"Le mariage a cessé d’être le grand « passage » qu’il était jusque dans les années 1960. Les étapes de maturation de l’individu, si fortement marquées dans les sociétés traditionnelles, qu’elles soient « autres » ou « rurales » se heurtaient dès les années 1970 comme aujourd’hui à l’émiettement de l’accession au statut d’adulte. À la même époque, furent supprimées les cérémonies de remise de prix et de diplômes, tout ce qui faisait de l’institution scolaire un lieu du sacré laïque et républicain dont le dieu était l’éducation. Dans l’ordre vestimentaire, le « costume du dimanche » ou la « tenue de soirée », qui marquaient des temps spéciaux, disparaissaient. Le vêtement, unisexe et multifonctionnel, traduit une atténuation des codes de savoir-vivre. Quant aux communautés locales des milieux ruraux ou des quartiers urbains, elles se sont dissoutes – ainsi celles du voisinage, du village, du travail, qui offraient un cadre spatio-temporel propice aux événements rituels.
Dans le même temps, le rite a ressurgi ailleurs, sur d’autres scènes sociales, porteuses de nouvelles formes de sacralité. La perte d’emprise du religieux n’a pas laissé le social dans un vide. Ici encore, les travaux des années 1980 ont mis en lumière les « liturgies politiques » (Rivière, 1988), les « rites et les religions séculiers ». La disparition de l’influence des Églises (tout au moins des églises judéo-chrétiennes dans le monde occidental) a fait place à une laïcisation des institutions qui sont porteuses d’un nouveau sacré, par exemple dans l’ordre du politique. Sous des formes renouvelées, les rites d’initiation sont toujours vivants. D’autres rituels sont propres aux temps modernes, tels ceux de commémoration, participant du régime d’historicité contemporain qui se caractérise par son « présentisme » : obsession d’un présent perpétuel qui s’historicise lui-même, en s’incarnant dans ces cérémonies (Hartog, 2002). Leur force communicative est renforcée par la médiatisation, qu’offrent, depuis les années 1950, la télévision et depuis l’an 2000, de manière différente, les réseaux sociaux."
"C’est par les rites que « les institutions inscrivent leurs objectifs, les valeurs et les normes sociales dans les corps » (Wulf, 2005, p. 11). [...]
"Les rites contemporains ne sont pas pour autant souterrains ou marginaux, loin s’en faut : ainsi, en manifestant bruyamment lors de la victoire de leur équipe, les supporters en font le puissant symbole d’une identité régionale ou nationale. Pas plus souterraine n’est l’émotion collective suscitée par la foulée de 50 000 coureurs et coureuses qui s’emparent d’un espace urbain. Le succès de ces rituels tient à leur ambiguïté, comme ceux du bizutage ou des enterrements de vie de célibataire qui relèvent à la fois du spectacle, du jeu, de la simulation. De plus, ils sont soutenus, expansés par la puissance médiatique qui les met en scène et les fait résonner. On peut prendre pour exemple l’émotion collective, à l’échelle de la planète, tout à la fois rituelle et virtuelle, de millions de téléspectateurs communiant ensemble lors des obsèques d’une princesse populaire, ou lors de la naissance d’un prince héritier à la cour d’Angleterre.
Associant rigidité et flexibilité, recourant à des références anciennes et incorporant des inventions, les rites et rituels assurent ainsi la continuité sociale. S’ils font moins appel à une transcendance commune, ils ont cependant des effets certains sur l’individu, lui offrant un soutien pour exprimer des émotions, ordonner le monde. Si l’on reprend la formule de Ludwig Wittgenstein et de Mary Douglas, pour l’homme, « animal cérémoniel », le rite est un code, un mode d’emploi pour agir avec les autres, et aussi avec soi-même. Son potentiel créatif permet d’installer des temporalités et des mémoires, comme il aide les individus à dépasser leurs moments de crise existentielle."
[Chapitre 1 : Le rite, en quête de sens]
"Si l’on suit le linguiste Émile Benveniste (1969), l’étymologie de « rite » viendrait de ritus qui signifie « ordre prescrit ». [...]
Il existe une proximité sémantique avec « cérémonie »."
