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    Giorgio Agamben, Oeuvres

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Date d'inscription : 12/08/2013
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    Giorgio Agamben, Oeuvres Empty Giorgio Agamben, Oeuvres

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 13 Déc - 9:42

    http://m.friendfeed-media.com/bebbd1d14fc4f5ef4bccc801eeeda3c878aa13ae

    https://books.google.fr/books?id=5q7LAgAAQBAJ&printsec=frontcover&dq=Giorgio+Agamben&hl=fr&sa=X&ei=ywiMVJiLF5fxarbfgcAK&ved=0CFgQ6AEwBTgK#v=onepage&q=Giorgio%20Agamben&f=false

    https://books.google.fr/books?id=ra227jwMamYC&printsec=frontcover&dq=Giorgio+Agamben&hl=fr&sa=X&ei=XQiMVMWnOIKLaMSvgNAD&ved=0CEUQ6AEwAg#v=onepage&q=Giorgio%20Agamben&f=false

    https://books.google.fr/books?id=Xxjauqsk80IC&printsec=frontcover&dq=Giorgio+Agamben&hl=fr&sa=X&ei=ywiMVJiLF5fxarbfgcAK&ved=0CDIQ6AEwADgK#v=onepage&q=Giorgio%20Agamben&f=false

    https://books.google.fr/books?id=cilQAwAAQBAJ&printsec=frontcover&dq=Giorgio+Agamben&hl=fr&sa=X&ei=ywiMVJiLF5fxarbfgcAK&ved=0CF4Q6AEwBjgK#v=onepage&q=Giorgio%20Agamben&f=false

    https://books.google.fr/books?id=X40Hdq3qkEIC&printsec=frontcover&dq=Giorgio+Agamben&hl=fr&sa=X&ei=7QiMVKPUBo7ZasW-grAD&ved=0CEYQ6AEwAzgU#v=onepage&q=Giorgio%20Agamben&f=false

    https://books.google.fr/books?id=vieVX4cxo-0C&printsec=frontcover&dq=Giorgio+Agamben&hl=fr&sa=X&ei=7QiMVKPUBo7ZasW-grAD&ved=0CDIQ6AEwADgU#v=onepage&q=Giorgio%20Agamben&f=false

    « Il m’est apparu que le lieu originaire du politique, dans la politique occidentale, c’est quelque chose comme une opération sur la vie. […] Le politique, c’est la vie capturée sous une certaine modalité. »

    « La grammaire contient en elle-même toute une métaphysique, qui s’est cristallisée dans le langage. »

    « L’homme [en tant que tel] n’a pas d’œuvre, est un être désœuvré, on pourrait dire qui est puissance, qui n’a pas d’acte. […] Si l’homme avait un ergon propre déterminée par la nature, par la biologie, par le destin, il me semble qu’il n’y aurait pas ni d’éthique ni de politique. »

    « Toute la tradition de la modernité se fonde sur le refoulement de quelque chose comme le désœuvrement. »

    « La fête est le lieu où, dans notre tradition, on essaye de donner une place au désœuvrement. »

    « Le désœuvrement est une activité propre de l’homme, qui consiste à désœuvré les activités biologiques, économiques, religieuses, juridiques, sans simplement les abolir. »

    « En finir avec le pouvoir constituant. »

    « Benjamin essaye de penser une violence pure, c’est-à-dire une violence qui ne va jamais poser un nouveau droit. »

    « Ce qui va pouvoir destituer le pouvoir, ce n’est pas une action, mais uniquement une forme-de-vie. »

    « Les mécanismes ridicules de la représentation. »
    -Giorgio Agamben, « Vers une théorie de la puissance destituante », juillet / août 2013.

    "Les grecs ne disposaient pas d'un terme unique pour exprimer ce que nous entendons par le mot vie. Ils se servaient de deux mots qui, bien que pouvant être ramenés à une étymologie commune, étaient sémantiquement et morphologiquement distincts: zôê, qui exprimait le simple fait de vivre, commun à tous les êtres vivants (animaux, hommes ou dieux), et bios, qui indiquait la forme ou la façon de vivre propre à un individu ou à un groupe." (p.9)

    "Dans le monde classique [...] la simple vie naturelle est exclue de la polis au sens propre du terme et reste strictement confinée, comme simple vie reproductive, à la sphère de l'oikos. [...] Quand, dans un passage [de la Politique] qui devait prendre une valeur canonique dans la tradition politique occidentale, [Aristote] définit le but de la communauté parfaite, il oppose justement le simple fait de vivre (to zên) à la vie politique qualifiée.
    [...] Il est vrai qu'un très célèbre passage de cette même œuvre définit l'homme comme
    politikon zôion [...], mais ici, outre le fait que dans la prose antique le verbe bionai n'est pratiquement pas utilisé au présent, le terme "politique" n'est pas un attribut du vivant comme tel, mais une différence spécifique qui détermine le genre zôon. Immédiatement après, du reste, humaine est distinguée de celle des autres vivants en tant qu'elle est fondée, par un supplément de politicité lié au langage, sur une communauté de bien et de mal, de juste et d'injuste, et non simplement d'agréable et de douloureux." (p.10-11)

    "Au seuil de l'époque moderne, en revanche, la vie naturelle commence à être intégrée dans les mécanismes et les calculs du pouvoir étatique, la politique se transformant en bio-politique." (p.11)

    "Le développement et le triomphe du capitalisme n'auraient pas été possible, dans cette perspective, sans le contrôle disciplinaire réalisé par le nouveau bio-pouvoir qui, par une série de technologies appropriées, s'est crée pour ainsi dire les "corps dociles" dont il avait besoin." (p.11)

    "La politisation de la vie nue comme telle, constitue l'évènement décisif de la modernité et marque une transformation radicale des catégories politico-philosophiques de la pensée classique." (p.12)

    "La présente recherche concerne [le] point de jonction caché entre le modèle juridico-institutionnel et le modèle biopolitique du pouvoir. L'un des résultats auxquels elle est parvenue est précisément le constat que les deux analyses ne peuvent être séparées, et que l'implication de la vie nue dans la sphère politique constitue le noyau originaire -quoique occulté- du pouvoir souverain. On peut dire en fait que la production d'un corps biopolitique est l'acte originaire du pouvoir souverain. En ce sens, la biopolitique est au moins aussi ancienne que l'exception souveraine. En plaçant la vie biologique au centre de ses calculs, l'Etat moderne ne fait alors que mettre en lumière le lien secret qui unit le pouvoir à la vie nue." (p.14)

