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    Victor Brochard, Watson. — Kant et ses critiques anglais + L'erreur

    Johnathan R. Razorback
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    Victor Brochard, Watson. — Kant et ses critiques anglais + L'erreur Empty Victor Brochard, Watson. — Kant et ses critiques anglais + L'erreur

    Message par Johnathan R. Razorback Mer 18 Jan - 15:32

    "« Le but du présent ouvrage, dit l’auteur au commencement de sa préface, est d’indiquer les erreurs d’interprétation qui ont empêché jusqu’ici la théorie de la connaissance de Kant d’être appréciée comme elle le mérite, malgré les amples éclaircissements dont elle a été récemment l’objet, et de montrer en détail que la Critique de la raison pure pose et résout en partie le problème que la psychologie empirique anglaise n’a fait qu’effleurer. » Les deux parties que l’auteur distingue ne sont pas traitées isolément. Ce n’est ni une exposition continue de la philosophie de Kant, ni un livre de pure polémique. Les théories kantiennes ne sont exposées qu’autant qu’il est nécessaire pour redresser es nombreuses erreurs commises par ceux qui les ont combattues."

    "Nous n’avons pas encore en France, où le criticisme compte tant de partisans, une exposition aussi nette et aussi approfondie de la doctrine du maître."

    "Chef incontesté de l’empirisme contemporain, M. Herbert Spencer."

    "Reproches adressés à Kant par M. Sidgwick à propos de la Réfutation de l’idéalisme."

    "Si, à l’origine, on ne suppose que des sensations, on se met dans l’impossibilité absolue d’expliquer qu’il y ait entre ces sensations des rapports ou des lois ; or ces lois sont justement l’objet de la science. Bien plus : il n’y a de science digne de ce nom que si les lois qu’elle découvre sont nécessaires et universelles ; mais comment, de simples sensations données dans l’expérience, tirer des relations universelles et nécessaires ? L’empirisme a toujours échoué dans cette tâche.

    En d’autres termes, la science, Comme l’avait montré David Hume, exige des principes synthétiques à priori. Il faut qu’ils soient synthétiques, car autrement l’esprit, se bornant à analyser ses propres notions, ne sortirait pas de lui-même et ne pourrait rien affirmer de la réalité. Il faut qu’ils soient à priori, car autrement ils n’auraient plus de nécessité. Or, dans la doctrine des idées innées, les principes sont bien à priori, mais ils ne sont pas synthétiques ; dans l’empirisme, ils sont bien synthétiques, mais ils ne sont pas à priori.

    En présence de cette difficulté, on comprend que Hume se soit laissé aller au scepticisme. Cependant la science existe, et nul scepticisme ne saurait prévaloir entre elle. Il doit donc y avoir une autre explication.

    Kant la trouve en abandonnant le principe commun aux deux doctrines précédentes. Toutes deux s’accordaient à distinguer nettement le sujet et l’objet, l’esprit et les choses, comme deux réalités indépendantes et hétérogènes. Suivant Kant, il n’y a pas deux réalités, mais une seule ; les choses ne sont pas hors de l’esprit ; elles sont, telles du moins que nous les pouvons connaître, l’œuvre de l’esprit, qui les construit à l’aide des matériaux fournis par l’expérience.

    On sait comment Kant arrive à cette conclusion. Les mathématiques reposent sur les jugements synthétiques à priori, qui ne sont possible s que parce que la pensée impose aux phénomènes les formes de l’espace et du temps. À la base des sciences physiques, il y a aussi des jugements synthétiques à priori, parce que les phénomènes n’entrent dans la pensée qu’à la condition de se soumettre aux catégories.

    Une telle doctrine semble bien mériter le nom d’idéalisme, et Kant ne s’oppose pas absolument à ce qu’on le lui donne."

