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    Guy Pervillé, La France en Algérie. 1830-1954

    Johnathan R. Razorback
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    Guy Pervillé, La France en Algérie. 1830-1954 Empty Guy Pervillé, La France en Algérie. 1830-1954

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 26 Jan - 13:18

    « En 1992, l’histoire de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie retenait encore peu l’attention du public, et d’autant moins que l’Etat français n’avait aucune politique commémorative de ce qui avait été le plus grand échec de la colonisation française. Depuis trente ans, la France avait envers son ancienne colonie une politique de l’oubli qui contrastait fortement avec la politique mémorielle qu’elle réservait à ses deux guerres mondiales. » (p.5)

    « Les querelles mémorielles qui […] ont malheureusement pris une ampleur sans précédent, en Algérie et en France, après 1992. » (p.7)

    « Il paraît clair qu’en lançant l’expédition d’Alger en 1830 la France n’avait aucune politique algérienne définie. » (p.12)

    « L’extériorité de l’Algérie par rapport à la métropole l’excluait en pratique des préoccupations de la masse des citoyens avant 1955. » (p.15)

    « Il n’est pas non plus indifférent de savoir que, dès le 10 décembre 1943, Catroux avait signalé au général de Gaulle que la France allait jouer la dernière chance de la politique d’assimilation ou d’intégration, et que, si elle échouait, il faudrait « donner ultérieurement à ce pays un statut de dominion ou qui aboutirait à une situation analogue à celle qui prévaut actuellement au Liban », c’est-à-dire à l’indépendance dans la coopération des communautés. » (p.17)

    « Du débarquement de l’armée française le 14 juin 1830 à Sidi Ferruch au débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942, aucune puissance étrangère ne vint disputer à la France la possession du territoire algérien. Elle put donc y développer sans entrave sa politique de colonisation pendant cent douze ans. » (p.17)

    « La Restauration rompit avec la politique traditionnelle de la France en décidant la prise d’Alger (1830). La monarchie de Juillet quant à elle prit les décisions les plus lourdes de conséquences : non-évacuation d’Alger, occupation restreinte (1834) puis conquête totale (1840) et coloniation du territoire algérien. La IIe République enfin consacra les faits accomplis en proclamant l’Algérie partie intégrante du territoire national dans la Constitution de 1848.
    Le Second Empire, à travers maintes hésitations, démontra l’irréversibilité de ces choix fondamentaux en échouant à imposer une autre politique, pourtant mieux adaptée aux réalités algériennes et métropolitaines : le « royaume arabe » de Napoléon III. Dès mars 1870, six mois avant la chute de l’Empereur, l’assimilation de l’Algérie à la France était redevenue le dogme de la politique française de ce pays. » (p.21)

