"D’où est née notre proposition ? Elle n’est pas sortie de préoccupations doctrinales ou théoriques. Certes, elle s’inspire de l’idée socialiste, et c’est l’honneur de notre parti que toutes les solutions partielles, que toutes les propositions particulières que nous apportons à cette tribune soient inspirées du même esprit et portent pour ainsi dire la même marque. Mais notre proposition procède avant tout des nécessités pratiques et positives. Elle procède de la crise agricole prolongée, des souffrances toujours plus aiguës des cultivateurs, auxquelles vous n’avez pas pu porter remède ; elle procède de l’impuissance constatée de la politique douanière et des mesures protectionnistes ; elle procède enfin des abus et des excès de cette spéculation contre laquelle tous les partis successivement viennent s’indigner à cette tribune avec une sorte de conviction mélodramatique, mais que le parti socialiste est seul à frapper vigoureusement d’un coup décisif. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Je n’ai pas, en ce moment du débat, à intervenir dans la querelle entre protectionnistes et libre-échangistes, entre l’honorable M. Méline et l’honorable M. Labat, d’abord parce que, après le passage à la discussion des articles, vous n’êtes plus à discuter des principes, mais à discuter des moyens d’application et de réalisation ; ensuite et surtout parce que nous, socialistes, nous sommes, je ne me permettrai pas de dire au-dessus, mais en dehors de la protection et du libre-échange. La protection et le libre-échange sont liés également à un ordre social qui à nos yeux est provisoire, et que nous voulons éliminer. Ce qui caractérise le régime capitaliste, c’est l’appropriation individuelle des grands moyens de production et d’échange ; la propriété capitaliste, ainsi définie et constituée, a pour conséquence nécessaire et normale la concurrence universelle de producteur à producteur, la lutte économique d’homme à homme. Tous, que vous soyez libre-échangistes ou protectionnistes, vous admettez et le principe, et la conséquence ; quand vous n’êtes pas socialistes, vous admettez et la propriété capitaliste, et la concurrence universelle qui en résulte nécessairement. […]
L’honorable M. Méline lui-même déclarait l’autre jour qu’en proposant des tarifs de douanes, il n’entendait pas contester le principe de la concurrence internationale, qu’il entendait seulement en atténuer, en modérer les effets. À ce point de vue, entre libre-échangistes et protectionnistes, il n’y a qu’une différence, à nos yeux secondaire. Les libre-échangistes veulent respecter le jeu absolument libre de la concurrence internationale ; ils veulent laisser toute son ampleur au marché universel. Ils sont patriotes, mais ils estiment que ce groupement historique qui s’appelle la patrie, qui a d’autres et de très nobles objets, ne doit pas intervenir plus que dans les échanges de peuple à peuple. Les protectionnistes, au contraire, sans contester le principe même de la concurrence entre les nations, estiment que la patrie n’est pas seulement une unité historique et une personne morale, mais qu’elle a le droit, dans une certaine mesure, de réagir sur le marché universel. Il y a entre vous cette communauté, c’est que vous acceptez tous que, dans l’ordre de la production, la loi même de la vie, c’est l’universelle bataille. Seulement, pour les libre-échangistes, c’est la planète tout entière qui est le champ de la bataille et les protectionnistes veulent, par des barrières douanières plus ou moins élevées, tracer dans ce champ de bataille universel autant de champs de bataille distincts qu’il y a de nations distinctes."
Nous ne sommes donc liés par nos principes ni à la protection ni au libre-échange, et j’ajoute que nous sommes également servis par l’un et l’autre. Lorsque l’un et l’autre ont produit leurs conséquences naturelles et extrêmes, lorsque la concurrence universelle exaspérée, que respecte le libre-échange, a créé ou aggravé l’inégalité des fortunes, lorsqu’elle a accumulé dans un pays ou dans une partie de la production de ce pays les mécontentements et les ruines, et lorsqu’à son tour le protectionnisme est discrédité ou usé par l’impuissance, par l’inefficacité de ses demi-mesures, qui sont le plus souvent des contradictions sans être des remèdes, alors apparaît naturellement, nécessairement la solution socialiste. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
C’est ainsi que les paysans, ruinés par la formidable poussée de la concurrence étrangère, écrasés par la spéculation cosmopolite, détachés du protectionnisme qui les a peut-être empêchés de mourir mais qui ne les a pas aidés à vivre, c’est ainsi que les paysans commencent à se rallier et se rallieront de plus en plus, à mesure que nous continuerez l’expérience de mesures contradictoires et inefficaces, au seul projet net, efficace et décisif, qui est en cette question le monopole de l’importation assuré à l’État."
