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    Cédric Tellenne, Géopolitique des énergies + Introduction à la géopolitique

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Cédric Tellenne, Géopolitique des énergies + Introduction à la géopolitique Empty Cédric Tellenne, Géopolitique des énergies + Introduction à la géopolitique

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 26 Fév 2022 - 17:39

    https://fr.book4you.org/book/11506683/903323

    "
    -Cédric Tellenne, Géopolitique des énergies,

    "En associant la géographie et l’histoire, en s’appuyant sur les représentations des différents acteurs, la géopolitique permet d’éclairer les stratégies de puissance déployées par ceux-ci, qu’ils soient étatiques ou non étatiques, sur des territoires donnés."

    "Elle pâtit d’un statut épistémologique flou."

    "Nationaliste ardent, Ratzel affirme l’existence d’un lien organique entre le sol et l’État : « Un peuple doit vivre sur le sol qu’il a reçu du sort, il doit y mourir, en subir la loi » [Ratzel, 1897, rééd.  1987]. Il fonde ainsi une géographie politique qui décrit les lois de développement spatial des États, s’inspirant des travaux de Charles Darwin sur la sélection naturelle. Selon ces lois, les États sont appelés à entrer en conflit, comme tout organisme vivant, afin de conquérir un espace vital, ou Lebensraum, et ainsi éviter le surpeuplement et les pénuries (l’influence de Thomas Malthus est également manifeste). Ainsi, les frontières ne sont que le reflet ponctuel des rapports de force entre États, appelées à se modifier sans cesse, au gré des conflits."

    "L’amiral américain Alfred Thayer Mahan, théoricien du sea power, est ainsi souvent considéré comme le père fondateur de la géopolitique américaine [Mahan, 1890  ; 1897]. Dans le contexte d’achèvement de la conquête de l’Ouest (fermeture de la frontier, dans le sens de front de colonisation), dans les années 1890-1900, il publie plusieurs ouvrages majeurs sur l’influence de la puissance maritime dans l’histoire, étudiant plus particulièrement les origines de la puissance mondiale britannique. Partisan d’une stratégie coloniale, il conseille aux dirigeants américains de doter le pays d’une puissante marine de guerre afin de conquérir des bases stratégiques ultramarines, ce qui est chose faite avec Hawaï, Guam, les Philippines, Porto Rico, Cuba à partir de 1898. En rupture avec la doctrine isolationniste du président républicain James Monroe (1823), il inspire le «  corollaire Roosevelt  » (de Theodore Roosevelt, président républicain progressiste de 1901 à 1909), qui marque le passage de l’isolationnisme à l’impérialisme sur le continent américain."

    "En URSS, Staline fait interdire les études de géographie humaine et politique à l’université. Il lui faut faire oublier qu’il a été dupé par Hitler et qu’il a cru à la thèse de Mackinder sur la domination du heartland, thèse bien éloignée du matérialisme dialectique de Marx ! De leur côté, France et Allemagne font de l’exclusion de la géopolitique du champ intellectuel et universitaire une condition de leur réconciliation dans les années 1950 [Foucher, 1991]. [...] De même, aux États-Unis, aucun ouvrage portant dans son titre le mot geopolitics n’est publié entre 1945 et  1975, il s’agit avant tout de «  relations internationales  », sans que la dimension spatiale soit spécialement mise en avant. Hans Morgenthau, le père de l’école réaliste dans les relations internationales, attaque ainsi frontalement la discipline dans son livre de référence, Politics among Nations [1948, rééd.  1985]  : il ne nie pas que la géographie a toute sa place dans l’analyse des relations internationales, faisant de l’espace le « facteur le plus stable de la puissance », mais il dénonce la géopolitique comme une pseudoscience s’appuyant sur des recettes contestables, au premier rang desquelles l’axiome selon lequel le contrôle du heartland permet de dominer le monde."

    "Yves Lacoste date de 1979 le « tournant géopolitique » dans les médias et dans l’opinion publique en France. Aux États-Unis, Kissinger [1994] évoque lui aussi pour la première fois des menaces sur l’« équilibre géopolitique du monde ». En effet, le 1er janvier de cette année 1979, les armées du Vietnam réunifié envahissent le Cambodge et l’on s’étonne alors à bon droit que deux nations communistes puissent s’affronter dans une lutte fratricide. Quand Hanoï invoque la défense du peuple cambodgien contre ses dirigeants khmers rouges auteurs de massacres de masse (1,8 million de morts entre 1975 et 1979), Yves Lacoste met en avant les rivalités pour les frontières dans le grand delta du fleuve Mékong et le désir expansionniste du communisme vietnamien pour le compte de son parrain soviétique, face au Cambodge maoïste et, de facto, face à Pékin."

