https://lavamedia.be/fr/leconomie-planifiee-de-lutopie-a-la-science/
"Dans certains cas, les usines produisaient suffisamment de pantalons, mais pas assez de fermetures éclair. Résultat : des montagnes de pantalons inutilisables."
"En 1939, un jeune Russe avec la bosse des mathématiques a changé tout cela. Âgé de seulement 27 ans, mais déjà professeur de mathématiques depuis cinq ans à l’université de Leningrad, Leonid Vitalyevich Kantorovich cherchait alors un moyen d’améliorer la production dans une usine de contreplaqué. Il a conçu un algorithme mathématique qui permettait de faire justement ce que von Mises disait être impossible : calculer exactement la manière la plus efficace de produire précisément les sorties souhaitées à partir des entrées disponibles, sans l’intervention de l’argent et du marché. Cela lui a valu, outre pas mal de contreplaqué, de se voir décerner, dix ans plus tard, le prix Staline et de devenir le seul citoyen soviétique de tous les temps à obtenir, en 1975, le prix Nobel, qu’il a partagé avec le mathématicien américano-néerlandais Tjalling Koopmans. Ce dernier a, par la suite, mais séparément de Kantorovich, découvert un algorithme similaire.
Ces algorithmes sont aujourd’hui connus sous le nom de « programmation linéaire » et sont extrêmement convoités par les entreprises capitalistes pour optimiser la production sur leurs multiples sites. De fait, tout en faisant l’éloge du libre marché, les multinationales d’aujourd’hui planifient leurs propres processus logistiques et de production avec un zèle qui ferait mourir de jalousie les planificateurs soviétiques les plus farouches. Un mastodonte de la grande distribution comme Walmart, par exemple, utilise une planification centrale pour organiser la logistique, le contrôle des stocks, le personnel et la tarification dans ses 11 000 magasins répartis sur 27 pays. Il s’agit du plus grand employeur au monde après le département de la Défense des États-Unis et l’Armée populaire de libération chinoise. Si Walmart était un pays, son économie serait aussi importante que celle de la Suède. Entièrement planifiée, sans concurrence sur le marché interne entre les différents départements de la même entreprise. Amazon fait de même, tout comme les géants de l’industrie manufacturière tels que General Motors et Toyota, qui planifient également la production au-delà des frontières dans leurs milliers de départements comptant des dizaines de milliers de travailleurs."
"Cockshott et Cottrell décrivent des algorithmes déjà existants qui réduisent considérablement la puissance de calcul requise. Si nous tenons compte du fait que la plupart des valeurs du tableau des entrées-sorties sont nulles (par exemple, pour construire une maison, il faut zéro bicyclette, zéro avion et zéro pot de choco, et il n’est donc pas nécessaire de faire des calculs pour cela) et si nous nous contentons d’un algorithme qui donne une solution optimale à 99 % au lieu de 100 %, bien plus précise que ce que le libre marché ne pourra jamais réaliser, dans ce cas la complexité des calculs diminue de manière spectaculaire et avec elle la puissance de calcul requise."
"En dehors de ceux qui sont financés par les impôts et donc mis à disposition gratuitement ou à des prix très bas (tels que les soins de santé, le logement, les services de base, etc.), tous les biens et services devraient être vendus à leur coût réel, c’est-à-dire au prix qui reflète le mieux ce qu’il en coûte à la société en termes de travail et de matières premières pour les produire. Tout d’abord, l’algorithme de planification calcule ce prix initial optimal. Ensuite, les marchandises se retrouvent en rayon à ce prix. Dès que les magasins ouvrent leurs portes, les systèmes informatiques surveillent en permanence la quantité de chaque produit qui est vendue et ce qui reste en stock. C’est ce qui se passe déjà aujourd’hui dans tous les supermarchés : grâce à ses systèmes informatiques, Colruyt sait à tout moment, pour chaque magasin, combien de pots de choco il reste en rayon. De plus en plus, la gestion des stocks fonctionne également avec des puces informatiques telles que la RFID qui permettent de suivre un produit à distance — pensez à ces fameux supermarchés sans personnel, où vous découvrez automatiquement le prix en sortant du magasin. Colruyt utilise ces systèmes pour savoir quelle quantité de quels produits elle doit faire livrer depuis ses entrepôts et quand."
