https://fr.wikipedia.org/wiki/Alan_Chalmers
"Mon intérêt professionnel pour l’histoire et la philosophie des sciences naquit à Londres, dans une atmosphère dominée par les thèses du professeur Karl Popper. Ce que je dois, à l'homme et à ses écrits, à ses conférences et à ses séminaires, ainsi que plus tard à feu le professeur Imre Lakatos, apparaît clairement tout au long de ce livre. La forme de la première moitié du livre est inspirée du brillant article de Lakatos sur la méthodologie des programmes de recherche. L'école poppérienne se distinguait par l’exigence faite à chacun de clarifier le problème qui l'intéressait et d’exprimer les conceptions qui lui étaient propres de la manière la plus simple et la plus directe possible." (p.
"Ce n’est que lorsque je quittai Londres pour Sidney que je pris conscience de l’importance qu’avait eue pour moi le fait d’avoir participé à ce qui fut une véritable école. Je découvris, à ma grande surprise, l’existence de philosophes influencés par Wittgenstein, Quine ou Marx qui pensaient que Popper faisait fausse route sur de nombreux points : d’aucuns allaient jusqu’à dire que certaines de ses conceptions n’étaient rien moins que dangereuses. Cette expérience fut éclairante. L’une des choses que j’appris fut que Popper se trompait effectivement sur un grand nombre de points, ainsi que je le montre dans la dernière partie de ce livre. Cela ne saurait cependant masquer le fait que l’approche de Popper est infiniment meilleure que celle en vigueur dans la plupart des départements de philosophie que je connais." (pp.8-9)
"De nombreux domaines d’étude sont qualifiés de science par leurs partisans, qui tentent par là de signifier que les méthodes utilisées ont des bases aussi solides et sont porteuses de développement autant qu’une science traditionnelle comme la physique. Les sciences politiques et les sciences sociales sont ainsi devenues banales. Les marxistes s’acharnent à faire du matérialisme historique une science. Les universités américaines ont -ou avaient jusqu’à une période récente- dans leurs cursus des enseignements de science bibliographique, de science administrative, de science du discours, de science de la forêt, de science de la laiterie, de science de la viande et des animaux et même de science mortuaire. Des « scientifiques » autoproclamés de ces disciplines se réclament de la méthode empirique de la physique, qui pour eux consiste d’abord à recueillir des « faits » par de soigneuses observations et expériences, puis à en tirer des lois et des théories par une procédure logique." (p.14)
"Les développements modernes en philosophie des sciences ont mis le doigt sur les profondes difficultés soulevées par les idées que la science repose sur une base sûre acquise par l’observation et l’expérience, et qu’il existe une procédure d’inférence qui nous permet en toute sécurité d’en tirer des théories scientifiques. Or il n’existe pas la moindre méthode permettant de prouver que les théories scientifiques sont vraies ou même probablement vraies. Plus loin dans le livre, je montrerai que les tentatives faites pour reconstruire logiquement, d’une façon simple et directe, la « méthode scientifique » soulève des difficultés supplémentaires quand on prend conscience qu’il n’existe pas non plus de méthode permettant de prouver que les théories scientifiques ne marchent pas.
