[Hegel et Machiavel. Renaissance italienne et idéalisme allemand]
"Walter Rehm, dit dans son Histoire d'une foi, le livre Griechentum und Goethezeit [1952] : "La pénétration de l'hellénisme dans la culture allemande, sa découverte par les Allemands, se produisirent en très nette opposition à tout ce qui était essentiellement romain et roman, et aussi au politique. Si se constitua ici le mythe grec, ce fut dans un empire allemand qui s'effondrait politiquement et d'une manière étrangère à la politique, tournée tout entière vers la culture de l'esprit que l'on espérait trouver réalisée dans l'hellénisme."(p.87)
"En 1920 parut l'ouvrage de Franz Rosenzweig, Hegel und der Staal, l'itinéraire suivi par Hegel y est décrit comme une voie vers l'affirmation de l'État ; il y est dit de son écrit sur la constitution de l'Allemagne qu'il s'y agit de la puissance, encore de la puissance et toujours de la puissance; on y renvoie à l'éloge que Hegel fait de Machiavel dans cet écrit. En 1921 Hermann Heller fit paraître une « Contribution à l'histoire politique de l'esprit» [...] Pour Heller la question fondamentale de son époque est celle-ci : y a-t-il un pont permettant de passer « du peuple des poètes et penseurs au peuple du "sang et fer" » ? La réponse, c'est que ce pont a depuis longtemps été lancé par Hegel ; Hegel est le précurseur de Treitschke et de Bismarck. Alors que les théories du droit naturel au 18se siècle partaient de l'individu et de ses droits, que les théories transpersonnelles de la société présentée par Burke et les romantiques s'alliaient aux conceptions héritées des conservateurs et du christianisme, Hegel développait une pensée transpersonnelle partant résolument de l'État comme puissance. Heller écrit : « On ne risque pas de se tromper sur les opinions politiques d'un peuple si on les cherche dans les jugements qu'ont portés ses guides spirituels sur un homme dont l'image spirituelle provoque des discussions aussi vives aujourd'hui qu'il y a quatre cents ans - personne d'autre que Machiavel n'a été l'inspirateur de l'œuvre de Hegel et Treitschke disait du Florentin que sa gloire sera toujours 'd'avoir clairement exprimé pour la première fois que l'État est puissance' ».
Heller ne se limite pas à montrer comment Hegel, dans l'écrit sur la constitution de l'Allemagne, évoque Machiavel comme modèle ; il cherche bien plutôt à démontrer que Hegel a été par nature un machiavélien. Déjà l'enfant âgé de quatorze ans composait un dialogue entre Antoine, Octave et Lepidus, où les triumvirs se comportent "tout à fait à la manière de Machiavel » et où chacun des trois est décidé à écarter traîtreusement les autres du pouvoir. « C'est vraiment", dit Heller, "une· caractéristique objective remarquable des trois réalistes de la politique qui, sans aucune idéologie, savent apprécier la puissance ; manifestement la sympathie de Hegel va à celui qui est le plus libéré de la morale et le plus assoiffé de pouvoir dans la conscience qu'il a de son but. Assurément on remarque dans l'écrit de Hegel l'influence de Shakespeare ; dans les drames romains de ce dramaturge élizabethain, il s'agit de puissance et de domination ; le visage de Rome y brille comme le modèle à suivre par l'Angleterre en route vers l'Empire. [...]
Heller expose en détail comment Hegel, dans l'Écrit sur la Constitution de l'Allemagne, reprend le "fanatisme d'État », la "religion d'État » de Machiavel. "De toute façon », écrit-il, "nous pouvons constater le fait intéressant que la première doctrine moderne de l'État de puissance apparue en Allemagne se relie à la politique de la Renaissance de Machiavel, laquelle n'a pas été influencée par le courant du droit naturel de cette époque. Assurément la "théorie de l'État de puissance" de Spinoza a été importante pour Hegel." (pp.89-90)
"Shakespeare fait dire à Richard III qu'il agirait si méchamment que même le criminel Machiavel pourrait encore venir s'instruire à son école." (p.91)
"Elkan ajoute comme contrepoids, à la découverte de Machiavel par Fichte, celle par Hegel et Luden et il renvoie aussi à d'autres déclarations contemporaines sur Machiavel. Il indique expressément que cette découverte de Machiavel est due à des circonstances historiques bien déterminées : l'époque de l'effondrement de l'ancien Empire allemand, l'écrasement de la Prusse, la préparation des guerres de libération. "Les dates le démontrent. Les déclarations sur Machiavel se pressent de façon croissante depuis 1802 jusqu'à 1814." Lorsque Ranke, en 1824, traitait de Machiavel dans sa critique des historiens modernes, ce thème était devenu une affaire purement de science de la littérature." (p.92)
"Hegel a-t-il précisément, dans ses Écrits de jeunesse comme encore en 1801 dans !'Écrit sur la différence entre le système de Fichte et celui de Schelling, caractérisé l'État -c'est-à-dire le simple État de l'entendement propre aux théories du droit naturel- comme quelque chose à dépasser et comme une simple machine. Finalement Rosenzweig, ainsi que Heller, ne négligent-ils pas le libéralisme de Hegel qui s'efforce largement de soustraire à la tutelle politique de l'État la société civile émancipatrice ?" (p.92)
"Un Grec, dit par exemple Hegel (mesurant tout le reste à l'étalon de l'hellénisme), n'aurait absolument pas pu comprendre que l'on prenne pour but de la vie quelque chose d'aussi personnel et privé que l'amour courtois du Moyen Age ; que la jurisprudence se soit développée à Bologne au Moyen Age, cela s'est produit parce que les plus nobles du peuple n'étaient encore "serviteurs d'une idée, serviteurs de la loin qu'en siégeant au tribunal et qu'autrement ils n'étaient que les serviteurs d'un homme. Ce que Hegel critique dans l'« histoire médiévale de l'Italie moyenne et supérieure", c'est qu'aucun État n'ait pu proprement s'y constituer. L'histoire de l'Italie à cette époque n'a été au vrai que l'histoire d'une multitude d'individus et il est difficile de trouver, dans les relations éphémères entre les individus des points de vue universels ayant une valeur historique. « D'autant plus intéressante", écrit Hegel, « est l'histoire d'individus, car leur individualité ne s'est pas engloutie dans les formes universelles d'État et de constitution. Mais précisément Hegel porte un jugement négatif sur le principe de l'individualité et du conflit interminable où s'opposent des individus et des familles : « Il n'y avait absolument pas d'idées dominantes... L'exercice de la justice n'était que la victoire d'une faction sur une autre". A l'individualisme aboutit la formation de la richesse (qui dans les villes italiennes se produisait non pas comme dans la bourgeoisie de l'Europe du Nord mais grâce à une aristocratie de l'argent). A côté de Périclès à Athènes et des patriciens dans la Rome des Gracques, Hegel donne comme exemple les Médicis à Florence pour montrer que la ''richesse disproportionnée de quelques citoyens est dangereuse pour la forme la plus libre de constitution et peut détruire la liberté elle-même. Hegel conclut sa réflexion en disant que« on a peut être été injuste pour le système du sansculottisme en France lorsqu'on n'a recherché que dans la voracité la source de l'égalité plus grande qu'il se proposait"." (p.94)
"Non seulement Hegel fut témoin des effrayants accès de fureur des troupes françaises en Allemagne et des contributions extorquées aux pays occupés, mais il eut aussi des nouvelles directes par ses amis -Sinclair le fonctionnaire de Hombourg et le négociateur et Hölderlin, l'hôte de Sinclair-du Congrès de Rastatt où la France de la Révolution joua de la pire des façons avec les différents pays comme sur un échiquier. Bref, la véritable politique de la France se manifesta comme un machiavélisme mis en pratique." (p.99)
"« L'Allemagne n'est plus un État » - c'est avec cette plainte que Hegel commence l'Écrit sur la Constitution de l'Allemagne. Hegel voit-il comment en sortir ? Il place son espoir en l'Autriche, et cela parce que là-bas -à l'encontre de ce qui se passe en Prusse- y est encore vivante la représentation de l'individu, sa participation au pouvoir du tout grâce aux états qui le représentent. Hegel espère une restauration de l'Empire qui s'écroule. Mais il sait aussi que cette restauration ne se fera pas avec des réflexions, des paroles et des négociations. Si l'Allemagne redevient un État -un tout s'affirmant lui-même, organisé unitairement- « pareil événement serait le fruit non pas de la réflexion mais de la contrainte, même si c'était conforme à l'état d'esprit général et qu'on en sentît le besoin profondément et nettement ». Une conception intelligente « engendre une telle méfiance qu'elle doit être légitimée par la contrainte [sic] et alors l'homme s'y soumet ». Ainsi Hegel réclame un Thésée qui, comme le Thésée d'Athènes, rassemble par la force les petits peuples divisés mais qui a aussi assez de magnanimité pour donner à son peuple une constitution démocratique, c'est-à-dire dans les grands États modernes : un système représentatif.