"S’il s’avère clairement que le stock d’un produit populaire diminue trop rapidement parce que la production ne peut pas suivre la demande, l’algorithme de planification socialiste peut augmenter temporairement le prix de ce produit au-dessus du prix optimal. Le produit devient donc plus cher que ce qu’il « coûte » réellement à la société de le produire. Avec cette augmentation du prix, moins de gens seront disposés à le payer, donc la demande diminuera. C’est ainsi que l’on évite à court terme les pénuries et les files d’attente. En même temps, c’est un signal pour les planificateurs : il s’agit d’un produit populaire, il est préférable d’en produire davantage, afin qu’à moyen terme, le prix puisse redescendre au prix optimal et qu’il y en ait quand même assez pour tout le monde. d’autres produits sont en excédent parce qu’ils se vendent trop peu. L’algorithme de planification abaissera alors le prix en dessous du prix optimal afin que davantage de gens jugent bon de l’acheter et qu’il ne reste pas dans les rayons. Cette baisse de prix est à son tour un signal pour les planificateurs que le produit n’est pas très populaire, et qu’ils peuvent donc retirer de sa production des capacités de production (par exemple, la main-d’œuvre) et les déployer ailleurs. De cette manière, l’offre se réduit et le prix peut finalement remonter au prix optimal, cette fois sans excédent.
C’est l’offre et la demande, mais sans marché et, surtout, sans l’influence du profit. Aujourd’hui, Colruyt ajuste également ses prix plusieurs fois par jour et fait apparaître automatiquement ces nouveaux prix sur les étiquettes de prix, désormais numériques, dans les rayons des magasins. Mais à la différence du capitalisme, le socialisme n’investit pas dans le produit qui génère le plus grand profit , mais dans le produit qui est si populaire que les gens sont prêts à payer plus pour que ce qu’il coûte réellement à produire."
-Roel van de Pol, "L’économie planifiée de l’utopie à la science", 30 décembre 2021: https://lavamedia.be/fr/leconomie-planifiee-de-lutopie-a-la-science/#easy-footnote-bottom-46-37492
"Dans certains cas, les usines produisaient suffisamment de pantalons, mais pas assez de fermetures éclair. Résultat : des montagnes de pantalons inutilisables."
"En 1939, un jeune Russe avec la bosse des mathématiques a changé tout cela. Âgé de seulement 27 ans, mais déjà professeur de mathématiques depuis cinq ans à l’université de Leningrad, Leonid Vitalyevich Kantorovich cherchait alors un moyen d’améliorer la production dans une usine de contreplaqué. Il a conçu un algorithme mathématique qui permettait de faire justement ce que von Mises disait être impossible : calculer exactement la manière la plus efficace de produire précisément les sorties souhaitées à partir des entrées disponibles, sans l’intervention de l’argent et du marché. Cela lui a valu, outre pas mal de contreplaqué, de se voir décerner, dix ans plus tard, le prix Staline et de devenir le seul citoyen soviétique de tous les temps à obtenir, en 1975, le prix Nobel, qu’il a partagé avec le mathématicien américano-néerlandais Tjalling Koopmans. Ce dernier a, par la suite, mais séparément de Kantorovich, découvert un algorithme similaire.
Ces algorithmes sont aujourd’hui connus sous le nom de « programmation linéaire » et sont extrêmement convoités par les entreprises capitalistes pour optimiser la production sur leurs multiples sites. De fait, tout en faisant l’éloge du libre marché, les multinationales d’aujourd’hui planifient leurs propres processus logistiques et de production avec un zèle qui ferait mourir de jalousie les planificateurs soviétiques les plus farouches. Un mastodonte de la grande distribution comme Walmart, par exemple, utilise une planification centrale pour organiser la logistique, le contrôle des stocks, le personnel et la tarification dans ses 11 000 magasins répartis sur 27 pays. Il s’agit du plus grand employeur au monde après le département de la Défense des États-Unis et l’Armée populaire de libération chinoise. Si Walmart était un pays, son économie serait aussi importante que celle de la Suède. Entièrement planifiée, sans concurrence sur le marché interne entre les différents départements de la même entreprise. Amazon fait de même, tout comme les géants de l’industrie manufacturière tels que General Motors et Toyota, qui planifient également la production au-delà des frontières dans leurs milliers de départements comptant des dizaines de milliers de travailleurs."
