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    Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer Empty Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 8 Mar 2017 - 17:48

    "[On peut] tenir les Sumériens pour les inventeurs de ce qui est apparemment -avec, et peut-être avant le système hiéroglyphique égyptien- la première véritable écriture connue. Aussi, l'Histoire proprement dite ne se faisant qu'au moyen de documents écrits, pouvait-on poser dès lors qu'elle "commence à Sumer"." (p.XVII)

    "Lorsque le Sémite Sargon d'Akkad -qui donnera leur nom d'Akkadiens à ses compatriotes et celui d'akkadien à leur langue sémitique- prend le pouvoir, peu après 2350, regroupe sous sa poigne les petites principautés sumériennes, sémitiques, ou suméro-sémitiques qui avaient jusqu'alors vécu côte à côte en paix ou en guerre les unes contre les autres, et fonde ainsi le Premier Empire mésopotamien, il ouvre l'avenir aux Akkadiens et sonne le glas des Sumériens." (p.XIX)

    "D'autres Sémites continuent d'arriver du nord-ouest, en une nouvelle vague, celle des Amurrites (ou Amorrhéens), étirée sur plusieurs siècles et qui submerge le pays, mais sans y imposer son dialecte propre, et en entrant de plain-pied dans l'héritage linguistique et culturel des Akkadiens. Lorsqu'ils parviendront au pouvoir, et à l'Empire, avec Hammurabi (vers 1790-1750), le plus grand des onze monarques de la Ire Dynastie de Babylone (entre 1900 et 1600, à peu près), les Sumériens auront été si bien éliminés, absorbés et rayés de la carte que l'ancien titre royal, qui gardait peut-être encore un peu de sa vérité ethnologique sous la IIIe dynastie d'Ur: "roi de Sumer et d'Akkad", est devenu une simple figure de style, qui s'entend du Sud et du Nord du pays, et que le quatrième successeur de Hammurabi, Ammisaduqa (env. 1650-1625), voulant, dans un décret, définir sur le plan ethnique l'entière population sous sa coupe, ne parlera plus que d' "Akkadiens et Amurrites", comme si ces derniers venus n'avaient trouvé devant eux que des congénères, plus anciennement installés dans le pays, sans la moindre allusion aux vieux Sumériens.
    Désormais, le pouvoir balancera entre Babylone, au Sud, et Assur, puis Ninive, au Nord, jusqu'à la disparition des Assyriens, en 612 avant notre ère, puis des Babyloniens, leurs vainqueurs, abattus et conquis par les Perses achéménides en 539
    ." (p.XX)  
    -Jean Bottéro, préface à Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer, Flammarion, coll. Champ histoire, 2015 (1957 pour la première édition française), 316 pages.

    "C'est probablement vers la fin du IVe ou le début du IIIe millénaire avant Jésus-Christ, il y a donc environ cinq mille ans, que les Sumériens, pressés par les nécessités de leur organisation économique et administrative, en virent à imaginer de mémorialiser par des signes imprimés sur l'argile un certain nombre de faits ou d'activités. Leurs premières tentatives n'allèrent pas au-delà du dessin schématique du terme de "pictographie": ce procédé aboutit lentement à enregistrer les pièces administratives les plus élémentaires. Mais au cours des siècles suivants, les scribes et les lettrés sumériens modifièrent et perfectionnèrent peu à peu la technique de leur écriture, au point qu'elle finit par évoluer de la pictographie, c'est-à-dire un simple "rébus", en un système capable de traduire non plus les seules images mais les sons qui en constituent les "signes sonores" dans la langue parlée. Dans la seconde moitié du IIIe millénaire avant Jésus-Christ, le maniement de l'écriture à Sumer était devenu assez souple pour que l'on rédigeât sans difficulté des œuvres historiques et littéraires déjà complexes." (p.11)

    "A Sumer, un bon millénaire avant que les Hébreux n'écrivirent les premiers livres de leur Bible et les Grecs leur Iliade et leur Odyssée, nous trouvons déjà toute une littérature florissante comprenant des mythes et des épopées, des hymnes et des lamentations, et de nombreuses collections de proverbes, de fables et d'essais." (p.12)

    "Primitivement, l'école sumérienne donnait un enseignement "professionnel", c'est-à-dire qu'elle visait à former les scribes dont avaient besoin l'administration et les bureaux d'affaires, principalement ceux du Temple et du Palais. Tel demeura son but primordial. Mais au cours de sa croissance et de son développement, par suite surtout de l'élargissement des programmes, l'école devint peu à peu le foyer de la culture et du savoir sumériens. Dans ses murs prospéraient érudits et savants, instruits de toutes les formes de connaissance courante à cette époque, aussi bien d'ordre théologique que botanique, zoologique, minéralogique, géographique, mathématique, grammatical ou linguistique, et qui faisaient progresser ce savoir. Elle était enfin le centre de ce qu'on peut appeler la création littéraire. Non seulement on y recopiait et étudiait les œuvres du passé, mais on en composait de nouvelles." (p.25)

    "Les scribes avaient pour pères les citoyens les plus riches des communautés urbaines." (p.26)