Or c'est précisément un pareil Thésée que Machiavel, dans les conclusions émouvantes du Principe, auxquelles Herder avait déjà renvoyé, avait réclamé pour l'Italie, c'est-à-dire pour ce pays qui était tombé avant l'Allemagne dans l'émiettement et qui ainsi avait été livré aux déchirements internes et aux puissances étrangères. [...]
Comme Herder, Hegel considère que le propos du livre est tout à fait lié à une époque historique. Voici ce qu'il écrit dans son livre sur la Constitution de l'Allemagne : "Immédiatement après avoir lu l'histoire des siècles antérieurs et de l'Italie contemporaine de Machiavel, et en conservant l'impression qu'on en a retirée, il faut aborder la lecture du Prince et alors non seulement ce livre paraîtra justifié mais on y trouvera aussi une conception très élevée et très vraie sortie d'une tête authentiquement politique et douée d'un sens le plus grand et le plus noble. »
Machiavel montre qu'il est le patriote qui voulait conduire l'Italie à l'unité et la libérer des puissances étrangères. [...]
Hegel dit qu'on ne guérit pas des membres gangrenés avec de l'eau de lavande et qu'une vie proche de la putréfaction ne peut être réorganisée que par la violence." (pp.97-98)
" Combien les conceptions politiques de Hegel se modifient dans l'Écrit sur la Constitution, c'est ce que montre le jugement sur Caton le Jeune (Schriften zur Politik und Rechtsphilosophie). Il avait le "privilège d'être mené par quiconque avait la liberté à la bouche ». Au vrai il a été le principal artisan de la domination unique de Pompée -non par amitié pour Pompée, mais parce que l'anarchie est le plus grand mal". Il s'est tué non pas parce que l'ancienne liberté était perdue (cette liberté s'était depuis longtemps transformée en anarchie), mais sa mort a été bien plutôt une affaire de partis : le partisan de Pompée n'avait pas voulu se soumettre à César, l'ennemi diffamé et haï. - Mais il est arrivé à Hegel lui-même d'avoir célébré Caton comme un républicain. Déjà à Tubingue il disait de lui que la patrie avait rempli toute son âme." (note 11 p.98)
"Quelques années après ces déclarations, en 1805 / 6, Hegel reprit ce thème dans sa Realphilosophie. Il parle à nouveau de Machiavel comme du grand patriote ; mais maintenant il compare le Thésée réclamé par Machiavel avec le Robespierre auquel s'appliquait autrefois tout le mépris du jeune Hegel et de ses amis. Pour constituer un État, continue Hegel, il faut que la volonté individuelle devienne la volonté universelle. Cette constitution ne peut pas être conçue comme un contrat, même si on insinuait que ceux qui appartiennent à l'État se sont liés tacitement à quelque chose de déterminé. En réalité, dit Hegel, les États ont été fondés par la « contrainte élevée de grands hommes », laquelle n'est assurément pas la force physique. Bien plutôt, dans la contrainte qu'ils exercent, les grands hommes ont pour eux la volonté universelle, l'en-soi des volontés individuelles. « Ce qui est préalable dans le grand homme, c'est qu'il connaît et exprime la volonté absolue. Tous se rassemblent autour de sa bannière; il est leur dieu. C'est ainsi que Thésée a fondé l'État d'Athènes; c'est ainsi que dans la Révolution française une terrible contrainte a soutenu l'État, le tout en général. Cette contrainte est non pas despotisme, mais tyrannie, pure domination effrayante ; mais elle est nécessaire et juste, dans la mesure où elle constitue et soutient l'État comme cet individu réel. Cet État est le simple esprit absolu qui est certain de lui-même et pour qui rien ne vaut comme déterminé que lui-même, nul concept de bien et de mauvais, de honte et de vil, de perfidie et de tromperie ; il dépasse tout cela car, en lui, le mal est réconcilié avec lui-même. »
Cependant la pure domination effrayante n'est qu'un moment passager dans la constitution 'un État et elle ne doit pas se poser absolument. Il faut que Thésée ne garde pas dans les mains la domination et, pour son action nécessaire, il ne peut récolter que l'ingratitude. Le tyran doit ainsi être l'esprit certain de lui-même « qui, comme le dieu, n'agit qu'en en et pour soi ». S'il n'a pas la sagesse de se démettre au bon moment de la tyrannie, sa « divinité » n'est que la divinité de l'animal, c'est-à-dire "la nécessité aveugle qui mérite précisément d'être détestée comme le mal". C'est de cette façon détestable que Robespierre a utilisé la tyrannie. « Sa force l'a abandonné, parce que la nécessité l'avait abandonné, et ainsi il a été violemment renversé. Ce qui est nécessaire se produit mais chaque partie de la nécessité n'est habituellement conférée qu'à des individus. L'un est l'accusateur et l'avocat, l'autre le juge, le troisième le bourreau ; ais tous sont nécessaires."." (pp.99-100)
"Comment Hegel a-t-il considéré Machiavel et la Renaissance dans ses cours de Berlin, alors qu'il avait achevé de former son système ?" (p.101)
"Outre le platonisme et le néoplatonisme, avant tout celui de l'Académie de Florence, Hegel met en valeur le cicéronianisme qui est redevenu tout à fait présent en Pétrarque. L'aspect de la Renaissance dont Hegel, dans les Leçons sur l'Histoire de la philosophie, traite le plus en détail et dans le contexte, c'est la restauration des sciences. Là il parle surtout de Giordano Bruno. Jacobi, dans son petit livre sur Spinoza, avait bien attiré l'attention sur Bruno. Cependant, pense Hegel, ce parallélisme « avait valu à Bruno une renommée dépassant son mérite ». Machiavel est nommé à côté de Montaigne, comme un de ces hommes dont les écrits appartiennent non pas proprement à la philosophie, mais à la culture générale. « Leurs écrits appartiennent à la philosophie dans la mesure où de pareils hommes ont été créateurs à partir d'eux-mêmes, de leur conscience, de leur expérience, de leur observation, de leur vie. Pareil raisonnement et pareille connaissance sont diamétralement opposés à la connaissance scolastique antérieure. » [...]
Hegel approuve ainsi la Renaissance avec l'éclat de son art, le renouvellement de la science et le regard réaliste porté sur ce qui est, en se tournant vers le monde. La Renaissance demeure cependant pour Hegel une simple époque de transition -le Moyen Age se dissout et on va vers les temps modernes- car il l'aperçoit marqué par une scission. Seule la Réforme, en renouvelant la conscience morale et sa liberté, présente pour Hegel le principe des temps modernes; à l'opposé, ce qui marque encore la Renaissance, c'est qu'elle extorque, grâce au commerce des indulgences, de l'argent pour les débauches romaines. "Certes tout cet argent n'est pas employé pour les débauches et il sert bien aussi à construire Saint-Pierre, le monument magnifique de la chrétienté là où se trouve le centre de la religion. Mais de même que le chef d'œuvre de tous les chefs d'œuvre, Athènes et son Acropole, édifiés grâce à l'argent des alliés d'Athènes, firent le malheur d'Athènes et lui firent perdre ses alliés et sa puissance, ainsi l'achèvement de Saint-Pierre avec sa coupole dressée par Michel-Ange, le peintre du Jugement dernier dans la Chapelle Sixtine, devient le jugement dernier pour l'édifice fier et altier de la hiérarchie ». Ce qui, d'après l'interprétation idéaliste, est entré dans le monde avec la Réforme -la liberté que l'homme trouve comme sa propriété-, ce qui, grâce aux Lumières et à la Révolution française a été pris comme principe pour modeler le monde, cela, pense Hegel, ne pouvait pas être suffisamment compris par la Renaissance parce que l'art n'exprime pas en général de façon tout à fait adéquate ce principe de l'histoire universelle." (pp.103-104)
"Machiavel apparaît alors comme l'écrivain politique qui a consciemment laissé de côté les positions et les présuppositions transcendantes et qui dans le domaine politique met en valeur l'expérience. Il est toujours considéré avant tout, à partir du livre sur le Prince, comme le patriote qui s'efforce d'unifier un pays divisé.« Souvent on a rejeté ce livre avec dégoût comme contenant les maximes de la tyrannie la plus cruelle ; mais Machiavel, doué d'un sens élevé de la nécessité de constituer un État, a posé les principes suivant lesquels il faut former les États dans ces conditions-là. Il fallait absolument soumettre les seigneurs et les dominations particulières ... » Les potentats qui « avaient en propre un manque absolu de conscience" et une "totale dépravation » ne pouvaient être soumis que par une "violence brutale » pour que « peu à peu se constituât un état meilleur ».
