qu'il ne connaît pas comme s'il le connaissait. Ainsi est-il possible, écrit Aristote, de discourir sur des mots [...] sans « rien penser » [...] (Physique II, 1, 193 a 8-10). En d'autres termes, un logos sans nous, sans noein, est vide, n'est logos, « raisonnement », qu'en apparence. Mais qu'est-ce alors au juste que cette activité sans laquelle il n'y a pas de véritable raisonnement et qui fait donc toute la différence — qu'est-ce que « penser », noein ?

    Dans l'œuvre d'Aristote, le texte répondant le plus directement à cette question est De anima III, 6, où Aristote analyse de près la noësis, l'acte de penser, « l'intellection », selon la traduction usuelle. Ce qu'on y découvre en premier lieu, c'est que l'activité de l'intelligence proprement dite, la noësis, concerne les « indivisibles » (adiaireta). L'acte de penser, chez Aristote, se définit avant tout comme une saisie des indivisibles, ou, si on veut, des simples. Qui plus est, De anima III, 6 s'ouvre sur cette phrase : « L'intellection des indivisibles a lieu dans les cas que ne concerne pas l'erreur » (430 a 26-27). Or il se trouve que Descartes insistera lui aussi, dans les Regulae, sur l'impossibilité de l'erreur à propos des natures simples.

    Dans Sur l'ontologie grise de Descartes (1975) et dans sa traduction annotée des Regulae (1977), Jean-Luc Marion a recensé, de manière à peu près exhaustive, les réminiscences aristotéliciennes de cet ordre, relevant en même temps, à partir de là, les différences profondes qui définissent la rupture cartésienne, selon le principe que Marion dénomme « de métaphorisation », par allusion à la remarque de Descaites touchant les mots latins qu'il utilise — transferam ad sensum meum, « je transporte jusqu'à la signification qui est la mienne ceux qui me semblent y convenir le mieux » (Regulae, 369, 3-10). Mais la différence séparant Descartes d'Aristote quant à la pensée du simple mérite d'être marquée à nouveau, nous semble-t-il, comme la plus fondamentale de toutes et celle où l'on entrevoit le plus nettement l'ampleur — problèmes y inclus — de ce qu'inaugure Descartes. Marion voyait dans la Règle XII le résultat de « rien moins que la patiente et précise réinterprétation de tout le traité De l'âme, c'est-à-dire faire éclater le centre de la méditation épistémologique d'Aristote  — l'unicité d'energeia pour le connu et le connaissant ». L'étude comparée du seul chapitre III, 6, et de la Règle XII en particulier, corrobore mieux que toute autre la justesse de cette remarque." (pp.767-768)

    "Considérons, par exemple, non plus la pensée d'un continu, mais celle d'un tout aux parties hétérogènes, tel un éléphant. Bien plus que le nombre, la diversité et la nature de ses parties, l'étonnant est leur unité que trahit la question Qu'est-ce qu'un éléphant ? Sitôt que j'ai entrevu [...] « ce que c'était que d'être » un éléphant — ou « l'essentiel de son essence », selon la traduction de cette formule proposée par Jacques Brunschwig et passée dans l'usage — il est devenu clair que la détermination unique, la forme une et indivise « éléphant » existe in rerum natura. [...] Ici les parties font contraste : l'appendice nasal, les pieds, etc., sont hétérogènes et diffèrent en outre du tout qu'ils contribuent pourtant à constituer. [...] Ce qui est remarquable, c'est que manifestement chacune de ces parties possède un propre : le ce que c'est qu'une trompe, tout autre que celui de la dent d'ivoire, etc. ; une fois ce tout, l'éléphant, effectivement divisé, chacune de ces parties révèle à son tour une forme indivisible que saisit d'un acte indivisible l'intelligence." (p.772)

    "Dans les différents cas considérés jusqu'à présent, nous avons pu voir un indivisible unifiant le multiple." (p.773)

    "
    (pp.775-776)

    "L'antériorité du divisible et de la division sur l'indivisible n'en est pas une de nature mais bien de connaissance, de découverte, selon Aristote. Autrement il ne pourrait soutenir en même temps comme il le fait l'antériorité naturelle de l'un sur le multiple." (p.778)
    -Thomas De Koninck, "L’intellection des indivisibles et l’appréhension des natures simples. Aristote et Descartes", Laval théologique et philosophique, 1997, 53(3), 767–783.




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