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    Eustache Kouvelakis, L'Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel de Karl Marx

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Eustache Kouvelakis, L'Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel de Karl Marx Empty Eustache Kouvelakis, L'Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel de Karl Marx

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 1 Oct - 11:16



    "L'année 1 843 est, pour Marx mais aussi pour toute l'intelligentsia oppositionnelle en Allemagne, 1'« année terrible » : elle débute par un nouveau durcissement autoritaire du pouvoir de Frédéric-Guillaume III aux prises avec une crise profonde de l'absolutisme, crise d'ensemble ou « d'hégémonie », dans la mesure où elle touche tant aux fondements socio-économiques du régime qu'à la capacité des classes dominantes et de leurs représentants (l'appareil bureaucratique et militaire coiffé par la personne du monarque) à diriger l'ensemble de la société. Dès l'automne 1842, les premiers coups tombent sur la presse d'opposition, suivis par l'expulsion du poète Herrwegh. Début 1843, le gouvernement prussien interdit la parution du journal que Marx dirige de fait depuis l'été 42, la Gazette Rhénane, puis, peu après, la revue du principal publiciste libéral, Arnold Ruge, les Annales allemandes.

    Il faut bien mesurer l'ampleur du tournant qui s'opère à ce moment : l'escalade répressive du pouvoir frappe d'obsolescence la stratégie réformiste qui était, avec plus ou moins de nuances, commune à l'ensemble de l'opposition « éclairée » en Allemagne, y compris le Marx de la Gazette Rhénane. À court terme, le despotisme prussien peut donner, et se donner, l'illusion de reprendre en main la situation ; en réalité, sous-estimant gravement l'ampleur de la crise hégémonique, il se prive de toute marge de manœuvre, et pousse aveuglement à la radicalisation. Le soulèvement des tisserands silésiens (été 1844) et les émeutes de Cologne (printemps 1845) donneront très rapidement un avant-goût de la tempête qui se déchaînera en 1848.

    Dans l'immédiat, cependant, la suppression de tout espace de libre expression place l'intelligentsia oppositionnelle devant un dilemme : soit rester en Allemagne, et renoncer à toute activité politique déclarée (à l'instar de Feuerbach), quitte à suivre alors l'exemple des Jeunes Hégéliens, et à se réfugier dans les sphères supérieures de l'Esprit jouissant du spectacle de sa propre séparation d'avec le monde. Soit refuser de jouer ce jeu, ce qui signifie rompre avec cette tradition bien allemande qui veut que l'audace spéculative de l'intelligentsia s'accompagne d'un retrait contemplatif. Mais en acceptant d'en payer le prix, en général synonyme d'un départ en exil. Lequel renoue, à son tour, avec une autre tradition allemande, celle de l'intellectuel ou du militant politique de l'émigration, dans la lignée des premiers jacobins allemands tels Forster ou Rebmann, dont Ludwig Borne ou Heinrich Heine sont, aux yeux de la génération de Marx, les figures emblématiques." (pp.26-27)

    "Imaginons donc le choc que ce publiciste rhénan, peu cosmopolite jusqu'alors, a dû ressentir devant le spectacle de la grande ville [de Paris], lui qui n'hésitait pas à écrire un an et demi auparavant que le bruit et les mondanités de Cologne (70 000 habitants à l'époque !) étaient incompatibles avec l'activité philosophique." (p.28)

    "La correspondance de Ruge, notamment ses lettres à Feuerbach et à Marx du printemps-été 1843, nous apprennent que parmi les collaborateurs français pressentis [pour participer aux Annales franco-allemandes] figuraient Leroux, Proudhon, L. Blanc, Lamartine, ainsi que les fouriéristes de la Démocratie pacifique, contactés par l'intermédiaire de V. Considérant." (note 2 p.29)

    "Premier texte « parisien », au titre significatif bien qu'assez éloigné, en apparence, du contenu, de Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction. Texte de rupture irrévocable, ne serait-ce que par son caractère public : véritable collection de formules, dont bon nombre connaîtront une glorieuse postérité, gravées au burin d'une langue à la fois spéculative et pamphlétaire, il prend des allures de premier manifeste marxien, qui appelle à l'action en annonçant à visage découvert le passage de son auteur aux positions révolutionnaires. Ce faisant, il marque la première entrée sur la scène de la philosophie allemande, et de la philosophie tout court, d'un acteur proprement inouï, le prolétariat.

    Texte extraordinaire par sa dimension, souvent remarquée, et à juste titre, de bilan tout à la fois autobiographique et historique : en lui se croisent une trajectoire personnelle, celle d'une génération et celle d'une tradition nationale saisie dans sa signification universelle. Le propos de Marx n'est pas de raconter l'histoire d'une conversion individuelle à une nouvelle cause mais de démontrer en quoi la question de la révolution allemande -désormais indissociable de la reconnaissance du rôle dévolu au nouvel acteur historique, le prolétariat- représente bien la « rose dans la croix du présent », selon l'expression de Hegel, la conclusion immanente d'un processus unique qui débute avec la Réforme et s'achève avec le cycle de la philosophie classique et la crise terminale de l'absolutisme. Itinéraire individuel et cheminement collectif, passé et présent, singularité nationale et destin européen, théorie et pratique sont appelés à une rencontre inédite. La crise ouverte par l'événement fondateur de la Révolution française, prise dans sa dimension historico-mondiale, bascule sur elle elle-même, elle devient absolument constructive, elle ouvre sur l'alternative radicale. Si Paris en est la capitale, l'Introduction de 1844 résonne comme le cri de la vigie à l'approche du monde nouveau." (p.30)

    "Marx perçoit clairement que Feuerbach régresse bien en-deçà de Hegel, dont la dialectique de la conscience suppose, pour le moins, de restituer la totalité du développement historique qui préside au déploiement de chacune de ses figures déterminées.