    "Pour Kant, au contraire, sans parler des noumènes que nous ne pouvons connaître en eux-mêmes, il y a autre chose qu’une série de représentations internes. Les objets existent dans l’espace aussi bien que dans le temps, et c’est cette existence dans l’espace où ils sont donnés qui distingue la connaissance objective des fantaisies de l’imagination. Sans dépasser la sphère des phénomènes et de la conscience, Kant peut ainsi attribuer aux choses qui sont dans l’espace un caractère de fixité qui manque complètement aux simples états de conscience successifs.

    Pour démontrer cette doctrine, il part de ce fait, accordé par tout le monde, que nous avons conscience de notre propre existence déterminée dans le temps ; en d’autres termes, que nous avons conscience d’une série d’états successifs. Mais nous ne pouvons connaître ces états comme successifs ou déterminés dans le temps, si nous ne connaissons quelque chose de permanent : les deux connaissances sont corrélatives. Où trouver ce quelque chose de permanent ? Nous en avons bien l’idée ; mais cela ne suffit pas. Il faut quelque chose qui soit permanent non en idée, mais en réalité. D’une manière générale, ce n’est pas en moi que je puis le rencontrer, car le moi lui-même ne peut exister et être déterminé dans le temps que grâce à cette chose permanente. Il faut se garder ici de confondre le moi abstrait de la conscience avec le moi réel et agissant : le premier, privé de toute détermination, par conséquent hors du temps, ne saurait être corrélatif aux déterminations du temps. Ce que nous cherchons ici pour rendre possible la connaissance d’états déterminés dans le temps, c’est quelque chose qui, étant permanent, soit aussi dans le temps. Or, puisque nos idées sont elles-mêmes essentiellement transitoires, c’est seulement dans l’espace que nous pourrons le trouver ; la conscience de nos états internes implique donc nécessairement la conscience de choses extérieures dans l’espace. « Le permanent n’est donc pas en moi, il n’est pas simplement l’idée d’une chose hors de moi, il est une chose hors de moi, c’est-à-dire dans l’espace. L’idéaliste est ainsi forcé d’admettre que le permanent n’est pas hors de la conscience ; mais seulement hors d’une simple série d’états de conscience ; en d’autres termes, les phénomènes externes sont connus directement comme phénomènes internes. Ainsi l’opposition entre les pures idées et les choses hors de la conscience est transformée par Kant en une distinction toute relative entre les états réels internes, et les choses réelles extérieures, les uns et les autres étant également, dans le langage de Kant, des phénomènes, au lieu que les uns soient des phénomènes et les autres des choses en soi, comme dirait l’idéaliste cartésien, ou que les états intérieurs soient seuls réels, et les choses extérieures des non-êtres, comme dirait le disciple de Berkeley, » — Ces choses réellement données dans l’espace, et bien distinctes des choses en soi, voila ce que Kant désigne dans les Prolégomènes sous le nom assez impropre, mais tout provisoire, de noumènes. Ainsi, suivant M. Watson, il n’y a pas contradiction entre les Prolégomènes et la Réfutation de l’idéalisme."

    "L’idée principale sur laquelle repose toute cette critique de l’empirisme, c’est qu’il ne faut pas confondre la simple sensation considérée comme un état de conscience, toute passive par conséquent, avec l’idée dont cette sensation est sans doute un élément, mais qui est l’œuvre de l’activité de l’esprit, s’exerçant sur la matière qui lui est fournie. Le même reproche qu’il adresse aux empiristes, M. Watson l’adresse à Kant lui-même. Du moins, car il ne faut rien exagérer, si Kant est le premier qui ait mis en lumière l’union étroite de ce que l’esprit reçoit et de ce qu’il met de lui-même dans la connaissance, il a encore trop souvent séparé et isolé ces deux éléments. C’est en ce sens, et en allant plus loin que lui dans la voie qu’il a la gloire d’avoir ouverte, que sa doctrine doit être développée.