    « Les relations de la monarchie française avec la régence turque d’Alger s’inscrivaient depuis le règne de François Ier dans le cadre de l’alliance franco-ottomane qui rapportait à la France des avantages stratégiques (alliance de revers contre la maison d’Autriche sur terre et sur mer) ; économique (monopole du commerce et de la navigation et droit d’établissement dans les « échelles du Levant » garanti par les capitulations) ; et moraux (protectorat des lieux saints et des catholiques orientaux). En conséquence de cette alliance, la France avait plusieurs fois coopéré avec les flottes « barbaresques » contre les Espagnols et leurs alliés. Elle avait établi un consulat à Alger dès 1564, et reçu en même temps le monopole de la pêche du corail sur la côte est et le droit d’y établir des comptoirs de commerce entre Collo, Bône et la Calle.
    Pourtant, de nombreux incidents avaient opposé les corsaires d’Alger (indociles à l’autorité du sultan) aux navires marchands de Marseille, qu’ils accusaient de couvrir de leur pavillon des navires étrangers. Une longue guerre de course, entrecoupée de trêves et de représailles, avait opposé la France et la régence d’Alger de 1603 à 1689, et perturbé les relations franco-ottomanes.
    Mais une paix de cent ans avait été signée en 1689, et renouvelée en 1789. Moyennant des redevances aux autorités turques d’Alger, les Français avaient le droit de naviguer en sûreté et de commercer. La « Compagnie d’Afrique », organisée en 1741 pour exploiter les comptoirs de l’est algérien, exportait surtout des blés et des cuirs (ainsi que le corail) contre des piastres espagnoles. Les commerçants marseillais tiraient leurs profits de la revente des produits algériens en France.
    La Révolution n’avait rien changé à ces relations. En 1793, le dey Hassan avait reconnu la République française, et autorisé des exportations de blé qui se répétèrent de 1793 à 1798, par l’intermédiaire de négociants juifs livournais établis à Alger, les Bacri et Busnach.
    L’irruption de Napoléon Bonaparte dans l’histoire de la France en bouleversa la traditionnelle politique ottomane. En 1798, le Directoire décida d’envoyer le général Bonaparte (vainqueur des Autrichiens en Italie) conquérir l’Égypte pour menacer les intérêts anglais dans l’Inde, suivant un projet conçu par le duc de Choiseul, ministre de Louis XV. Contrairement aux prévisions du ministre des Relations extérieures Talleyrand, l’expédition d’Égypte poussa le sultan ottoman à déclarer la guerre à la France et à s’allier aux Anglais et aux Russes. Le dey d’Alger Mustapha suivit l’exemple de son suzerain le sultan, par crainte de subir le sort des beys mamelouks d’Égypte, et par respect de la suprématie navale anglaise, prouvée par le victoire de Nelson sur la flotte française en rade d’Aboukir. Il saisit donc les comptoirs français, et reprit la guerre de course contre la France.
    Après la paix franco-turque d’octobre 1801, Napoléon envoya des missions diplomatiques dans toutes les régences barbaresques. L’accord franco-algérien du 17 décembre 1801 rendit à la France ses comptoirs d’Afrique et ses privilèges commerciaux. Mais les relations franco-algériennes restèrent difficiles. Napoléon traitait les Etats barbaresques avec hauteur, n’hésitant pas à menacer de les détruire comme il avait détruit le pouvoir des mamelouks d’Égypte. Dès janvier 1802, après une insulte au pavillon français, il fit étudier un débarquement par le consul Jean-Bon Saint-André, qui choisit la baie de Sidi Ferruch à l’ouest d’Alger ; mais le dey Mustapha céda après une démonstration navale. Par ailleurs, le dey s’estimait lésé par le non-règlement des créances des négociants Bacri et Busnach pour les livraisons de blé à la France, dont une part lui revenait. Après l’assassinat du dey Mustapha par les janissaires mécontents de leur solde, et après la défaite navale française face à la flotte de Nelson à Trafalgar, le nouveau dey Ahmed rompit avec la France et remit ses comptoirs aux Anglais en 1806. Napoléon riposta en faisant arrêter les sujets algériens de passage en France. Après un accord sur la restitution des prisonniers, en 1808, le commandant du génie Boutin fut envoyé pour étudier un débarquement et un plan de prise d’Alger, qui fut exécuté avec succès en 1830. Mais l’Empereur, aux prises avec des ennemis plus redoutables en Europe, n’eut jamais l’occasion de le réaliser. » (p.22-24)

    « Le conflit se prolongea pendant trois ans parce que l’intervention franco-anglo-russe au secours des Grecs insurgés contre le sultan ottoman mobilisa le gros de la flotte française en Orient, depuis la bataille de Navarin d’octobre 1827 jusqu’à la paix d’Andrinople de septembre 1829.
    Effectué par une petite division navale, le blocus des côtes algériennes s’avéra inefficace, et ne dispensa pas les navires français de naviguer en convoi pour se prôtéger des corsaires. C’est pourquoi des propositions de débarquement furent émises dès 1827. » (p.26)

    « L’intervention militaire fut décidée par le nouveau ministère formé le 8 août 1829 sous la direction du prince Jules de Polignac, ami du roi Charles X. Composé d’ « ultras » rêvant de rétablir l’absolutisme, il symbolisait tout ce que détestait l’opposition libérale […] Plus que tout autre gouvernement de ce régime issu des désastres de 1814 et 1815, il avait besoin de prestige à l’extérieur pour dissiper son impopularité et faire taire ses opposants. » (p.27)