    "Ce qu'il reste à interroger dans la définition aristotélicienne, ce n'est pas seulement, comme on l'a fait jusqu'à présent, la signification, les modes et les articulations possibles du "bien vivre" comme telos du politique. Il importe plutôt de se demander pourquoi la politique occidentale se constitue d'abord par une exclusion (qui est aussi une implication) de la vie nue. Quel est le rapport entre la politique et la vie, si celle-ci se présente comme ce qui doit être inclus par une exclusion ?" (p.15)

    "La "politisation" de la vie nue est la tâche métaphysique par excellence dont l'enjeu est l'humanité même de l'homme vivant. En assumant cette tâche, la modernité ne fait donc que déclarer sa propre fidélité à la structure essentiel de la tradition métaphysique. Le couple catégorial fondamental de la politique occidentale n'est pas le couple ami-ennemi, mais le couple vie nue-existence politique, zôê-bios, exclusion-inclusion." (p.16)

    "Le protagoniste de ce livre est la vie nue, c'est-à-dire la vie tuable et insacrifiable de l'homo sacer, dont nous avons voulu montrer la fonction essentielle dans la politique moderne. Une obscure figure du droit romain archaïque, où la vie humaine est incluse dans l'ordre juridique uniquement sous la forme de son exclusion (c'est-à-dire dans sa possibilité d'être tuée sans sanction), donne ainsi la clef grâce à laquelle non seulement les textes sacrés de la souveraineté, mais plus généralement les codes mêmes du pouvoir politique peuvent dévoiler leurs arcanes. Mais, en même temps, cette acception sans doute la plus ancienne du terme sacer présente l'énigme d'une figure du sacré en deçà ou au-delà du religieux qui constitue le premier paradigme de l'espace politique occidental. La thèse de Foucault devra dès lors être corrigée, ou tout au moins complétée, au sens où ce qui caractérise la politique moderne n'est pas l'inclusion de la zôê dans la polis, en soi très ancienne, ni simplement le fait que la vie comme telle devient un objet éminent de calculs et de prévisions du pouvoir étatique ; le fait décisif est plutôt que, parallèlement au processus en vertu duquel l'exception devient partout la règle, l'espace de la vie nue, situé à l'origine en marge de l'organisation politique, finit progressivement par coïncider avec l'espace politique, où exclusion et inclusion, extérieur et intérieur, bios et zôê, droit et fait, entrent dans une zone d'indifférenciation irréductible." (p.17)

    "La décadence de la démocratie moderne et son glissement progressif vers les Etats totalitaires dans les sociétés post-démocratiques du spectacle -que Tocqueville, déjà, avait commencé de mettre en lumière et qui trouve leur sanction finale dans les analyses de Debord- s'enracine peut-être dans l'aporie qui marque le début de la démocratie et qui la lie par une complicité secrète à son ennemi le plus acharné." (p.18)

    "Aussi longtemps, toutefois, qu'une politique intégralement nouvelle -qui ne soit plus fondée, en d'autres termes, sur l'exceptio de la vie nue- ne verra pas le jour, toute théorie et toute praxis resteront prisonnières d'une absence de chemin, et la "belle journée" de la vie n'obtiendra la citoyenneté politique que par le sang et la mort ou dans la parfaite absurdité à laquelle la condamne la société du spectacle." (p.19)

    "Les grandes structures étatiques sont entrées dans un processus de dissolution." (p.19)

    "Insuffisance de la critique anarchiste et marxienne de l'Etat." (p.19)

    "[L'exception] est au droit positif ce que la théologie négative est à la théologie positive." (p.25)

    "L'exception est une espèce de l'exclusion. Elle est un cas singulier qui est exclu de la norme générale. Mais ce qui caractérise proprement l'exception, c'est que ce qui est exclu n'est pas pour autant absolument sans rapport avec la norme ; au contraire, celle-ci se maintient en relation avec elle dans la forme de la suspension. La norme s'applique à l'exception en se désappliquant à elle, en s'en retirant. L'état d'exception n'est donc pas le chaos qui précède l'ordre, mais la situation qui résulte de sa suppression. En ce sens l'exception est vraiment, selon son étymologie, prise dehors (ex-capere) et non pas simplement exclue." (p.25)

    "Ce n'est pas l'exception qui se soustrait à la règle, mais la règle qui, en se suspendant, donne lieu à l'exception. De sorte que c'est seulement en restant en relation avec l'exception qu'elle se constitue comme règle." (p.26)

    "Dans l'exception souveraine, il s'agit moins en effet de contrôler ou de neutraliser un excès que de créer et de définir avant tout l'espace même dans lequel l'ordre juridico-politique peut valoir." (p.26)

    "Une des thèses de la présente recherche, c'est que l'état d'exception lui-même, en tant que structure politique fondamentale, émerge à notre époque de plus en plus au premier plan et tend, à la fin, à devenir la règle. Lorsque notre époque a tenté de donner une localisation visible et permanente à ce non-localisable, le résultat en fut le camp de concentration." (p.27)

    "Si l'exception est la structure de la souveraineté, alors la souveraineté n'est ni un concept exclusivement politique, ni une catégorie exclusivement juridique ; elle n'est pas non plus une puissance extérieure au droit (Schmitt), ni la norme suprême de l'ordre juridique (Kelsen): elle est plutôt la structure originaire dans laquelle le droit se réfère à la vie et l'inclut en lui à travers sa propre suspension. [...] Celui qui est mis au ban [...] n'est pas simplement placé en dehors de la loi ni indifférent à elle ; il est abandonné par elle, exposé et risqué en ce seuil où la vie et le droit, l'extérieur et l'intérieur ce confondent. [...] C'est en ce sens que le paradoxe de la souveraineté peut prendre la forme suivante: "Il n'y a pas de hors-loi". Le rapport originaire de la loi à la vie n'est pas l'application, mais l'Abandon." (p.36-37)

    "Le souverain est le point d'indifférence entre la violence et le droit, le seuil où la violence se transforme en droit et le droit en violence." (p.40)

    "Comme l'a souligné Leo Strauss, Hobbes était parfaitement conscient que l'état de nature ne devait pas être nécessairement considéré comme une époque réelle, mais plutôt comme un principe interne à l'Etat qui se révèle au moment où on le considère "comme s'il était dissous"." (p.44-45)

