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    Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie Empty Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 11 Fév 2021 - 22:22

    "Le Comité de Rédaction des Annales de géographie se devait de rendre hommage à Pierre George dont la contribution à la vie de la revue fut exceptionnelle tant par le nombre de ses publications que par le rôle qu’il joua, pendant plus de trois décennies, au sein de sa direction. Son nom est mentionné pour la première fois en 1931 : il s’agit d’une note de lecture, « Le Tricastin. Une étude pétrographique et stratigraphique des bauxites de la France méridionale ». Et pour la dernière fois en 1999, toujours dans une note de lecture, « Montréal 2001. Visages et défis d’une métropole ». Pendant ces 68 ans, avec pour seule interruption les années de guerre (1942 à 1945), la signature de Pierre George apparaît en plus de 650 occurrences. Il s’agit pour l’essentiel de comptes-rendus d’ouvrages embrassant un champ sinon universel du moins très vaste de la géographie, à la hauteur de son érudition. Auteur prolifique, Pierre George fut aussi un lecteur infatigable, constamment animé du désir de partager le fruit de ses lectures. Outre cette activité éditoriale peu commune, il a longtemps fait partie des instances dirigeantes des Annales de Géographie : entré en janvier 1956 au Comité de rédaction, il ne le quitta qu’en décembre 1992, après 37 années passées au service de la revue."

    "Entré au parti communiste en 1935, il s’en éloigna définitivement en 1956, suite à l’invasion de la Hongrie par l’URSS, sans pour autant rejeter en bloc les apports de la pensée marxiste à l’étude des sociétés. En plaçant la dimension sociale au cœur de ses analyses, il a joué un rôle décisif dans l’évolution de la géographie dont il a contribué à ouvrir les frontières."
    -« Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie », Annales de géographie, 2008/1 (n° 659), p. 3-31. DOI : 10.3917/ag.659.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-1-page-3.htm

    "De la Géographie économique et sociale de la France  (1938) et d’Une géographie sociale du monde aux « Que sais-je ? » du début des années 1980, il n’a jamais cessé de prêter attention à une géographie qu’il qualifiait d’ailleurs de « sociologique » plus que de sociale, et qu’il divisait en deux grands chapitres : « l’inventaire dans un milieu de toutes les données sociales », « l’étude différentielle de la diversité des faits sociaux et des combinaisons sociales dans le monde ». Pour lui, l’une des missions du géographe consiste bien à saisir, à décrire et à comprendre les groupements humains dans les différents milieux du globe où ils vivent, en tant que sociétés ayant chacune une organisation propre et un mode de production (terme d’origine marxiste qu’il préfère à celui, plus vidalien, de genre de vie) plus ou moins spécifique, occupant en tout cas « un rang particulier dans la hiérarchie des civilisations ."

    "Primo, les faits sociaux et économiques revêtent une indéniable dimension spatiale qu’il convient de prendre en compte pour qui veut réellement les comprendre. C’est, d’après lui, ce qui justifie une rencontre entre géographie et sociologie : deux disciplines finalement complémentaires. Secundo, l’espace géographique enregistre l’impact des faits de société. Il reflète les clivages les plus perceptibles des inégalités économiques et sociales. Il en conserve les traces historiques que réinterprètent les sociétés contemporaines en produisant leurs propres espaces. Tertio, sur ces bases, il est légitime et cohérent, pour Pierre George, de privilégier une représentation et une division du monde à partir des grands systèmes sociaux qui y trouvent place. Les grandes catégories d’espaces géographiques qu’il distingue reposent toujours sur des organisations sociales (y compris leurs déclinaisons économiques et politiques) différentes."

    "L’un de ses maîtres, le sociologue Georges Gurvitch, pour qui « la réalité sociale n’est pas étudiée uniquement par la sociologie, mais également par des sciences sociales particulières », parmi lesquelles figure bien entendu la géographie. Cependant pour George, si « la sociologie se situe sur le plan vertical, son fini (étant) la totalité sociale, la société globale », la géographie, elle, « se situe sur le plan horizontal, son fini étant l’espace occupé par un type de société globale ou un ensemble de rapports sociaux »."

    "Dans la Géographie des inégalités [1981], il souligne que cette dimension géographique du social constitue un révélateur essentiel des injustices faites aux hommes sur la terre. Pour lui, « concrètement, les clivages les plus perceptibles des inégalités économiques et sociales se projettent sur l’utilisation de l’espace ». Même si elle n’est que descriptive, leur identification géographique se justifie avec force, car « elle signale la mise en place de systèmes de rapports (souvent iniques) dans des cadres spatiaux définis »."

    "Modèle centre/périphérie auquel il se ralliera."

    "Pour Pierre George, « les hommes naissent inégaux en fait », mais « inégaux suivant le lieu et la société où ils naissent ». Le lieu a donc bien, pour lui, un sens en soi qui est fondamental pour qui veut comprendre les sociétés humaines."