    « Le conseil des ministres du 31 janvier 1830 décida l’expédition d’Alger afin de relever le prestige du roi en vengeant l’honneur national et en tenant tête à l’Angleterre, dans l’espoir de gagner les prochaines élections et de restaurer l’absolutisme. Le 7 février 1830, Charles X ordonna la mobilisation de l’armée et de la marine. Le 2 mars, il annonça officiellement l’expédition à l’ouverture de la session des Chambres. Son commandement fut confié à l’homme le plus impopulaire du ministère, le ministre de la Guerre, Bourmont.
    Pendant la discussion de l’adresse à la Chambre des députés, l’opposition contesta violemment la justice, l’utilité, et la légalité de l’expédition. Le 16 mars, 221 députés sur 402 votèrent une adresse de défiance au gouvernement. Le 18 mars, le roi prorogea la Chambre jusqu’au 3 septembre. Le 16 mai, elle fut dissoute, et la date des élections fixée au 23 juin dans les départements et au 3 juillet à Paris. Elles furent ensuite repoussées au 13 et au 19 juillet, pour attendre le plein succès de l’expédition. » (p.28)

    « Ce fut un succès militaire, grâce au plan de Boutin et malgré le médiocre commandement de Bourmont. Partis de Toulon le 12 mai sur 675 bâtiments, 37 000 hommes débarquèrent à Sidi Ferruch le 14 juin et surprirent une armée de 30 000 à 40000 Turcs, Arabes et Kabyles. Le corps expéditionnaire gagna la dure bataille de Staoueli, et marcha sur le Fort L’Empereur, mal entretenu et mal défendu, qui se fit sauter. Alger sans défene, et déserté par une partie de ses habitants, ne résista pas : les janissaires turcs proposèrent à Bournont de lui apporter la tête du dey, et les bourgeois maures négocièrent les termes de la capitulation, qui fut signée le 5 juillet 1830. Elle garantissait au dey et aux Turcs le droit de s’exiler en emportant leurs biens, et aux habitants le respect de leur religion et de leurs propriétés. Pourtant de honteuses scènes de pillage se produisirent. Confisquée au profit de l’Etat français, le trésor de la Casbah fut à moitié détourné. » (p.29)

    « Une armée française restait à Alger, dernière conquête de la Restauration. Sans l’avoir prévu ni voulu, ses derniers gouvernements avaient fait les premiers pas de la conquête de l’Algérie et d’un vaste empire colonial africain. Rarement vit-on une telle disproportion entre la petitesse des causes et la grandeur de leurs conséquences. » (p.31)

    « Complétée en décembre 1833 par cinq députés et trois pairs, la commission [d’enquête] conclut définitivement trois mois plus tard à la conservation des « possessions françaises de la côte septentrionale d’Afriqur », tout en écartant la conquête totale du pays. Ce fut en vain que le bourgeois maure Si Hamdan Khodja fit publier en français Le Miroir, aperçu historique et statistique sur la Régence d’Alger, plaidoyer pour l’application à l’Algérie du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. » (p.32)

    « L’ordonnance du 22 juillet 1834 proclama pour la première fois l’annexion des « possessions françaises dans le Nord de l’Afrique », et en organisa l’administration sous l’autorité d’un gouverneur général militaire, subordonné au ministre de la Guerre. Le gouvernement y assumait le pouvoir législatif sous forme d’ordonnances, et se réservait le droit de le déléguer au gouverneur général, comme dans les comptoirs du Sénégal et de l’Inde.
    En dehors des environs d’Alger –l’ancien Dar es Soltan soumis au gouvernement direct des deys- et de quelques ports à l’est et à l’ouest, la France continuait à vouloir exercer une domination indirecte sur l’intérieur par l’intermédiaire de chefs indigènes vassaux, pour s’épargner les frais et les sacrifices de la conquête totale. Mais cette politique aboutit à une contradiction insurmontable. Il fallait sans cesse intervenir, pour soutenir des fantoches sans prestige, ou pour s’opposer au renforcement de vrais chefs capables d’unifier les musulmans d’Algérie contre l’occupation française : Ahmed, Bey de Constantine, à l’est, et le jeune émir arabe Abd el-Kader à l’ouest. » (p.33)

