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    Antoinette Virieux-Reymond, La formation de l'idée de loi scientifique dans l'Antiquité + L'Épistémologie

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Antoinette Virieux-Reymond, La formation de l'idée de loi scientifique dans l'Antiquité + L'Épistémologie Empty Antoinette Virieux-Reymond, La formation de l'idée de loi scientifique dans l'Antiquité + L'Épistémologie

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 10 Mar - 14:35



    "Il y a conflit principalement entre deux conceptions, l'une selon laquelle la loi scientifique doit atteindre la cause dernière explicative de toute la série des phénomènes qui en est issue (cette manière de concevoir la loi scientifique est proche de ce qu'on admet sous le terme de loi naturelle) ; cette cause dernière est conçue comme existant objectivement en dehors de nous. L'autre renonce à trouver le principe premier explicatif de tous les phénomènes et se contente, sans tirer de conclusions métaphysiques, d'exprimer des relations constantes entre événements, et, comme elle ne cherche pas à atteindre une cause absolue, elle gagne alors plus de précision dans l'expression de la loi toujours formulée mathématiquement.

    La première notion coïncide avec la conception que les Anciens se faisaient de la science, tandis que la seconde est celle généralement admise par la science contemporaine." (p.382)

    "Si les Ioniens font également confiance aux données des sens et à la logique pour établir leurs lois, à partir de Démocrite, on découvre que les sens nous trompent. L'expérience du bâton trempé dans l'eau, qui apparaît brisé à la vue et rectiligne au toucher, en est une preuve que chacun peut éprouver. Il faut donc que la raison tranche sur les données de l'expérience, c'est pourquoi les Pythagoriciens, les Éléates, ainsi que Leucippe-Démocrite, se tournent du côté de la logique pour légitimer leurs systèmes. Et, tout en dénonçant les erreurs des sens, ils croient les uns et les autres à la possibilité, grâce à la logique, de fonder une science rationnelle objective et de retrouver ainsi la loi logique qui dirige le kosmos.

    Cependant, les sophistes soumettent à une critique impitoyable non seulement les données des sens, mais encore l'activité rationnelle elle même. La science apparaît comme subjective et la vérité, inaccessible et incommunicable, semble ne pas exister. [...]
    Indépendamment des contre-coups moraux fâcheux qu'a la position sophistique, elle est nocive du point de vue scientifique, car cet hypercriticisme fausse les perspectives de l'établissement de la loi scientifique. Si la science ne peut atteindre le vrai absolu visé par la métaphysique, elle peut néanmoins atteindre un vrai probabilitaire et celui-ci permet l'établissement de lois statistiques qui peuvent servir  de fondement à une science objective. Or, c'est ce qu'ignore la sophistique, qui a eu cependant le mérite de forcer le rationalisme postérieur à se livrer à une étude critique du problème de la connaissance avant de proposer des lois scientifiques." (p.383-384)

    "Aristote sépare, en principe, la métaphysique ou science de l'être en tant qu'être et les sciences particulières qui étudient chacune un domaine délimité du monde qui nous entoure. La division du travail scientifique en plusieurs domaines différents ayant leurs méthodes propres à sa répercussion sur la manière, dont on conçoit la loi scientifique : on renonce momentanément à trouver une loi unique (tâche que l'on confie à la métaphysique) pour trouver les lois particulières valables dans chaque domaine." (p.384)

    "Comment être sûr que tel phénomène a est bien la cause de tel autre phénomène b ? Dans la pratique, les Stoïciens admettent bien que l'accumulation d'expériences semblables permet d'établir une loi de cause à effet ; mais, logiquement, un certain doute subsiste, et le lien causal apparaît comme fragile. En effet, une plus ample information ou une découverte nouvelle peuvent changer sinon le rapport objectif de cause à effet, du moins son énoncé.

    C'est pourquoi l'on doit, à leurs yeux, distinguer deux plans d'êtres, l'un profond et inaccessible à l'investigation scientifique, l'autre qui est celui des phénomènes, des événements sur lesquels porte notre connaissance scientifique. Le fait, d'autre part, d'avoir marqué le caractère hypothético-déductif du sunemménon, Si ... alors, dénote une attitude de pensée déjà moderne.

