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    Rudolf Rocker, Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme

    Johnathan R. Razorback
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    Rudolf Rocker, Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme Empty Rudolf Rocker, Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 14 Mar - 22:11



    "Rocker est né à Mainz [Mayence], en Allemagne, le 25 mars 1873.

    La famille compte trois garçons, dont il est le deuxième. Son père est mort quand il n'avait pas encore 5 ans et sa mère, qui s'était remariée, est décédée quand il en a eu 14. Rocker fut alors mis en pension dans un orphelinat et l'expérience, qu'il décrit dans ses mémoires, l'a indéniablement marqué - il s'est d'ailleurs enfui par deux fois. Au sortir de l'orphelinat, Rocker devient apprenti dans un atelier de relieur, comme son frère aîné et son oncle Cari Rudolf Neumann, surnommé Le professeur. Ce dernier exercera une profonde influence sur l'adolescent. Il lui fait découvrir la littérature, la philosophie, les sciences naturelles, l'histoire, mais aussi la pensée politique et le socialisme, dont il est un ardent défenseur.

    Cette influence se fait sentir dans les décisions que prend le jeune homme au début de l'année 1890 : d'abord, celle de s'inscrire à la Fachverein fur Buchbinder (Association professionnelle des relieurs), puis celle de s'inscrire au Parti social-démocrate d'Allemagne, qui est alors le seul parti d'opposition radical du pays. Comme on va le voir, il n'y restera pas longtemps : mais ce bref passage au sein d'un parti politique sera riche d'enseignements qu'il n'oubliera plus. Surtout, il va lui ouvrir la voie vers l'anarchisme.

    Il est utile de rappeler ici qu'au moment où Rocker y entre, le Parti social-démocrate tombe sous le coup de lois antisocialistes, en vigueur depuis 1878 et pour quelques mois encore, et qui le condamnent à une existence semi-clandestine sans toutefois l'empêcher de prendre part aux élections, dont l'une doit justement se tenir en septembre et à laquelle travaille le jeune militant. Comme Rocker va rapidement le découvrir, ce parti à l'existence fragile est en outre traversé de dissensions, parfois graves et profondes, en plus d'être en relation conflictuelle avec d'autres organisations et d'autres militantismes dont Rocker, pour le moment, ne soupçonne pas l'existence. Il s'éveille à tout cela en participant aux activités d'un groupe de lecture composé de jeunes militants, le Freiheit." (pp.10-11)

    "Il y découvre bien vite qu'il existe au sein du Parti socialdémocrate, redoutée par sa direction, une opposition informelle basée à Berlin et appelée les Jungen. Ses membres contestent notamment le paternalisme du parti, son mode de fonctionnement autoritaire, son opportunisme, sa mentalité petite-bourgeoise, sa bureaucratie sclérosante et son parlementarisme sans nuances, toutes critiques dont Rocker se sent d'emblée très proche. Il découvre aussi, à travers le Freiheit, l'existence d'autres formes de radicalisme politique et lit en particulier des ouvrages et des brochures anarchistes, se trouvant très souvent en accord avec les idées qui y sont exposées.

    Les relations entre les Jungen et la direction du parti, qui exige inconditionnellement unité, discipline et loyauté, se feront de plus en plus tendues et en 1891 Rocker sera, à l'instar des Jungen, expulsé du parti." (pp.11-12)

    "À la fin de l'année 1892, Rocker, qui aura bientôt 20 ans, sait qu'il devra accomplir sous peu son service militaire, une perspective qu'il a en horreur. Il songe donc sérieusement à partir et à voyager, quand un ami l'informe qu'il est sur le point d'être arrêté pour ses activités militantes. Rocker n'hésite pas et part aussitôt pour Paris, où il arrive en novembre 1892.