Lorsque Hegel -encore dans les traits fondamentaux qu'il avait présentés dans !'Écrit sur la Constitution- montre comment s'est développé l'État dans l'Europe du Moyen Age et des temps modernes, il peut faire bien comprendre quel a été le destin de l'Italie et combien avait raison le patriote Machiavel. Hegel présente une justification historique de Machiavel, mais il n'a plus recours à Machiavel pour venir au secours de sa propre époque. Il n'y a plus pour Hegel à jouer le rôle d'un « Machiavel de l'Allemagne », d'être celui qui rappelle qu'il faut unifier et restaurer l'État. Entretemps il avait été rempli d'admiration pour Napoléon ; mais il l'admirait comme le Thésée assez magnanime pour donner aux petits peuples rassemblés une constitution démocratique, ce qui s'appelle, dans les grands États modernes différenciés : un système représentatif. (Cette manière -qui était peut-être une illusion- de considérer Napoléon apparaît très clairement dans la lettre de Hegel à Niethammer du 29.8.1807.) Après la chute de Napoléon, Hegel avait accepté en Allemagne les nouveaux États particuliers réformés et il s'était tourné vers le pays dont, dans l'Écrit sur la Constitution, il n'avait pu parler qu'avec mépris : la Prusse. Dans la Prusse réformée Hegel espérait trouver pour la philosophie, dans une université réformée, le centre des sciences, un centre d'une vie politique, religieuse et scientifique. Ce sont donc des réflexions entièrement « machiavéliques » qui visiblement ont décidé Hegel à accepter l'invitation à Berlin." (p.105)
"Selon le § 278 [des Principes de la philosophie du droit], la "souveraineté de l'État » consiste en ce qu'elle a rassemblé dans son unité l'individuel et le particulier de la vie politique et civile ; quand un danger l'exige, cette souveraineté sauve l'État en « sacrifiant » le singulier et le particulier qui ont par ailleurs leur justification." (p.106)
"Hegel, par ses développements propres sur des cas analogues, confirme ce que Machiavel écrit à l'adresse des princes Médicis : « Vous avez le droit de votre côté : car la guerre est juste pour celui qui y est contraint et les armes sont saintes si elles sont l'unique espoir ». Pour Hegel la première chose à faire est de former une nouvelle Constitution militaire ; par là il imite Machiavel qui, en pratique comme en théorie, était un spécialiste des questions militaires." (p.108)
"Hegel ne parle pas du tout des Discorsi. "(p.110)
"Avineri compare la tyrannie provisoire du grand homme chez Hegel avec la dictature du prolétariat chez Marx." (note 19 p.112)
"Dilthey a voulu voir -à tort- Napoléon dans le Thésée de l'Écrit sur la Constitution. Au vrai, Hegel a salué en Napoléon certes l'homme de l'action, qui élimine des conditions politiques dépassées, avant tout aussi le "maître du droit politique » créant des situations meilleures, mais aucunement un César Borgia renforcé. Hegel est bien loin de Nietzsche qui oppose l'homme de la Renaissance à la compréhension du monde propre au moralisme juif ou au christianisme platonicien, laquelle est pour lui la voie vers le nihilisme." (p.115)
"[N'en déplaise à Cassirer et Karl Popper] Indépendamment du fait que Hegel a intégré dans son système non seulement l'« idée de puissance", mais aussi le droit naturel, l'analyse de la société civile, la confrontation de la politique avec l'esprit « absolu")) - il n'a jamais lutté pour une unification nationale de tous les allemands. Dans l'Écrit sur la Constitution il recherchait, à la place de la structure dépassée d'une multitude de petits états en Allemagne, un grand État moderne qui le cas échéant aurait aussi pu renoncer à la Prusse, laquelle s'était déjà placée comme en dehors. En mettant son espoir en Napoléon, Hegel montre clairement qu'il s'agit pour lui d'un État modernisé ou d'États modernisés, mais non pas d'une unification "nationale ». On ne devait pas attendre de Hegel des « discours à la nation allemande » ; bien plutôt a-t-il éprouvé une répulsion nette à l'égard des Guerres de libération." (p.116)
" [L'éthique dans la philosophie pratique de Hegel]
"Michelet, le dernier des Mohicans parmi les hégéliens, célébra Hegel, en 1870, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, comme « le philosophe du monde qui n'a pas trouvé sa réfutation." (p.120)
"Le jeune Hegel avait vu l'histoire selon le schème suivant: les Grecs (et les républiques romaines) ont réalisé une liberté collective; cette liberté s'est ensuite perdue, mais maintenant -au temps de la Révolution française et de la révolution allemande dans la façon de penser- elle doit être reconquise." (p.121)
"À l'été 1798, Hegel terminait un écrit de circonstance de son propre cru, par lequel il voulait intervenir dans la lutte constitutionnelle en son pays natal, Wurtemberg. Pressé par la situation de guerre, le Duc y avait convoqué les États ; selon la tradition, la Landschaft jouissait, en tant que représentant les États -essentiellement, la bourgeoisie wurtem-bourgeoise- d'une forte position vis-à-vis la Herrschaft. Toutefois ce système traditionnel de représentation avait de tous côtés besoin de réforme ; mais la même chose ne pouvait-elle pas se produire qu'en 1789 à Paris, où l'appel des États généraux avait conduit à une révolution ? L'écrit de circonstance de Hegel est consacré tout entier aux attentes et aux craintes suscitées ; il prend parti pour la réforme, qui doit prévenir autant l'impossible maintien de la forme existante que le renversement révolutionnaire." (p.122)
"Sous l'influence des guerres de religion, la philosophie sociale moderne avait voulu produire une théorie de l'État indépendante de présupposés métaphysiques ou religieux ; Kant, par exemple, avait écrit, dans son essai sur la paix perpétuelle -que Hegel lit alors et cite- dans le premier supplément au troisième article définitif, que le problème de l'édification d'un État, si étrange que cela semble, peut "être résolu même pour un peuple de démons (pourvu qu'ils soient doués d'intelligence)". Leur intelligence déjà montrera aux démons, qui, bien sûr, n'obéissent pas à la justice, qu'il est préférable à la longue de vivre dans des conditions civiles et finalement cosmopolites, plutôt que de s'entretuer et perdre vie et biens dans les guerres. Au contraire, Hegel se range du côté de la philosophie politique classique et rattache l'État et sa constitution à la vie bonne ou droite et, du coup, à la réalisation de la justice. Le courage d'opter pour la justice -qui n'est pas seulement une vertu privée mais une vertu politique également- doit devenir pour l'histoire une puissance créatrice. La philosophie pratique n'est pas simplement un savoir désintéressé touchant les conditions d'édification de la sphère légale-étatique ou morale, mais, en tant que savoir de la vertu, c'est l'introduction à la conduite droite.