    La conscience aliénée de la religion renvoie ainsi à autre chose qu'elle-même, elle n'est que l'effet, nécessairement second, d'un réel contradictoire, historiquement conditionné. La conséquence qui en découle est limpide : la philosophie ne peut en aucun cas s'énoncer en termes de conciliation ou d'harmonie, que ce soit dans les termes hégéliens de « vision rationnelle qui réconcilie avec la réalité » ou ceux, feuerbachiens, de religion sécularisée de l'amour universel. La tâche de la philosophie, identifiée ici à la critique, est de combattre, ou, plus exactement de livrer le combat sur un terrain nouveau : « lutter contre la religion c'est donc, médiatement, lutter contre le monde dont la religion est l'arôme spirituel ». Reconnaître cette conséquence, c'est déjà passer à la lutte directe contre ce monde ; la critique « réfléchit » alors en elle-même son propre mouvement de sécularisation : « la critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique »." (p.33)

    "Dans un passage bref mais capital des Leçons sur la philosophie de l'histoire, [Hegel] caractérise la Restauration des Bourbons de « farce qui dura quinze ans ». Avec ses apparences de retour à l'absolutisme mêlé de concessions au constitutionnalisme (la Charte), bref avec son hypocrisie et sa prétention dérisoire, cette farce correspond pleinement à ce « caractère prosaïque du temps présent » qui nous est décrit dans l'Esthétique : la société bourgeoise, et la forme d'individualité qui lui correspond, émergent lorsque décline l'« âge héroïque », celui des monarques absolus et des aristocrates, où dominent des individus incarnant à eux seuls la totalité du droit et de la morale." (p.38)

    "Dans A propos de l'histoire de la religion et de la philosophie en Allemagne, texte de 1 835 devenu le véritable bréviaire du radicalisme politique et intellectuel de toute une génération, celle précisément de Marx, d'Engels ou de Hess, le poète avait longuement développé l'idée d'un « remarquable parallélisme » entre ces « deux révolutions », la révolution philosophique allemande, et la révolution politique, et même politico-sociale, qui a eu lieu en France. Kant, qui décapite l'ancienne métaphysique et ouvre la voie à l'athéisme devient alors le Robespierre de la philosophie, Fichte son Napoléon, Schelling son Louis XVIII et Hegel son Louis-Philippe. La « philosophie allemande ne serait autre chose que le rêve de la Révolution française », lançait Heine en 1 832, défiant, une dernière fois avant de quitter l'Allemagne, les censeurs et le public conservateur. Phrase qu'il nous faut comprendre au sens le plus strict, qui est double : produit d'une distance, en apparence infranchissable, à l'action, la philosophie allemande est cependant rêve de révolution à la fois comme rêve que la révolution réelle aurait fait par le truchement des penseurs outre-Rhin, et aussi comme rêve d'une révolution à venir, anticipation par la pensée d'une future révolution allemande. Proche en cela du « rêve éveillé » que théorisera plus tard Ernst Bloch, la philosophie, et plus généralement la théorie, se présente comme entièrement investie par la fonction de conscience anticipante qui lui est immanente." (pp.42-43)

    "Hegel établit en effet un lien de nécessité interne entre la Réforme et la « transformation politique » mise à l'ordre du jour par la Guerre des paysans en Allemagne (1525). Après avoir relevé. dans des termes manifestement approbateurs -là où un Ranke, plus tard, ne verra qu'irruption des forces destructrices de la société- que « les paysans s'insurgèrent en masse pour s'affranchir de l'oppression qui pesait sur eux », il en conclut que « toutefois, le monde n'était pas encore mûr pour une transformation politique, conséquence de la Réforme de l'Église »." (note 1 p.44)

    "Pour ne pas dégénérer dans la contemplation autosatisfaite de l'activité de l' « Esprit », qui se délecte de sa coupure avec la politique et la multitude « vulgaire », pour se construire donc comme puissance réelle, la critique doit se placer sur le terrain des masses, matière même de la politique. Pour le dire autrement, la politique radicale est une politique de masse, au sens où elle est à la fois formulée de leur point de vue et inscrite dans leur propre mouvement constitutif.

    Certes, l'exigence d'une transformation du rapport de la théorie au réel, c'est-à-dire à l'action et à la politique, la perception du caractère désormais intenable de la voie allemande, celle du réformisme éclairé venant d'en haut, tout cela était un leitmotiv commun à l'intelligentsia allemande post-hégélienne, auquel des écrits comme ceux d'August von Cieszkowski ou de Moses Hess avaient décerné ses lettres de noblesse." (p.50)
    -Eustache Kouvelakis, L'Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel de Karl Marx, Ellipses, 2000, 62 pages.



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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