    "Savoir, en étudiant une situation géopolitique, ce qui relève d’inflexions et ruptures de court et moyen termes, ou au contraire de continuités et invariances de plus long terme."

    "Pascal Lorot est l’héritier français de la géoéconomie américaine. Fondateur de la revue Géoéconomie, il définit la discipline comme une «  analyse des stratégies d’ordre économique […] décidées par les États dans le cadre de politiques visant à protéger leur économie nationale ou certains pans bien identifiés de celle-ci, à aider leurs “entreprises nationales” à acquérir la maîtrise de technologies clés et/ou à conquérir certains segments du marché mondial relatifs à la production ou la commercialisation d’un produit ou d’une gamme de produits sensibles, en ce que leur possession ou leur contrôle confère à son détenteur […] un élément de puissance et de rayonnement international et concourt au renforcement de son potentiel économique et social » [Lorot, 2009, p. 14]."

    "Comme le montre Arjun Appadurai [2005] au sujet de l’influence de la pop culture américaine, ce n’est pas parce que le monde entier regarde des films et séries d’Hollywood qu’on leur donne partout le même sens  : il existe une tension entre des mouvements d’homogénéisation culturelle et à l’inverse ceux de réinvention des cultures locales, par la réappropriation ou la résistance. Les cultures locales connaissent de plus des mouvements de revival, à l’image des cultures celtiques ou amérindiennes que l’on croyait moribondes, et sont même capables de s’exporter."

    "Le néologisme «  glocalisation  », dérivé de «  glocal  » (contraction de global et local), inventé et popularisé dans les années 1990, prouve que la mondialisation n’a pas qu’un caractère homogénéisant, mais produit aussi de la variété et de la diversité [Ghorra-Gobin, 2006]. Le terme vient du vocabulaire de l’entreprise, plus précisément du management japonais (dochakuka), dont le P-DG de Sony Akio Morita est un des principaux passeurs  : il signifie qu’un produit conçu pour le marché mondial peut être adapté pour un marché local et que, en retour, une particularité locale peut s’exporter. La notion entre ensuite dans le vocabulaire des sciences sociales sous l’influence du sociologue Roland Robertson, qui l’applique tant au social qu’au culturel, désignant le double fait que le global doit s’adapter au local et que le local affirme sa propre identité dans la mondialisation. La « glocalisation » produit du métissage culturel."

    "L’Arabie saoudite en donne un bon exemple, avec une diplomatie ancienne et à caractère universaliste, véritablement inscrite dans son « ADN » [Conesa, 2016]. Plus précisément, elle remonte au pacte du Nadj par lequel, au milieu du XVIIIe siècle, le clan des Seoud s’allie au prédicateur Abd al-Wahhab. L’Arabie saoudite passe à l’offensive à partir de 1979, dans  le contexte de montée du panislamisme, se présentant comme la principale alternative au chiisme révolutionnaire iranien. Il s’agit d’un « soft power américain dans la structure, soviétique dans la méthode  » [Conesa, 2016, p. 97]. Premier acteur, l’État saoudien, avec son ministère des Affaires religieuses, son contrôle du hadj (pèlerinage à La  Mecque), sa mainmise sur l’enseignement via les écoles des Frères musulmans (avant leur rupture qui fait suite aux Printemps arabes), et bien sûr l’université islamique de Médine, centre international de formation des imams et des oulémas. Cette diplomatie passe également par un mécénat universitaire international, avec par exemple le financement du Center of Islamic Law and Civilization de l’université Yale (États-Unis). La presse et les médias sont aussi mobilisés en ce sens : les quotidiens Aharq al-Awsat et Al-Hayat proches du pouvoir, la chaîne satellite Al-Arabya, ainsi que l’Organisation de la conférence islamique (OCI), créée en 1969. De surcroît, la participation de l’Arabie saoudite aux organisations internationales est un levier d’influence, à l’Organisation des Nations unies (ONU) par exemple, où le pays siège depuis 2016 au Conseil des droits de l’homme. La panoplie de l’influence saoudienne va jusqu’aux interventions militaires : Bahreïn, Yémen… D’autres acteurs en sont partie prenante  : la finance islamique, via des fonds souverains et surtout des fonds privés, qui permet de financer mosquées et madrasas, d’abord dans les pays d’islam, de la Bosnie et la Bulgarie en Europe à l’Inde et à l’Indonésie, de l’Asie centrale au Sahel (le Mali est ainsi un « cas d’école »). Cela concerne évidemment aussi des pays non musulmans, en Europe occidentale, Australie, États-Unis, Canada, autant de «  terres de mission  ». Les ONG complètent le tableau  : Ligue islamique mondiale (LIM), International Islamic Relief Organisation (IIRO), Croissant-Rouge…"

