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    Aurore Koechlin, La révolution féministe

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Aurore Koechlin, La révolution féministe Empty Aurore Koechlin, La révolution féministe

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 13 Mar - 13:03

    « Depuis près d’une décennie, le féminisme connaît une vitalité nouvelle à l’échelle internationale : mouvement Ni Una Menos en Argentine, Non Una ni Meno en Italie, lutte pour l’égalité des salaires en Islande, mouvement international #MeToo, grève des femmes du 8 mars qui a fait descendre des millions de personnes dans les rues espagnoles, obtention du droit à l’avortement par la mobilisation en Irlande, Mai féministe chilien… […] A la suite du hastag #MeToo, la question des violences sexistes occupe le devant de la scène médiatique et politique, et les collectifs féministes, éphémères ou permanents, bénéficient de cet engouement. Une « quatrième vague du féminisme est en train d’arriver en France. » (pp.11-12)
    « Il semble plus que jamais nécessaire de poser la question du rapport entre mouvement féministe et mouvement ouvrier. Dans quelle mesure ces deux mouvements sont-ils historiquement séparés et dans quelle mesure peuvent-ils être alliés ?
    Je considère que cette question stratégique doit s’articuler à une appréciation théorique de la nature de l’oppression et de l’exploitation des femmes et des minorités de genre : la façon dont est conçue la domination a forcément une incidence sur la sur la question stratégique ; et, inversement, la question stratégique nourrit la théorisation de la domination. A ce titre, la théorie de la reproduction sociale, encore largement méconnue dans le monde francophone, me paraît déterminante pour articuler les différents rapports d’oppression et d’exploitation (de genre, de classe et de race) et pour défendre une approche unitaire, qui ne tombe ni dans le travers de la hiérarchisation des oppressions ni dans celui de leur morcellement à l’infini. En outre, cette théorie me semble fournir le cadre d’analyse le plus opératoire pour saisir les enjeux de la situation contemporaine –notamment l’articulation entre production et reproduction-, tout en mettant en lumière la centralité des femmes racisées, immigrées ou migrantes dans la réalisation du travail reproductif mondial. » (p.14)
    « La première vague [féministe] correspond à la lutte pour les droits politiques, en particulier le droit de vote, au tournant du XIXe siècle et du XXe siècle. La figure la plus populaire de cette lutte, celle qui est restée dans les mémoires, ce sont les suffragettes en Angleterre. La deuxième vague correspond au moment de la lutte pour les droits reproductifs et pour la liberté à disposer de son corps dans les années 1960 et 1970, en particulier pour le droit à la contraception et à l’avortement. Enfin, la troisième vague, dans les années 1990, est synonyme de reconceptualisation du sujet du féminisme au croisement des différentes oppressions.
    La première à utiliser la métaphore de la vague est Elizabeth Sarah, qui publie en 1920 un texte bilan, Retour sur la Première Vague. Mais c’est surtout la deuxième vague qui a stabilisé cette métaphore : en émergeant, elle a cherché à se distinguer de ce qui l’avait précédé, en opposant deuxième et première vague. La rupture entre les deux vagues est moins forte aux Etats-Unis qu’en France, où elle s’affirme très fermement, notamment dans le titre de la revue Partisan de 1970 : « Libération des femmes années zéro ». » (p.16)
    « Le féminisme matérialiste est une véritable invention française. Aucune branche du féminisme ne fut plus proche et plus éloignée du marxisme. Et pour cause : bien que le féminisme matérialiste rompe de façon nette et délibérée avec ce dernier, il conserve la méthode matérialiste pour analyser le système de domination des femmes, considérant que toute domination doit son existence et sa perpétuation à des bases matérielles. D’ailleurs, beaucoup de militantes marxistes ne s’y trompèrent pas, qui rejoignirent le féminisme matérialiste pour cette raison même. Il ne s’agira pas ici d’exposer en détail les théories des féministes matérialistes (Christine Delphy, Monique Wittif, Paula Tabet, Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu, pour ne citer que quelques noms) […] Je reviendrai sur les deux apports majeurs du féminisme matérialiste dans la deuxième vague et, plus largement, dans la tradition féministe en France : d’une part, la défense d’une certaine autonomie et auto-organisation des opprimées et, d’autre part, la théorisation du travail domestique.