    "On a beaucoup dit que malgré ses engagements politiques, cette géographie des sociétés n’avait rien de marxiste. C’est sans doute en partie vrai ; mais en partie seulement, car on n’a pas suffisamment relevé, à notre sens, ses innombrables accents marxiens. Ainsi, Pierre George est attentif au mouvement de l’histoire comme aux temps de la géographie. Les grandes scansions qu’il retient sont celles, grosso modo, du matérialisme historique. Il emploie d’ailleurs fréquemment, pour les désigner, le terme marxiste de mode de production. De plus, cette durée historique à laquelle il se réfère, comme chez Marx, est téléologique. Chez George, les sociétés originellement diverses tendent vers leur homogénéisation : ce qu’on appellerait sans doute, aujourd’hui, l’effet uniformisant de la mondialisation. Cependant, pour lui, cette idée n’est pas très éloignée de la vision marxiste d’une unification finale des sociétés. Ajoutons que son vocabulaire abonde de termes popularisés par le marxisme : société de classe, prolétariat, bourgeois et capitalistes, mode de production (on l’a vu), etc. Il est, par ailleurs, l’un des promoteurs des concepts de production sociale de l’espace, de dialectique du social et du spatial… Il s’intéresse à la répartition des inégalités sociales dans l’espace, aux rapports de domination entre pays développés et sous-développés, du Nord et du Sud. Il croit au progrès et aux techniques qui libèrent l’homme de l’esclavage des milieux. Il met l’accent sur l’étude du travail (envisagé comme facteur de production et substrat des modes d’existence, reflet de la structure sociale dans son partage) et des activités, sur le thème de l’existence humaine au travers de ses composantes matérielles : la résidence, la consommation, les mobilités et les migrations… Certes, on ne rencontre pas, à proprement parler, de phraséologie ou de jargon marxiste dans l’œuvre de Pierre George, mais sa manière de raisonner, d’utiliser les faits sociaux en géographie, de définir les objets et d’expliquer les situations géographiques, témoigne, à notre sens, d’une indéniable influence de l’œuvre de Marx sur sa propre pensée : l’une de celles qui firent la géographie française du XXe siècle."
    -Guy Di Méo, "Pierre George, géographe des sociétés humaines", in « Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie », Annales de géographie, 2008/1 (n° 659), p. 3-31. DOI : 10.3917/ag.659.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-1-page-3.htm

    "Pierre George [...] a soutenu en 1934 une thèse de facture très classique sur la région du Bas-Rhône ne se pose pas en théoricien de l’analyse régionale. Il va cependant contribuer indirectement à la faire évoluer, avec une conscience très claire des incidences des nouvelles approches scientifiques sur le traitement du fait régional."

    "Alors que l’on insistait jusqu’ici sur l’homogénéité de la région, la « polarisation » s’impose comme un autre mode d’organisation de l’espace. Mais contrairement aux économistes des années 1950, les géographes n’insistent pas tant sur les « pôles de croissance » industriels que sur le rôle de la ville en tant que centre de services. Pierre George impulse toute une série de thèses d’État qui vont considérablement renouveler le traitement des espaces régionaux. À la monographie urbaine se substitue l’étude des réseaux urbains, avec l’ouvrage pionnier de Michel Rochefort consacré à l’organisation urbaine de l’Alsace qui donne une nouvelle lecture d’une région considérée jusque-là comme l’archétype de la région naturelle et historique."
    -Jean-Claude Boyer, "Pierre George et la géographie régionale", in « Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie », Annales de géographie, 2008/1 (n° 659), p. 3-31. DOI : 10.3917/ag.659.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-1-page-3.htm

    "Dans la préface à l’étude de 1951, Alfred Sauvy, qui se prépare quant à lui à publier sa théorie générale de la population, le présente comme un géographe marxiste. Sa vision du monde et la phraséologie qui la porte montrent en effet une évidente imprégnation marxiste, notamment par l’importance donnée au « système d’organisation économique et sociale » pour l’étude de la population. La géographie du peuplement, écrit-il, est « inséparable de la géographie systématique des forces productives » (p. 146)."