Hegel a poursuivi sa vie durant le travail sur les questions constitutionnelles ; ainsi de 1799 à 1803 il y eut le plan d'une nouvelle constitution pour l'Allemagne." (p.123)
"D'après la conception de Hegel, la nouvelle représentation doit, en tant que participation des citoyens à l'administration du pouvoir, être issue de la représentation traditionnelle des États (tout comme c'était effectivement le cas dans les Lander allemands) ; Hegel réclamait une représentation corporative (« existentielle »), où les représentants parlent au nom de communautés et de groupes sociaux déterminés." (p.123)
"Hegel avait étudié l'éthique aristotélicienne au lycée. Nietzsche, de formation philologique classique, mettait également Wohnen (« habiter ») et Gewohnheit « habitude ») en rapport: là où nous "habitons" longtemps, les mœurs croissent." (p.124)
"Vis en famille et dans la piété familiale, apporte ton concours à la société, donne-toi patriotiquement à ton pays -ainsi peuvent à peu près s'énoncer les formulations correspondantes. Les vertus sont donc acquises grâce aux institutions compétentes et, le cas échéant, grâce à la manière de penser des groupes constitués par les États." (p.125)
"Vis en famille et dans la piété familiale, apporte ton concours à la société, donne-toi patriotiquement à ton pays - ainsi peuvent à peu près s'énoncer les formulations correspondantes. Les vertus sont donc acquises grâce aux institutions compétentes et, le cas échéant, grâce à la manière de penser des groupes constitués par les États." (p.126)
"Le Hegel de Berne' comprend l'État non pas sur la base d'une vie éthique antérieure, mais sur celle d'un contrat: les singuliers concluent un contrat, lequel fonde l'État, à la suite de quoi les droits de l'un sont les devoirs de l'autre. Les hommes se donnent des règles universelles, des lois, car ils réclament universellement leurs droits et les font assurer par l'État - dans la réglementation des professions, la garantie de la liberté de croyance, et ainsi de suite. C'est en cela que réside la dignité de l'homme. « Les philosophes, écrit Hegel à Schelling, le 16/4/95, démontrent cette dignité, les peuples apprendront à la sentir; et ils ne se contenteront pas d'exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais ils les reprendront - ils se les approprieront. » Les lois qui sont ici nécessaires ont leur" complément,, dans la "disposition d'esprit morale" et c'est là que le concept de vertu entre en jeu: « La justice dépend de mon respect pour les droits des autres; c'est une vertu si je la considère comme un devoir et en fais ma maxime, non pas parce que l'État la requiert, mais parce qu'elle est un devoir, et à cet égard elle n'est pas une requête de l'État, mais de la loi morale »." (p.127)
"Avec Mendelssohn et Kant, Hegel part aussi du fait que la religion dans son noyau est religion de la raison ou religion morale et dès lors religion universelle de l'humanité. L'homme distingue entre le bien et le mal; pour autant qu'il fait le bien, il fait s'ouvrir l'éternité en lui. Afin toutefois que le bon agir conduise effectivement au bonheur -ce qui n'arrive pas toujours en cette vie-ci- il faut postuler l'immortalité et la divinité ; c'est à ces postulats -comme on peut toujours alors les interpréter- que se rattachent les espérances religieuses... Cependant -ainsi Hegel continue-t-il à Berne l'essai de Tübingen- la religion chrétienne corrompt ce lien entre bonheur et vertu, pour autant qu'elle fait, de ce que l'homme doit réaliser dans l'accomplissement du devoir et dans la vertu même, quelque chose de positif, de donné et de compté. La raison, écrit Hegel, conduit "inéluctablement" au "grand principe de l'auto-suffisance du devoir et de la vertu"; c'est en raison de leur "respect élevé pour la vertu et la grandeur morale" que des hommes comme Spinoza, Shaftesbury, Rousseau et Kant ont affirmé la "beauté" de la moralité. Cette beauté, ils l'apercevaient dans le miroir de leur propre cœur comme dans la doctrine du Christ (N 50 sq.). Hegel se réfère à vrai dire au mot de Platon, selon lequel les mortels seraient amoureux de la vertu si elle devait apparaître visible parmi les hommes; il défend la thèse que la prétention à la divinité du Christ a même ce sens, celui de représenter la vertu incarnée aux hommes (N 56 sq.). L'image de la vertu aurait ensuite, dans l'histoire ultérieure de la religion, été diversement déformée: un "Père de l'Église au cœur vide" aurait rejeté les vertus des païens comme autant de vices éclatants; la doctrine qui s'est imposée, c'est que l'homme ne pourrait pas trouver en soi-même la vertu, mais qu'elle ne pourrait lui venir que du seul Christ (N 63). C'est ainsi que la religion a été travestie en religion "positive" ; Hegel cite, du Nathan de Lessing, le mot de Sittah sur le Christ et les chrétiens: "Non pas sa vertu; son nom plutôt, doit partout être répandu"." (p.127)
"« Au complet asservissement à la loi d'un maître étranger, Jésus n'oppose pas la servitude partielle sous la propre loi du sujet, l'auto-contrainte [...] de la vertu kantienne mais des vertus excluant la domination et la servitude, des modifications de l'amour [...] Cet amour n'est rien de plus - comme à Tübingen - qu'un principe pathologique de !'agir, un pur analogue de la raison (N 18), mais la raison sous sa forme accomplie. Ainsi Hegel suit-il, reprenant ses essais du temps de ses études à Tübingen, cette transformation de principe de la position idéaliste, telle que Hölderlin l'avait effectuée: dans la théorie l'objet détermine le sujet et règne sur lui; dans la praxis, qui doit pénétrer jusqu'à l'absolu de l'auto-détermination, le sujet soumet l'objet et règne sur lui ; dans l'expérience de la beauté et dans l'amour on ne domine pas et on n'est pas dominé, mais on fait l'expérience d'une unification compréhensive. Comme cet amour se déploie, sur le plan de la représentation, dans la religion, une philosophie du beau et de l'élévation religieuse donne accès à la philosophie théorétique et pratique, puisqu'elle est seule capable de donner une harmonie ultime ou une unification comme fondement pour le monde de la théorie et de la praxis. Avec l'essai de Herder sur l'identité à soi et l'amour, nous devons voir qu'il y a quantité de formes de l'amour - depuis l'amour de soi jusqu'à l'expérience d'une unification, en laquelle nous pouvons seulement entrer (jusqu'à l'amour de Dieu de Spinoza, qui est maintenant conçu de manière néo-spinoziste). Un tel amour est l'infinité en toute finitude, un ne pas parvenir à une fin ou une limite; la relation de l'infini au fini est son mystère (que Hegel tente de comprendre plus tard dans sa dialectique)." (p.131)
"Pour Hegel le savoir est, conformément à la tradition qui commence avec Platon, essentiellement le savoir de la vertu ; la vertu sera toutefois conçue maintenant comme une modification de l'amour." (p.132)
"Hegel avait, dans sa période de Berne, relié, somme toute, la vertu aux droits et devoirs de l'homme; le mot clé "vertu", renvoyait à la dignité de l'homme, qui, à l'être existant dans le domaine religieux et politique, oppose un devoir être. Dans sa période de Francfort, Hegel fait de l'amour le lien vivant des vertus, parce que le vivant se comprend en elles comme un être qui est un devenir et ne demeure pas un pur devoir être. Les travaux de Hegel à Iéna développent une philosophie pratique en partant de cette ébauche, grâce à la discussion avec la tradition et grâce aux questions systématiques. Cette philosophie pratique contient aussi encore une doctrine de la vertu, qui met en évidence les différents modes selon lesquels la vie éthique d'un peuple historique se reflète dans le singulier. L'article de Hegel sur le droit naturel se réfère au Politique de Platon, qui au lieu des lois, dont la formulation est sans fin, pose comme but ultime le juste souverain. Hegel doit procéder ainsi, car il voit la vie éthique comme un universel historique qui peut faire complètement défaut en des situations d'exception et de transition ou des "bonds", et, par suite, a besoin de l'individualisation. Ce qu'est toutefois proprement la justice en tant que vertu, n'est pas discuté pour soi. Avec à la fois Platon et Gibbon, Hegel souligne que la chute de l'antiquité provient de ce que le "courage public" surtout la bravoure et dès lors la vertu des vertus, a disparu et a été remplacé par la pure vie privée (IV, 452, 456 sq.). Hegel justifie néanmoins aussi la droiture du monde moderne du travail, mais pour le moment seulement comme fondement nécessaire de la vie proprement politique. En n'attribuant la vertu qu'au premier état, il réduit unilatéralement le concept de vertu de façon telle que des côtés essentiels de sa conception antérieure de la vertu sont perdus: il n'y est plus question en un sens positif ni de la vertu dans le sens de la philosophie morale de Kant ni de la vertu publique dans le sens de Robespierre. Bien plutôt, la question de la vertu acquiert, par son lien au matin grec, un caractère romantique et nostalgique. Car ici la Phénoménologie aussi ajoute, dans ses analyses, une autre unilatéralité: lorsqu'elle déploie la dialectique de la vertu et du cours du monde, elle critique la « vertu » moderne, qui s'oppose de manière abstraite au mouvement de la réalité effective, et dès lors ne trouve justement pas le chemin de la vertu des anciens. La Phénoménologie voit de plus dans la Terreur la conséquence de la pensée abstraite de la liberté de la Révolution française, elle cherche en outre à critiquer le concept kantien du devoir comme un déplacement équivoque (Verstellung) ; mais elle ne lie ni l'une ni l'autre position au concept de vertu. (Ce sont d'abord les Leçons sur la philosophie de l'histoire du monde qui parlent de la "terreur de la vertu", à savoir de la tentative d'imposer, au moyen de la Terreur, l'opposition abstraite contre la réalité effective, et dès lors ses propres représentations de ce qui doit être. Entre temps Hegel n'avait pas seulement fait l'expérience de la Terreur d'en haut, telle que Robespierre la pratiquait, mais aussi - dans le meurtre de Kotzebue par Sand - d'une première terreur d'en bas.) Malgré toutes ces références au concept de vertu, Hegel n'arrive pas à renouveler systématiquement la doctrine de la vertu ni à en prendre congé comme de quelque chose à ne pas reprendre.