"Notre proposition, bien loin d’être anarchique, est la seule actuelle, parce qu’elle est la seule qui puisse, dans cette question des blés, donner à la fois toute sa réalité au libre-échange et toute son efficacité à la protection.
Quelques-uns d’entre vous parlent beaucoup ici du libre-échange. Vous imaginez-vous qu’il suffirait de supprimer les droits de douane pour qu’il y eût le libre-échange dans ce pays pour les blés ? Repoussez tout à l’heure la proposition de monopole de l’État que nous apportons, et par surcroît, au lieu d’élever les droits de douane sur les blés, supprimez-les entièrement ; y aura-t-il pour cela dans cette question des blés échange libre entre la nation et le marché extérieur ? Pas le moins du monde ! Car entre la nation et le marché extérieur, il s’est interposé une corporation d’intermédiaires qui font la loi sur le marché national. (Applaudissement à l’extrême gauche.)
À mesure que le commerce international se fait par plus grande masse et par plus grands capitaux, à mesure aussi que la petite meunerie disparaît, absorbée par la grande, et que celle-ci pour ses grandes affaires touche à la spéculation, c’est bien en effet une corporation de dix ou douze intermédiaires qui est maîtresse du marché français, des relations de la France avec le marché extérieur."
"Messieurs, ce n’est pas seulement au point de vue de l’alimentation publique qu’il est bon que la nation reprenne la maitrise de ses relations avec le marché extérieur, c’est encore au point de vue de la défense nationale elle-même. Vous savez bien qu’une des causes pour lesquelles, en 1870, Paris n’a pas pu suffisamment tenir, c’est qu’il n’y avait plus d’approvisionnements ; et vous savez bien qu’en 1890, le même phénomène menaçait de se produire. Vous vous rappelez que le conseil municipal de Paris, en 1890, fut obligé de s’émouvoir parce qu’à raison de certaines combinaisons, de certaines manœuvres de la spéculation internationale, il ne restait devant Paris, pour la consommation urgente, que quatre jours de vivres en blé ou en farine, et que par conséquent, grâce à certaines combinaisons du marché cosmopolite, qui en France même est pour une bonne part réglé par des étrangers – je me permets encore de vous indiquer ce détail – vous pouviez être pour l’approvisionnement de vos grandes places fortes à la merci d’un incident international. Le ministre de la Guerre vous a demandé, il y a quelques années, de constituer l’approvisionnement des places fortes. Qu’a-t-on fait pour cela ? Tout ce qu’on fera ne sera rien tant que l’État, en même temps qu’il sera l’importateur de blé, n’aura pas pu constituer certaines réserves qui pourront faire face, à un moment donné, à certaines complications internationales.
Voilà pourquoi – c’est une des premières raisons – nous demandons que l’État soit le seul importateur des blés étrangers. Et quel autre usage fera-t-il de ce monopole ? Dans ma pensée – je n’hésite pas à le déclarer très haut – il devra s’en servir pour assurer aux produits agricoles une rémunération équitable et normale."
"Nous protestons contre l’invasion des ouvriers étrangers qui viennent travailler au rabais. Et ici il ne faut pas qu’il y ait de méprise : nous n’entendons nullement, nous qui sommes internationalistes (Rumeurs et interruptions sur divers bancs) […] Vous entendez bien que ce n’est pas nous qui voulons éveiller entre les travailleurs manuels des différents pays les animosités d’un chauvinisme jaloux ; non, mais ce que nous ne voulons pas, c’est que le capital international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français, et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. (Applaudissements) C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que nous voulons protéger la main-d’œuvre française contre la main-d’œuvre étrangère, non pas, je le répète, par un exclusivisme d’esprit chauvin, mais pour substituer l’internationale du bien-être à l’internationale de la misère."
