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    Roland Simon, Histoire critique de l’ultragauche

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Roland Simon, Histoire critique de l’ultragauche Empty Roland Simon, Histoire critique de l’ultragauche

    Message par Johnathan R. Razorback Ven 22 Oct - 15:18

    https://fr.book4you.org/book/5300193/596232

    "C'est d'une accumulation d'expériences toutes marquées par l'échec des révolutions prolétariennes passées qu'héritaient les communistes au début des années 1970." (p.14)

    "La grève générale sauvage de Mai 1968 en France n'avait pas produit d'organes spécifiques de gestion ouvrière. Durant le long « Mai rampant » italien, les conseils d'usine et de zone, s'ils manifestaient l'auto-organisation de la classe sur ses objectifs propres - tels que la limitation des cadences, la réduction des écarts catégoriels de salaire, ou l'échelle mobile - ne tendaient pas du tout à s'emparer de l'appareil productif que les jeunes prolétaires immigrés du Sud ne songeaient qu'à fuir." (p.18)

    "On peut appeler ultragauche, toute pratique, organisation, théorie, qui définissent la révolution comme affirmation du prolétariat et simultanément critiquent et rejettent toutes les médiations qui sont la montée en puissance de la classe à l'intérieur du mode de production capitaliste (organisations politiques, syndicalisme, parlementarisme...) par laquelle seulement peut exister cette affirmation. En cela, l'ultragauche est une contradiction en procès. Cette contradiction constitue toute la richesse et l'intérêt de l'ultragauche. En poursuivant un but dont elle supprime tous les moyens rationnels et pratiques de réalisation, elle est constamment un problème pour elle-même. La limite sur laquelle butent sans cesse ses théoriciens est de conserver un être révolutionnaire du prolétariat, être véritable qui doit se révéler, en le séparant de la classe telle qu'elle existe dans le mode de production capitaliste. D'où la mystique de l'autonomie/auto-organisation qui doit être la révélation de l'être véritable et toujours là de la classe qui va faire exploser, dépasser, la façon dont elle existe comme classe de ce mode de production.

    L'ultragauche est l'expression d'une contradiction bien réelle. Ce qu'est la classe dans le mode de production capitaliste est devenu la négation de son autonomie tout en étant la raison d'être et la force de cette même volonté d'affirmation autonome. L'affirmation de la classe se heurte, dans cette phase de la subsomption réelle, à sa limite intrinsèque : la montée en puissance de la classe, que l'affirmation implique et qui seule l'autorise. La révolution comme affirmation de la classe se trouve prise dans cette contradiction qu'elle ne peut dépasser. C'est dans ce qui constitue la révolution elle-même, que la contre-révolution trouve sa force, et la capacité de l'abattre.

    La pratique révolutionnaire et sa théorie persistent à concevoir la révolution comme affirmation de la classe, mais ne peuvent plus se reconnaître dans aucune manifestation ou aucun mode d'existence immédiat de la classe. C'est ce que par une formule fétiche, « les prolétaires eux-mêmes », cherche à conjurer l'ultragauche. L'ultragauche développe un programmatisme épuré de tout ce qui a trait à la montée en puissance de la classe. Elle se réfère à une classe telle qu'elle existerait en rupture avec son existence dans la reproduction du capital, et suppose que cette classe est toujours celle qui existe sous toutes les « mystifications » (démocratie, partis, syndicats, et toutes les formes de « substitutionnisme ») ; il lui faut une nature révolutionnaire de la classe. En tant qu'il serait le mode de révélation de cette « nature », d'un être caché de la classe, le spontanéisme s'impose comme un concept central de cette théorie.

    Le prolétariat doit se nier comme classe du capital, acquérir son autonomie, pour réaliser ce qu'il est vraiment : la classe du travail social et son organisation. C'est là que s'enracinent toutes les perspectives de l'ultragauche. Mais, chaque fois qu'un tel mouvement semble se dessiner, la réalité impose de voir que ce que le prolétariat « est vraiment » est ce qui permet d'exister à ce que l'ultragauche ne comprend que comme des médiations, des mystifications et des détournements.