    D’après les écrits des féministes matérialistes, au moment où naît la deuxième vague, le mouvement ouvrier, dans sa quasi-totalité, se révèle incapable d’en saisir la portée, a contrario de l’engagement féministe qui avait pu être le sien au cours du XIXe siècle. […]
    Cette hostilité est en grande partie un héritage du PCF. En effet, lorsque les luttes pour le droit à la contraception commencent à se développer, en 1956, avec notamment la création de la Maternité heureuse et des propositions de loi pour revenir sur la loi de 1920 qui interdit la contraception et l’avortement en France, le parti s’y oppose fermement. Influencé par le tournant nataliste de l’URSS stalinienne, il défend des positions anti-malthusiennes. » (pp.20-21)
    « La non-mixité permet une libération de la parole en l’absence des hommes, qui sont souvent, même malgré eux, des vecteurs de la domination. Par là, elle conduit à une réappropriation de la parole politique. Pour des raisons de socialisation genrée, il est beaucoup plus difficile pour les femmes et les minorités de genre, de se sentir légitimes dans le domaine politique et d’intervenir en réunion. La non-mixité résout partiellement le problème, ne serait-ce que parce qu’elle offre plus d’espace pour parler. […] Elle permet une réelle formation politique des femmes, souvent moins valorisées et moins mises en avant dans les groupes politiques, et elle le fait de façon autonome, sans l’aide des hommes et sans dépendance à leur égard. […] Les féministes matérialistes conçoivent la non-mixité comme une des armes centrales de la deuxième vague. » (p.23)
    «
    (pp.24-30)
    « Féminisme poststructuraliste, courant avant tout théorique et universitaire qui s’est beaucoup développé dans la psychanalyse féministe (Julia Kristeva, Luce Irigaray) et dans les disciplines littéraires et artistiques (Hélène Cixous). La première entrée des études de genre en France s’est faite par ce biais : c’est en 1974 qu’Hélène Cixous fonde à l’université de Vincennes (aujourd’hui Paris Cool un centre d’études féminines, théoriquement ancré dans le poststructuralisme et qui existe encore aujourd’hui. » (p.31)
    « Il existait un troisième courant au sein du MLF, largement oublié depuis, le féminisme « lutte de classes ». En France, le féminisme marxiste a eu une production théorique plus limitée que dans le monde anglo-saxon. Il a également souffert de l’hégémonie du féminisme matérialiste, qui a en outre eu tendance à minorer son investissement pendant la deuxième vague. […] Il s’est notamment développé au sein de trois organisations, l’Alliance marxiste révolutionnaire, Révolution ! et la Ligue communiste révolutionnaire. Le MLAC (Mouvement de libération de l’avortement et de la contraception), créé en 1973, est en quelque sorte le meilleur exemple de la politique qu’a pu mener cette tendance du féminisme. Ce front large d’organisations, dont des comités locaux formaient la base, a su regrouper en son sein aussi bien des groupes d’extrême-gauche que des groupes féministes, des syndicats, des collectifs et des partis. » (pp.32-33)
    « En organisant des ouvrières sur des bases féministes, la LCR se distinguait radicalement de la politique de la CGT et du PCF, contre lesquels elle devait parfois lutter. Elle se démarquait aussi du MLF, en donnant une importance centrale à l’organisation sur le lieu de travail et à la question de la classe. » (p.34)
    « Ces féministes marxistes [anglo-saxonnes] ont largement débattu de la question du travail domestique : c’est ce qu’on a appelé le « domestic-labour debate » (DLD), auquel ont pris part, parmi beaucoup d’autres, Juliet Mitchell, Margaret Benston, Mariarosa Dalla Costa, Selma James ou encore Silvia Federico.
