"Sur la scène originaire, là où je sujet est interpellé par le fait d’un nom, quelqu’un existe socialement par le langage, donc quelqu’un parle. Quelque chose/Quelqu’un existe et quelqu’un parle, tel est le fondement à la fois empirique et ontologique de toute subjectivation, comme nous l’avons déjà précisé4. Pour sa part, Judith Butler nous situe d’emblée sur le terrain d’une subjectivation qui précède la conscience de soi, tout en étant au plus proche du langage. À ce titre le sujet n’est pas donné d’emblée, mais il est interpellé par quelque chose qui le subordonne, au titre même du fait qu’il parle. Ainsi, l’acte même d’énoncer un nom nous renvoie à quelque chose qui existe socialement et qui parle dans un espace donné. Une telle prise en charge originaire du sujet, dans le langage même, procède d’une subjectivation, certes subordonnée à une domination, mais qui permet, par retournement, la formation d’une conscience de soi située donc de manière seconde dans le processus de subjectivation. L’importance d’une telle approche de la scène originaire d’interpellation du sujet prend toute son importance dans le cas du genre.
De fait, une telle dimension ontologique du sujet met en évidence une scène d’interpellation, comme condition de possibilité d’une action propre des femmes face au pouvoir dominant. L’agency renvoie alors à une puissance d’agir qui n’est pas une volonté inhérente au sujet, plus ou moins attestée, mais le fait d’une individue qui se désigne comme sujet sur une scène d’interpellation marquant la forte présence d’un pouvoir dominant. À ce titre, rendre compte de soi, dans telle ou telle action féminine, part nécessairement d’une ontologie du soi, en constituant une économie de soi et une performance du soi qui permettent de négocier son autonomie – plus le sujet explicite le modèle qui le détermine, plus il se donne une puissance d’agir – sur la base d’une telle singularité précisée dans l’immanence même de sa parole.
De cette approche, on peut conclure que le fait même d’identifier dans les actions féminines une scène linguistique originaire permet au sujet de se produire par sa propre action. La puissance d’agir n’est ici possible que par le maintien de la scène originaire, qui permet des réappropriations, donc l’ouverture d’un champ des possibles sur la base des conditions originaires d’une certaine puissance d’agir, ce qui explique l’extrême complexité des recontextualisations, des formations identitaires associées à un tel mécanisme d’interpellation dans le champ du genre."
-Jacques Guilhaumou, « Autour du concept d’agentivité », Rives méditerranéennes [En ligne], 41 | 2012, mis en ligne le 23 février 2012, consulté le 08 février 2023. URL : http://journals.openedition.org/rives/4108 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rives.4108