    "Quelques documents, peu nombreux -il faut le préciser-, signalent des scribes de sexe féminin, mais les femmes n'ont pas joué un rôle important dans les écoles de Sumer et d'Akkad. Et s'il y eut des lettrées, comme la fille de Sargon le Grand, Enheduanna, elles avaient dû recevoir un enseignement privé dont nous n'avons pas connaissance. [...] A l'époque babylonienne, au contraire, et par exemple à Mari vers 1800 avant notre ère, on rencontre des femmes scribes et secrétaires, prototypes, si l'on peut dire, de nos dactylos." (p.26)

    "Les premiers souverains de Sumer, si grands qu'aient pu être leurs succès de conquérants, n'étaient pas des tyrans entièrement libres de leurs actes, des monarques absolus. Sur les intérêts majeurs de l'Etat, particulièrement sur les questions de guerre et de paix, ils consultaient leurs concitoyens les plus notables, réunis en assemblées. Ce recours à des institutions "démocratiques", dès le IIIe millénaire avant Jésus-Christ, constitue un nouvel apport de Sumer à la civilisation. Le fait surprendra sans doute bien de nos contemporains, persuadés que la démocratie est une invention de l'Occident, et même une invention de date récente." (p.55)

    "Aux alentours de l'an 3000 avant Jésus-Christ, le premier parlement connu à ce jour se réunit donc en session solennelle. Il se composait, comme nos propres parlements modernes, de deux chambres: un Sénat ou Assemblée des Anciens, et une Chambre basse formée par tous les citoyens en état de porter les armes. On se croirait à Athènes ou à l'époque de la Rome républicaine !" (p.56)

    "Le parlement dont il est fait mention dans notre texte n'avait pas été convoqué pour une mince affaire. Il s'agissait d'une session extraordinaire au cours de laquelle ses deux chambres devaient choisir entre ce que nous appellerions aujourd'hui: "la paix à n'importe quel prix" et "la guerre et l'indépendance". Il est intéressant de préciser dans quelles circonstances se tint cette mémorable session. Telle la Grèce à une époque beaucoup plus récente, Sumer, en ce IIIe millénaire avant Jésus-Christ, se composait d'un certain nombre de villes-États qui rivalisaient pour l'hégémonie. L'une des plus importantes était Kish, qui, d'après la légende sumérienne, avait reçu du Ciel la royauté, immédiatement après le "Déluge". Cependant, Uruk, une autre cité, beaucoup plus au sud, étendait sa puissance et son influence et menaçait sérieusement la suprématie de sa rivale. Le roi de Kish (dans le poème, Agga) finit par se rendre compte du danger: il menaça les Urukiens de leur faire la guerre s'ils ne le reconnaissaient pas comme leur suzerain. C'est à ce moment décisif que furent convoquées les deux assemblées d'Uruk: l'Assemblée des Anciens et celle des citoyens valides." (p.57)

    "Sumer, il faut le reconnaître, n'a pas produit d'historien vraiment digne de ce nom. Aucun de ses historiographes, cela est bien certain, n'a rédigé d'histoire telle que nous la concevons aujourd'hui, c'est-à-dire comme une succession continue d'événements dont l'évolution est régie par des causes profondes, elles-mêmes soumises à des lois universelles." (p.61)