"C’est précisément parce que les protectionnistes ne sont pas des socialistes qu’ils nous donnent une plus grande force. Comment ! Ils reconnaissent les principes essentiels de la société actuelle. Ils reconnaissent qu’elle a pour principe l’initiative individuelle, la propriété individuelle et la libre concurrence des producteurs contre les producteurs, et ils sont obligés cependant, pour empêcher cette société d’aboutir à des cataclysmes et à des désastres, de suspendre eux-mêmes, de contrarier eux-mêmes l’effet des lois qu’ils reconnaissent d’ailleurs comme excellentes et nécessaires. C’est la condamnation de la société actuelle prononcée non pas par ceux qui pensent comme nous, mais, chose plus importante, par ceux qui parlent contre nous."
"Ce qui fait précisément la force et l’unité de la patrie, ce qui fait que l’État peut défendre l’intégrité du sol et la liberté de la patrie contre l’ennemi extérieur, sans intervenir en rien dans les relations d’intérêt des citoyens et des particuliers, c’est précisément que l’idée de patrie est constituée au-dessus des divisions, des intérêts particuliers. (Très bien ! Très bien !) Il y a quelque part un groupement historique, il y a quelque part, sur cette planète que des révolutions que l’on ne peut calculer entraînent à des destinées inconnues, il y a un groupement historique qui s’appelle la France, qui a été constitué par des siècles de souffrances communes, d’espérances communes. Les lentes formations monarchiques en ont peu à peu juxtaposé et soudé les morceaux, et les ardentes épreuves de la Révolution l’ont fondu en un seul métal. C’est la patrie française. (Très bien ! Très bien !)
Oui, la patrie existe, indépendamment des luttes qui peuvent se produire dans son intérieur, de particulier à particulier. Oui, il y a des luttes, des haines entre les citoyens, des rivalités entre les familles, des rivalités passionnées entre les partis ; il y a aussi, nous le croyons, nous, et nous le disons parce que nous disons toujours ce que nous croyons être la réalité, il y a des antagonismes profonds de classes. Mais quelles que soient ces luttes politiques, ces divisions économiques, ces antagonismes sociaux, ils ne peuvent porter atteinte à l’idée même de la patrie, à l’unité de la patrie, telle qu’elle a été constituée."
-Jean Jaurès, "Le socialisme douanier", discours à la Chambre, 17 février 1894.
Je n’ai pas, en ce moment du débat, à intervenir dans la querelle entre protectionnistes et libre-échangistes, entre l’honorable M. Méline et l’honorable M. Labat, d’abord parce que, après le passage à la discussion des articles, vous n’êtes plus à discuter des principes, mais à discuter des moyens d’application et de réalisation ; ensuite et surtout parce que nous, socialistes, nous sommes, je ne me permettrai pas de dire au-dessus, mais en dehors de la protection et du libre-échange. La protection et le libre-échange sont liés également à un ordre social qui à nos yeux est provisoire, et que nous voulons éliminer. Ce qui caractérise le régime capitaliste, c’est l’appropriation individuelle des grands moyens de production et d’échange ; la propriété capitaliste, ainsi définie et constituée, a pour conséquence nécessaire et normale la concurrence universelle de producteur à producteur, la lutte économique d’homme à homme. Tous, que vous soyez libre-échangistes ou protectionnistes, vous admettez et le principe, et la conséquence ; quand vous n’êtes pas socialistes, vous admettez et la propriété capitaliste, et la concurrence universelle qui en résulte nécessairement. […]
L’honorable M. Méline lui-même déclarait l’autre jour qu’en proposant des tarifs de douanes, il n’entendait pas contester le principe de la concurrence internationale, qu’il entendait seulement en atténuer, en modérer les effets. À ce point de vue, entre libre-échangistes et protectionnistes, il n’y a qu’une différence, à nos yeux secondaire. Les libre-échangistes veulent respecter le jeu absolument libre de la concurrence internationale ; ils veulent laisser toute son ampleur au marché universel. Ils sont patriotes, mais ils estiment que ce groupement historique qui s’appelle la patrie, qui a d’autres et de très nobles objets, ne doit pas intervenir plus que dans les échanges de peuple à peuple. Les protectionnistes, au contraire, sans contester le principe même de la concurrence entre les nations, estiment que la patrie n’est pas seulement une unité historique et une personne morale, mais qu’elle a le droit, dans une certaine mesure, de réagir sur le marché universel. Il y a entre vous cette communauté, c’est que vous acceptez tous que, dans l’ordre de la production, la loi même de la vie, c’est l’universelle bataille. Seulement, pour les libre-échangistes, c’est la planète tout entière qui est le champ de la bataille et les protectionnistes veulent, par des barrières douanières plus ou moins élevées, tracer dans ce champ de bataille universel autant de champs de bataille distincts qu’il y a de nations distinctes."