    D’autres féministes marxistes ont défendu ce qu’on a appelé une « théorie unitaire ». C’est le cas notamment de Lise Vogel, qui contribue à fonder la théorie de la reproduction social (« social reproduction theory » ou TRS), aujourd’hui particulièrement dynamique dans le marxisme anglophone. » (p.35)
    «
    (pp.44-46)
    « [Les sex wars opposent depuis les années 1980 des] féministes radicales qui, comme Catherine MacKinnon, voient dans la sexualité un instrument de la domination masculine, un vecteur de violence, et qui sont dès lors anti-pornographie, anti-BDSM et anti-prostitution, et les féministes « pro-sexe » (« sex positive », en anglais) qui voient la sexualité comme un potentiel instrument d’émancipation et s’intéressent particulièrement aux sexualités marginales, notamment lesbiennes, lesbiennes BDSM, ou aux identités lesbiennes, réflexion qu’approfondira la théorie queer par la suite. » (p.48)
    « [Pour Judith Butler] les identités de genre ne sont pas des substances intangibles précédant l’expérience mais le résultat de pratiques mettant en scène les normes de genre. Deuxièmement, le genre est un acte performatif qui doit constamment se redire, se répéter, il n’a aucune efficacité sans sa propre réitération : le genre n’est pas dit une fois pour toutes. Troisièmement, c’est justement de là que découle la possibilité de troubler le genre. Subvertir la performativité du genre, c’est répéter le genre, mais de façon décalée, pour montrer son aspect construit. Troubler, subvertir, c’est défaire le genre. » (p.49)
    « Delphy rejette en bloc la théorie queer, qu’elle juge idéaliste et individualiste, insuffisamment matérialiste : elle analyse le genre et la résistance au genre au niveau individuel alors qu’il est produit par les structures sociales. » (p.52)
    « « Féminisme intersectionnel » […] que l’on doit au féminisme noir américain et plus précisément à la juriste Kimberlé Crenshaw, qui l’utilise en 1991 dans un article, « Cartographies des marges ». […]
    L’intersectionnalité se distingue […] de deux autres types d’analyse des dominations. Tout d’abord, elle se distingue de l’analyse par analogie, qui compare les dominations pour les comprendre –par exemple, la domination de genre avec la domination de classe. C’est la démarche de Delphy, c’est aussi celle de Colette Guillaumin, qui montre que le fonctionnement analogique de la race et du genre : la race et le genre sont en effet tous deux des naturalisations de dominations d’origine sociale. Or l’intersectionnalité veut penser les dominations sociales non en termes de parallèle, mais, comme son nom l’indique, en termes d’intersection, de croisement. Par ailleurs, l’intersectionnalité se distingue aussi de l’analyse par addition : la race, la classe et le genre ne s’additionnent pas simplement (on n’est pas plus dominé-e parce qu’on subit plus de dominations) ; ils s’articulent et se recomposent mutuellement, de sorte qu’il faut toujours les analyser simultanément. La race recompose le genre, le genre et la recomposent la classe, etc. On ne peut pas isoler certaines données, car ce serait méconnaître comment elles s’influencent mutuellement et respectivement. » (pp.52-54)
    «
    (p.56)
    «
    (p.57)
    «
    (p.58)
    « Un féminicide est un assassinat commis par des hommes sur des femmes parce que ce sont des femmes. » (note 1 p.63)
    «
    (p.67)
    « [La quatrième vague] défend […] un féminisme inclusif. […] Elle tente de réparer le lien brisé entre mouvement féministe et mouvement ouvrir, et pose de façon centrale la question de la stratégie. Face aux attaques toujours plus fortes du néolibéralisme à l’échelle internationale et face à la montée des réactions, le féminisme est à l’avant-garde de la résistance partout dans le monde. Il est d’une incroyable vitalité même dans les pays où le mouvement ouvrier est faible, comme en Italie. Il affronte les pires évolutions réactionnaires, comme au Brésil. » (p.70)
    « Le quinquennat Hollande a anesthésié le mouvement féministe français –beaucoup de féministes nourrissant encore des illusions à l’égard d’un gouvernement de gauche dans les paroles, mais de droite et libéral dans les faits. » (p.71)
    «
    (pp.78-81)
    [Chapitre 3 : Pour une théorie de la reproduction sociale]
    « Ce chapitre a […] un double objectif : montrer en quoi l’analyse marxiste en non seulement utile mais nécessaire pour penser l’oppression et l’exploitation des femmes et des minorités de genre ; proposer une synthèse entre deux théories qui, bien que très proches, s’ignorent mutuellement, celle de Danièle Kergoat, d’une part, et la théorie anglo-saxonne de la reproduction sociale, d’autre part. » (p.84)
    « Danièle Kergoat occupe une position très singulière dans le féminisme français. Matérialiste, elle est aussi très proche du cadre d’analyse marxiste. En outre, elle reconnaît à l’intersectionnalité la vertu de vouloir penser ensemble les différents rapports de domination. » (p.84)

    «
    (pp.86-87)
    «
    (pp.89-91)
    «
    (note 7 p.90)
    «
    (pp.91-93)
    «
    (pp.95-98)
    «
    (pp.98-102)
    «
    (pp.103-108)
    «
    (pp.108-109)
    -Aurore Koechlin, La révolution féministe, Éditions Amsterdam, 2019, 168 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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