    « Au début de 1840, l’échec de l’occupation restreinte imposait un choix simple : évacuer l’Algérie (ainsi dénommée officiellement depuis 1839) ou la conquérir totalement. Le 15 janvier 1840, le général Bugeaud, ancien négociateur du traité de la Tafna et député de la Dordogne, expliqua devant la Chambre pourquoi il s’était converti à la dernière solution. D’après lui, l’abandon était impossible, « parce que la France officielle […], c’est-à-dire les écrivains, l’aristocratie de l’écritoire, n’en veut pas », et qu’aucun gouvernement n’était assez fort pour l’imposer. L’occupation maritime, pratiquée par les Anglais à Gibraltar, était également impossible parce que les villes côtières occupées avaient besoin d’un large périmètre de sécurité pour nourrir leurs importantes populations, et parce qu’elles seraient bloquées et assiégées par la « nationalité arabe » organisée par l’émir Abd el-Kader. Il restait donc une seule possibilité : « la domination absolue, la soumission du pays » par une « grande invasion militaire », suivie par une colonisation massive et militairement constituée pour garder la conquête. Tout en se montant profondément convaincu que l’Algérie était « le plus funeste des présents que la Restauration ait fait à la monarchie de Juillet », il affirmait « Oui, à mon avis, la possession d’Alger est une faute, mais puisque vous voulez la faire, puisqu’il est impossible que vous ne la fassiez pas, il faut que vous la fassiez grandement, car c’est le seul moyen d’en obtenir quelque fruit. »
    Le gouvernement présidé par Thiers à partir du 1er mars 1840 approuva les vues de Bugeaud et projeta de le nommer à la place de Valée. Mais il fut trop occupé par le conflit turco-égyptien et par ses conséquences en Europe. Isolée par son soutien au pacha d’Égypte contre le sultan, la France fut menacée par une nouvelle coalition des quatre grandes puissances (Angleterre, Prusse, Autriche, Russie) et contrainte d’abandonner son allié Mehemet Ali pour éviter la guerre. Après le renvoi de Thiers, le nouveau gouvernement dirigé par Soult et par Guizot décida le 29 décembre 1840 de nommer Bugeaud gouverneur général de l’Algérie, avec tous les moyens militaires nécessaires pour venir à bout de l’émir Abd el-Kader au plus vite. Humiliée face à l’Europe, la France devait prendre sa revanche en Algérie.
    De retour d’un voyage fait sur place en 1841, le député Alexis de Tocqueville approuva ce choix fondamental, pour des raisons qu’il exprima en termes éloquents : « Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter l’Algérie. L’abandon qu’elle en ferait serait aux yeux du monde l’annonce certaine de sa décadence. […] Si la France reculait devant une entreprise où elle n’a devant elle que les difficultées naturelles du pays et l’opposition des petites tribus barabares qui l’habitent, elle paraîtrait aux yeux du monde plier sous sa propre impuissance et succomber par son défaut de cœur. Tout peuple qui lâche aisément ce qu’il a pris et se retire de lui-même dans ses anciennes limites proclame que les beaux temps de son histoire sont passés. Si jamais la France abandonne l’Algérie, il est évident qu’elle ne peut le faire qu’au moment où on la verra entreprendre de grandes choses en Europe et non pas dans un temps comme le nôtre et où elle semble descendre au second rang et paraît résignée à laisser passer en d’autres mains la direction des affaires européennes. » [Tocqueville, « Travail sur l’Algérie », 1841, in De la colonie en Algérie, textes choisis et présentés par T. Todorov, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988, pp.57-59]
    Pendant six ans, Bugeaud mobilisa le tiers de l’armée française (83 000 hommes en 1842, 108 000 en 1846) pour soumettre la « nationalité arabe » par tous les moyens efficaces : combattre les troupes de l’émir, détruire ses villes, empêcher les tribus insoumises de semer et de récolter, enlever leurs troupeaux, couper leurs arbres fruitiers et même enfumer les « rebelles » récalcitrants dans les grottes où ils se réfugiaient ; moyens justifiés à ses yeux par les intérêts supérieurs de la nation française et de la « civilisation ». » (p.34-36)
    -Guy Pervillé, La France en Algérie. 1830-1954, Vendémiaire, coll. Chroniques, 2012, 523 pages.


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