    "Ce qui s'est produit [depuis la Première Guerre mondiale] et qui continue à se produire aujourd'hui sous nos yeux, c'est que l'espace "juridiquement vide" de l'état d'exception [...] a brisé ses limites spatio-temporelles et, débordant de ses cadres, tend désormais à coïncider partout avec l'ordre normal, à l'intérieur duquel tout devient ainsi à nouveau possible." (p.46-47)

    "Aussi longtemps qu'une ontologie nouvelle et cohérente de la puissance (au-delà des jalons qui ont été posés dans cette direction par Spinoza, Schelling, Nietzsche, Heidegger et Deleuze) n'aura pas remplacé l'ontologie fondée sur le primat de l'acte et sur sa relation avec la puissance, une théorie politique soustraite aux apories de la souveraineté restera impensable." (p.54)

    "Afin que la puissance ne s'évanouisse pas chaque fois immédiatement dans l'acte mais ait une consistance propre, il faut également qu'elle puisse ne pas passer à l'acte, qu'elle soit constitutivement puissance de ne pas (faire ou être), ou, comme le dit Aristote, qu'elle soit également impuissance (adunamia). [...] Le possible ne peut passer à l'acte que s'il dépose sa puissance de ne pas être (son adunamia)." (p.54-55)

    "En décrivant ainsi la nature la plus authentique de la puissance, Aristote a donné en fait à la philosophie occidentale le paradigme de la souveraineté. A la structure de la puissance qui se maintient en relation avec l'acte par son pouvoir même de ne pas être, correspond celle du ban souverain qui s'applique à l'exception en se désappliquant. La puissance (dans son double aspect de puissance de et de puissance de ne pas) est le mode par lequel l'être se fonde souverainement, c'est-à-dire sans rien qui le précède et le détermine (superiorem non recognoscens), sinon son propre pouvoir de ne pas être. Et l'acte souverain est celui qui se réalise simplement en supprimant sa propre puissance de ne pas être, en se laissant être, en se donnant à soi." (p.56)

    "Il faudrait [...] ne plus penser l'acte comme accomplissement et comme manifestation de la puissance." (p.57)

    "Pour avoir exposé sans réserve le lien irréductible qui unit la violence et le droit, la Critique benjaminienne de la violence constitue la prémisse nécessaire, et aujourd'hui encore inégalée, de toute recherche sur la souveraineté." (p.73)

    "Quand et comment une vie humaine a-t-elle été considérée pour la première fois comme sacrée en soi ? [...] Dans l'article Sacer mons de son traité Sur la signification des mots, Festus évoque une figure du droit romain archaïque dans laquelle la sacralité se rattache pour la première fois à une vie humaine comme telle." (p.77 et 81)

    "La spécificité de l'homo sacer: l'impunité pour qui le tue et l'interdiction de le sacrifier. [...] Qu'est-ce que la vie de l'homo sacer, si elle se situe au croisement d'un meurtre licite et d'un sacrifice interdit, en dehors aussi bien du droit humain que du droit divin ?" (p.83)

    "On dira souveraine la sphère dans laquelle on peut tuer sans commettre d'homicide et sans célébrer un sacrifice ; et sacrée, c'est-à-dire exposée au meurtre et insacrafiable, la vie qui a été capturée dans cette sphère. [...] La production de la vie nue devient, en ce sens, la prestation originaire de la souveraineté. Le caractère sacré de la vie que l'on tente aujourd'hui de faire valoir, comme droit humaine fondamental contre le pouvoir souverain, exprime au contraire, à l'origine, l'assujettissement de la vie à un pouvoir de mort, son exposition irrémédiable dans la relation d'abandon." (p.93)

    "La proximité entre la sphère de la souveraineté et celle du sacré, qui a été si souvent soulignée et diversement justifiée, n'est pas simplement le résidu sécularisé du caractère religieux originaire de tout pouvoir politique, ni une simple tentative visant à lui garantir le prestige d'une sanction théologique. [...] La vie est sacrée uniquement en tant qu'elle est prise dans l'exception souveraine ; et la confusion entre un phénomène juridico-politique (l'homo sacer, en tant qu'il est insacrifiable et exposé au meurtre) et un phénomène proprement religieux est à l'origine de toutes les équivoques qui, à notre époque, ont aussi bien marqué les études sur le sacré que celles sur la souveraineté." (p.94-95)

    "Quand, dans une source tardive, nous lisons qu'en faisant mettre à mort ses enfants Brutus "avait adopté à leur place le peuple romain", c'est un même pouvoir de mort qui, à travers l'image de l'adoption, se transfère à présent sur l'ensemble du peuple, en rendant sa sinistre signification originaire à l'épithète hagiographique de "père de la patrie", réservée de tout temps aux chefs investis du pouvoir souverain. Ce que cette source nous présente, c'est donc une sorte de mythe généalogique du pouvoir souverain: l'imperium du magistrat n'est que la vitae necisque potestas du père étendue à tous les citoyens. On ne saurait dire plus clairement que le fondement premier du pouvoir politique est une vie absolument exposée au meurtre qui se politise à travers cette possibilité même de la mise à mort." (p.98-99)

    "La vie humaine ne se politise que par l'abandon à un pouvoir inconditionné de mort. Le lien souverain, qui n'est en fait qu'une déliaison, précède le lien de la norme positive ou du pacte social ; et ce que cette déliaison implique et produit -la vie nue, qui habite le non-lieu entre maison et cité- est, du point de vue de la souveraineté, l'élément politique originaire." (p.100)

    "Il convient d'abandonner sans réserve toutes les représentations de l'acte politique originaire en tant que contrat ou convention, qui marquerait de façon ponctuelle et précise le passage de l'état de nature à l'Etat." (p.120)

    "Le ban est à proprement parler la force, à la fois attractive et répulsive, qui lie les deux pôles de l'exception souveraine: la vie nue et le pouvoir, l'homo sacer et le souverain. C'est pour cette raison qu'il peut signifier aussi bien l'enseigne de la souveraineté [...] que l'expulsion de la communauté." (p.121)