[Chapitre 4 : La fonction communicative et la médiatisation des rituels]
"Les communautés télévisuelles se constituent devant l’écran qui transforme l’espace privé en un espace public. Selon Daniel Dayan et Elihu Katz (1996, p. 145), une « foule » virtuelle rassemble des membres qui sont présents, dotés d’une orientation commune vers le même centre symbolique et qui sont capables de s’influencer mutuellement."
-Martine Segalen, Rites et rituels contemporains, Armand Colin, 2017 (1998 pour la première édition).
Dans le même temps, le rite a ressurgi ailleurs, sur d’autres scènes sociales, porteuses de nouvelles formes de sacralité. La perte d’emprise du religieux n’a pas laissé le social dans un vide. Ici encore, les travaux des années 1980 ont mis en lumière les « liturgies politiques » (Rivière, 1988), les « rites et les religions séculiers ». La disparition de l’influence des Églises (tout au moins des églises judéo-chrétiennes dans le monde occidental) a fait place à une laïcisation des institutions qui sont porteuses d’un nouveau sacré, par exemple dans l’ordre du politique. Sous des formes renouvelées, les rites d’initiation sont toujours vivants. D’autres rituels sont propres aux temps modernes, tels ceux de commémoration, participant du régime d’historicité contemporain qui se caractérise par son « présentisme » : obsession d’un présent perpétuel qui s’historicise lui-même, en s’incarnant dans ces cérémonies (Hartog, 2002). Leur force communicative est renforcée par la médiatisation, qu’offrent, depuis les années 1950, la télévision et depuis l’an 2000, de manière différente, les réseaux sociaux."
"C’est par les rites que « les institutions inscrivent leurs objectifs, les valeurs et les normes sociales dans les corps » (Wulf, 2005, p. 11). [...]
"Les rites contemporains ne sont pas pour autant souterrains ou marginaux, loin s’en faut : ainsi, en manifestant bruyamment lors de la victoire de leur équipe, les supporters en font le puissant symbole d’une identité régionale ou nationale. Pas plus souterraine n’est l’émotion collective suscitée par la foulée de 50 000 coureurs et coureuses qui s’emparent d’un espace urbain. Le succès de ces rituels tient à leur ambiguïté, comme ceux du bizutage ou des enterrements de vie de célibataire qui relèvent à la fois du spectacle, du jeu, de la simulation. De plus, ils sont soutenus, expansés par la puissance médiatique qui les met en scène et les fait résonner. On peut prendre pour exemple l’émotion collective, à l’échelle de la planète, tout à la fois rituelle et virtuelle, de millions de téléspectateurs communiant ensemble lors des obsèques d’une princesse populaire, ou lors de la naissance d’un prince héritier à la cour d’Angleterre.
Associant rigidité et flexibilité, recourant à des références anciennes et incorporant des inventions, les rites et rituels assurent ainsi la continuité sociale. S’ils font moins appel à une transcendance commune, ils ont cependant des effets certains sur l’individu, lui offrant un soutien pour exprimer des émotions, ordonner le monde. Si l’on reprend la formule de Ludwig Wittgenstein et de Mary Douglas, pour l’homme, « animal cérémoniel », le rite est un code, un mode d’emploi pour agir avec les autres, et aussi avec soi-même. Son potentiel créatif permet d’installer des temporalités et des mémoires, comme il aide les individus à dépasser leurs moments de crise existentielle."
[Chapitre 1 : Le rite, en quête de sens]
"Si l’on suit le linguiste Émile Benveniste (1969), l’étymologie de « rite » viendrait de ritus qui signifie « ordre prescrit ». [...]
Il existe une proximité sémantique avec « cérémonie »."
[Chapitre 4 : La fonction communicative et la médiatisation des rituels]
"Les communautés télévisuelles se constituent devant l’écran qui transforme l’espace privé en un espace public. Selon Daniel Dayan et Elihu Katz (1996, p. 145), une « foule » virtuelle rassemble des membres qui sont présents, dotés d’une orientation commune vers le même centre symbolique et qui sont capables de s’influencer mutuellement."
-Martine Segalen, Rites et rituels contemporains, Armand Colin, 2017 (1998 pour la première édition).