Dès les premières années à Iéna, Hegel se met à analyser la vie éthique concrète, le peuple individualisé, depuis ses éléments. Ces éléments ou ces puissances, Hegel les décline comme Aristote le fait au début de sa Politique: les hommes doivent parler les uns avec les autres, s'ils veulent édifier une communauté éthique; ils doivent assurer leur subsistance par le travail; ils doivent reproduire la vie dans la famille.
Dans la seconde moitié de sa période d'Iéna, Hegel ne conçoit plus cette vie éthique concrète comme un procès tragique, qui porte au jour des individualisations puis les subsume à nouveau, mais comme l'accomplissement de la liberté, qui, dans le singulier, empiète sur la totalité de la vie éthique universelle (en tant que sujet devenu substance). Ainsi Hegel obtient-il la possibilité de déduire les puissances d'un principe unificateur - qui est le Moi. l'intelligence et la volonté - ; de là justement que les phénomènes de vie éthique relative ou négative -surtout le travail et le droit légal- acquièrent une importance spéciale: c'est vers l'union immédiate de l'amour que tend le combat pour la reconnaissance, Hegel ne suit pas seulement Spinoza, mais aussi Hobbes et la théorie de la "crainte ., comme le commencement de la sagesse, il ne pense pas seulement à la tragédie et à la philosophie grecque, mais aussi à Adam Smith. Lorsque Hegel, jusqu'au début de sa période d'Iéna, emploie le langage du citoyen, il paraît se rallier à la pensée de la Révolution française; renoncer à ce langage et se servir de nouveau de la doctrine traditionnelle des états paraît être un pas en arrière.
Ce pas en arrière est pourtant en même temps un pas en avant: la différence entre le citoyen et le bourgeois s'articule; on s'aperçoit que la Révolution française s'illusionne elle-même lorsqu'elle élargit le droit du bourgeois et croit ainsi faire revenir le citoyen antique. Vers la fin de sa période d'Iéna, Hegel poursuit le rapport domination-servitude jusqu'au travail formateur ; il met ainsi un terme définitif à l'orientation de la vieille Europe vers l'éthique de la noblesse. La doctrine des états de la Realphilosophie de 1805/06 ne part pas d'une essence de l'homme, mais plutôt des différences économiques réelles; lorsque Hegel, à cette occasion, détermine l'état public, ou universel comme celui du négociant(« bureaucrates!"), du savant et du soldat, il n'a plus de motif de se reporter à une doctrine de la vertu au sens de l'éthique de la noblesse grecque. Le concept de vertu devient libre pour l'emploi polémique qu'en fait la Phénoménologie." (pp.137-139)
"La sagesse se tient, à vrai dire, plus haut que la prudence, car elle sait comment est ce qui est toujours. Mais la critique aristotélicienne de Platon répond que, d'après sa conception, la sagesse ne peut remplacer la prudence ni la prudence devenir sagesse. Aristote demeure proche de la médecine, qui en vue de la guérison doit surveiller la situation; ce qui est bon dans une situation, peut être mauvais dans l'autre. Il y a un kairos: on doit couper l'abcès quand il est mûr. Ce qui aide à l'orientation dans la situation spécifique, c'est la prudence, d'où aujourd'hui encore la juris-prudence tient son nom.
Hegel ne fonde justement pas la philosophie pratique dans une éthique autonome, mais il la ramène à nouveau à la logique et métaphysique une." (pp.140-141)
"L'époque moderne est devenue pour Hegel tellement compliquée, que sa substance éthique ne se présente absolument plus dans des individus singuliers ; seules les institutions, et non les vertus, peuvent stabiliser la vie éthique. En fait, l'époque baroque a représenté encore, dans les églises et les châteaux, les affects et les vertus, et a offert aux hommes, grâce à de telles représentations, une orientation dans la vie." (p.142)
-Otto Pöggeler, Études hégéliennes, Paris, Vrin, 1985, 193 pages.
"Walter Rehm, dit dans son Histoire d'une foi, le livre Griechentum und Goethezeit [1952] : "La pénétration de l'hellénisme dans la culture allemande, sa découverte par les Allemands, se produisirent en très nette opposition à tout ce qui était essentiellement romain et roman, et aussi au politique. Si se constitua ici le mythe grec, ce fut dans un empire allemand qui s'effondrait politiquement et d'une manière étrangère à la politique, tournée tout entière vers la culture de l'esprit que l'on espérait trouver réalisée dans l'hellénisme."(p.87)
"En 1920 parut l'ouvrage de Franz Rosenzweig, Hegel und der Staal, l'itinéraire suivi par Hegel y est décrit comme une voie vers l'affirmation de l'État ; il y est dit de son écrit sur la constitution de l'Allemagne qu'il s'y agit de la puissance, encore de la puissance et toujours de la puissance; on y renvoie à l'éloge que Hegel fait de Machiavel dans cet écrit. En 1921 Hermann Heller fit paraître une « Contribution à l'histoire politique de l'esprit» [...] Pour Heller la question fondamentale de son époque est celle-ci : y a-t-il un pont permettant de passer « du peuple des poètes et penseurs au peuple du "sang et fer" » ? La réponse, c'est que ce pont a depuis longtemps été lancé par Hegel ; Hegel est le précurseur de Treitschke et de Bismarck. Alors que les théories du droit naturel au 18se siècle partaient de l'individu et de ses droits, que les théories transpersonnelles de la société présentée par Burke et les romantiques s'alliaient aux conceptions héritées des conservateurs et du christianisme, Hegel développait une pensée transpersonnelle partant résolument de l'État comme puissance. Heller écrit : « On ne risque pas de se tromper sur les opinions politiques d'un peuple si on les cherche dans les jugements qu'ont portés ses guides spirituels sur un homme dont l'image spirituelle provoque des discussions aussi vives aujourd'hui qu'il y a quatre cents ans - personne d'autre que Machiavel n'a été l'inspirateur de l'œuvre de Hegel et Treitschke disait du Florentin que sa gloire sera toujours 'd'avoir clairement exprimé pour la première fois que l'État est puissance' ».
Heller ne se limite pas à montrer comment Hegel, dans l'écrit sur la constitution de l'Allemagne, évoque Machiavel comme modèle ; il cherche bien plutôt à démontrer que Hegel a été par nature un machiavélien. Déjà l'enfant âgé de quatorze ans composait un dialogue entre Antoine, Octave et Lepidus, où les triumvirs se comportent "tout à fait à la manière de Machiavel » et où chacun des trois est décidé à écarter traîtreusement les autres du pouvoir. « C'est vraiment", dit Heller, "une· caractéristique objective remarquable des trois réalistes de la politique qui, sans aucune idéologie, savent apprécier la puissance ; manifestement la sympathie de Hegel va à celui qui est le plus libéré de la morale et le plus assoiffé de pouvoir dans la conscience qu'il a de son but. Assurément on remarque dans l'écrit de Hegel l'influence de Shakespeare ; dans les drames romains de ce dramaturge élizabethain, il s'agit de puissance et de domination ; le visage de Rome y brille comme le modèle à suivre par l'Angleterre en route vers l'Empire. [...]