Nous ne sommes donc liés par nos principes ni à la protection ni au libre-échange, et j’ajoute que nous sommes également servis par l’un et l’autre. Lorsque l’un et l’autre ont produit leurs conséquences naturelles et extrêmes, lorsque la concurrence universelle exaspérée, que respecte le libre-échange, a créé ou aggravé l’inégalité des fortunes, lorsqu’elle a accumulé dans un pays ou dans une partie de la production de ce pays les mécontentements et les ruines, et lorsqu’à son tour le protectionnisme est discrédité ou usé par l’impuissance, par l’inefficacité de ses demi-mesures, qui sont le plus souvent des contradictions sans être des remèdes, alors apparaît naturellement, nécessairement la solution socialiste. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
C’est ainsi que les paysans, ruinés par la formidable poussée de la concurrence étrangère, écrasés par la spéculation cosmopolite, détachés du protectionnisme qui les a peut-être empêchés de mourir mais qui ne les a pas aidés à vivre, c’est ainsi que les paysans commencent à se rallier et se rallieront de plus en plus, à mesure que nous continuerez l’expérience de mesures contradictoires et inefficaces, au seul projet net, efficace et décisif, qui est en cette question le monopole de l’importation assuré à l’État."
"Notre proposition, bien loin d’être anarchique, est la seule actuelle, parce qu’elle est la seule qui puisse, dans cette question des blés, donner à la fois toute sa réalité au libre-échange et toute son efficacité à la protection.
Quelques-uns d’entre vous parlent beaucoup ici du libre-échange. Vous imaginez-vous qu’il suffirait de supprimer les droits de douane pour qu’il y eût le libre-échange dans ce pays pour les blés ? Repoussez tout à l’heure la proposition de monopole de l’État que nous apportons, et par surcroît, au lieu d’élever les droits de douane sur les blés, supprimez-les entièrement ; y aura-t-il pour cela dans cette question des blés échange libre entre la nation et le marché extérieur ? Pas le moins du monde ! Car entre la nation et le marché extérieur, il s’est interposé une corporation d’intermédiaires qui font la loi sur le marché national. (Applaudissement à l’extrême gauche.)
À mesure que le commerce international se fait par plus grande masse et par plus grands capitaux, à mesure aussi que la petite meunerie disparaît, absorbée par la grande, et que celle-ci pour ses grandes affaires touche à la spéculation, c’est bien en effet une corporation de dix ou douze intermédiaires qui est maîtresse du marché français, des relations de la France avec le marché extérieur."
"Messieurs, ce n’est pas seulement au point de vue de l’alimentation publique qu’il est bon que la nation reprenne la maitrise de ses relations avec le marché extérieur, c’est encore au point de vue de la défense nationale elle-même. Vous savez bien qu’une des causes pour lesquelles, en 1870, Paris n’a pas pu suffisamment tenir, c’est qu’il n’y avait plus d’approvisionnements ; et vous savez bien qu’en 1890, le même phénomène menaçait de se produire. Vous vous rappelez que le conseil municipal de Paris, en 1890, fut obligé de s’émouvoir parce qu’à raison de certaines combinaisons, de certaines manœuvres de la spéculation internationale, il ne restait devant Paris, pour la consommation urgente, que quatre jours de vivres en blé ou en farine, et que par conséquent, grâce à certaines combinaisons du marché cosmopolite, qui en France même est pour une bonne part réglé par des étrangers – je me permets encore de vous indiquer ce détail – vous pouviez être pour l’approvisionnement de vos grandes places fortes à la merci d’un incident international. Le ministre de la Guerre vous a demandé, il y a quelques années, de constituer l’approvisionnement des places fortes. Qu’a-t-on fait pour cela ? Tout ce qu’on fera ne sera rien tant que l’État, en même temps qu’il sera l’importateur de blé, n’aura pas pu constituer certaines réserves qui pourront faire face, à un moment donné, à certaines complications internationales.