    "La volonté de donner à l'extermination des juifs une aura sacrificielle à travers le terme d' "holocauste" relève d'une démarche historiographique aussi aveugle qu'irresponsable. Le juif, sous le nazisme, est le référent négatif privilégié de la nouvelle souveraineté biopolitique et, comme tel, un cas flagrant d'homo sacer, au sens où il représente la vie qu'on peut ôter impunément mais non sacrifier. Son meurtre, comme on le verra, ne constitue non une exécution ni un sacrifice, mais seulement l'actualisation d'une simple "tuabilité" inhérente à la condition de juif comme tel. La vérité, difficilement acceptable pour les victimes elles-mêmes mais que nous devons pourtant avoir le courage de ne pas recouvrir d'un voile sacrificiel, est que les juifs ne furent pas exterminés au cours d'un holocauste délirant et démentiel, mais littéralement, selon les mots mêmes de Hitler, "comme des poux", c'est-à-dire en tant que vie nue. La dimension dans laquelle l'extermination a eu lieu n'est ni la religion, ni le droit, mais la biopolitique." (p.125)

    "La pensée judéo-chrétienne et la pensée libérale se caractérisent par une ascèse de l'esprit, par une libération des contraintes de la situation sensible et historico-sociale où il est chaque fois jeté, ce qui conduit à distinguer chez l'homme et dans son monde un règne de la raison séparé de celui du corps, qui lui demeure irréductiblement étranger. La philosophie hitlérienne (semblable en cela au marxisme) se fonde au contraire, selon Levinas, sur une prise en charge inconditionnée et sans réserve de la situation historique, physique et matérielle, considérée comme cohésion indissoluble d'esprit et de corps, de nature et de culture." (p.164)

    "Signe évident que la biopolitique a franchi un nouveau seuil-, dans les démocraties modernes, il devient possible de dire publiquement ce que les biopoliticiens nazis n'osaient pas dire." (p.178)

    "Il ne faut pas oublier que les premiers camps de concentration en Allemagne ne furent pas instaurés par le régime nazi, mais par les gouvernements sociaux-démocrates qui, après la proclamation de l'état d'exception, en 1923, internèrent sur la base de la Schutzhaft des milliers de militants communistes." (p.180)
    -Giorgio Agamben, Homo Sacer I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », février 1997 (1995 pour la première édition italienne), 216 pages.

    "Parmi les éléments qui rendent difficile une définition de l'état d'exception, figure certainement l'étroite relation qu'il entretient avec la guerre civile, l'insurrection et la résistance." (p.10-11)

    "Le totalitarisme moderne peut être défini [...] comme l'instauration, par l'état d'exception, d'une guerre civile légale, qui permet l'élimination physique non seulement des adversaires politiques, mais de catégories entières de citoyens qui, pour une raison ou une autre, semblent non intégrables dans le système politique." (p.11)

    "La signification immédiatement biopolitique de l'état d'exception comme structure originale où le droit inclut en soi le vivant à travers sa propre suspension apparaît clairement dans le military order édicté par le président des Etats-Unis le 13 novembre 2001, qui autorise l'indefinite detention et le procès devant des military commissions (à ne pas confondre avec les tribunaux militaires prévus par le droit de la guerre) des non-citoyens suspectés d'être impliqués dans des activités terroristes.
    Déjà le
    USA Patriot Act, voté par le Sénat le 2 octobre 2001, permettait à l'Attorney General de "garder en détention" l'étranger (alien) suspect d'activités mettant en péril "la sécurité nationale des Etats-Unis" ; mais l'étranger devrait être, dans les sept jours, soit expulsé, soit accusé de violation de la loi sur l'immigration ou de quelque autre crime. La nouveauté de l' "ordre" du président Bush est d'annuler radicalement tout statut juridique de l'individu, en créant ainsi un être juridiquement innommable et inclassable. Les talibans capturés en Afghanistan non seulement ne jouissent pas du statut de "prisonnier de guerre" selon la convention de Genève, mais non pas plus de celui d'inculpé selon les lois américaines. Ni prisonniers ni accusés, mais seulement detainees, ils sont l'objet d'une pure souveraineté de fait, d'une détention indéfinie, non seulement au sens temporel, mais quand à sa nature même, car totalement soustraite à la loi et au contrôle judiciaire. La seule comparaison possible est la situation juridique des juifs dans les Lager nazis, qui avaient perdu, avec la citoyenneté, toute identité juridique, mais gardaient au moins celle de juif. Comme Judith Butler l'a clairement démontré, dans le detainee de Guantanamo, la vie nue rejoint sa plus grande indétermination." (p.12-14)

    "Il importe de ne pas oublier que l'état d'exception moderne est une création de la tradition démocratico-révolutionnaire, et non pas de la tradition absolutiste." (p.15-16)

    "La première guerre mondiale -et les années qui suivirent- apparaît comme [...] le laboratoire où ont été expérimentés et mis au point les mécanismes et les dispositifs fonctionnels de l'état d'exception comme paradigme de gouvernement." (p.19)

    "Il est bon de ne pas oublier que, selon le parallélisme déjà signalé entre urgence militaire et urgence économique qui caractérise la politique du XXème siècle, le New Deal fut réalisé du point de vue constitutionnel par la délégation [...] au président d'un pouvoir illimité de réglementation et de contrôle sur tous les aspects de la vie économique du pays." (p.40)

    "La confusion entre état d'exception et dictature est la limite qui a empêché aussi bien Schmitt en 1921 que Rossiter et Friedrich après la seconde guerre mondiale de venir à bout des apories de l'état d'exception. Dans les deux cas, l'erreur était intéressée, puisqu'il était certainement plus facile de justifier périodiquement l'état d'exception en l'inscrivant dans la tradition prestigieuse de la dictature romaine qu'en le restituant à son authentique, mais plus obscur, paradigme généologique dans le droit romain: le justitium. Dans cette perspective, l'état d'exception ne se définit pas, comme le modèle dictatorial, comme une plénitude de pouvoir, un état pléromatique du droit, mais comme un état kénomatique, un vide et un arrêt du droit." (p.81-82)

    "Lettre de Benjamin à Schmitt datée de décembre 1930." (p.89)

    "La doctrine de la souveraineté que Schmitt développe dans sa Théologie politique peut être lue comme une réponse précise à l'essai de Benjamin [Critique de la violence]." (p.92)

    "La description benjaminienne du souverain baroque dans l'Origine du drame baroque allemand peut être lue comme une réponse à la théorie schmittienne de la souveraineté." (p.94)

    "En définissant, parallèlement à d'autres formes de suicide, la catégorie de "suicide anomique", Durkheim avait établi une corrélation entre la diminution de l'action régulatrice de la société sur les individus et l'augmentation du taux de suicide. Cela équivalait à postuler, comme il le fait sans fournir la moindre explication, un besoin qu'auraient les êtres humains à être contrôlés dans leurs activités et dans leurs passions." (p.113)
    -Giorgio Agamben, État d'Exception. Homo Sacer, II,1, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 153 pages.