    "À l’heure où les sociétés humaines entrent dans l’Anthropocène, l’homme devenant le principal agent transformateur de l’environnement terrestre (conférences scientifiques de Brisbane en 2012 et Oslo en 2016), les questions écologiques n’ont jamais autant pesé dans les rapports de force entre États, mais aussi à l’intérieur des États."

    "Différents types d’acteurs qui agissent en fonction de représentations bien ancrées  : les États «  vertueux  » et les ONG, qui développent une «  diplomatie verte  » (une forme de soft power), à l’image du Japon ou de l’Union européenne (UE)  ; les États et firmes «  climatosceptiques  », qui refusent les leçons de morale et comptent agir à leur guise  ; ceux et celles qui s’achètent une bonne conduite en participant aux sommets de la Terre et au pacte mondial de l’ONU, sans forcément adhérer entièrement aux principes du développement durable  ; ou qui les ont fait leurs, à l’image de l’ONG de patrons World Business Council for Sustainable Development  ; ceux, au Sud, qui voient dans l’écologie un luxe pour les riches et, pire, une ingérence de type néocolonial pour les empêcher de s’industrialiser ; les derniers, enfin, qui y voient une question de vie ou de mort, ainsi les petites îles du Pacifique réunies en un lobby international actif."

    "Nécessité d’un nouvel accord plus ambitieux, discuté à Copenhague (2009) et Durban (2010), deux conférences qui échouent du fait de l’antagonisme sino-américain. C’est dans ce contexte que la COP  21 de Paris en 2015 apparaît comme décisive. Elle débouche, selon les mots de Laurent Fabius, alors ministre français des Affaires étrangères, sur le premier accord réellement universel au XXIe siècle (193 pays signataires). Elles conservent à l’objectif des 2 °C, qui doit être atteint grâce à la neutralité carbone et la sortie des énergies fossiles. Pour ce faire, des plans d’actions nationaux sur le climat sont décidés dans chaque pays, avec objectifs chiffrés certes, mais sans toutefois possibilités de sanctions. S’il est politiquement contraignant, l’accord ne l’est pas juridiquement (soft law). Un plancher d’aide climatique aux pays pauvres est de même fixé à 100  milliards de dollars. Peu de temps après sa signature, l’accord de Paris est torpillé par le retrait unilatéral des États-Unis décidé par le président Trump (2017). Les doutes sur la faisabilité de l’accord se renforcent d’autant. La COP 24 en Pologne (2018) confirme les difficultés à s’entendre sur un accord précis, alors que les rapports du GIEC sont de plus en plus alarmistes  : les cinq  années les plus chaudes jamais relevées sont 2005, 2010, 2014, 2015 et 2016."

    "La mondialisation effectue un «  long travail de sape  » de la domination traditionnelle et de ses outils, avec elle on entre « dans le temps de l’interdépendance qui rompt avec les règles de l’hégémonie » [Badie, 2004]. Ce nouveau paradigme est également esquissé par le sociologue allemand Norbert Elias, pour qui la nouvelle « configuration mondiale » post-guerre froide s’articule autour des concepts clefs d’interdépendances et d’intégration [Elias, 1991 ; Devin, 1995] : les relations sociales sont un grand jeu fait d’interdépendances, quel que soit le type d’organisation sociale concerné, à petite ou grande échelle, c’est-à-dire un ensemble de dépendances réciproques et dynamiques."

    "Montée en force des acteurs non étatiques (ANE)."

    "Parmi les analyses récentes les plus fécondes figure celle du professeur de Harvard Joseph Nye, ancien conseiller et sous-secrétaire à la Défense de Bill Clinton : il distingue hard power, soft power et désormais smart power. Pour lui, hard et soft power constituent les deux faces complémentaires de la puissance. En cela, il n’a rien inventé  : dès les années 1960, Raymond Aron présentait déjà l’« art de convaincre » et l’« art de contraindre » comme un tout indissociable dans la politique internationale. D’un côté, le hard power renvoie à la classique capacité de coercition, de contrainte, au besoin par l’usage de la force. Le soft power désigne quant à lui la capacité à attirer, séduire et persuader [Nye, 1992 ; 2004].

