"Il avait un frère, Ludwig, qui devint officier et mourut avant lui." (p.2)
"Hegel subit avec succès les examens de magister en philosophie (1790), puis de "candidat" en théologie (1793). Mais il ne fut que 3e au classement de sortie et son certificat de fin d'études lui reprocha d'avoir négligé la philosophie." (p.2)
"Il écrit une Vie de Jésus (1795) et divers opuscules, surtout théologiques, qui ne paraîtront qu'après sa mort.
Ayant perdu son père en 1799, Hegel recueille un petit héritage qui lui permet de quitter son préceptorat et de se consacrer entièrement à ses travaux. Il se rend en 1801 à Iéna où Schelling était, depuis 1796, professeur à l'Université. C'est là qu'il publie en juillet 1801 son premier ouvrage: Différence des systèmes de Fichte et de Schelling. Le mois suivant il soutient sa thèse d' "habilitation", De orbitis planetarum, où il s'attaque violemment à Newton et "démontre" a priori qu'entre Jupiter et Mars il ne peut y avoir d'autre planète, l'année même où la découverte de Cérès démentait sa trop aventureuse déduction.
Agréé comme "privat-docent" à l'Université d'Iéna, il y a commence son premier cours en octobre 1801. Il est nommé en 1805 professeur "extraordiaire", c'est-à-dire non titulaire, avec un traitement très modique.
Connu jusqu'alors comme disciple de Schelling, Hegel élabore peu à peu sa doctrine personnelle. Il commence à se séparer nettement de son ami dans son cours de 1803. La rupture devient définitive quand paraît la Phénoménologie de l'Esprit [...]
Désormais Hegel est en possession de la méthode qui, d'après lui, permet d'atteindre l'absolu." (pp.3-4)
"C'est durant son séjour à Nuremberg que Hegel écrivit et publia son ouvrage le plus important, sa grande Logique (1812-1816). La notoriété que lui valut ce livre pouvait lui faire espérer une nomination en titre dans une Université. Sa situation à Nuremberg était d'ailleurs moins sûre depuis que la chute de Napoléon (qu'il déplora) avait ramené la réaction catholique au pouvoir en Bavière." (p.5)
"Il eut beaucoup de pouvoir grâce à l'appui d'hommes comme Altenstein et Schulze et en profita pour "caser" le plus possible de ses disciples dans les chaires des Universités. On le soupçonne même d'avoir fait suspendre les cours de son ennemi Beneke et on a souligné l'inélégance de ses attaques contre son collègue Fries, frappé pour ses idées libérales. Cependant, si la bureaucratie prussienne le soutenait, il n'avait pas la confiance des vieux conservateurs à qui sa Philosophie du Droit (1821) avait déplu autant qu'aux libéraux. Il était surtout suspect sur le terrain religieux. Dans l'entourage du roi, on le jugeait peu chrétien. Son crédit officiel semble avoir baissé à la fin, à en juger par les attaques et pamphlets qu'on laissa circuler contre lui ; on le dénonçait comme panthéiste et négateur de l'immortalité de l'âme [...] Fait significatif: il ne put être élu à l'Académie de Berlin, ni faire patronner officiellement la revue de son école." (p.
"Voyant un jour vendre des médailles bénites devant la cathédrale de Cologne, il dit à Cousin avec colère: « Voilà votre religion catholique et les spectacles qu'elle nous donne ! Mourrai-je avant d'avoir vu tomber tout cela ?" (p.12)
"En France, Hegel a influencé des hommes comme Renan, Vacherot et, plus près de nous, Hamelin. Son œuvre est étudiée plus activement que jamais depuis une quinzaine d'années. Mais une opposition fondamentale persiste aujourd'hui entre ceux qui, comme M. Niel, interprètent sa pensée dans le sens du théisme chrétien et ceux qui, comme M. A. Kojève, y voient « une philosophie radicalement athée". Le problème de ses rapports avec l'existentialisme soulève des polémiques qui sont loin de faire espérer une atténuation de ces divergences." (pp.13-14)
"Obscurité d'une doctrine dont on n'est jamais sûr d'avoir entièrement pénétré la signification." (p.15)
"Il a essayé de construire un système : un système qui embrasse toutes les connaissances possibles en une vaste synthèse. Tout ce qui est fragmentaire est, à ses yeux, exclu du rang des sciences. [...]