"Cockshott et Cottrell décrivent des algorithmes déjà existants qui réduisent considérablement la puissance de calcul requise. Si nous tenons compte du fait que la plupart des valeurs du tableau des entrées-sorties sont nulles (par exemple, pour construire une maison, il faut zéro bicyclette, zéro avion et zéro pot de choco, et il n’est donc pas nécessaire de faire des calculs pour cela) et si nous nous contentons d’un algorithme qui donne une solution optimale à 99 % au lieu de 100 %, bien plus précise que ce que le libre marché ne pourra jamais réaliser, dans ce cas la complexité des calculs diminue de manière spectaculaire et avec elle la puissance de calcul requise."
"En dehors de ceux qui sont financés par les impôts et donc mis à disposition gratuitement ou à des prix très bas (tels que les soins de santé, le logement, les services de base, etc.), tous les biens et services devraient être vendus à leur coût réel, c’est-à-dire au prix qui reflète le mieux ce qu’il en coûte à la société en termes de travail et de matières premières pour les produire. Tout d’abord, l’algorithme de planification calcule ce prix initial optimal. Ensuite, les marchandises se retrouvent en rayon à ce prix. Dès que les magasins ouvrent leurs portes, les systèmes informatiques surveillent en permanence la quantité de chaque produit qui est vendue et ce qui reste en stock. C’est ce qui se passe déjà aujourd’hui dans tous les supermarchés : grâce à ses systèmes informatiques, Colruyt sait à tout moment, pour chaque magasin, combien de pots de choco il reste en rayon. De plus en plus, la gestion des stocks fonctionne également avec des puces informatiques telles que la RFID qui permettent de suivre un produit à distance — pensez à ces fameux supermarchés sans personnel, où vous découvrez automatiquement le prix en sortant du magasin. Colruyt utilise ces systèmes pour savoir quelle quantité de quels produits elle doit faire livrer depuis ses entrepôts et quand."
"S’il s’avère clairement que le stock d’un produit populaire diminue trop rapidement parce que la production ne peut pas suivre la demande, l’algorithme de planification socialiste peut augmenter temporairement le prix de ce produit au-dessus du prix optimal. Le produit devient donc plus cher que ce qu’il « coûte » réellement à la société de le produire. Avec cette augmentation du prix, moins de gens seront disposés à le payer, donc la demande diminuera. C’est ainsi que l’on évite à court terme les pénuries et les files d’attente. En même temps, c’est un signal pour les planificateurs : il s’agit d’un produit populaire, il est préférable d’en produire davantage, afin qu’à moyen terme, le prix puisse redescendre au prix optimal et qu’il y en ait quand même assez pour tout le monde. d’autres produits sont en excédent parce qu’ils se vendent trop peu. L’algorithme de planification abaissera alors le prix en dessous du prix optimal afin que davantage de gens jugent bon de l’acheter et qu’il ne reste pas dans les rayons. Cette baisse de prix est à son tour un signal pour les planificateurs que le produit n’est pas très populaire, et qu’ils peuvent donc retirer de sa production des capacités de production (par exemple, la main-d’œuvre) et les déployer ailleurs. De cette manière, l’offre se réduit et le prix peut finalement remonter au prix optimal, cette fois sans excédent.
C’est l’offre et la demande, mais sans marché et, surtout, sans l’influence du profit. Aujourd’hui, Colruyt ajuste également ses prix plusieurs fois par jour et fait apparaître automatiquement ces nouveaux prix sur les étiquettes de prix, désormais numériques, dans les rayons des magasins. Mais à la différence du capitalisme, le socialisme n’investit pas dans le produit qui génère le plus grand profit , mais dans le produit qui est si populaire que les gens sont prêts à payer plus pour que ce qu’il coûte réellement à produire."
-Roel van de Pol, "L’économie planifiée de l’utopie à la science", 30 décembre 2021: https://lavamedia.be/fr/leconomie-planifiee-de-lutopie-a-la-science/#easy-footnote-bottom-46-37492