    "Courant tiers-mondiste et de l’appropriation par les géographes des questions de sous-développement, marquée en particulier par les publications d’un de ses élèves, Yves Lacoste."
    -Roland Pourtier, "Pierre George et les questions de population", in « Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie », Annales de géographie, 2008/1 (n° 659), p. 3-31. DOI : 10.3917/ag.659.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-1-page-3.htm

    "Auteur fécond de 61 livres et de centaines d’articles, publiés sur plus de six décennies, entre 1935 et les dernières années du XXe siècle, Pierre George a abordé de nombreux thèmes de géographie régionale, économique, démographique, sociale. Il a aimé traquer les faits quantifiables avec une prédilection pour tout ce qui relève de la production, conformément aux tendances intellectuelles de l’époque. Encore en 1970-71, Pierre George fait inscrire au programme d’agrégation et enseigne « la géographie des minerais métalliques dans le monde », sujet certes non négligeable, mais qu’aucun géographe français n’aurait envie de traiter tout au long d’une année universitaire aujourd’hui."
    -Jean-Robert Pitte, "Pierre George et le paysage", in « Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie », Annales de géographie, 2008/1 (n° 659), p. 3-31. DOI : 10.3917/ag.659.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-1-page-3.htm

    "L’environnement, désormais largement présent dans l’analyse géographique, n’y a été diffusé qu’à partir des années 1980. Les pionniers de cette évolution sont le géomorphologue Jean Tricart et le biogéographe George Bertrand. Le premier intègre données physiques et humaines afin d’établir des diagnostics d’aménagement notamment en Amérique du Sud. Dès 1962, il publie L’épiderme de la terre. Esquisse d’une géomorphologie appliquée, puis en 1978 Géomorphologie applicable, avant d’envisager les relations Écologie-géographie dans un article de l’ouvrage collectif Terrains vagues et terres promises. Jean Tricart qui croise nature et société situe toujours sa réflexion dans l’objet éco-système (écrit volontairement en deux mots pour distinguer cependant démarche géographique et écologie). Il traite des prélèvements effectués par la société au détriment des éco-systèmes, envisage les transformations que ces écosystèmes enregistrent sous l’effet anthropique. Jean Tricart souligne que « l’homme est un agent décisif de l’écodynamique ». Cette dernière « permet de déterminer le degré de liberté dont nous disposons pour modifier les éco-systèmes sans les dégrader, sans les détruire » (…), l’écodynamique fournit selon l’auteur les « bases à tout environnement rationnel ».

    George Bertrand dès 1968 publie dans la Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, un article sur paysage et géographie physique globale : esquisse méthodologique où il insiste sur une analyse globale qui demeure encore essentiellement physique. Puis il introduit le terme de géosystème et travaille en 1971 sur l’écologie de l’espace géographique, recherche pour une science du paysage (compte rendu de la société de biogéographie). Sa recherche conduit à l’ouvrage publié avec Cl. Bertrand en 2002, Une géographie traversière, l’environnement à travers territoires et temporalités.

    Ces éléments rappellent quelques temps forts de l’évolution de la discipline géographique au cours des années 1970 et au-delà. Elle passe lentement et non sans crispations d’une géographie physique souvent déclinée en entrées successives, relief, climat, végétation… , sans lien bien établi avec les données sociales, à une intégration des faits de nature et des faits sociaux qui conduit à l’environnement.

    Cette évolution qui se dessine dans les années 1970 est formalisée, précisée par Pierre George dans un que sais-je ? intitulé L’environnement [1971]. dont les apports pourtant majeurs sont quasiment passés inaperçus dans la communauté des géographes. Dans ce petit ouvrage réédité deux fois, Pierre George est à la fois un pionnier et un visionnaire."

    "Il insiste sur les notions de seuil, d’irréversibilité des actions anthropiques sur le milieu cette dernière survenant « par dépassement du seuil ultime de conservation de l’équilibre des facteurs »."

    "En considérant l’environnement comme un objet nouveau qui associe et imbrique faits de nature et de sociétés, Pierre George fait un véritable travail de pionnier. Ni Jean Tricart, ni George Bertrand en 1970 ne vont aussi loin dans leurs analyses."

    L’environnement que Pierre George conçoit s’écarte radicalement de certains points de vue écologistes qui commencent à apparaître dans les années 1970. Il refuse un retour à la nature « mythique et édénique », il dénonce le risque de déboucher sur un certain manichéisme, « les bons appelant à la croisade pour l’amélioration et l’assainissement de l’environnement contre les méchants qui le rendent dangereux ».

    Il récuse aussi les positions du club de Rome (1968) et notamment la « croissance zéro »."

    "S’agissant de la vulnérabilité, il fait encore œuvre de pionnier si l’on songe que cette approche au sens ainsi défini n’apparaît dans les discours géographiques français que bien des années plus tard, alors que la réflexion sur ce thème était très poussée dans la géographie anglo-saxonne dès 1945 autour de G. F. White notamment."

    "Son analyse est visionnaire aussi quant au développement des discours écologistes fortement dramatisés, à la mise en question de la science, et à la marchandisation de la nature. Il est regrettable que cette pensée féconde et si novatrice n’ait pas été perçue comme telle par la communauté géographique dans les années 1970."
    -Yvette Veyret, "Pierre George, pionnier de l’environnement en géographie ", in « Pierre George (1909-2006) : un géographe témoin de son temps. Hommage des Annales de Géographie », Annales de géographie, 2008/1 (n° 659), p. 3-31. DOI : 10.3917/ag.659.0003. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2008-1-page-3.htm



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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