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    Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme Empty Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 10 Nov - 15:17

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Benedict_Anderson

    "La mécanique implacable du capitalisme continue de nos jours son entreprise de déracinement sur une échelle plus vaste encore, et à un rythme plus soutenu, au sein des frontières nationales mais aussi, de plus en plus, à travers elles. Nous sommes de moins en moins nombreux à savoir quel "sein" nous accueillera lorsque nous rendrons notre dernier soupir. En même temps, nous sommes de plus en plus capables, mais peut-être également forcés, d'emporter notre Heimat avec nous -grâce à la révolution des télécommunications, du courrier et de la banque électroniques, et des magnétoscopes. Voilà plus d'un siècle qu'Acton observait finement que "l'exil est la pépinière du nationalisme" (nationality)." (p.11)

    "Hobsbawm a eu le courage de conclure [...] que l'âge du nationalisme touche à sa fin." (p.13)
    -Benedict Anderson, préface de 1996 à l'édition française de L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Éditions La Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la première édition américaine), 211 pages.

    "Les groupes divers qui voudraient voir l'Armée rouge se retirer de ses camps en Europe de l'Est devraient se rappeler à quel point, depuis 1945, sa présence écrasante a exclu tout conflit armé entre les régimes marxistes de la région." (p.16)

    "Depuis la Seconde Guerre mondiale, aucune révolution n'aboutit qui ne se soit définie en termes nationaux -république populaire de Chine, république socialiste du Viêt-Nam, et ainsi de suite - et, ce faisant, ne se soit solidement ancrée dans un espace social et territorial hérité du passé prérévolutionnaire." (p.16)

    "La "fin de l'âge du nationalisme", si longtemps prophétisée, est loin d'être en vue. Dans la vie politique de notre temps, il n'est en vérité de valeur plus universellement légitime que la nation." (p.16)

    "Le nationalisme est apparu comme une fâcheuse anomalie pour la théorie marxiste [...] on a largement préféré se dérober à la question plutôt que de l'aborder de front." (p.17)

    "Mon point de départ est que la nationalité ou l'état de nation [...] aussi bien que le nationalisme sont des artefacts culturels d'un type bien particulier." (p.18)

    "A la différence de la plupart des autres ismes, le nationalisme n'a jamais engendré "ses" grands penseurs." (p.18)

    "Dans un esprit anthropologique, je proposerai donc de la nation la définition suivante: une communauté politique imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine.
    Elle est
    imaginaire (imagined) parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens: jamais ils ne les croiseront ni n'entendront parler d'eux, bien que dans l'esprit de chacun vive l'image de leur communion. [...]
    En vérité, au-delà des villages primordiaux où le face-à-face est de règle (et encore...), il n'est de communauté qu'imaginée. Les communautés se distinguent, non par leur fausseté ou leur authenticité, mais par le style dans lequel elles sont imaginées. Les villageois javanais savent depuis toujours qu'ils sont liés à des populations qu'ils n'ont jamais vues, mais ces liens étaient jadis imaginés de manière particulariste: sous la forme de réseaux indéfiniment extensibles de parenté et de clientèle. Encore tout récemment, le javanais n'avait pas de mot pour désigner l'abstraction "société". [...]
    La nation est imaginée comme
    limitée parce que même la plus grande d'entre elles, pouvant rassembler jusqu'à un milliard d'êtres humains, a des frontières finies, même si elles sont élastiques, derrière lesquelles vivent d'autres nations. Aucune nation ne s'imagine coextensive à l'humanité. Les plus messianiques des nationalistes ne rêvent pas au jour où tous les membres de l'espèce humaine rejoindront leur nation, ainsi qu'à certaines époques les chrétiens ont pu rêver d'une planète entièrement chrétienne.
    Elle est imaginée comme
    souveraine parce que le concept est apparu à l'époque où les Lumières et la Révolution détruisaient la légitimité d'un royaume dynastique hiérarchisé et d'ordonnance divine. Parvenant à maturité à une étape de l'histoire humaine où les plus fervents adeptes d'une religion universelle étaient inévitablement confrontés au pluralisme vivant des religions de ce type et à l'allomorphisme entre les prétentions ontologiques de chaque confession et son étendue territoriale, les nations rêvent d'être libres et de l'être directement, même si elles se placent sous la coupe de Dieu. L'Etat souverain est le gage et l'emblème de cette liberté.
    Enfin, elle est imaginée comme une
    communauté parce que, indépendamment des inégalités et de l'exploitation qui peuvent y régner, la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde, horizontale. En définitive, c'est cette fraternité qui, depuis deux siècles, a fait que tant de millions de gens ont été disposés, non pas tant à tuer, mais à mourir pour des produits aussi limités de l'imagination." (p.19-21)