Il a voulu donner à son système la forme d'une déduction universelle. Les connaissances empiriques ne sont pas négligeables. Mais seule, la certitude de la nécessité du nécessaire a une valeur scientifique. La philosophie se doit de démontrer que ce qui se produit ne pouvait manquer de se produire. Elle doit, par suite se construire a priori." (pp.16-17)
"Deux postulats:
Le premier se formule dans ces propositions : "Tout le réel est rationnel", et : "Tout le rationnel est réel." Que donc ? Qu'il n'y a pas une chose, pas un événement, pas un détail qui ne soit explicable par la raison réfléchissante, c'est-à-dire déductible des principes posés par la raison, et qui n'ait, par suite, sa cause efficiente et sa cause finale. Le hasard n'existe nulle part. Ceux-là seuls y croient qui ignorent les dont l'action détermine et dont la connaissance éclaire tout. Réciproquement, tout ce qui se justifie rationnellement, c'est-à-dire tout ce que détermine l'action' des principes, causes efficientes et causes finales existe par cela même. Affirmations capitales. Hegel nie d'avance ce qui a frappé, par exemple E. Meyerson, l'existence d' « irrationnels" irréductibles, vrai scandale pour notre raison [...]
Le mouvement qui se produit dans l'histoire du monde n'est pas une agitation stérile. Quelque chose se construit grâce à lui et c'est sa construction que l'évolution de l'ensemble est orientée. Ce quelque chose, c'est une conscience universelle qui sera la conscience même de Dieu, conscience de lui-même, de tout ce qui existe en lui et par lui, des origines de chaque chose, de son but, des rapports qu'elle soutient avec toutes les autres, celles qui sont, celles qui furent, celles qui seront. Le devenir universel, c'est un vaste enfantement. La conscience qu'il fabrique, c'est faut-il dire le divin, faut-il dire Dieu qui se fait ?" (pp.22-23)
"Le monde n'est pas une apparence phénoménale. L'idée n'est pas un produit d'un sujet conscient qui la forme. Elle est, par elle-même, la réalité objective. Aussi Hegel réclame-t-il pour son idéalisme un nom spécial. Il l'oppose à "l'idéalisme subjectif de la philosophie critique". Il le dénomme « l'idéalisme absolu". Pour lui, « les choses que-nous connaissons d'une façon immédiate sont des phénomènes non seulement pour nous, mais en elles-mêmes". Et il dit ailleurs: « Ce qui fait la vraie objectivité de la pensée, c'est que les pensées ne sont pas seulement nos pensées, mais qu'elles constituent aussi « l'en soi » des choses et du monde objectif en général." (p.23)
"Qu'est-ce qu'une idée qui se développe en dehors de toute conscience et ne le fait cependant ni sans cause ni sans but ? Est-elle autre chose qu'un ensemble de puissances orientées et qui tendent à un certain ordre de réalisations ? Les textes nous disent seulement:
1) Que cette idée est un "esprit qui se cherche" et qui aspire non pas seulement à atteindre la condition d'un esprit fini et limité mais encore à devenir un esprit infini et illimité, embrassant l'universel, le particulier et le singulier dans leur ensemble et dans leurs détails avec une entière
clarté
2) Qu'elle forme une parfaite unité, de sorte que c'est sans en rien perdre qu'elle se développe à la manière d'un embryon vivant ;
3) Que dans son développement elle est libre, au sens spinoziste du mot, parce que ce développement même ne procède que d'elle-même et de sa propre nature
4) Que cela n'implique pas pour autant que son développement soit arbitraire. Un embryon croît suivant certaines lois dont dépend finalement la forme adulte qu'il revêt. L'Idée primitive n'opère pas plus que lui sa croissance au hasard. Elle évolue conformément à sa notion suivant les lois d'une logique inéluctable que rien ne saurait modifier.