Heller expose en détail comment Hegel, dans l'Écrit sur la Constitution de l'Allemagne, reprend le "fanatisme d'État », la "religion d'État » de Machiavel. "De toute façon », écrit-il, "nous pouvons constater le fait intéressant que la première doctrine moderne de l'État de puissance apparue en Allemagne se relie à la politique de la Renaissance de Machiavel, laquelle n'a pas été influencée par le courant du droit naturel de cette époque. Assurément la "théorie de l'État de puissance" de Spinoza a été importante pour Hegel." (pp.89-90)
"Shakespeare fait dire à Richard III qu'il agirait si méchamment que même le criminel Machiavel pourrait encore venir s'instruire à son école." (p.91)
"Elkan ajoute comme contrepoids, à la découverte de Machiavel par Fichte, celle par Hegel et Luden et il renvoie aussi à d'autres déclarations contemporaines sur Machiavel. Il indique expressément que cette découverte de Machiavel est due à des circonstances historiques bien déterminées : l'époque de l'effondrement de l'ancien Empire allemand, l'écrasement de la Prusse, la préparation des guerres de libération. "Les dates le démontrent. Les déclarations sur Machiavel se pressent de façon croissante depuis 1802 jusqu'à 1814." Lorsque Ranke, en 1824, traitait de Machiavel dans sa critique des historiens modernes, ce thème était devenu une affaire purement de science de la littérature." (p.92)
"Hegel a-t-il précisément, dans ses Écrits de jeunesse comme encore en 1801 dans !'Écrit sur la différence entre le système de Fichte et celui de Schelling, caractérisé l'État -c'est-à-dire le simple État de l'entendement propre aux théories du droit naturel- comme quelque chose à dépasser et comme une simple machine. Finalement Rosenzweig, ainsi que Heller, ne négligent-ils pas le libéralisme de Hegel qui s'efforce largement de soustraire à la tutelle politique de l'État la société civile émancipatrice ?" (p.92)
"Un Grec, dit par exemple Hegel (mesurant tout le reste à l'étalon de l'hellénisme), n'aurait absolument pas pu comprendre que l'on prenne pour but de la vie quelque chose d'aussi personnel et privé que l'amour courtois du Moyen Age ; que la jurisprudence se soit développée à Bologne au Moyen Age, cela s'est produit parce que les plus nobles du peuple n'étaient encore "serviteurs d'une idée, serviteurs de la loin qu'en siégeant au tribunal et qu'autrement ils n'étaient que les serviteurs d'un homme. Ce que Hegel critique dans l'« histoire médiévale de l'Italie moyenne et supérieure", c'est qu'aucun État n'ait pu proprement s'y constituer. L'histoire de l'Italie à cette époque n'a été au vrai que l'histoire d'une multitude d'individus et il est difficile de trouver, dans les relations éphémères entre les individus des points de vue universels ayant une valeur historique. « D'autant plus intéressante", écrit Hegel, « est l'histoire d'individus, car leur individualité ne s'est pas engloutie dans les formes universelles d'État et de constitution. Mais précisément Hegel porte un jugement négatif sur le principe de l'individualité et du conflit interminable où s'opposent des individus et des familles : « Il n'y avait absolument pas d'idées dominantes... L'exercice de la justice n'était que la victoire d'une faction sur une autre". A l'individualisme aboutit la formation de la richesse (qui dans les villes italiennes se produisait non pas comme dans la bourgeoisie de l'Europe du Nord mais grâce à une aristocratie de l'argent). A côté de Périclès à Athènes et des patriciens dans la Rome des Gracques, Hegel donne comme exemple les Médicis à Florence pour montrer que la ''richesse disproportionnée de quelques citoyens est dangereuse pour la forme la plus libre de constitution et peut détruire la liberté elle-même. Hegel conclut sa réflexion en disant que« on a peut être été injuste pour le système du sansculottisme en France lorsqu'on n'a recherché que dans la voracité la source de l'égalité plus grande qu'il se proposait"." (p.94)
"Non seulement Hegel fut témoin des effrayants accès de fureur des troupes françaises en Allemagne et des contributions extorquées aux pays occupés, mais il eut aussi des nouvelles directes par ses amis -Sinclair le fonctionnaire de Hombourg et le négociateur et Hölderlin, l'hôte de Sinclair-du Congrès de Rastatt où la France de la Révolution joua de la pire des façons avec les différents pays comme sur un échiquier. Bref, la véritable politique de la France se manifesta comme un machiavélisme mis en pratique." (p.99)
"« L'Allemagne n'est plus un État » - c'est avec cette plainte que Hegel commence l'Écrit sur la Constitution de l'Allemagne. Hegel voit-il comment en sortir ? Il place son espoir en l'Autriche, et cela parce que là-bas -à l'encontre de ce qui se passe en Prusse- y est encore vivante la représentation de l'individu, sa participation au pouvoir du tout grâce aux états qui le représentent. Hegel espère une restauration de l'Empire qui s'écroule. Mais il sait aussi que cette restauration ne se fera pas avec des réflexions, des paroles et des négociations. Si l'Allemagne redevient un État -un tout s'affirmant lui-même, organisé unitairement- « pareil événement serait le fruit non pas de la réflexion mais de la contrainte, même si c'était conforme à l'état d'esprit général et qu'on en sentît le besoin profondément et nettement ». Une conception intelligente « engendre une telle méfiance qu'elle doit être légitimée par la contrainte [sic] et alors l'homme s'y soumet ». Ainsi Hegel réclame un Thésée qui, comme le Thésée d'Athènes, rassemble par la force les petits peuples divisés mais qui a aussi assez de magnanimité pour donner à son peuple une constitution démocratique, c'est-à-dire dans les grands États modernes : un système représentatif.
Or c'est précisément un pareil Thésée que Machiavel, dans les conclusions émouvantes du Principe, auxquelles Herder avait déjà renvoyé, avait réclamé pour l'Italie, c'est-à-dire pour ce pays qui était tombé avant l'Allemagne dans l'émiettement et qui ainsi avait été livré aux déchirements internes et aux puissances étrangères. [...]
Comme Herder, Hegel considère que le propos du livre est tout à fait lié à une époque historique. Voici ce qu'il écrit dans son livre sur la Constitution de l'Allemagne : "Immédiatement après avoir lu l'histoire des siècles antérieurs et de l'Italie contemporaine de Machiavel, et en conservant l'impression qu'on en a retirée, il faut aborder la lecture du Prince et alors non seulement ce livre paraîtra justifié mais on y trouvera aussi une conception très élevée et très vraie sortie d'une tête authentiquement politique et douée d'un sens le plus grand et le plus noble. »
Machiavel montre qu'il est le patriote qui voulait conduire l'Italie à l'unité et la libérer des puissances étrangères. [...]
Hegel dit qu'on ne guérit pas des membres gangrenés avec de l'eau de lavande et qu'une vie proche de la putréfaction ne peut être réorganisée que par la violence." (pp.97-98)
" Combien les conceptions politiques de Hegel se modifient dans l'Écrit sur la Constitution, c'est ce que montre le jugement sur Caton le Jeune (Schriften zur Politik und Rechtsphilosophie). Il avait le "privilège d'être mené par quiconque avait la liberté à la bouche ». Au vrai il a été le principal artisan de la domination unique de Pompée -non par amitié pour Pompée, mais parce que l'anarchie est le plus grand mal". Il s'est tué non pas parce que l'ancienne liberté était perdue (cette liberté s'était depuis longtemps transformée en anarchie), mais sa mort a été bien plutôt une affaire de partis : le partisan de Pompée n'avait pas voulu se soumettre à César, l'ennemi diffamé et haï. - Mais il est arrivé à Hegel lui-même d'avoir célébré Caton comme un républicain. Déjà à Tubingue il disait de lui que la patrie avait rempli toute son âme." (note 11 p.98)
"Quelques années après ces déclarations, en 1805 / 6, Hegel reprit ce thème dans sa Realphilosophie. Il parle à nouveau de Machiavel comme du grand patriote ; mais maintenant il compare le Thésée réclamé par Machiavel avec le Robespierre auquel s'appliquait autrefois tout le mépris du jeune Hegel et de ses amis. Pour constituer un État, continue Hegel, il faut que la volonté individuelle devienne la volonté universelle. Cette constitution ne peut pas être conçue comme un contrat, même si on insinuait que ceux qui appartiennent à l'État se sont liés tacitement à quelque chose de déterminé. En réalité, dit Hegel, les États ont été fondés par la « contrainte élevée de grands hommes », laquelle n'est assurément pas la force physique. Bien plutôt, dans la contrainte qu'ils exercent, les grands hommes ont pour eux la volonté universelle, l'en-soi des volontés individuelles. « Ce qui est préalable dans le grand homme, c'est qu'il connaît et exprime la volonté absolue. Tous se rassemblent autour de sa bannière; il est leur dieu. C'est ainsi que Thésée a fondé l'État d'Athènes; c'est ainsi que dans la Révolution française une terrible contrainte a soutenu l'État, le tout en général. Cette contrainte est non pas despotisme, mais tyrannie, pure domination effrayante ; mais elle est nécessaire et juste, dans la mesure où elle constitue et soutient l'État comme cet individu réel. Cet État est le simple esprit absolu qui est certain de lui-même et pour qui rien ne vaut comme déterminé que lui-même, nul concept de bien et de mauvais, de honte et de vil, de perfidie et de tromperie ; il dépasse tout cela car, en lui, le mal est réconcilié avec lui-même. »
Cependant la pure domination effrayante n'est qu'un moment passager dans la constitution 'un État et elle ne doit pas se poser absolument. Il faut que Thésée ne garde pas dans les mains la domination et, pour son action nécessaire, il ne peut récolter que l'ingratitude. Le tyran doit ainsi être l'esprit certain de lui-même « qui, comme le dieu, n'agit qu'en en et pour soi ». S'il n'a pas la sagesse de se démettre au bon moment de la tyrannie, sa « divinité » n'est que la divinité de l'animal, c'est-à-dire "la nécessité aveugle qui mérite précisément d'être détestée comme le mal". C'est de cette façon détestable que Robespierre a utilisé la tyrannie. « Sa force l'a abandonné, parce que la nécessité l'avait abandonné, et ainsi il a été violemment renversé. Ce qui est nécessaire se produit mais chaque partie de la nécessité n'est habituellement conférée qu'à des individus. L'un est l'accusateur et l'avocat, l'autre le juge, le troisième le bourreau ; ais tous sont nécessaires."." (pp.99-100)
"Comment Hegel a-t-il considéré Machiavel et la Renaissance dans ses cours de Berlin, alors qu'il avait achevé de former son système ?" (p.101)
"Outre le platonisme et le néoplatonisme, avant tout celui de l'Académie de Florence, Hegel met en valeur le cicéronianisme qui est redevenu tout à fait présent en Pétrarque. L'aspect de la Renaissance dont Hegel, dans les Leçons sur l'Histoire de la philosophie, traite le plus en détail et dans le contexte, c'est la restauration des sciences. Là il parle surtout de Giordano Bruno. Jacobi, dans son petit livre sur Spinoza, avait bien attiré l'attention sur Bruno. Cependant, pense Hegel, ce parallélisme « avait valu à Bruno une renommée dépassant son mérite ». Machiavel est nommé à côté de Montaigne, comme un de ces hommes dont les écrits appartiennent non pas proprement à la philosophie, mais à la culture générale. « Leurs écrits appartiennent à la philosophie dans la mesure où de pareils hommes ont été créateurs à partir d'eux-mêmes, de leur conscience, de leur expérience, de leur observation, de leur vie. Pareil raisonnement et pareille connaissance sont diamétralement opposés à la connaissance scolastique antérieure. » [...]