    "Le XVIIIème siècle ouest-européen marque l'aube de l'âge du nationalisme, mais aussi le crépuscule des formes de pensée religieuses. Le siècle des Lumières, du sécularisme rationaliste, n'alla pas sans ses ténèbres propres. Avec le reflux de la croyance religieuse, la souffrance qui en était une composante n'a pas disparu pour autant. Désintégration du paradis: rien ne rend la fatalité plus arbitraire. Absurdité du salut: rien ne rend plus nécessaire une continuité d'un autre style. Ainsi s'imposa alors une transformation séculière de la fatalité en continuité, de la contingence en signification. Peu de choses, nous le verrons, s'y prêtaient (s'y prêtent) mieux que l'idée de nation. S'il est largement reconnu que les Etats-nations sont "nouveaux" et "historiques", les nations auxquelles ils donnent une expression politique paraissent surgir d'un passé immémorial et, surtout, semblent promises à un avenir illimité." (p.25)

    "La possibilité même d'imaginer la nation est historiquement apparue le jour où trois conceptions culturelles fondamentales, toutes d'une grande ancienneté, ont perdu leur empire axiomatique sur l'esprit des hommes. La première était l'idée qu'une langue-écriture particulière offrait un accès privilégié à la vérité ontologique, précisément parce qu'elle faisait partie intégrante de cette vérité. C'est cette idée qui est à l'origine des grandes sodalités transcontinentales de la chrétienté, de l'umna islamique et autres. La deuxième était la conviction que la société était naturellement organisée autour et au-dessous de centres éminents: de monarques, c'est-à-dire de personnes qui étaient à part des autres êtres humains et qui régnaient en vertu de quelque arrêt cosmologique (divin). Les loyautés humaines étaient nécessairement hiérarchiques et centripètes parce que le souverain, de même que les saintes Écritures, était une voie d'accès à l'être, lui était inhérent. La troisième et dernière était une conception de la temporalité dans laquelle cosmologie et histoire se confondaient, où les origines du monde et des hommes étaient foncièrement identiques. Au total, ces idées ancraient fermement la vie humaine dans la nature même des choses, donnant un certain sens aux fatalités quotidiennes de l'existence (mort, perte et servitude, surtout) et offrant diverses formes de rédemption.
    Le déclin lent et inégal de ces certitudes interdépendantes, d'abord en Europe occidentale puis ailleurs, sous l'impact du changement économique, de "découvertes" (sociales et scientifiques) et de l'essor de communications toujours plus rapides, enfonça un coin entre cosmologie et histoire. Que l'on se mît alors en quête, pour ainsi dire, d'une nouvelle manière d'associer significativement fraternité, pouvoir et temps n'est pas pour surprendre. Rien, peut-être, ne précipita davantage cette quête ni ne la rendit plus féconde que le capitalisme de l'imprimé qui permit à une masse rapidement croissante de gens de se penser et de se rattacher à autrui en termes profondément nouveaux
    ." (p.47)

    "La Réforme [...] dut une bonne partie de son succès au capitalisme de l'imprimé. Avant l'âge de l'imprimerie, Rome triompha sans mal de toutes les hérésies en Europe occidentale parce qu'elle avait toujours eu de meilleures voies de communication internes que ses adversaires. Mais lorsqu'en 1517 Martin Luther cloua ses thèses sur la porte de la chapelle des augustins de Wittenberg, elles furent imprimées en traduction allemande: "En une quinzaine de jours, elles sont connues partout". Entre 1520 et 1540, il y eut trois fois plus de livres publiés en allemand que dans les deux premières décennies du siècle: transformation stupéfiante dans laquelle Luther joua un rôle absolument central. Ses œuvres ne représentent pas moins d'un tiers de tous les livres de langue allemande vendus entre 1518 et 1525. Entre 1522 et 1546, il y eu au total 430 éditions (intégrales ou partielles) de ses traductions de la Bible [...] En fait, Luther fut le premier auteur de best-seller connu comme tel." (p.51)

    "Dans l'Europe d'avant l'imprimé, et, bien sûr, ailleurs dans le monde, la diversité des langues parlées, de ces langues qui étaient pour leurs locuteurs la chaîne et la trame de leur existence, était immense: tellement immense, en vérité, que si le capitalisme de l'imprimé avait cherché à exploiter chaque marché potentiel des langues vernaculaires orales, il serait resté un capitalisme de menues proportions. Mais ces divers idiolectes étaient susceptibles d'être assemblés, dans des limites bien définies, en langues d'imprimerie bien moins nombreuses." (p.54-55)