Ces lois, il faut les connaître. Car elles dominent tout. C'est ce qui donne à la logique une position prépondérante. « Les autres sciences philosophiques, la philosophie de la nature et la philosophie de l'esprit, écrit Hegel, nous apparaîtront, pour ainsi dire, comme une logique appliquée ; car ces formations ne sont qu'une expression particulière des formes de la pensée pure"." (p.26)
"« Tout être contient des déterminations opposées » et que, par suite « connaître un objet suivant sa notion, c'est acquérir la conscience de cet objet en tant qu'unité de déterminations opposées ». Cette loi domine aux yeux de Hegel, le développement de l'Idée, de la Pensée." (p.27)
"Le Dieu d'Aristote est, en effet, comme celui de Hegel, "la pensée de la pensée". Mais il est réalisé hors du monde. Il le transcende et le meut par l'amour qu'il lui inspire. Le Dieu de Hegel est, au contraire, un Dieu en formation ; c'est dans le monde et grâce à lui qu'il se construit d'une manière sourde et instinctive. [...] Cette activité est déterminée, et par l'horreur des contradictions où l'Idée ne peut pas rester, et par l'aspiration instinctive au divin qui est en elle." (pp.29-30)
" [La nature] est une production de l'Idée, antithèse de son premier état comme le concret s'oppose à l'abstrait. Elle se justifie rationnellement parce qu'elle est l'intermédiaire obligé, le moyen terme indispensable entre l'idée purement abstraite à son stade initial et l'idée pleinement consciente, entièrement concrète et maîtresse de toutes les connaissances à son stade final.
Et en effet, c'est dans la nature et grâce à son développement que se forment ces organisations complexes que sont les êtres vivants. Et c'est chez les plus relevés d'entre eux qu'on voit naître la conscience, l'esprit avec ses degrés. Sortie de son unité primitive pour s'étaler dans son antithèse, la nature multiforme, l'idée devenue esprit se retourne vers elle-même. Elle cherche à se ressaisir dans son unité. Unité supérieure à celle d'où elle était partie. Celle-ci était l'unité confuse de l'immédiat." (p.32)
"Tout ce qui existe, a existé et existera est donc justifié et justifiable." (p.37)
"Les rapports que les catégories expriment sont, à ses yeux, des relations non pas phénoménales, mais métaphysiques. Elles ne sont pas indépendantes les uns des autres. Elles sont entièrement déductibles." (pp.42-43)
"
(pp.45-51)
"Reconstruire la nature par la vertu du raisonnement a priori, démontrer qu'elle ne pouvait pas manquer d'obéir à certaines lois, ignorer, ou, ce qui est pire, mépriser comme un vain accessoire le contrôle expérimental, n'est-ce pas, comme le dit E. Meyerson, une entreprise condamnée d'avance à l'insuccès ? Hegel aurait dû d'autant mieux le savoir que les penseurs français de l'Encyclopédie, d'Alembert en particulier, avaient souligné les erreurs auxquelles on aboutit en physique, quand on y raisonne a priori au lieu de consulter l'expérience. La physique, la chimie, la biologie étaient, du reste, assez avancées de son temps pour défendre les esprits scrupuleux contre les tentatives des purs raisonneurs. Rien de tout cela n'émeut Hegel. Il lui faut du nécessaire. Le nécessaire n'est connu que par la déduction. C'est assez pour l'orienter vers le pays de chimères." (pp.52-53)
"Si l'idée se fait nature, c'est parce que cela est nécessaire à l'avènement de l'esprit. Soit ! Mais où est la preuve d'une telle affirmation ?" (p.54)
"Combien de fois Hegel admet-il ce que nous savons être et ce qu'il aurait dû savoir être les plus graves erreurs scientifiques, et cela pour sauvegarder les préjugés de sa dialectique? C'est ainsi qu'il rejette parce qu'elles le gênent les théories de Newton sur la décomposition de la lumière. Combien de fois procède-t-il à des rapprochements baroques ? C'est ainsi qu'il assimile à plusieurs reprises une opération logique comme un syllogisme et la nature d'un barreau aimanté sous ce prétexte fallacieux que le barreau aimanté réunit deux pôles extrêmes par un intermédiaire, comme le syllogisme met en rapport un grand terme et un petit terme par celui d'un moyen terme. Combien de fois écrit-il sans sourciller des propositions comme celle-ci: un métal, c'est « de la lumière coagulée » ou encore : dans un arbre fruitier, le bouton est une thèse, la fleur est une antithèse, le fruit est une synthèse ?" (p.56)
"[Après la constitution despotique] La seconde est la forme démocratique qui peut être, soit une démocratie complète, soit une République aristocratique. Cette fois, plusieurs personnages sont libres au sens du mot que nous venons de dire. Mais ils ne le sont pas tous. Disons donc : Il Quelques-uns sont libres » ; en dehors de ceux-là règne toujours un esclavage plus ou moins rude, une obéissance sanctionnée par un régime de force.