Hegel approuve ainsi la Renaissance avec l'éclat de son art, le renouvellement de la science et le regard réaliste porté sur ce qui est, en se tournant vers le monde. La Renaissance demeure cependant pour Hegel une simple époque de transition -le Moyen Age se dissout et on va vers les temps modernes- car il l'aperçoit marqué par une scission. Seule la Réforme, en renouvelant la conscience morale et sa liberté, présente pour Hegel le principe des temps modernes; à l'opposé, ce qui marque encore la Renaissance, c'est qu'elle extorque, grâce au commerce des indulgences, de l'argent pour les débauches romaines. "Certes tout cet argent n'est pas employé pour les débauches et il sert bien aussi à construire Saint-Pierre, le monument magnifique de la chrétienté là où se trouve le centre de la religion. Mais de même que le chef d'œuvre de tous les chefs d'œuvre, Athènes et son Acropole, édifiés grâce à l'argent des alliés d'Athènes, firent le malheur d'Athènes et lui firent perdre ses alliés et sa puissance, ainsi l'achèvement de Saint-Pierre avec sa coupole dressée par Michel-Ange, le peintre du Jugement dernier dans la Chapelle Sixtine, devient le jugement dernier pour l'édifice fier et altier de la hiérarchie ». Ce qui, d'après l'interprétation idéaliste, est entré dans le monde avec la Réforme -la liberté que l'homme trouve comme sa propriété-, ce qui, grâce aux Lumières et à la Révolution française a été pris comme principe pour modeler le monde, cela, pense Hegel, ne pouvait pas être suffisamment compris par la Renaissance parce que l'art n'exprime pas en général de façon tout à fait adéquate ce principe de l'histoire universelle." (pp.103-104)
"Machiavel apparaît alors comme l'écrivain politique qui a consciemment laissé de côté les positions et les présuppositions transcendantes et qui dans le domaine politique met en valeur l'expérience. Il est toujours considéré avant tout, à partir du livre sur le Prince, comme le patriote qui s'efforce d'unifier un pays divisé.« Souvent on a rejeté ce livre avec dégoût comme contenant les maximes de la tyrannie la plus cruelle ; mais Machiavel, doué d'un sens élevé de la nécessité de constituer un État, a posé les principes suivant lesquels il faut former les États dans ces conditions-là. Il fallait absolument soumettre les seigneurs et les dominations particulières ... » Les potentats qui « avaient en propre un manque absolu de conscience" et une "totale dépravation » ne pouvaient être soumis que par une "violence brutale » pour que « peu à peu se constituât un état meilleur ».
Lorsque Hegel -encore dans les traits fondamentaux qu'il avait présentés dans !'Écrit sur la Constitution- montre comment s'est développé l'État dans l'Europe du Moyen Age et des temps modernes, il peut faire bien comprendre quel a été le destin de l'Italie et combien avait raison le patriote Machiavel. Hegel présente une justification historique de Machiavel, mais il n'a plus recours à Machiavel pour venir au secours de sa propre époque. Il n'y a plus pour Hegel à jouer le rôle d'un « Machiavel de l'Allemagne », d'être celui qui rappelle qu'il faut unifier et restaurer l'État. Entretemps il avait été rempli d'admiration pour Napoléon ; mais il l'admirait comme le Thésée assez magnanime pour donner aux petits peuples rassemblés une constitution démocratique, ce qui s'appelle, dans les grands États modernes différenciés : un système représentatif. (Cette manière -qui était peut-être une illusion- de considérer Napoléon apparaît très clairement dans la lettre de Hegel à Niethammer du 29.8.1807.) Après la chute de Napoléon, Hegel avait accepté en Allemagne les nouveaux États particuliers réformés et il s'était tourné vers le pays dont, dans l'Écrit sur la Constitution, il n'avait pu parler qu'avec mépris : la Prusse. Dans la Prusse réformée Hegel espérait trouver pour la philosophie, dans une université réformée, le centre des sciences, un centre d'une vie politique, religieuse et scientifique. Ce sont donc des réflexions entièrement « machiavéliques » qui visiblement ont décidé Hegel à accepter l'invitation à Berlin." (p.105)
"Selon le § 278 [des Principes de la philosophie du droit], la "souveraineté de l'État » consiste en ce qu'elle a rassemblé dans son unité l'individuel et le particulier de la vie politique et civile ; quand un danger l'exige, cette souveraineté sauve l'État en « sacrifiant » le singulier et le particulier qui ont par ailleurs leur justification." (p.106)
"Hegel, par ses développements propres sur des cas analogues, confirme ce que Machiavel écrit à l'adresse des princes Médicis : « Vous avez le droit de votre côté : car la guerre est juste pour celui qui y est contraint et les armes sont saintes si elles sont l'unique espoir ». Pour Hegel la première chose à faire est de former une nouvelle Constitution militaire ; par là il imite Machiavel qui, en pratique comme en théorie, était un spécialiste des questions militaires." (p.108)
"Hegel ne parle pas du tout des Discorsi. "(p.110)
"Avineri compare la tyrannie provisoire du grand homme chez Hegel avec la dictature du prolétariat chez Marx." (note 19 p.112)
"Dilthey a voulu voir -à tort- Napoléon dans le Thésée de l'Écrit sur la Constitution. Au vrai, Hegel a salué en Napoléon certes l'homme de l'action, qui élimine des conditions politiques dépassées, avant tout aussi le "maître du droit politique » créant des situations meilleures, mais aucunement un César Borgia renforcé. Hegel est bien loin de Nietzsche qui oppose l'homme de la Renaissance à la compréhension du monde propre au moralisme juif ou au christianisme platonicien, laquelle est pour lui la voie vers le nihilisme." (p.115)
"[N'en déplaise à Cassirer et Karl Popper] Indépendamment du fait que Hegel a intégré dans son système non seulement l'« idée de puissance", mais aussi le droit naturel, l'analyse de la société civile, la confrontation de la politique avec l'esprit « absolu")) - il n'a jamais lutté pour une unification nationale de tous les allemands. Dans l'Écrit sur la Constitution il recherchait, à la place de la structure dépassée d'une multitude de petits états en Allemagne, un grand État moderne qui le cas échéant aurait aussi pu renoncer à la Prusse, laquelle s'était déjà placée comme en dehors. En mettant son espoir en Napoléon, Hegel montre clairement qu'il s'agit pour lui d'un État modernisé ou d'États modernisés, mais non pas d'une unification "nationale ». On ne devait pas attendre de Hegel des « discours à la nation allemande » ; bien plutôt a-t-il éprouvé une répulsion nette à l'égard des Guerres de libération." (p.116)
" [L'éthique dans la philosophie pratique de Hegel]
"Michelet, le dernier des Mohicans parmi les hégéliens, célébra Hegel, en 1870, à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance, comme « le philosophe du monde qui n'a pas trouvé sa réfutation." (p.120)
"Le jeune Hegel avait vu l'histoire selon le schème suivant: les Grecs (et les républiques romaines) ont réalisé une liberté collective; cette liberté s'est ensuite perdue, mais maintenant -au temps de la Révolution française et de la révolution allemande dans la façon de penser- elle doit être reconquise." (p.121)
"À l'été 1798, Hegel terminait un écrit de circonstance de son propre cru, par lequel il voulait intervenir dans la lutte constitutionnelle en son pays natal, Wurtemberg. Pressé par la situation de guerre, le Duc y avait convoqué les États ; selon la tradition, la Landschaft jouissait, en tant que représentant les États -essentiellement, la bourgeoisie wurtem-bourgeoise- d'une forte position vis-à-vis la Herrschaft. Toutefois ce système traditionnel de représentation avait de tous côtés besoin de réforme ; mais la même chose ne pouvait-elle pas se produire qu'en 1789 à Paris, où l'appel des États généraux avait conduit à une révolution ? L'écrit de circonstance de Hegel est consacré tout entier aux attentes et aux craintes suscitées ; il prend parti pour la réforme, qui doit prévenir autant l'impossible maintien de la forme existante que le renversement révolutionnaire." (p.122)