    Le soft power serait devenu plus décisif depuis la fin de la guerre froide, alors que les capacités militaires des États sont de plus en plus fréquemment paralysées dans le cadre de guerres asymétriques (voir infra). Cette forme de puissance «  douce  » (on pourra préférer le terme «  feutrée  »), plus subjective et protéiforme, ne relève pas que de la sphère culturelle comme on l’y réduit souvent, mais emprunte les voies des valeurs et des normes, de la diplomatie, de l’économie et même de l’armée, tout dépend des objectifs poursuivis. Illustrons ce point  : les dirigeants chinois sous Hu Jintao puis Xi Jinping mettent en avant un soft power appuyé sur la culture (instituts Confucius), mais également sur une diplomatie non coercitive (les nouvelles routes de la soie), par opposition au leadership des États-Unis, dénoncé par eux comme brutal. À l’inverse, la puissance militaire peut être un moyen d’entretenir de bonnes relations avec d’autres États, à l’image de la présence de bases militaires américaines en Asie du Sud-Est face à la menace chinoise. La ligne de partage entre les deux types de pouvoirs est donc ténue, et souvent poreuse.

    Quant à la notion de smart power, elle est inspirée de la réflexion de Joseph Nye et surtout de Suzanne Nossel, ancienne directrice d’ONG passée par la diplomatie américaine et actuellement directrice du PEN American Center (en faveur de la liberté d’expression). Elle a été surtout utilisée par la secrétaire d’État Hillary Clinton durant la présidence Obama, dans un contexte où la politique extérieure américaine cherchait à rompre avec les errements de la période Bush. Le smart power doit permettre de combiner efficacement soft power et hard power dans une stratégie gagnante, utiliser une combinaison efficace d’outils variés, en fonction du contexte (le kairos remplaçant ainsi l’hybris), en s’appuyant le plus possible sur des partenaires ou alliés, ainsi que sur des organisations internationales."

    "L’approche de la puissance par les structures paraît très convaincante, elle est concomitante de celle de Nye et vient de l’économiste américaine Susan Strange. Pour elle, la puissance structurelle ou structural power devient primordiale, pour tout État, dans le nouvel ordre mondial. Elle consiste à choisir et façonner les structures de l’économie politique internationale dans laquelle les autres acteurs opèrent et de les y faire adhérer. Le meilleur exemple est sans doute le fameux consensus de Washington (voir encadré). La puissance structurelle concerne quatre domaines clefs  : la sécurité, la finance, la production, les connaissances [Strange, 1996]. Cette grille de lecture permet par exemple de relativiser fortement le déclin de la puissance américaine dans le monde depuis les années 2000  : si le monopole des États-Unis sur la sécurité internationale n’est plus incontestable, en revanche, en termes de finance, de production et de connaissances, ils demeurent les leaders, même si la rivalité chinoise se fait de plus en plus sentir.

    Évoquons pour finir un nouveau venu, le sharp power (sharp signifiant piquant, tranchant), caractéristique des nouveaux territoires communicationnels et informationnels de la puissance (Internet et cyberespace, voir infra). Deux chercheurs du National Endowment for Democracy, Christopher Walker et Jessica Ludwig, forgent ce concept pour décrire les stratégies d’influence des États russes et chinois, et de leurs relais dans les mass media et sur Internet : un pouvoir immatériel qui perfore l’environnement politique et informationnel des pays cibles, par l’intermédiaire d’une propagande qualifiée de subversive et de corrosive, destinée à miner de l’intérieur des démocraties occidentales jugées décadentes et donc vulnérables [Walker et Ludwig, 2017]. Les fake news en sont un instrument privilégié, on l’a vu lors de la campagne présidentielle américaine en 2016. Pour Nye, il ne s’agit toutefois que d’une facette du hard power."