    "Cette enquête porte sur les modalités et les raisons qui ont poussés le pouvoir, en occident, à prendre la forme d'une oikonomia, c'est-à-dire d'un gouvernement des hommes. Elle s'inscrit donc dans le sillage de Michel Foucault sur la généalogie de la gouvernementalité, mais elle tente aussi de comprendre les raisons internes qui ont empêché ces recherches d'arriver à leur terme. En effet, en se portant bien au-delà des limites chronologiques que Foucault avait prescrites à sa généalogie, l'ombre que l'interrogation théorique du présent projette sur le passé implique ici de remonter jusqu'aux premiers siècles de la théologie chrétienne, qui ont vu la première élaboration de la doctrine trinitaire sous la forme d'une oikonomia." (p.13)

    "Pourquoi le pouvoir a-t-il besoin de la gloire ? S'il est essentiellement force et capacité d'action et de gouvernement, pourquoi doit-il assumer la forme rigide, encombrante et "glorieuse" de la cérémonie, des acclamations et des protocoles ? Quelle est la relation entre économie et Gloire ?" (p.14)

    "La société du spectacle -si nous utilisons ce nom pour désigner les démocraties contemporaines- est une société dans laquelle le pouvoir dans son aspect "glorieux" est devenu indissociable de l'oikonomia et du gouvernement." (p.15)

    "Une des thèses qu'[on] tentera de démontrer est que la théologie chrétienne a donné naissance à deux paradigmes politiques au sens large, paradigmes antinomiques mais qui ont fonctionné de manière connexe: la théologie politique, qui fonde dans le Dieu unique la transcendance du pouvoir souverain, et la théologie économique, qui y substitue l'idée d'une oikonomia, conçue comme un ordre immanent -domestique et non politique au sens strict- à la vie divine et à la vie humaine. Du premier paradigme dérivent la philosophie politique et la théorie moderne de la souveraineté ; du second, la biopolitique moderne, qui s'étend jusqu'au triomphe actuel de l'économie et du gouvernement sur tout autre aspect de la vie sociale." (p.17)

    "Le paradigme théologico-politique a été énoncé en 1922 par Schmitt dans une thèse lapidaire: "Tous les concepts prégnants de la doctrine moderne de l'Etat sont des concepts théologiques sécularisés." [...] Si notre hypothèse d'un double paradigme est exacte, une telle affirmation devrait être intégrée en un sens qui étendrait la validité bien au-delà des limites du droit public, jusqu'à englober tous les concepts fondamentaux de l'économie et la conception même de la vie reproductive des sociétés humaines. La thèse selon laquelle l'économie pourrait être un paradigme théologique sécularisé a néanmoins un effet rétroactif sur la théologie elle-même, puisqu'elle implique que la vie divine tout autant que l'histoire de l'humanité ont été conçues, depuis le début de la théologie, comme une oikonomia, c'est-à-dire que la théologie, est elle-même dès le départ une "économie" et qu'elle ne l'est pas devenue dans un second moment au cours de sa sécularisation." (p.19)

    "[Hegel] affirmait l'équivalence entre sa thèse sur le gouvernement rationnel du monde et la doctrine théologique du plan providentiel de Dieu [...] il présentait sa philosophie de l'histoire comme une théodicée." (p.23)

    "Les deux présupposés auxquels Peterson lie l'existence de l'Eglise (la conversion ratée des Juifs et le retard de la parousie) sont intimement liés, et c'est précisément cette connexion qui définit la spécificité de cet antisémitisme catholique dont Peterson était un représentant. L'existence de l'Eglise se fonde sur la durée de la Synagogue: cependant, dans la mesure où, à la fin, "Tout Israël sera sauvé" [...] et où l'Eglise s'achèvera dans le Règne [...], Israël aussi devra disparaître." (p.26)

    "Chez Grégoire [de Nazianze], le logos de l'économie a pour rôle spécifique d'éviter qu'une fracture stasiologique, à savoir politique, soit introduite en Dieu par la Trinité. Puisque même une monarchie peut donner lieu à une guerre civile, à une stasis interne, seul le passage d'une rationalité politique à une rationalité "économique" (dans le sens que nous tenterons d'éclaircir) peut garantir de ce danger." (p.34)

    "Oikonomia signifie "administration de la maison"." (p.41)

    "Cette activité de gestion ordonnée est appelée par Xénophon "contrôle" (episkepsis, d'où episkopos, "surintendant", et, plus tard, "évêque")." (p.43)

    "Quand à Cicéron, il traduit le terme par dispositio." (p.44)

    "Il n'y a pas, en réalité, de "sens" (Sinn) théologique du terme, mais bien plutôt un déplacement de sa dénotation dans une sphère théologique." (p.46)

    "Il est bien établi que la distinction entre oikos et polis ne se présente pas chez Platon comme chez Aristote dans les termes d'une opposition. En ce sens, Aristote peut critiquer la conception platonicienne de la polis et reprocher à son maître de pousser trop avant le caractère unitaire de la cité jusqu'à risquer de la transformer en une maison." (p.47)

    "Que la communauté messianique [ekklêsia] soit représentée depuis le début [par Paul de Tarse] dans les termes d'une oikonomia et non pas dans ceux d'une politique est un fait dont les implications pour l'histoire de la politique occidentale restent encore à trancher." (p.52)

    "Tout comme la disposition ordonné de la matière d'un discours en plusieurs partie ne porte pas préjudice à son unité et ne diminue pas sa puissance, le Logos divin reçoit "la distinction de l'oikonomia". La première articulation de la procession trinitaire surgit à travers un paradigme économico-rhétorique." (p.59-60)

    "Hippolyte et Tertullien se trouvent l'un comme l'autre face à des adversaires (Noetus, Praxéas) qui sont définis comme monarchiens parce qu'ils s'en tiennent à un monothéisme rigoureux et qu'ils voient dans la distinction personnelle entre le Père et le Verbe le risque d'une rechute dans le polythéisme. Le concept d'oikonomia est donc l'opérateur stratégique qui a permis la conciliation provisoire entre la trinité et l'unité divine avant qu'un véritable vocabulaire philosophique ne soit élaboré aux IVème et Vème siècles." (p.67)