    Il ne reviendra en Allemagne que plus d'un quart de siècle plus tard." (p.13)

    "Les rencontres avec les anarchistes juifs ont lieu au Café Charles, 2 boulevard Barbès, et elles auront un grand impact sur la suite de sa vie, comme nous le verrons. Quant aux débats internes qui secouent le mouvement, ils sont pour Rocker l'occasion de découvrir et d'affirmer des aspects caractéristiques de son militantisme et de sa conception de l'anarchisme. Il rejette avec force la « terreur injustifiée » qu'il juge inhumaine, clame son dégoût pour Émile Henry [1872-1894]1, craint les effets terriblement négatifs que les meurtres commis en son nom auront sur l'anarchisme, mais, en même temps, admet une certaine fascination (qu'il dira plus tard juvénile) pour les martyrs, pour des personnalités comme Ravachol et surtout Auguste Vaillant [1861-1894] (à l'exécution duquel il assiste d'ailleurs) et reconnaît que les gestes posés ont pu aboutir à quelque chose en attirant l'attention sur les immenses injustices de l'ordre social existant." (p.14)

    "En novembre 1894, un camarade arrivé d'Angleterre assure à Rocker qu'un médecin complaisant du consulat d'Allemagne à Londres accepte, pour un pot-de-vin, de rédiger un certificat de recommandation d'exemption du service militaire. Rocker y voit la possibilité de retourner en Allemagne sans avoir à subir ce supplice redouté. Il décide donc de partir pour Londres." (p.15)

    "Il apprend vite que seuls des médecins allemands travaillant en Allemagne peuvent lui délivrer un certificat exemptant du service militaire et qu'en conséquence, il serait immanquablement arrêté comme déserteur s'il retournait dans son pays natal.

    Rocker recommence donc à pratiquer son métier dans cette ville, où il lui faudra passer un temps indéterminé, et il se familiarise peu à peu avec elle. Il fréquente notamment les quartiers défavorisés de l'East End, où il découvre une extrême misère qui le frappe de plein fouet : « J'ai vu de mes yeux des milliers d'être humains qui n'en étaient plus guère. Affamés, sales et pouilleux, ils portaient des haillons qui laissaient apercevoir leur peau, se nourrissaient dans les poubelles et de restes abandonnés sur les marchés". » Et encore : « Il y avait alors à Londres des milliers de personnes qui n'avaient jamais dormi dans un lit et qui s'enfouissaient plutôt dans un trou crasseux du sol où la police ne viendrait pas les déranger. »

    Il y a alors dans l'East End de Londres une importante communauté d'immigrants juifs, parfois anarchistes, provenant majoritairement de Russie et de Pologne. Ayant fui les persécutions et les pogroms dans leurs pays d'origine (décuplés en Russie après l'assassinat du tsar Alexandre II en 1881), ils travaillaient typiquement comme tailleurs dans des sweatshops où les conditions étaient terribles. Rocker se lie à eux, apprend le yiddish et, dès 1896, commence à écrire pour la revue que publie la communauté, le Arbeter Fraint, (L'ami de l'ouvrier). En octobre 1898, on lui offre d'en prendre la direction, ce qu'il accepte11. Le bénévole qu'il a d'abord été auprès de la communauté juive y devient peu à peu un précieux compagnon de route avant de finir par faire figure d'une sorte de « missionnaire laïc » ou de « rabbin anarchiste » [...]

    Rocker se fait une très haute idée de la tâche qui est la sienne. Tout d'abord et dans l'immédiat, organiser cette communauté et surtout améliorer les conditions de travail de ses membres ; ensuite, améliorer les relations, au sein du mouvement syndical, entre les travailleurs juifs et les travailleurs anglais ; enfin, éduquer cette communauté, et l'éveiller, en particulier, aux idéaux socialistes libertaires." (pp.15-16)

    "Un des résultats concrets de ce souci pédagogique sera l'inauguration le 3 février 1906, en présence de Kropotkine, du Jubilee Street Club, unç institution qu'on décrirait aujourd'hui comme un centre communautaire d'éducation pour adultes, dont les cours et les activités sont offerts à tous les travailleurs sans exception. Dans le vaste bâtiment qui l'abrite et qui a été «payé avec les centimes mis de côté par les esclaves des sweatshops », on trouve une bibliothèque, une salle de lecture, un grand hall pouvant accueillir huit cents personnes, ainsi que des salles de classe dans lesquelles on enseigne un programme riche et vaste, qui va bien au-delà de l'anarchisme ou même de la sociologie et de l'histoire puisqu'on y aborde aussi les sciences, l'anglais, la littérature et l'art (enseignements dont Rocker se charge volontiers), la rhétorique et d'autres sujets encore." (p.17)