    "Tous les degrés de violence ont en effet été franchis depuis la fin de la guerre froide, faisant pour la très grande majorité des victimes civiles  : guerres civiles meurtrières (Syrie, Yémen), confinant parfois au génocide (Rwanda, Darfour), multiplication des attentats djihadistes (Al-Qaida, Daech, shebabs somaliens), agressions militaires d’un État par son ou ses voisins (Koweït, Congo-Kinshasa, Géorgie), actions de déstabilisation et subversion en tout genre (Ukraine), intervention et occupation militaires sans mandat de l’ONU (Irak), transgression du mandat de l’ONU dans l’usage de la force armée (Libye), emprise illicite sur des espaces maritimes et insulaires (Chine en mer de Chine méridionale), fragmentation par la force d’un État-nation (Kosovo, Crimée, Soudan), cyberattaques entre États (Stuxnet en Iran), protection des territoires à l’aide de murs ou de barrières (États-Unis, Inde, Espagne, Hongrie, Bulgarie), etc.

    Mais peut-être le désordre n’est-il que temporaire  ? On peut estimer qu’un nouvel ordre est en cours d’émergence, qui reposerait sur deux caractéristiques fondamentales, la multipolarité et les interdépendances [Pancracio, 2017]. Primo, le monde se réorganise autour de centres d’influence régionaux au cœur desquels agit une puissance dominante (Chine, Russie, Inde, Turquie, Iran, Brésil…). Secundo, les interdépendances s’accroissent  : par les échanges mais aussi les risques et défis communs que doit relever l’humanité."

    "Au XIXe Congrès du Parti communiste chinois (PCC) en 2017, le président Xi Jinping annonçait vouloir faire de la Chine d’ici 2049 (date anniversaire de la fondation de la République populaire) un leader mondial, en lieu et place des États-Unis. Le «  siècle des humiliations  » (1839-1945) a contribué à développer en Chine une vision ultra-réaliste des relations de puissances. Le professeur chinois Zhao Suisheng, de l’université de Denver, spécialiste des relations sino-américaines, en a une approche social-darwiniste  : seuls les États forts survivent, alors que les faibles sont absorbés ou soumis à l’hégémonie des grandes puissances [Zhao, 2016  ; Duchâtel, 2017]. La Chine pourrait ainsi vouloir, en vertu d’une tradition géopolitique très ancienne remontant à la dynastie Han (206 avant J.-C.-210 après J.-C.), imposer à ses voisins d’Asie des relations hiérarchiques de domination, perçues comme stables et porteuses de paix."

    "Sont renforcés les outils du hard power chinois  : une modernisation rapide de l’Armée populaire de libération, avec le deuxième budget mondial depuis 2010, ainsi que l’installation de bases à l’étranger (mer de Chine méridionale, océan Indien, Djibouti). Mais la Chine ne veut pas pour autant renoncer à la carte du soft power : exportation du modèle chinois, via ses investissements et son commerce, « diplomatie du panda » (en signe d’amitié diplomatique, mais également en vue de signer accords de coopération économique et contrats commerciaux), instituts Confucius (environ cinq cents dans le monde, et plus d’un millier de classes Confucius, installés dans cent quarante-trois pays pour un coût annuel de 10 milliards de dollars), grands événements culturels et sportifs internationaux (JO de Pékin 2008, Exposition universelle de Shanghai  2010, bientôt JO d’hiver 2022, candidature au Mondial de football de 2030 ou 2034). Deuxième économie mondiale, dotée des premières réserves de changes, la Chine a en effet les moyens de ses ambitions…"

    "Le monde vu du Japon se compose de trois éléments, qui sont autant de défis à relever : 1) une puissance dominante ordonnatrice de la hiérarchie, les États-Unis, avec laquelle il faut savoir maintenir la bonne distance  ; 2) des lignes de communication maritimes qui lui assurent ses approvisionnements et lui permettent de commercer, et qu’il doit donc garder ouvertes ; 3) des menaces qui se manifestent dans son environnement proche et dont il doit se protéger (Chine, Corée du Nord) [Buissou, 2012].

    Privé de tout hard power depuis 1945, le Japon s’est lancé dans une quête systématique, mais malaisée et parfois maladroite, du soft power. Il a cherché à jouer de l’influence d’une « puissance civile  » [Duchêne, 1973] répugnant à l’usage de la force et cherchant à se rendre utile au reste du monde. C’est la base de la doctrine Fukuda (1976-1978). Cette stratégie passe par l’aide au développement et des interventions humanitaires d’urgence, l’engagement pour la protection de l’environnement (protocole de Kyoto, 1997), et un certain activisme à l’ONU : gros contributeur, le Japon a été élu une vingtaine de fois au Conseil de sécurité et, à ce titre, il y revendique un siège de membre permanent (mais sans droit de veto). Le Japon a aussi dirigé l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), accueilli des conférences sur la paix au Cambodge, sur la reconstruction de l’Afghanistan, participé à de nombreuses opérations de maintien de la paix. Le soft power est aussi une question d’influence culturelle : le Cool Japan connaît un succès planétaire, avec 20 % des exportations japonaises, 2  % de son PIB, 10  % du marché mondial (à la deuxième place derrière les États-Unis)  — on parle volontiers d’une « diplomatie du manga ».