    Cette réalité s'est constamment imposée à l'ultragauche, mais sa propre problématique lui interdisait de la théoriser et de la comprendre, mais non d'intérieurement la subir et de la traduire dans les termes de sa problématique." (pp.19-20)

    "La thèse centrale défendue dans les exposés qui suivent est que toute la problématique théorique de l'ultragauche exprime une situation, un cours de la lutte de classe, dans lesquels la révolution comme affirmation de la classe ne peut plus se reconnaître aucune médiation, ni même reconnaître dans l'existence immédiate de la classe sa possibilité
    d'existence. Mais, demeurant affirmation de la classe, la pratique révolutionnaire et la théorie révolutionnaire ne peuvent reconnaître cet évanouissement sans se condamner elles-mêmes. C'est le point extrême où pratiquement, comme auto-organisation du prolétariat, comme rupture de son implication avec le capital et affrontement avec toutes les formes
    organisationnelles de cette implication - et théoriquement comme analyse et défense de l'autonomie du prolétariat —, parvient le cycle de luttes qui s'achève au début des années 1970.

    Ce mouvement fut brisé, il y eut défaite ouvrière. « Mai 68 » est battu, « l'automne chaud » italien (qui dura trois ans) aussi, les vagues de grèves sauvages américaines et britanniques également, comme le mouvement assembléiste espagnol, etc., sans oublier toute l'insubordination sociale qui avait gagné toutes les sphères de la société. La défaite n'a pas l'ampleur de celle de 1917-1936, mais la restructuration en jeu n'est pas non plus de même ampleur, on reste dans le même mode de subsomption. Ce qui n'empêche qu'il y ait défaite et restructuration/contre-révolution." (p.23)

    "[En 1968] Il n'y eut aucune activité autogestionnaire dans aucune entreprise même si on en parlait presque partout." (p.29)

    "Tout le monde connaît le petit film La Reprise du travail aux usines Wonder : face à une ouvrière qui hurle son refus de « retourner dans cette taule », on voit les délégués syndicaux mais aussi des gauchistes (certainement des « maos ») chercher à la convaincre de rentrer en lui disant que le combat continuera à l'intérieur. Personne n'y croit. C'est le moment de peur de Séguy à Billancourt, c'est le moment où à Peugeot (Sochaux) deux ouvriers sont tués par les CRS et l'un de ces derniers jeté dans une cuve d'acide." (p.30)

    "Détachées du reste du mouvement, les pratiques qui remettent en cause l'affirmation de la classe et l'émancipation du travail deviennent des éléments précurseurs d'une perspective aclassiste de la révolution. A contrario, se trouverait ainsi justifiée l'identification de toute lutte ouvrière au programmatisme. La critique du programmatisme, devenue folle, se confond alors avec un abandon de la révolution comme action du prolétariat, c'est-à-dire d'une classe." (p.32)

    "Il est exact que le développement des luttes italiennes de 1962 à 1975 sont d'une part le fait des franges récemment prolétarisées de la jeunesse, d'individus issus du milieu rural du sud et que c'était une révolte clamant : « vogliamo tutti », mais, d'autre part, concrètement, cela s'exprimait par des revendications touchant tous les aspects du travail. Ce qui est déterminant, ce n'est pas seulement l'origine de cette fraction de la classe ouvrière, mais simultanément son arrivée dans la « grande usine », dans le quartier ouvrier, etc. Cette immigration interne s'intègre (souvent conflictuellement) à une classe ouvrière structurellement en contrat à durée indéterminée avec un emploi stable.