Certains des arguments à l'appui de la thèse que les théories scientifiques ne peuvent être ni prouvées ni infirmées reposent dans une large mesure sur des considérations philosophiques et logiques. D’autres sont fondés sur une analyse détaillée de la science passée et des théories scientifiques modernes. Les développements modernes sur les théories de la méthode scientifique se caractérisent par une attention croissante portée à l’histoire des sciences. Cette évolution a une conséquence embarrassante pour nombre de philosophes des sciences : ce que l’on a l’habitude de considérer comme des avancées majeures dans l’histoire des sciences, par exemple les découvertes de Galilée, de Newton, de Darwin ou d’Einstein, n’ont en effet pas eu lieu selon les schémas généralement décrits par les philosophes." (p.15)
"Selon le point de vue le plus extrême qui ressort des écrits récents de Feyerabend, la science ne possède aucune caractéristique intrinsèque qui la rendrait supérieure aux autres branches du savoir, comme les mythes antiques ou le vaudou. Dans cette optique, la haute considération pour la science est la religion moderne, elle joue un rôle semblable au christianisme primitif en Europe. Le choix entre des théories se réduit à des choix déterminés par les valeurs subjectives et les souhaits des individus. Je m’oppose à ce type d’explication de la faillite des théories traditionnelles développé par Feyerabend dans ce livre. Je tenterai de faire prévaloir une conception de la physique qui n’est ni subjectiviste ni individualiste, qui intègre de nombreux éléments de la critique de la méthode de Feyerabend, tout en échappant à cette même critique." (p.16)
"Le succès du positivisme présente, à mon avis, deux aspects énigmatiques. Le premier est lié à l’avènement de la physique quantique et de la théorie de la relativité, car les avancées spectaculaires que la physique connut à cette époque eurent lieu d’une façon difficilement conciliable avec le positivisme. Le second est le fait que la publication, dès 1934, de deux livres combattant le positivisme de manière tout à fait convaincante, dus à Karl Popper a Vienne et à Gaston Bachelard en France, ne fît pas refluer la marée du positivisme. En fait, ces ouvrages de Popper et de Bachelard passèrent quasiment inaperçus et ne reçurent qu’à une époque récente l’attention qu’ils méritaient. Paradoxalement, à l’époque où A. J. Ayer introduisit le positivisme logique en Angleterre avec son livre Langage, Vérité et Logique qui en fit l’un des philosophes anglais les plus célèbres, il prêchait une doctrine dont de nombreuses faiblesses avaient déjà été formulées et publiées par Popper et Bachelard." (p.17)
[Chapitre 1 - L’inductivisme : La science, savoir issu des faits de l’expérience]
(p.19)
-Alan F. Chalmers, Qu'est-ce que la science ? Récents développements en philosophie des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Paris, La Découverte, 1987 (1976 pour la première édition australienne), 238 pages.
"Mon intérêt professionnel pour l’histoire et la philosophie des sciences naquit à Londres, dans une atmosphère dominée par les thèses du professeur Karl Popper. Ce que je dois, à l'homme et à ses écrits, à ses conférences et à ses séminaires, ainsi que plus tard à feu le professeur Imre Lakatos, apparaît clairement tout au long de ce livre. La forme de la première moitié du livre est inspirée du brillant article de Lakatos sur la méthodologie des programmes de recherche. L'école poppérienne se distinguait par l’exigence faite à chacun de clarifier le problème qui l'intéressait et d’exprimer les conceptions qui lui étaient propres de la manière la plus simple et la plus directe possible." (p.
"Ce n’est que lorsque je quittai Londres pour Sidney que je pris conscience de l’importance qu’avait eue pour moi le fait d’avoir participé à ce qui fut une véritable école. Je découvris, à ma grande surprise, l’existence de philosophes influencés par Wittgenstein, Quine ou Marx qui pensaient que Popper faisait fausse route sur de nombreux points : d’aucuns allaient jusqu’à dire que certaines de ses conceptions n’étaient rien moins que dangereuses. Cette expérience fut éclairante. L’une des choses que j’appris fut que Popper se trompait effectivement sur un grand nombre de points, ainsi que je le montre dans la dernière partie de ce livre. Cela ne saurait cependant masquer le fait que l’approche de Popper est infiniment meilleure que celle en vigueur dans la plupart des départements de philosophie que je connais." (pp.8-9)
"De nombreux domaines d’étude sont qualifiés de science par leurs partisans, qui tentent par là de signifier que les méthodes utilisées ont des bases aussi solides et sont porteuses de développement autant qu’une science traditionnelle comme la physique. Les sciences politiques et les sciences sociales sont ainsi devenues banales. Les marxistes s’acharnent à faire du matérialisme historique une science. Les universités américaines ont -ou avaient jusqu’à une période récente- dans leurs cursus des enseignements de science bibliographique, de science administrative, de science du discours, de science de la forêt, de science de la laiterie, de science de la viande et des animaux et même de science mortuaire. Des « scientifiques » autoproclamés de ces disciplines se réclament de la méthode empirique de la physique, qui pour eux consiste d’abord à recueillir des « faits » par de soigneuses observations et expériences, puis à en tirer des lois et des théories par une procédure logique." (p.14)
"Les développements modernes en philosophie des sciences ont mis le doigt sur les profondes difficultés soulevées par les idées que la science repose sur une base sûre acquise par l’observation et l’expérience, et qu’il existe une procédure d’inférence qui nous permet en toute sécurité d’en tirer des théories scientifiques. Or il n’existe pas la moindre méthode permettant de prouver que les théories scientifiques sont vraies ou même probablement vraies. Plus loin dans le livre, je montrerai que les tentatives faites pour reconstruire logiquement, d’une façon simple et directe, la « méthode scientifique » soulève des difficultés supplémentaires quand on prend conscience qu’il n’existe pas non plus de méthode permettant de prouver que les théories scientifiques ne marchent pas.