    Toutefois, la tentation du hard power est actuellement indéniable. La Diète japonaise a ainsi voté depuis les années 1990 une succession de lois permettant aux Forces d’autodéfense japonaises d’opérer hors de l’archipel pour des missions onusiennes de maintien de la paix, afin d’apporter un soutien aux États-Unis en cas de crise régionale menaçant la sécurité du Japon, puis pour des opérations antiterroristes, y compris sans l’accord de l’ONU, enfin pour des opérations de lutte contre la piraterie. Le principe d’opérations de guerre dans des cas d’«  autodéfense collective  » prévaut aujourd’hui, en attendant  l’«  autodéfense préventive  » (actuellement en discussion). L’armée japonaise est désormais l’une des mieux équipées du monde, la marine et l’aéronavale en sont les joyaux  ; la priorité absolue est la sécurisation des routes maritimes (litiges sur les îles Senkaku, détroit de Formose).

    Il existe toutefois des obstacles majeurs à la réaffirmation géopolitique du Japon :

    —  il souffre d’une mauvaise image, tant en Asie qu’en Occident, relevant de stéréotypes bien ancrés  : un peuple hypocrite et agressif, vouant un culte à la guerre, n’ayant jamais reconnu les «  crimes de guerre  » du passé (s’étant contenté de vagues formules d’excuses…), ce qui bloque en partie sa volonté de «  retour en Asie  » depuis les années 1980 ;

    — il peine à parler au monde, ne défendant pas de valeurs universelles, croyant avant tout en son particularisme. Il demeure très fermé à l’immigration, au multiculturalisme. Il commence tout juste à évoluer sur la question des travailleurs étrangers, indispensables à son économie ;

    — il craint de perdre sa relation spéciale avec les États-Unis et d’être marginalisé par la Chine."

    "Le premier enjeu pour Moscou est de (re)constituer une sorte de « pré carré » en Europe orientale, dans les Balkans (Serbie) et dans le Caucase, où le Kremlin veut à tout prix empêcher l’OTAN et l’Union européenne de s’étendre. Après le double choc de la guerre (1999) puis de l’indépendance (2008) du Kosovo, la Russie montre les dents dans son « étranger proche » (selon la formule diplomatique officielle), en envoyant les chars en Géorgie (2008) pour protéger les Ossètes et Abkhazes russophones menacés par le gouvernement de Tbilissi, avant de reprendre en 2014 le contrôle de la Crimée et de soutenir la guerre des partisans pro-russes du Donbass, en réaction à la révolution démocratique Euromaïdan. Il s’agit d’un conflit hybride opposant l’armée ukrainienne à des groupes paramilitaires pro-russes soutenus par le Kremlin, favorisant la création des Républiques indépendantes de Donetsk et de Lougansk. Le conflit perdure depuis cinq ans, mais a perdu en intensité. La Russie manie aussi la pression énergétique et les cyberattaques contre l’Ukraine.

    Le deuxième enjeu se joue en Asie. Certes, la Russie n’est pas à proprement parler un pays asiatique, mais un pays d’Europe dont la puissance est asiatique, pour reprendre la formule d’Hélène Carrère d’Encausse [2010]. La Russie veut y mener une « politique de civilisation », comme en témoigne le discours de Valdaï en 2013 dans lequel Vladimir Poutine distingue la Russie d’une Europe décadente car oublieuse de ses valeurs et de ses racines. Dans ce cadre s’inscrit le projet d’Eurasie, sorte de nouveau heartland dans un espace intermédiaire entre Europe occidentale et Asie orientale, dont l’outil principal est l’Union économique eurasiatique (2015), zone de libre-échange qui associe à la Russie la Biélorussie, l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan. Au-delà des échanges économiques, l’organisation se préoccupe de sécurité collective : lutte contre le terrorisme, contre la criminalité internationale, respect de la légitimité et de l’intégrité territoriale des États. Elle pourrait être à terme la base d’une union politique et militaire. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) s’y emboîte parfaitement. L’OCS, créée en 2001, est un cadre de rapprochement entre Russie et Chine et s’étend progressivement à l’Asie centrale et méridionale. Ses buts sont larges  : renforcer la confiance mutuelle, développer la coopération, garantir la stabilité régionale, promouvoir un nouvel ordre politique international « plus juste ». Cette dernière formule vise l’hégémonie américaine sur le monde et, pour cette raison, on considère parfois l’OCS comme une OTAN de l’Est en devenir. Mais, il manque un accord de défense, et les manœuvres militaires sont d’ampleur limitée. En 2015, le sommet exceptionnel à Oufa (Bachkirie) réunit l’Union économique eurasiatique, l’OCS et les BRICS (Brésil, Russie, Indie, Chine et Afrique du Sud), et dévoile les ambitions sino-russes d’un vaste bloc antioccidental en Eurasie.