    "Les vieux "historiens" de Sumer, heureusement pour nous, ne se sont pas contentés d'évoquer les guerres et les batailles. Il leur est arrivé aussi de traiter d'événements économiques ou sociaux significatifs. C'est ainsi que le texte d'une inscription fait été de réformes dirigées contre les abus des "jours anciens", commis par une bureaucratie odieuse et envahissante. Le document émane du Palais et a été rédigé par un des archivistes du roi Urukagina, homme nouveau qui fut porté au pouvoir par le peuple après le renversement de la vieille dynastie d'Ur-Nanshe. Mais, pour mieux apprécier le contenu de notre texte, il est indispensable d'avoir au moins une idée sommaire de l'arrière-plan politique et social dans lequel s'inscrivent les événements rapportés.
    L'Etat-urbain de Lagash au IIIe millénaire avant Jésus-Christ comprenait, outre la "capitale", un petit groupe de villages prospères rassemblés chacun autour d'un temple. Comme les autres cités sumériennes, Lagash avait pour suzerain le roi régnant sur l'ensemble de Sumer, mais elle était en fait gouvernée par l'ensi, représentant temporel du dieu tutélaire auquel la tradition religieuse attribuait la fondation de la ville. Les conditions exactes dans lesquelles les premiers ensi vinrent au pouvoir restent incertaines ; il se peut qu'ils aient été choisis par les hommes libres de la cité, sur l'avis peut-être des administrateurs du Temple, les sanga, dont le rôle politique apparaît déterminant. De toute façon, la charge finit par être héréditaire. Les ensi devenus puissants tendaient alors par ambition à augmenter leur pouvoir et leur richesse aux dépens du Temple, ce qui provoquait souvent des conflits entre ce dernier et le Palais.
    Dans l'ensemble, les habitants de Lagash étaient fermiers et éleveurs, bateliers et pêcheurs, négociants et artisans. La vie économique de la cité était régie par un système mixte: elle était partie "socialiste" et dirigée, partie "capitaliste" et libre. Le sol appartenait en théorie au dieu de la cité, soit probablement au Temple, qui l'administrait dans l'intérêt de tous les citoyens. Mais en fait, si le personnel du Temple possédait une fraction importante des terres qu'il affermait à des métayers, une grande partie était la propriété de particuliers. Les pauvres eux-mêmes n'étaient pas sans posséder quelque ferme, quelque jardin, une maison, ou du bétail. L'entretien du système d'irrigation, si essentiel dans ce pays désertique à la vie de la population, devait être nécessairement assuré en commun. Mais, sous bien d'autres rapports, l'économie était relativement libre de toute contrainte. La richesse et la pauvreté, le succès et l'échec dépendaient pour une large part des entreprises et des efforts individuels. Les plus industrieux des artisans vendaient les produits de leur fabrication au marché libre de la ville. Des négociants itinérants entretenaient par voies terrestres et maritimes un commerce florissant avec les Etats voisins, et il n'est pas douteux qu'il y avait parmi eux des particuliers en plus des représentants du Temple. Les citoyens de Lagash avaient une conscience très vive de leurs droits et ils se méfiaient de toute action gouvernementale capable de porter atteinte à la liberté de leurs affaires et de leurs personnes. C'est cette liberté, jugée par eux comme le premier des biens, que les habitants de Lagash avaient perdues, d'après notre vieux document, au cours des années antérieures au règne d'Urukagina.
    Des circonstances qui avaient amené à cet été d'illégalité et d'oppression, il ne nous est fait aucune mention. Mais nous pouvons supposer qu'une telle situation était imputable aux forces économiques et politiques sur lesquelles s'appuyait le régime autoritaire instauré par Ur-Nanshe et ses successeurs. Certains de ces souverains, qui firent preuve d'une ambition démesurée aussi bien pour eux que pour leur Etat, s'étaient lancés dans des guerres "impérialistes" et des conquêtes sanglantes. Ils avaient, une fois ou l'autre, remporté des succès considérables, et pendant une brève période, on l'a vu au chapitre précédent, l'un d'entre eux avait même étendu sa domination sur l'ensemble de Sumer, et même sur plusieurs contrées voisines. Mais les premières victoires furent sans lendemain. En moins d'un siècle, Lagash fut ramenée à ses frontières primitives et à sa situation initiale. Quand Urukagina accéda au pouvoir, la cité était si affaiblie qu'elle était devenue une proie toute prête pour son implacable ennemie du Nord, Umma.
    C'est au cours de ces guerres cruelles et de leurs suites désastreuses que les citoyens de Lagash avaient perdu leur liberté. Les maîtres de la cité, afin de lever des armées et de leur fournir armes et équipements, avaient estimé nécessaire d'empiéter sur les droits des individus, d'augmenter le rendement des impôts, voire de s'approprier le patrimoine du Temple. Tant que le pays avait été en guerre, ils n'avaient pas rencontré d'opposition. La guerre avait fait passer tous les leviers de commande aux mains des gens du Palais. La paix revenue, ceux-ci se montrèrent peu disposés à abandonner des postes et des prérogatives dont ils tiraient de si grands profits. De fait, nos bureaucrates antiques avaient trouvé le moyen de multiplier les sources de revenus, les recettes budgétaires, les taxes et impôts dans des proportions à rendre jaloux leurs collègues modernes
    ." (p.71-74)

    "La mort même était passible de taxes et d'impôts." (p.74)

    "Chez les Sumériens, l'étudiant avancé consacrait une grande partie de son temps à l'étude des lois et il s'entraînait régulièrement à la pratique d'une terminologie hautement spécialisée, aussi bien qu'à la transcription des codes légaux et des jugements qui avaient fait jurisprudence." (p.82)

    "Les Sumériens n'ont pas réussi à élaborer une véritable "philosophie" dans le sens où nous entendons aujourd'hui ce mot." (p.102)

    "La terre leur apparaissait comme un disque plat entouré par la mer -cette mer où finissait leur monde, sur les bords de la Méditerranée et au fond du golfe Persique." (p.105)

    "Les sages sumériens croyaient et enseignaient que les malheurs de l'homme sont le résultat de ses péchés et de mauvaises actions, qu'aucun homme n'est exempt de culpabilité." (p.145)

    "Les Sumériens [...] pensaient [...] que les hommes avaient été heureux jadis, dans un passé depuis très longtemps révolu.
    La mythologie classique a rendu célèbre ce thème de l'âge d'or. Mais c'est dans la littérature sumérienne que l'idée en est apparue pour la première fois, comme en témoigne un poème dont j'ai déjà parlé au chapitre 4:
    Enmerkar et le seigneur d'Aratta. Un passage de cette œuvre parle en effet d'un "autrefois" où l'humanité, avant d'être déchue, connaissait l'abondance et la paix." (p.151)
    -Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer, Flammarion, coll. Champ histoire, 2015 (1957 pour la première édition française), 316 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

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