    Il faut convenir que, abusant des divisions logiques, nous sommes toujours portés à distinguer les sensations brutes, si j’ose dire, immédiatement données, de l’élaboration que la pensée leur fait subir. Il y aurait comme deux stades, deux actes distincts de l’esprit. Là est l’illusion. Il n’y a pas de sensation brute ; et M. Watson a soin de n’employer jamais, au lieu de ce terme équivoque : la sensation, que l’expression the manifold of sense. Au moment où elle arrive à la conscience, la sensation a déjà subi l’application des lois de l’esprit. Les schèmes, les catégories, ne sont pas des choses distinctes dans le temps, qui arrivent l’une après l’autre et se juxtaposent on ne sait comment. La sensation est schématisée, puis soumise aux catégories avant que nous ayons eu le temps d’y prendre garde. C’est seulement par abstraction que nous pouvons, et que nous devons, distinguer les divers éléments, inséparables dans l’acte concret de la représentation. Seulement, comme il arrive souvent, nous sommes dupes de nos abstractions, et nous substituons à une distinction purement logique une séparation dans le temps."

    "C’est faute peut-être d’avoir été jusqu’au bout de sa propre pensée sur ce point, c’est pour avoir attribué aux catégories une origine distincte et plus haute que Kant a été amené à concevoir un monde de choses en soi, réel, quoique nous n’en puissions rien connaître, et telle qu’une intelligence plus puissante que la nôtre, non soumise à la loi du temps, source de toutes nos infirmités, pourrait le connaître directement. Si l’on s’affranchit de ce préjugé, on s’aperçoit que, les catégories n’étant pas d’une autre origine que la multiplicité sensible, il n’y a lieu, en aucun sens et d’aucune façon, de parler d’un monde de noumènes distinct du monde que nous connaissons."

    "C’est précisément dans le même sens, dans un sens phénoméniste, et en se débarrassant de l’encombrant appareil des choses en soi, que s’est développé le criticisme français."
    -Victor Brochard, "[John] Watson. — Kant et ses critiques anglais", Revue philosophique de la France et de l’étranger, 15, 1883 (p. 89-101).

    "Dans la doctrine précédente la connaissance du vrai était l’état normal de l’esprit ; la connaissance fausse était une déviation accidentelle ; la vérité était la règle, et l’erreur l’exception. Mais, si la vérité résulte d’une sorte de rencontre, d’une coïncidence, le rapport est renversé ; l’erreur est en quelque sorte l’état naturel de l’esprit."

    "En second lieu, on pourra, comme le fait depuis Kant la philosophie critique entendue au sens rigoureux, renoncer à parler de choses en soi, et à imaginer entre elles et nos idées une conformité impossible à vérifier. Dans cette hypothèse, il semble qu’il n’y ait plus de vérité ni de certitude possibles, et on persuadera malaisément à beaucoup de philosophes que ce ne soit pas là une forme du scepticisme. L’esprit étant isolé, n’ayant plus de prises sur une réalité indépendante et ne pouvant plus contrôler ses opérations en les comparant à ce qui est hors de lui, comment choisir entre les diverses idées ou propositions qu’il forme ? Toutes ses opérations ne sont-elles pas également naturelles et légitimes au même titre ? Pourtant les partisans de cette doctrine refusent de se laisser confondre avec les sceptiques. Ils doivent donner une nouvelle définition de la vérité et montrer qu’elle peut être connue sans sortir de la sphère des représentations ; il faudra aussi qu’ils se prononcent sur la question de la certitude. Mais il sera surtout indispensable qu’ils rendent compte de l’erreur. S’il n’y a que des phénomènes et des lois, ou des idées et des catégories à l’aide desquelles nous les coordonnons, d’où vient que l’erreur se glisse dans nos synthèses ? Est-ce que, quand nous nous trompons, les phénomènes ne se produisent pas de la même manière que quand nous connaissons la vérité ? Est-ce que nous pensons alors avec d’autres catégories ? Y a-t-il des catégories spéciales de l’erreur ?"
    -Victor Brochard, De l'erreur,



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