    Une nouvelle relation de la Russie avec les États-Unis et l’Occident se dessine en conséquence. Le reset américano-russe de 2009, fondé sur une volonté de normalisation et marqué par un nouveau traité de réduction des armements nucléaires et un dialogue actif dans l’affaire du nucléaire iranien, ne résiste pas aux tensions créées par l’intervention de l’OTAN en Libye qui outrepasse le mandat de l’ONU, à la grande fureur de Moscou (2011), au soutien militaire russe à Bachar el-Assad dans la guerre en Syrie, aux affaires de la Crimée et du Donbass (représailles économiques occidentales), ainsi qu’à l’intensification des cyberattaques russes contre les États-Unis et aux suspicions d’intrusion dans la campagne présidentielle de 2016. On parle volontiers dans les médias de « nouvelle guerre froide », dans la mesure aussi où la Russie accélère son réarmement, avec, sur la période 2011-2020, des dépenses totales estimées à 600  milliards de dollars. En matière nucléaire, elle viole le traité INF (Intermediate Nuclear Forces) de 1987 en installant des missiles Iskander à Kaliningrad, ce qui décide les États-Unis à en sortir (2019), alors qu’en parallèle ceux-ci déploient un bouclier antimissiles en Europe orientale (Pologne, Roumanie) face à la nouvelle menace russe."

    "Le renoncement à la guerre est inscrit dans son histoire (discours de Robert Schuman, 1951), et la puissance, associée à celle-ci, est restée longtemps une valeur négative, comme en témoigne la Déclaration de Copenhague sur l’identité politique de l’Europe en 1973  : «  L’Europe des Neuf est consciente des devoirs internationaux que lui impose son unification. Celle-ci n’est dirigée contre personne ni inspirée par une quelconque volonté de puissance.  » La puissance militaire de l’Europe est ainsi inconciliable avec les normes qui fondent le compromis européen : l’attachement à l’État-providence est tel qu’il interdit un effort militaire soutenu (2 % du PIB européen contre 4 % aux États-Unis), et les Européens préfèrent s’en remettre pour leur défense à l’OTAN."

    "L’OTAN, fille de la guerre froide. Ses racines : les menaces de l’URSS sur la souveraineté de la Norvège, de la Grèce, de la Turquie, le coup de Prague (1948) et le blocus de Berlin (1948-1949). En réaction, en mars 1948, Benelux, France et Royaume-Uni signent le traité de Bruxelles instituant un système d’assistance mutuelle automatique en cas d’agression armée. Ces puissances invitent le Danemark, l’Islande, l’Italie, la Norvège et le Portugal à participer au processus. Peu après, Canadiens, Britanniques et Américains entament, à Washington, des pourparlers sur un traité de « défense collective pour la zone de l’Atlantique nord ». En juin 1948, le Sénat américain vote la résolution Vandenberg qui préconise la participation des États-Unis aux accords « régionaux et collectifs de légitime défense » en temps de paix. Les négociations peuvent alors aboutir à la signature, le 4 avril 1949, du traité de l’Atlantique nord."

    "Lors du sommet de Rome de 1991, l’OTAN est investie d’une nouvelle mission de prévention et de gestion des crises, y compris hors de la zone européenne. L’OTAN met ainsi ses moyens et son expérience à la disposition de l’ONU. Son action sort du cadre de la stricte défense collective de la zone nord-atlantique pour s’orienter vers des missions de sécurité internationale."