    "L'identification aristotélicienne de la monarchie et de l'économie, qui avait connu une large diffusion chez les stoïciens, est certainement l'une des raisons plus ou moins conscientes qui ont poussé les Pères [de l'Eglise] à élaborer le paradigme trinitaire dans des termes économiques et non pas politiques. Si Tertullien peut écrire que l'économie ne peut en aucun cas comporter une eversio, c'est aussi parce que, selon le paradigme aristotélicien, l'oikos reste quoi qu'il arrive une structure essentiellement "monarchique"."(p.78)

    "Le lien que la théologie chrétienne a établi entre oikonomia et histoire est déterminant pour la compréhension de l'histoire en occident. On peut dire, notamment, que la conception de l'histoire dans l'idéalisme allemand, de Hegel à Schelling et jusqu'à Feuerbach, n'est rien d'autre qu'un essai de penser le lien "économique" entre le processus de la révélation divine et l'histoire. [...] Et lorsque la gauche hégélienne voudra rompre avec cette conception théologique, elle ne pourra le faire qu'en mettant au centre du processus historique l'économie au sens moderne, à savoir l'autoproduction historique de l'homme. C'était substituer à l'économie divine une économie purement humaine." (p.82)

    "Distinguer, dans le Dieu évoquer par Aristote, entre être et praxis serait simplement impensable. [...]
    C'est justement cette unité que la doctrine de
    l'oikonomia remet radicalement en question. L'économie à travers laquelle Dieu gouverne le monde est, en effet, complètement distincte de son être, et, en tout état de cause, on ne saurait la déduire de ce dernier. On peut analyser la notion de Dieu sur le plan ontologique, on peut faire la liste de ses attributs ou, comme le fait la théologie apophatique, nier un à un tous ses prédicats pour atteindre l'idée d'un être pur dont l'essence coïnciderait avec l'existence: cela ne dira rigoureusement rien de sa relation avec le monde ni de la manière dont il a décidé de gouverner le cours de l'histoire humaine. [...]
    La libre décision divine de gouverner le monde est bien plus mystérieuse que la nature de Dieu elle-même [...]. Si la notion de volonté libre, tout compte fait marginale dans la pensée classique, est devenue la catégorie centrale de la théologie chrétienne puis de l'éthique et de l'ontologie de la modernité, c'est parce que l'une et l'autre trouvent dans cette fracture leur site originaire et qu'elles ne cesseront de s'y rapporter. [...]
    Dieu n'a pas crée le monde sous le coup de la nécessité de sa nature ou de son être, mais parce qu'il en a décidé ainsi. [...] La volonté est donc le dispositif qui doit articuler ensemble être et action, qui se trouvent séparés en Dieu. Le primat de la volonté, qui, selon Heidegger, a dominé l'histoire de la métaphysique occidentale pour arriver à son achèvement avec Schelling et Nietzsche, trouve sa racine dans la fracture entre être et agir en Dieu. Elle est donc, depuis le commencement, solidaire de l'
    oikonomia théologique. [...]
    Que la notion moderne de volonté soit un concept pour l'essentiel étranger à la tradition de la pensée grecque et qu'elle se soit formée à travers un lent processus qui coïncide avec celui qui a porté à la création du moi, c'est ce qu'à démontré Jean-Pierre Vernant
    ." (p.94-98)

    "L'identité païenne d'être et d'agir [...] rendaient improbable l'idée même de création." (p.111)

    "La théologie chrétienne est depuis son commencement économico-gestionnaire et non pas politico-étatique." (p.112)

    "Dans l'histoire de l'Eglise primitive, Marcion est le partisan le plus radical de l'antinomie gnostique entre un Dieu étranger au monde et un démiurge mondain [...] L'oikonomia chrétienne peut être considérée dans cette perspective comme une tentative pour dépasser le marcionisme, en insérant l'antinomie gnostique à l'intérieur de la divinité et en conciliant de cette manière extériorité au monde et gouvernement du monde. Le Dieu qui a crée le monde a désormais devant lui une nature corrompue par le péché et devenue étrangère, que le Dieu sauveur, auquel a été confié le gouvernement du monde, doit rédimer pour un règne qui n'est pas, cependant, de ce monde." (p.130)

    "Selon une intention qui marque en profondeur la vision médiévale du monde, Thomas [d'Aquin] a essayé de faire de l'ordre le concept ontologique fondamental qui détermine et conditionne l'idée même de l'être ; et pourtant, l'aporie aristotélicienne atteint chez lui sa formulation la plus extrême. [...]
    Les choses sont ordonnées en tant qu'elles entretiennent une certaine relation entre elles, mais cette relation n'est rien d'autre que l'expression de leur relation par rapport à la fin divine ; et vice versa, les choses sont ordonnées en tant qu'elles dans une certaine relation avec Dieu, mais cette relation s'exprime seulement à travers leur relation réciproque. [...] Le Dieu chrétien est ce cercle, dans lequel les deux ordres passent continûment l'un dans l'autre. Mais à partir du moment où ce que l'ordre doit tenir uni est, en réalité, divisé de manière irrémédiable [...] il reproduit dans sa structure même l'ambiguïté à laquelle il doit faire face. De là la contradiction, relevée par les chercheurs, qui fait que Thomas fonde parfois l'ordre du monde dans l'unité de Dieu, et, parfois, l'unité de Dieu dans l'ordre immanent des créatures. [...] Cette contradiction apparente n'est rien d'autre que l'expression de cette fracture ontologique entre transcendance et immanence, entre être et praxis, que la théologie chrétienne a reçue d'Aristote en essayant de la développer. Si on pousse à ses extrémités le paradigme de la substance séparée, on obtient la gnose, avec son Dieu étranger au monde et à la création ; mais si l'on suit jusqu'au bout le paradigme de l'immanence, on trouve le panthéisme. Entre ces deux extrémités, penser l'ordre c'est essayer de penser un équilibre difficile par rapport auquel la théologie chrétienne menace toujours de tomber et qu'elle doit sans cesse reconquérir.
    ." (p.138-142)

    "Quand Marx, à partir des Manuscrits parisiens de 1844, pense l'être de l'homme comme praxis, et la praxis comme autoproduction de l'homme, il ne fait rien d'autre que de séculariser la conception théologique de l'être des créatures comme opération divine. Une fois conçu l'être comme praxis, il suffit d'enlever Dieu et de mettre l'homme à sa place pour obtenir que l'essence de l'homme ne soit autre que la praxis à travers laquelle il se produit incessamment lui-même." (p.147)