    Mais il y a de nombreuses divergences - et importantes - qui empêchent d'assimiler celui-ci à la loi scientifique moderne.

    La première est que tandis que la science moderne admet avec Aristote qu'il n'y a de science que du général, les Stoïciens affirment qu'il n'y a de science certaine que de l'individuel. On comprend fort bien l'intuition qui est à l'origine de cette assertion : « Je me coupe, je vois ma blessure saigner, puis se cicatriser, je puis donc affirmer, sans aucune erreur possible, que, dans ce cas au moins, une cicatrice prouve la présence antérieure et nécessaire de la blessure. » Seulement, comme l'a très bien vu Aristote, cette expérience unique ne peut être caractéristique de la loi que si l'on peut se référer à d'autres expériences semblables, car la loi implique toujours une périodicité.

    Comme, d'autre part, les Stoïciens croyaient à l'existence d'une pensée divine qui, diffuse à travers le réel, dirigeait celui-ci, ils avaient de la peine à concilier le déterminisme rigoureux qui en découlait nécessairement (et cela dans le domaine scientifique aussi bien que dans les autres domaines, religieux, moral et physique) avec la liberté nécessaire à chaque individu pour agir librement et avec l'unicité et l'irréductibilité proclamée pour chaque individu. Si chaque fait individuel est irréductible et strictement unique, comment la pensée divine peut elle se manifester à travers lui, et comment, d'autre part, peut-on établir des lois scientifiques sur de telles bases ?

    C'est probablement l'impossibilité de résoudre ces problèmes qui a incité les Stoïciens à distinguer les deux plans d'êtres dont il a été question plus haut. Par la place accordée aux pratiques divinatoires, par la notion d'un fatalisme devant le Destin, le stoïcisme a pu freiner l'apparition de l'idée de loi scientifique ; il en a, toutefois, préparé l'avènement par la distinction de ces deux plans d'êtres, qui dispense la science comme telle de la recherche métaphysique, d'autre part, grâce à la notion que toute science est une relation entre deux propositions (point de vue qui avait, d'ailleurs, déjà été soutenu par Platon lorsque celui-ci affirmait que toute Idée, bien qu'étant un absolu, participait néanmoins aux cercles du Même et de l'Autre). Enfin, le caractère hypothético-déductif de la loi scientifique semble avoir été entrevu dans le sunemménon qui ne vise pas plus que la loi scientifique moderne à déterminer ce qu'est métaphysiquement tel ou tel être, mais qui constate que la présence d'un phénomène est concomitante de la présence d'un autre." (pp.385-386)

    "De cette confrontation entre les diverses notions de la loi scientifique dans l'Antiquité et les conceptions contemporaines, il ressort que, si nos réalisations sont sans cesse plus hardies, notre conception de la loi scientifique est plus modeste. Dans sa nature avouée, au moins, elle se présente comme hypothétique, soumise à une révision éventuelle selon le principe « du plus ample informé » ; enfin, elle ne vise pas à trouver un point de départ absolu, explicatif de tous les phénomènes, comme c'était le cas de la science antique, mais seulement des relations entre phénomènes, exprimables si possible mathématiquement. [...]

    Il est indéniable que la loi scientifique, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, a été préparée par la pensée grecque qui a su reconnaître les caractères essentiels de la démarche scientifique : recours à la méthode expérimentale, dans la mesure où l'observation pure est déjà une expérimentation, recours à l'examen critique des théories explicatives proposées, caractère hypothétique de la loi scientifique, enfin caractère désintéressé de la recherche scientifique.

    [...] Même si les penseurs grecs ont bénéficié des apports des civilisations antérieures [...] c'est malgré tout à eux que revient la gloire d'avoir posé les premiers quelles conditions étaient à respecter pour établir une loi scientifique." (p.387)
    -Antoinette Virieux-Reymond, "La formation de l'idée de loi scientifique dans l'Antiquité", Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 146 (1956), pp. 382-387.

    https://archive.org/details/lepistemologie0000viri/page/n3/mode/2up



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