    "La France est ainsi mal à l’aise dans un nouvel ordre mondial marqué par la toute-puissance des États-Unis, qui lui fait beaucoup d’ombre : elle ne parvient plus à jouer sa propre carte au Proche-Orient et suit les États-Unis dans la guerre du Golfe (1991) après avoir tenté de convaincre sans succès Saddam Hussein de retirer ses troupes du Koweït (1991), elle ne joue aucun rôle dans les accords israélo-palestiniens d’Oslo (1993), ni au Liban qui passe sous protectorat syrien après la fin de la guerre civile. En Afrique, le président Mitterrand consolide en revanche le rôle de la France, mais on lui reproche de soutenir des régimes brutaux et corrompus."

    "Déboussolé et chaotique, il est la proie d’une rivalité entre la Turquie, l’Iran, l’Arabie saoudite, ainsi que des ingérences des grandes puissances extérieures. La Turquie, dans la perspective du néo-ottomanisme, déploie une influence grandissante en Asie centrale (républiques turcophones de l’ex-URSS), mais aussi au Moyen-Orient où elle adopte l’attitude d’une puissance régionale défensive, craignant avant tout les chaos syrien et irakien, d’où pourrait sortir un Kurdistan indépendant, considéré comme une menace majeure. C’est ce qui explique son rapprochement avec Moscou et, au contraire, sa prise de distance avec les États-Unis et l’Occident en général (la perspective d’une adhésion à l’UE s’éloigne…), justifiée aussi par le fait que son ouverture à Israël depuis une vingtaine d’années a donné bien peu de résultats. Le leadership dans la zone est surtout disputé entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui se posent en ennemis irréductibles (chiisme révolutionnaire contre wahhabisme institutionnel). L’Iran a marqué beaucoup de points ces dernières années, avec la constitution d’un « arc chiite » entre Téhéran, Damas, Bagdad et ses prolongements au Liban (Hezbollah) et dans la péninsule Arabique (Bahreïn, Arabie saoudite, Yémen), répondant à une volonté de désenclavement géopolitique. L’Iran est devenu offensif par son alliance avec Moscou dans le cadre de la guerre en Syrie et par une pénétration croissante dans le monde sunnite (liens avec le Qatar, guerre au Yémen). Ce qui gêne l’Arabie saoudite, c’est que les Iraniens affichent une attitude désormais compatible avec les Arabes (soutien à Bachar el-Assad en Syrie), mais aussi avec les sunnites (coopération avec le Qatar). En face, la diplomatie du prince héritier saoudien MBS (Mohammed ben Salmane) vise à restaurer la puissance régionale face à une menace iranienne à la fois externe et interne (10 % de chiites vivent en Arabie saoudite, concentrés dans les régions pétrolières). MBS veut à tout prix maintenir l’ordre dans son arrière-cour et prend des libertés vis-à-vis de Washington, accusée d’avoir installé un pouvoir chiite à Bagdad du temps de Bush fils. Un axe se dessine néanmoins avec l’Amérique de Donald Trump et l’État d’Israël, contre toute attente (MBS a même songé à un traité de paix avec l’État juif, avant de renoncer), axe complété par l’Égypte du maréchal al-Sissi, avec qui Riyad partage un ennemi commun, les Frères musulmans."

    "La DMZ (zone coréenne démilitarisée) demeure la cicatrice de la guerre froide la plus visible dans le monde actuel. Le rapprochement actuel entre dirigeants nord et sud-coréen, qui la franchissent ensemble en 2018, doit être mis en perspective : la Sunshine Policy de la Corée du Sud au début des années 2000 avait déjà laissé espérer une réconciliation… Or, elle a fait long feu. La zone « démilitarisée » demeure ainsi un gigantesque no man’s land de 250 kilomètres de long sur 2 kilomètres de large qui voit stationner en permanence 1  million de soldats nord-coréens, 650  000 sud-coréens, 37  000  américains (ils coûtent 1 milliard de dollars par an à Séoul). Le seul point de contact est à Panmunjom, lieu de l’armistice de juillet 1953. La paix est toujours impossible, mais la guerre n’est que psychologique, sans affrontement majeur. Le tourisme s’est même développé au sud  : pour des raisons géopolitiques, mais aussi car la DMZ est fort logiquement devenue un paradis écologique, renfermant 70  % de la biodiversité coréenne."

    "La forme de l’État-nation [...] née en Europe aux XVIIIe-XIXe siècles et supplantant les cités-États ou les empires multinationaux, s’est exportée dans le monde entier."
    -Cédric Tellenne, Introduction à la géopolitique, La Découverte, Paris, 2019.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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