    "Du point de vue théorique, le débat passe moins entre les adeptes du primat du sacerdoce et ceux de l'empire, qu'entre les "gouvernementalistes" (qui pensent que le pouvoir est toujours déjà articulé en une double structure: puissance et exécution, Règne et Gouvernement) et les partisans d'une souveraineté au sein de laquelle il n'est pas possible de séparer la puissance et l'acte, ordinatio et executio. [...] Dans cette perspective, on comprend mieux la position de ceux qui, comme Jean Quidort, réfutent la théorie de la plenitudo potestatis du pape parce qu'elle implique une séparation de la puissance et l'acte, du pouvoir et de l'exécution qui n'est pas naturelle." (p.163)

    "Quand on entreprend une recherche archéologique, il faut prendre en considération la possibilité que la généalogie d'un concept ou d'une institution politique puisse se situer dans une sphère différente de celle qu'on envisageait au départ de l'enquête (par exemple, non pas dans la science politique, mais dans la théologie). [...] L'archéologie est une science des signatures, et il est essentiel d'être capable de suivre les signatures qui déplacent les concepts ou qui en orientent leur interprétation dans des milieux différents." (p.177-178)

    "La différence conceptuelle entre un pouvoir d'ordonnance général (ratio gubernandi, ordinatio) et un pouvoir exécutif apparaît dans la sphère théologique avant de se trouver dans la sphère politique. Et c'est dans cette articulation de la machine providentielle que la doctrine moderne de la division des pouvoirs trouve son paradigme. Il n'est pas jusqu'à la distinction moderne de la légitimité et de la légalité, qui apparaîtra dans la France monarchique pendant la période de la Restauration, qui ne trouve son archétype dans la double structure de la providence. L'Etat que Schmitt appelle "législatif", c'est-à-dire l'Etat de droit moderne, où chaque activité de gouvernement se présente comme l'application et l'exécution d'une loi impersonnelle, est, selon cette perspective, le dernier avatar du paradigme providentiel dans lequel Règne et Gouvernement, légitimité et légale, coïncident." (p.210)

    "Bien avant que le vocabulaire de l'administration et du gouvernement civil ait commencé à être élaboré et fixé, il avait été l'objet d'une solide construction dans la sphère de l'angélologie. Non seulement le concept de hiérarchie mais aussi, comme nous l'avons vu, ceux de ministère et de mission trouvent leur première articulation systématique précisément dans l'exposition des activités angéliques." (p.242)

    "L'idée [de la cabale médiévale vis-à-vis de la nécessité de glorifier Dieu] est plutôt que, sans les pratiques rituelles, le plérome divin perd sa force et déchoit, que Dieu a donc besoin d'être continuellement restauré et réparé par la piété des hommes, tout comme il est affaibli par leur impiété." (p.343)

    "De même que les doxologies liturgiques produisent et renforcent la gloire de Dieu, de même les acclamations profanes ne sont pas un ornement du pouvoir politique, mais le fondent et le justifient." (p.344-345)

    "La gloire, en théologie comme en politique, est précisément ce qui prend la place de ce vide impensable qu'est le désœuvrement du pouvoir [...]
    Dans l'iconographie du pouvoir, aussi bien profane que religieux, cette vacuité centrale de la gloire, cette parenté entre majesté et désœuvrement, a trouvé un symbole exemplaire dans l'
    hetoimasia tou thronou, c'est-à-dire dans l'image du trône vide.
    L'adoration d'un trône vide a des origines anciennes et se trouve déjà mentionnée dans les Upanishad. Dans la Grèce mycénienne, le trône retrouvé dans ce qu'on appelle la salle du Trône à Cnossos est, selon les archéologues, un objet de culte et non un siège destiné à être utilisé
    ." (p.362-363)

    "On a pu objecter non sans raison à Habermas et aux théoriciens du peuple-communication qu'ils finissaient par livrer le pouvoir politique aux mains des experts et des médias.
    Ce que notre recherche nous a montré, c'est que l'Etat holistique fondé sur la présence immédiate du peuple acclamant et l'Etat neutralisé dissous dans les formes communicationnelles sans sujet ne sont opposés qu'en apparence. Ils ne sont que les deux faces du même dispositif glorieux sous ses deux formes: la gloire immédiate et subjective du peuple acclamant, et la gloire médiatique et objective de la communication sociale. Comme cela devrait être aujourd'hui évident, peuple-nation et peuple-communication, malgré la différence des comportements et des figures, sont les deux visages de la
    doxa, qui, en tant que tels, s'entrelacent et se séparent sans cesse dans les sociétés contemporaines. Dans cet entrelacement, les théoriciens "démocratiques" et laïcs de l'agir communicationnel risquent de se retrouver côte à côte avec les penseurs conservateurs de l'acclamation comme Schmitt et Peterson." (p.383-384)

    "La philosophie et la science politique ont omis de poser les questions qui, chaque fois qu'on analyse, dans une perspective généalogique et fonctionnelle, les techniques et les stratégies du gouvernement et du pouvoir, apparaissent, à tous égards, décisives: D'où notre culture tire-t-elle -mythologiquement et dans les faits- le critère de la politicité ? Quelle est la substance -ou la procédure, ou le seuil- qui permet de donner à quelque chose un caractère proprement politique ? La réponse que notre recherche suggère est celle-ci: la gloire, sous son double aspect, divin et humain, ontologique et économique, du Père et du Fils, du peuple-substance ou du peuple-communication. Le peuple -réel ou communicationnel- auquel, en quelque sorte, le government by consent et l'oikonomia des démocraties contemporaines doivent inévitablement renvoyer, est, dans son essence, acclamation et doxa." (p.385)

    "D'une part, Rousseau conçoit, en effet, le gouvernement comme le problème politique essentiel, de l'autre, il minimise le problème de sa nature et de son fondement, en le réduisant à une activité d'exécution de l'autorité souveraine. Le malentendu qui règle le problème du gouvernement en le présentant comme simple exécution d'une volonté et d'une loi générales a pesé négativement non seulement sur la théorie, mais aussi sur l'histoire de la démocratie moderne. En effet, cette histoire n'est que la mise en lumière progressive de la substantielle non-vérité du primat du pouvoir législatif et de la conséquente irréductibilité du gouvernement à une simple instance d'exécution. Et si nous assistons aujourd'hui à la domination écrasante du gouvernement et de l'économie sur une souveraineté populaire vidée de sens, cela signifie peut-être que les démocraties occidentales sont en train de payer les conséquences politiques d'un héritage théologique qu'à travers Rousseau elles avaient assumé sans s'en rendre compte." (p.408)