    Les systèmes de protection sociale sont plus ou moins garantis et les systèmes institutionnels encadrant la force de travail (pour le meilleur et pour le pire) fonctionnent." (p.33)

    "En 1959, dans l'industrie métallurgique et mécanique du Nord, la base se bat pour l'interdiction des heures supplémentaires et pour la prise en compte de cette revendication par les syndicats. Durant ce même mouvement, les ouvriers imposent aux trois grands syndicats italiens l'organisation de piquets de grève communs. Les mouvements de base contre les heures supplémentaires éclatent dans les entreprises du Nord tout au long de l'année 1960. A Turin, dès 1960, Panzieri souligne que des assemblées de base contestent aux syndicats la direction de la lutte. Par ailleurs, durant l'été i960, des émeutes éclatent en Italie à la suite de l'autorisation donnée par le gouvernement au MSI (neo-fasciste) de tenir son congrès à Gênes, la « citadelle ouvrière ».

    C'est la plus jeune génération d'ouvriers qui est la plus déterminée dans ces affrontements. Il faut alors constater que les jeunes ouvriers fraîchement arrivés du Sud laissent douze d'entre eux morts lors de ces émeutes pour défendre une « citadelle ouvrière ». Si les affrontements sont si violents c'est que comme l'écrit Quaderni Rossi dans un texte fondé sur des interviews d'ouvriers : « le fascisme évoque le spectre de la domination de classe dans sa forme la plus pure ». Un ouvrier déclare : « Pour moi le fascisme c'est le patron »." (pp.34-35)

    "C'est à une conférence de la fédération turinoise du PSI, au début de 1961, qu'Alquati, qui anime les Quaderni Rossi, présente l'enquête sur FIAT où il défend l'idée selon laquelle les ouvriers tendent à passer d'une critique de leur travail individuel à une remise en question de la rationalité de la division du travail dans l'entreprise considérée dans sa totalité." (p.35)

    "Radio Alice et A/traverso sont insérables des luttes et affrontements qui couvrent toute l'année 1977 : grèves sauvages, manifestations violentes avec blessés et morts par balles, actions des Brigades Rouges, « Rondes prolétariennes » qui attaquent des entreprises fondées sur le travail au noir, révoltes de prisons, auto-réductions, manifestations féministes contre le refus d'une loi sur l'avortement, commandos féminins contre le travail au noir, etc. En mars 1977, l'agitation culmine précisément à Bologne où l'armée quadrille la ville avec des blindés." (p.37)

    "D'une part, la figure centrale de la classe ouvrière italienne, celle par qui est structurée toute la lutte de classe, est celle du Triangle industriel Milan — Turin — Gênes et, dans ce Triangle, principalement les ouvriers productifs des grandes entreprises. D'autre part, une telle concentration implique et n'existe que par la socialisation et la massification de la classe ouvrière au-delà du procès de production immédiat. La lutte ouvrière c'est aussi la ville, les transports, le logement, toute la vie sociale. En englobant toute la vie quotidienne, la lutte de classe devient un refus de la condition ouvrière, mais elle n'englobe toute la vie quotidienne qu'à partir de l'usine, cette extension même n'existe que sous le leadership, la tutelle de l'ouvrier de la grande usine : Turin, c'était FIAT. Ce mouvement contient en fait une contradiction entre, d'une part, la figure centrale de l'identité ouvrière, encore dominante et structurant la lutte de classe, à partir de laquelle il existe et, d'autre part, la lutte sur l'ensemble de la reproduction qui ne peut alors donner tout ce qu'elle contient, c'est-à-dire la remise en cause de la condition ouvrière elle-même, du fait du premier terme. La lutte sur le salaire est le lieu qui est celui de cette contradiction, là où elle devient concrète. Ce que les opéraïstes, dans une problématique et une perspective programmatique, ont théorisé comme « salaire politique » ou « auto-valorisation de la classe ouvrière » était, comme pratique, comme lutte particulière, cette contradiction où, à partir de sa situation même comme ouvrier et, à l'intérieur de celle-ci, était remise en cause sa reproduction en tant que tel. /a revendication du pouvoir ouvrier dans l'usine coexiste avec le refus de vivre en dehors comme un ouvrier et d'être employé comme ouvrier dans cette usine même." (pp.38-39)

    p.55
    -Roland Simon, Histoire critique de l’ultragauche, Les Chemins non tracés / Senonevero, 2015, 494 pages.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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