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    Joanny Moulin, « J. R. R. Tolkien l'antimoderne »

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Joanny Moulin, « J. R. R. Tolkien l'antimoderne » Empty Joanny Moulin, « J. R. R. Tolkien l'antimoderne »

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 18 Juin - 19:53

    "Élevé dans la foi catholique par sa mère Mabel, convertie au catholicisme après le décès de son époux, au grand dam de sa famille anglicane dont elle-même et ses enfants durent subir l'ostracisme. Tolkien était convaincu que ce dur traitement avait hâté le décès de sa mère. Il ne cessa de se considérer comme « un homme dont l'enfance fut assombrie par la persécution » (a man whose childhood was darkened by persecution » [unsent letter to Michael Tolkien, 11 Oct. 1968 ; Letters 393-95]), fort amer que les catholiques en Angleterre fussent encore de son temps soumis à des vexations comparables, toutes proportions gardées, à celles que subirent les Juifs dans d'autres pays d'Europe (« Has it ever been mentioned that R[oman] C[atholic]s still suffer from disabilities not even applicable to Jews? » [ibid.]) « But hatred of our church is after all the real only final foundation of the C[hurch] of E[ngland] », disait-il encore (Letter to Christopher Tolkien, Oct. 1944 ; Letters 96)."

    "La conversion de Mabel est étroitement liée à l'Oratoire de Birmingham, fondé par Newman en 1849. Tolkien disait qu'il tenait sa passion pour les langues germaniques anciennes non pas de ses ancêtres paternels venus d'Allemagne au XVIIIe siècle, mais de sa mère, une Suffield du Worcestershire qui lui avait donné ses premières leçons d'allemand et éveillé son intérêt pour l'étymologie, les alphabets et la calligraphie. Mais il apparaît aussi assez clairement que l'intérêt de Tolkien pour le Moyen Âge et le médiévalisme de son esthétique le rapprochent des préraphaélites, qui furent la chambre d'échos, dans l'histoire de l'art et de la littérature, de ce que représenta le Mouvement d'Oxford dans l'histoire des idées en Angleterre. Chez ces Anglais qui, après John Keble et quelques autres, dénoncèrent le protestantisme comme étant à l'origine d'une « apostasie nationale », il y avait une affection particulière pour un Moyen Âge idéal, en amont des Lumières et de la Réforme qui leur avait servi de préambule. « There is in our Western culture the romantic chivalric tradition still strong, though as a product of Christendom (yet by no means the same as Christian ethics) the times are inimical to it », disait Tolkien (letter to Michael Tolkien, 6-8 March 1941; Letters 48-49), peut-être en référence indirecte aux thèses de Max Weber dans L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Cette tradition, poursuit-il dans la même lettre, « idéalise “l'amour” » : « It idealizes “love”—and as far as it goes can be very good, since it takes in far more than physical pleasure, and enjoins if not purity, at least fidelity, and so self-denial,?, courtesy, honour, and courage. »

    Pour avoir une idée de ce que cela voulait dire concrètement, on notera par exemple que Tolkien fut embarrassé, pour le moins, que ses fils aient servi dans la RAF parce qu'il considérait le combat aérien comme immoral, trop éloigné qu'il est de l'engagement en combat singulier."

    "Tolkien partageait un anti-étatisme profond avec le Mouvement d'Oxford, qui revendiquait l'autonomie spirituelle de l'Église, tout comme à la même époque en France Lamennais, Montalembert et Lacordaire militaient dans L'Avenir pour la séparation de l'Église et de l'État. Il eût été d'accord avec Péguy, pour qui ce n'était pas suffisant que l'Église fût séparée de l'État, mais qui réclamait de surcroît « la séparation de la Métaphysique et de l'État » et demandait : « Quand donc l'État, fabriquant d'allumettes et de contraventions, comprendra-t-il que ce n'est point son affaire que de se faire philosophe et métaphysicien ? » (Péguy 564)."

    "Tolkien n'avait pas eu la lucidité du Bernanos anti-franquiste des Grands cimetières sous la lune, mais s'était aveuglé un temps sur la personne de Roy Campbell, poète converti au catholicisme en même temps qu'il s'était engagé dans la phalange, et en qui Tolkien le naïf avait cru voir comme une nouvelle incarnation du chevalier chrétien défenseur de la foi."

    "Tolkien composait le Seigneur des Anneaux à Oxford pendant la Seconde Guerre mondiale, lisant des extraits à ses amis du club des Inklings (C. S. Lewis, Charles Williams, etc.) le soir, derrière des fenêtres calfeutrées pour le couvre-feu. Le royaume de Mordor est une allégorie des forces visant à la destruction de la civilisation chrétienne, que Tolkien voyait à l'œuvre dans le monde sous plusieurs expressions, apparemment antagonistes, mais en définitive fondamentalement équivalentes à ses yeux : le fascisme et le nazisme en étaient une, le communisme en était une autre, mais on n'a pas assez dit que le capitalisme anglo-américain en faisait également partie."
    -Joanny Moulin, « J. R. R. Tolkien l'antimoderne », Études anglaises, 2009/1 (Vol. 62), p. 73-85. DOI : 10.3917/etan.621.0073. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-2009-1-page-73.htm




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