    "Ces langues d'imprimerie jetèrent les bases de la conscience nationale de trois façons distinctes. En tout premier lieu, elles créèrent, au-dessous du latin mais au-dessus des langues vernaculaires parlées, des champs d'échange et de communication unifiés. Les locuteurs de français, d'anglais ou d'espagnols fort divers, à qui il était difficile -voire impossible- de se comprendre dans la conversation, purent désormais se comprendre via l'imprimé et le papier. Ce faisant, ils prirent progressivement conscience que des centaines de milliers, voire des millions de personne appartenaient à leur champ linguistique particulier, mais que ce champ se limitait à celles-là. Dans leur invisibilité visible, séculière et particulière, ces co-lecteurs, auxquels ils étaient associés par l'imprimé, formaient un embryon de communauté nationale imaginée.
    En deuxième lieu, le capitalisme de l'imprimé donna au langage une fixité inédite qui, à la longue, contribua à forger cette image d'ancienneté tellement capitale pour l'idée subjective de nation. Comme nous le rappellent L. Febvre et H.-J. Martin, le livre imprimé conservait une forme permanente, susceptible d'être reproduite quasiment à l'infini dans le temps aussi bien que dans l'espace. Il avait cessé d'être soumis aux habitudes des scribes monastiques qui, "en partie sans y penser, modernisaient" et individualisaient les textes qu'ils recopiaient. Ainsi, alors que le français du XIIème différait profondément de celui qu'écrivait Villon au XVème siècle, le rythme de changement connut un ralentissement décisif au XVIème siècle. "Au XVIIème siècle, les langues nationales apparaissent un peu partout cristallisées". Pour dire les choses autrement, depuis trois siècles ces langues d'imprimerie désormais stabilisées ont acquis une patine ; les mots de nos ancêtres du XVIIème siècle nous sont accessibles comme ceux de ses aïeux du XIIème siècle ne l'ont jamais été à Villon
    ." (p.55-56)

    "Incompatibilité foncière de l'empire [peuples inégaux] et de la nation [individus reconnus égaux]." (p.102)

    "Ce sont toujours les classes dirigeantes, bourgeoises assurément, mais par dessus-tout aristocratiques, qui pleurent les empires." (p.118)

    "Le fond de l'affaire, c'est que le nationalisme pense en termes de destin historique, tandis que le racisme rêve de contamination éternelle, transmises depuis l'aube des temps à la faveur d'une succession sans fin d'abominables copulations: hors de l'histoire. [...] Ainsi, pour le nazi, l'Allemand juif était nécessairement un imposteur." (p.153)

    "Le racisme colonial était un élément majeur de cette conception de l' "Empire" qui tentait de souder légitimité dynastique et communauté nationale. Il le fit en généralisant à l'immensité des possessions d'outre-mer le principe de supériorité innée et héréditaire qui servait de base (certes branlante) à sa position intérieure -l'idée implicite (parfois pas si implicite) étant que si, mettons, les lords anglais étaient naturellement supérieurs aux autres Anglais, ceux-ci n'en étaient pas moins supérieurs aux indigènes soumis. En vérité, on est tenté de soutenir que l'existence des derniers empires coloniaux a même servi à étayer les bastions de l'aristocratie, puisqu'ils semblaient confirmer sur une scène mondiale et moderne d'antiques conceptions du pouvoir et des privilèges." (p.154)

    "Dès le début de la IIIème République, la très bavarde grande muette avait été le refuge des aristocrates de plus en plus écartés du pouvoir dans toutes les institutions importantes de la vie civile. En 1898, un bon quart des généraux de brigade et de division étaient des aristocrates. De surcroît, ce corps d'officiers dominé par l'aristocratie joua un rôle crucial dans l'impérialisme au XIXème et au XXème siècle." (p.156)

    "Les révolutionnaires les plus radicaux sont toujours, jusqu'à un certain point, héritiers du régime déchu. Si cet héritage est en partie symbolique, il n'en est pas moins important pour autant. Malgré la gêne de Trotski, l'URSS choisit pour capitale Moscou, c'est-à-dire l'ancienne capitale tsariste ; et pendant plus de soixante-dix ans, les dirigeants du PCUS ont mené leur politique depuis le Kremlin, l'ancienne citadelle des tsars -choisie entre tous les sites possibles dans les immenses territoires de l'Etat socialiste. De même, la capitale de la Chine populaire est celle des Mandchous, alors que Chang Kai-shek l'avait déplacé à Nankin, et les dirigeants du Parti communiste chinois se réunissent dans la Cité interdite des Fils du Ciel. En vérité, très rares sont les dirigeants socialistes, s'il en est, qui n'ont pas pris place sur des sièges usés et encore chauds. A un niveau moins évident, les révolutionnaires triomphants héritent aussi de l'ancien appareil d'Etat: parfois des fonctionnaires et des informateurs, mais toujours des fichiers, des dossiers, des archives, des lois, des registres financiers, des recensements, des cartes, des traités, des correspondances et des mémoires, etc. Comme le système électrique complexe d'une grande demeure, lorsque le propriétaire a fui, l'Etat attend que le nouveau maître des lieux pose la main sur l'interrupteur pour retrouver son éclat d'antan." (p.163)

    "Tous les profonds changements de conscience s'accompagnent d'amnésies caractéristiques." (p.204)
    -Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Éditions La Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la première édition américaine), 211 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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