Voilà pourquoi – c’est une des premières raisons – nous demandons que l’État soit le seul importateur des blés étrangers. Et quel autre usage fera-t-il de ce monopole ? Dans ma pensée – je n’hésite pas à le déclarer très haut – il devra s’en servir pour assurer aux produits agricoles une rémunération équitable et normale."
"Nous protestons contre l’invasion des ouvriers étrangers qui viennent travailler au rabais. Et ici il ne faut pas qu’il y ait de méprise : nous n’entendons nullement, nous qui sommes internationalistes (Rumeurs et interruptions sur divers bancs) […] Vous entendez bien que ce n’est pas nous qui voulons éveiller entre les travailleurs manuels des différents pays les animosités d’un chauvinisme jaloux ; non, mais ce que nous ne voulons pas, c’est que le capital international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français, et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. (Applaudissements) C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que nous voulons protéger la main-d’œuvre française contre la main-d’œuvre étrangère, non pas, je le répète, par un exclusivisme d’esprit chauvin, mais pour substituer l’internationale du bien-être à l’internationale de la misère."
"C’est précisément parce que les protectionnistes ne sont pas des socialistes qu’ils nous donnent une plus grande force. Comment ! Ils reconnaissent les principes essentiels de la société actuelle. Ils reconnaissent qu’elle a pour principe l’initiative individuelle, la propriété individuelle et la libre concurrence des producteurs contre les producteurs, et ils sont obligés cependant, pour empêcher cette société d’aboutir à des cataclysmes et à des désastres, de suspendre eux-mêmes, de contrarier eux-mêmes l’effet des lois qu’ils reconnaissent d’ailleurs comme excellentes et nécessaires. C’est la condamnation de la société actuelle prononcée non pas par ceux qui pensent comme nous, mais, chose plus importante, par ceux qui parlent contre nous."
"Ce qui fait précisément la force et l’unité de la patrie, ce qui fait que l’État peut défendre l’intégrité du sol et la liberté de la patrie contre l’ennemi extérieur, sans intervenir en rien dans les relations d’intérêt des citoyens et des particuliers, c’est précisément que l’idée de patrie est constituée au-dessus des divisions, des intérêts particuliers. (Très bien ! Très bien !) Il y a quelque part un groupement historique, il y a quelque part, sur cette planète que des révolutions que l’on ne peut calculer entraînent à des destinées inconnues, il y a un groupement historique qui s’appelle la France, qui a été constitué par des siècles de souffrances communes, d’espérances communes. Les lentes formations monarchiques en ont peu à peu juxtaposé et soudé les morceaux, et les ardentes épreuves de la Révolution l’ont fondu en un seul métal. C’est la patrie française. (Très bien ! Très bien !)
Oui, la patrie existe, indépendamment des luttes qui peuvent se produire dans son intérieur, de particulier à particulier. Oui, il y a des luttes, des haines entre les citoyens, des rivalités entre les familles, des rivalités passionnées entre les partis ; il y a aussi, nous le croyons, nous, et nous le disons parce que nous disons toujours ce que nous croyons être la réalité, il y a des antagonismes profonds de classes. Mais quelles que soient ces luttes politiques, ces divisions économiques, ces antagonismes sociaux, ils ne peuvent porter atteinte à l’idée même de la patrie, à l’unité de la patrie, telle qu’elle a été constituée."
-Jean Jaurès, "Le socialisme douanier", discours à la Chambre, 17 février 1894.