La troisième est la forme monarchique. De nouveau, il y a un personnage qui décide. Mais il n'est pas au-dessus des lois qu'il édicte, de sorte qu'il est le premier à s'y soumettre. D'autre part, il ne promulgue une loi qu'avec l'adhésion libre de tous ceux qui le soutiennent, parce qu'ils reconnaissent qu'il a raison de vouloir faire ce qu'il veut faire et que, par suite, ils l'approuvent. Ici "tous sont libres" et c'est l'accord de celui qui gouverne et de ceux qui, librement, acceptent d'être gouvernés par lui qui constitue l'essence même de l'État, réalisation du divin sur terre." (p.62)
"Le sage doit se résigner à ignorer beaucoup de choses. Il ne peut compter pour s'instruire, ni sur le raisonnement a priori seul, ni sur l'expérience seule. Il ne doit donc imiter, ni "l'araignée qui tire d'elle-même les fils de sa toile", ni « la fourmi qui accumule des grains sans plus ». L'expérience doit lui fournir les faits dont il doit partir et à l'aide desquels il doit contrôler ses idées. Le raisonnement doit lui fournir les idées plausibles pour classer et expliquer ces faits, ainsi que le programme des expériences qui seront significatives et méritent d'être tentées." (p.74)
"Pendant longtemps la traduction française la plus importante de Hegel a été celle que a donné de l'Encyclopédie (avec les additions) sous les titres suivants : Logique (2 vol., 1859, 2e éd. en 1874), Philosophie de la Nature (3 vol., 1863-66), Philosophie de l'Esprit (2 vol., 1867-69) et de la Philosophie de la religion (2 vol., 78). Avant lui BÉNARD avait traduit -(5 vol., 1840-52) et SLOMANN et WALLON la fin de la grande Logique : La Logique subjective (1854). Ces premières traductions sont souvent défectueuses. Ce n'est que depuis 1938 qu'ont paru des traductions de la Philosophie de l'histoire par GIBELIN (2 vol., Vrin, 1938). la Phénoménologie (avec notes) par HYPPOLITE (2 vol. Philosophie du Droit par A. ÏÜAN (Gallimard, 1940). L'Esthétique a été retraduite par Jankélévitch (4 voL, Aubier, 1945). - On a traduit également divers opuscules comme la Vie de Jésus (1928) et l'Esprit du Christianisme el son destin (1948). - Des morceaux choisis ont été publiés par ARCHAMBAULT et par H. LEFEBVRE et GUTERMANN (Gallimard, 1939).
Les œuvres de Hegel sont d'une lecture extrêmement difficile."(pp.80-81)
"Hegel détend contre Kant l'argument ontologique." (note 1 p.89)
-André Cresson & René Serreau, Hegel, sa vie, son œuvre, avec un exposé de sa philosophie, PUF, 1949, 144 pages.