    "L'influence de Malebranche sur Quesnay a été bien établie [...] et, de façon plus générale, l'influence du modèle de l'ordre providentiel sur la pensée des physiocrates n'a pas besoin d'être prouvée." (p.413)

    "Le libéralisme représente une tendance qui pousse à l'extrême la suprématie du pôle "ordre immanent-gouvernement-ventre" jusqu'à presque éliminer le pôle "Dieu transcendant-règne-cerveau", mais en faisant cela, il ne fait que jouer une moitié de la machine théologique contre l'autre. Et lorsque la modernité a aboli le pôle divin, l'économie qui en résulte ne s'est pas émancipé pour autant de son paradigme providentiel." (p.419-420)
    -Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première édition italienne), 443 pages.

    "Il est nécessaire pour nous de savoir quels sont les termes qui appartiennent à la théologie [donc l'être de Dieu] et quels sont ceux qui relèvent de l'économie [donc de l'ordonnance / administration du monde, la praxis de Dieu, distincte de son être]."
    -Théodoret de Cyr, cité par Giorgio Agamben, in Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première édition italienne), 443 pages, p. 105.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Lun 4 Juin - 9:08, édité 1 fois


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Giorgio Agamben, Oeuvres Empty Re: Giorgio Agamben, Oeuvres

    Message par Johnathan R. Razorback Mar 30 Mai - 19:27

    « Il est généralement admis qu’une théorie de la guerre civile fait aujourd’hui totalement défaut, sans pour autant que cette lacune semble préoccuper outre mesure les juristes et les politologues. » (p.9)

    « Il existe bien aujourd’hui une « polémologie », ou théorie de la guerre, et une « irénologie », ou théorie de la paix, mais il n’existe pas de « stasiologie », ou théorie de la guerre civile. » (p.10)

    « Une raison possible du désintérêt pour la guerre civile tient dans la popularité croissante (au moins jusqu’à la fin des années 1970) du concept de révolution, qui s’est toutefois jamais coïncider avec lui. C’est Hannah Arendt, dans son essai De la révolution, qui a formulé sans réserves la thèse de l’hétérogénéité entre les deux phénomènes. » (p.11)

    « Il [est] probable que la différence entre les deux concepts soit en réalité purement nominale. » (p.12)

    « Polemos désigne en effet la guerre étrangère et, comme Platon l’écrira dans la République (470c), se réfère à ce qui est allotrion kai othneion (extérieur et étranger), tandis que pour ce qui est oikeios kai syggenes (parent et d’origine commune) le terme qui convient est stasis. » (p.14-15)

    « A la fin de son essai, Nicole Loraux analyse le cas d’une petite cité grecque de Sicile, Nakonè, où, au IIIe siècle avant J.C., les citoyens, après une stasis, décidèrent d’organiser leur réconciliation d’une manière tout à fait singulière. Ils tirèrent au sort les noms de leurs concitoyens de manière à les répartir en groupes de cinq, qui devenaient alors adelphoi hairetoi, « frères par le sort ». La famille naturelle était neutralisée, mais, dans le même temps, la neutralisation se réalisait à travers un symbole de parenté par excellence : la fraternité. L’oikos, à l’origine des discordes civiles, est banni de la cité grâce à l’instauration d’une fraternité postiche. L’inscription qui nous a transmis ces informations précise que les néo-frères ne devaient avoir entre eux aucune parenté familiale : la fraternité purement politique met hors jeu celle du sang et, de ce fait, libère la cité de la stasis emphylos ; mais du même coup elle reconstitue une parenté sur le plan de la polis, faisant de la cité une famille d’un nouveau genre. C’est d’un paradigme « familial » de cet ordre que s’est servi Platon, suggérant que dans sa république idéale, une fois que la famille naturelle aurait été éliminée par le communisme des femmes et des biens, chacun verrait en l’autre « une frère ou une sœur, un père ou une mère, un fils ou une fille » (République, 463c). » (p.16-17)

    « La stasis ou guerre civile est, dans son essence, une « guerre dans la famille », qui provient de l’oikos et non de l’extérieur. » (p.18)

    « Pourquoi la famille implique-t-elle irréductiblement le conflit à l’intérieur d’elle-même ? Pourquoi la guerre civile serait-elle un secret de famille et de sang, et non un arcane politique ? Peut-être la situation et la genèse de la stasis à l’intérieur de l’oikos, que les hypothèses de Loraux semblent donner pour assurées, doivent-elles être vérifiées et corrigées. » (p.20-21)

    « La stasis –selon notre hypothèse- ne se situe ni dans l’oikos ni dans la polis, ni dans la famille ni dans la cité : elle constitue une zone d’indifférence entre l’espace impolitique de la famille et l’espace politique de la cité. En franchissant ce seuil, l’oikos se politise et, inversement, la polis s’ « économise », c’est-à-dire se réduit à l’oikos. Cela signifie que, dans le système de la politique grecque, la guerre civile fonctionne comme un seuil de politisation ou de dépolitisation, par lequel la maison s’excède en cité et la cité se dépolitise en famille. » (p.23)

    « La loi de Solon […] punissait d’atimie (c’est-à-dire de la perte des droits civiques) le citoyen qui, dans une guerre civile, n’avait pas combattu pour l’un des deux partis. » (p.23-24)

    « La stasis n’est pas quelque chose qui puisse jamais être oublié ou refoulé : elle est l’inoubliable qui doit toujours rester possible dans la cité et qui, cependant, ne doit pas être rappelé par des procès et des rancunes. C’est donc exactement le contraire de ce que la guerre civile semble être pour les modernes : c’est-à-dire quelque chose que l’on doit chercher à rendre à tout prix impossible et qui doit être sans cesse rappelé par des procès et des persécutions légales. » (p.28)

    « Pourquoi le Léviathan ne demeura-t-il pas dans la ville ? Pourquoi la ville est-elle inhabitée ? » (p.43)

    « L’état de nature est une projection mythologique de la guerre civile dans le passé. » (p.58)
    -Giorgio Agamben, La Guerre civile. Pour une théorie politique de la stasis, Éditions Points, coll. Essais, 2015 (2015 pour la première édition italienne), 76 pages.


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