    "Au printemps 1912, les travailleurs des sweatshops mènent une grande et mémorable grève votée unanimement et Rocker, désormais un des leaders de la communauté, joue un rôle de tout premier plan dans le succès qui la couronne. Les deux années qui suivent sont celles où son influence est la plus grande. Mais il doit faire face à de nouveaux arrivants, habitués à lutter par les armes contre la terreur tsariste et qui préconisent la propagande par le fait plutôt que le militantisme associé à l'éducation que préconise Rocker. L'un de ces nouveaux venus, tenu en très haute estime par les partisans de la propagande par le fait, s'appelle Peter the Painter. L'histoire le verra réapparaître sur le devant de la scène : ce sera en URSS, comme agent de la Tchéka.

    La guerre déclarée, Rocker sera emprisonné en décembre 1914 comme ennemi étranger, au camp d'internement Alexandra Palace. L'Arbeter Fraint sera interdit de publication, le Jubilee Club sera fermé et le mouvement anarchiste juif anglais ne s'en remettra jamais tout à fait.

    En prison, Rocker donne des cours et attend patiemment d'être libéré. Il ne le sera qu'en mars 1918, dans le cadre d'un échange de prisonniers organisé par la Croix-Rouge qui lui permet d'aller en Hollande, où il retrouve enfin son épouse et son fils. La guerre est terminée et Rocker pense qu'une nouvelle société peut émerger en Allemagne et désire travailler à son avènement. Il part donc pour Berlin, où il arrive en novembre 1918." (p.18)

    "Rocker assiste en 1919 à l'échec de l'insurrection spartakiste et à l'écrasement des Conseils en Bavière ; il travaille au sein de la FAUD, la Freie Arbeiter Union Deutschland (Union libre des travailleurs allemands), dont il rédige la déclaration de principes et qui promeut les idéaux anarchosyndicalistes. Elle sera, en 1923, à l'origine de la nouvelle Association internationale des travailleurs. [...] Si son activité est débordante, Rocker doit aussi assister, impuissant, à l'inexorable montée du national-socialisme et au déclin des organisations libertaires. Il quitte l'Allemagne début mars 1933 ; il espérait rester en Europe mais partira finalement pour les États-Unis.

    C'est de là qu'il suit, avec tout l'intérêt que l'on devine, le déroulement de la Guerre d'Espagne, cette sanglante coupure qui scinde en deux le siècle. J'ai déjà mentionné que Rocker lui consacre deux ouvrages et on aura deviné qu'il fait tout ce qu'il peut pour inciter les ouvriers américains à appuyer cette cause juste et cruciale. C'est durant cette guerre qu'il rédige l'ouvrage que vous allez lire." (pp.18-19)

    "Rocker savait aussi bien que quiconque que la défaite des révolutionnaires en Espagne serait le prélude à une catastrophe sans nom qui déferlerait à l'échelle internationale. Face à cette défaite, il défendra un point de vue résolument interventionniste et militera pour la participation des anarchistes à la lutte contre le nazisme, adoptant en cela une position semblable à celle qu'avait prise Kropotkine à propos de la Première Guerre mondiale et qu'il avait alors combattue. Rocker soutient notamment que, cette fois, les torts ne sont pas partagés par tous les partis en cause." (p.19)

    "On lui en fera reproche, en certains cas très sévèrement, tout particulièrement chez les anarchistes, que la question divise profondément". Dans ses Mémoires, Rocker explique sa position en disant : « Je désirais la défaite de l'Allemagne : non que les défauts, les contradictions et les injustices inhérentes au système capitaliste me fussent soudainement devenus acceptables, mais simplement parce que je n'avais pas perdu le sens des proportions.»

    Rocker mourra aux États-Unis le 11 septembre 1958, dans un monde devenu largement étranger aux idéaux qu'il aura défendus, sans cacher son peu d'espoir de les voir réalisés bientôt." (p.20)
    -Normand Baillargeon, Introduction à Rudolf Rocker, Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme, Éditions Aden, 2010, 200 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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