Certains des arguments à l'appui de la thèse que les théories scientifiques ne peuvent être ni prouvées ni infirmées reposent dans une large mesure sur des considérations philosophiques et logiques. D’autres sont fondés sur une analyse détaillée de la science passée et des théories scientifiques modernes. Les développements modernes sur les théories de la méthode scientifique se caractérisent par une attention croissante portée à l’histoire des sciences. Cette évolution a une conséquence embarrassante pour nombre de philosophes des sciences : ce que l’on a l’habitude de considérer comme des avancées majeures dans l’histoire des sciences, par exemple les découvertes de Galilée, de Newton, de Darwin ou d’Einstein, n’ont en effet pas eu lieu selon les schémas généralement décrits par les philosophes." (p.15)
"Selon le point de vue le plus extrême qui ressort des écrits récents de Feyerabend, la science ne possède aucune caractéristique intrinsèque qui la rendrait supérieure aux autres branches du savoir, comme les mythes antiques ou le vaudou. Dans cette optique, la haute considération pour la science est la religion moderne, elle joue un rôle semblable au christianisme primitif en Europe. Le choix entre des théories se réduit à des choix déterminés par les valeurs subjectives et les souhaits des individus. Je m’oppose à ce type d’explication de la faillite des théories traditionnelles développé par Feyerabend dans ce livre. Je tenterai de faire prévaloir une conception de la physique qui n’est ni subjectiviste ni individualiste, qui intègre de nombreux éléments de la critique de la méthode de Feyerabend, tout en échappant à cette même critique." (p.16)
"Le succès du positivisme présente, à mon avis, deux aspects énigmatiques. Le premier est lié à l’avènement de la physique quantique et de la théorie de la relativité, car les avancées spectaculaires que la physique connut à cette époque eurent lieu d’une façon difficilement conciliable avec le positivisme. Le second est le fait que la publication, dès 1934, de deux livres combattant le positivisme de manière tout à fait convaincante, dus à Karl Popper a Vienne et à Gaston Bachelard en France, ne fît pas refluer la marée du positivisme. En fait, ces ouvrages de Popper et de Bachelard passèrent quasiment inaperçus et ne reçurent qu’à une époque récente l’attention qu’ils méritaient. Paradoxalement, à l’époque où A. J. Ayer introduisit le positivisme logique en Angleterre avec son livre Langage, Vérité et Logique qui en fit l’un des philosophes anglais les plus célèbres, il prêchait une doctrine dont de nombreuses faiblesses avaient déjà été formulées et publiées par Popper et Bachelard." (p.17)
[Chapitre 1 - L’inductivisme : La science, savoir issu des faits de l’expérience]
(p.19)
-Alan F. Chalmers, Qu'est-ce que la science ? Récents développements en philosophie des sciences : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Paris, La Découverte, 1987 (1976 pour la première édition australienne), 238 pages.