"Sous l'influence des guerres de religion, la philosophie sociale moderne avait voulu produire une théorie de l'État indépendante de présupposés métaphysiques ou religieux ; Kant, par exemple, avait écrit, dans son essai sur la paix perpétuelle -que Hegel lit alors et cite- dans le premier supplément au troisième article définitif, que le problème de l'édification d'un État, si étrange que cela semble, peut "être résolu même pour un peuple de démons (pourvu qu'ils soient doués d'intelligence)". Leur intelligence déjà montrera aux démons, qui, bien sûr, n'obéissent pas à la justice, qu'il est préférable à la longue de vivre dans des conditions civiles et finalement cosmopolites, plutôt que de s'entretuer et perdre vie et biens dans les guerres. Au contraire, Hegel se range du côté de la philosophie politique classique et rattache l'État et sa constitution à la vie bonne ou droite et, du coup, à la réalisation de la justice. Le courage d'opter pour la justice -qui n'est pas seulement une vertu privée mais une vertu politique également- doit devenir pour l'histoire une puissance créatrice. La philosophie pratique n'est pas simplement un savoir désintéressé touchant les conditions d'édification de la sphère légale-étatique ou morale, mais, en tant que savoir de la vertu, c'est l'introduction à la conduite droite.
Hegel a poursuivi sa vie durant le travail sur les questions constitutionnelles ; ainsi de 1799 à 1803 il y eut le plan d'une nouvelle constitution pour l'Allemagne." (p.123)
"D'après la conception de Hegel, la nouvelle représentation doit, en tant que participation des citoyens à l'administration du pouvoir, être issue de la représentation traditionnelle des États (tout comme c'était effectivement le cas dans les Lander allemands) ; Hegel réclamait une représentation corporative (« existentielle »), où les représentants parlent au nom de communautés et de groupes sociaux déterminés." (p.123)
"Hegel avait étudié l'éthique aristotélicienne au lycée. Nietzsche, de formation philologique classique, mettait également Wohnen (« habiter ») et Gewohnheit « habitude ») en rapport: là où nous "habitons" longtemps, les mœurs croissent." (p.124)
"Vis en famille et dans la piété familiale, apporte ton concours à la société, donne-toi patriotiquement à ton pays -ainsi peuvent à peu près s'énoncer les formulations correspondantes. Les vertus sont donc acquises grâce aux institutions compétentes et, le cas échéant, grâce à la manière de penser des groupes constitués par les États." (p.125)
"Vis en famille et dans la piété familiale, apporte ton concours à la société, donne-toi patriotiquement à ton pays - ainsi peuvent à peu près s'énoncer les formulations correspondantes. Les vertus sont donc acquises grâce aux institutions compétentes et, le cas échéant, grâce à la manière de penser des groupes constitués par les États." (p.126)
"Le Hegel de Berne' comprend l'État non pas sur la base d'une vie éthique antérieure, mais sur celle d'un contrat: les singuliers concluent un contrat, lequel fonde l'État, à la suite de quoi les droits de l'un sont les devoirs de l'autre. Les hommes se donnent des règles universelles, des lois, car ils réclament universellement leurs droits et les font assurer par l'État - dans la réglementation des professions, la garantie de la liberté de croyance, et ainsi de suite. C'est en cela que réside la dignité de l'homme. « Les philosophes, écrit Hegel à Schelling, le 16/4/95, démontrent cette dignité, les peuples apprendront à la sentir; et ils ne se contenteront pas d'exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais ils les reprendront - ils se les approprieront. » Les lois qui sont ici nécessaires ont leur" complément,, dans la "disposition d'esprit morale" et c'est là que le concept de vertu entre en jeu: « La justice dépend de mon respect pour les droits des autres; c'est une vertu si je la considère comme un devoir et en fais ma maxime, non pas parce que l'État la requiert, mais parce qu'elle est un devoir, et à cet égard elle n'est pas une requête de l'État, mais de la loi morale »." (p.127)
"Avec Mendelssohn et Kant, Hegel part aussi du fait que la religion dans son noyau est religion de la raison ou religion morale et dès lors religion universelle de l'humanité. L'homme distingue entre le bien et le mal; pour autant qu'il fait le bien, il fait s'ouvrir l'éternité en lui. Afin toutefois que le bon agir conduise effectivement au bonheur -ce qui n'arrive pas toujours en cette vie-ci- il faut postuler l'immortalité et la divinité ; c'est à ces postulats -comme on peut toujours alors les interpréter- que se rattachent les espérances religieuses... Cependant -ainsi Hegel continue-t-il à Berne l'essai de Tübingen- la religion chrétienne corrompt ce lien entre bonheur et vertu, pour autant qu'elle fait, de ce que l'homme doit réaliser dans l'accomplissement du devoir et dans la vertu même, quelque chose de positif, de donné et de compté. La raison, écrit Hegel, conduit "inéluctablement" au "grand principe de l'auto-suffisance du devoir et de la vertu"; c'est en raison de leur "respect élevé pour la vertu et la grandeur morale" que des hommes comme Spinoza, Shaftesbury, Rousseau et Kant ont affirmé la "beauté" de la moralité. Cette beauté, ils l'apercevaient dans le miroir de leur propre cœur comme dans la doctrine du Christ (N 50 sq.). Hegel se réfère à vrai dire au mot de Platon, selon lequel les mortels seraient amoureux de la vertu si elle devait apparaître visible parmi les hommes; il défend la thèse que la prétention à la divinité du Christ a même ce sens, celui de représenter la vertu incarnée aux hommes (N 56 sq.). L'image de la vertu aurait ensuite, dans l'histoire ultérieure de la religion, été diversement déformée: un "Père de l'Église au cœur vide" aurait rejeté les vertus des païens comme autant de vices éclatants; la doctrine qui s'est imposée, c'est que l'homme ne pourrait pas trouver en soi-même la vertu, mais qu'elle ne pourrait lui venir que du seul Christ (N 63). C'est ainsi que la religion a été travestie en religion "positive" ; Hegel cite, du Nathan de Lessing, le mot de Sittah sur le Christ et les chrétiens: "Non pas sa vertu; son nom plutôt, doit partout être répandu"." (p.127)
"« Au complet asservissement à la loi d'un maître étranger, Jésus n'oppose pas la servitude partielle sous la propre loi du sujet, l'auto-contrainte [...] de la vertu kantienne mais des vertus excluant la domination et la servitude, des modifications de l'amour [...] Cet amour n'est rien de plus - comme à Tübingen - qu'un principe pathologique de !'agir, un pur analogue de la raison (N 18), mais la raison sous sa forme accomplie. Ainsi Hegel suit-il, reprenant ses essais du temps de ses études à Tübingen, cette transformation de principe de la position idéaliste, telle que Hölderlin l'avait effectuée: dans la théorie l'objet détermine le sujet et règne sur lui; dans la praxis, qui doit pénétrer jusqu'à l'absolu de l'auto-détermination, le sujet soumet l'objet et règne sur lui ; dans l'expérience de la beauté et dans l'amour on ne domine pas et on n'est pas dominé, mais on fait l'expérience d'une unification compréhensive. Comme cet amour se déploie, sur le plan de la représentation, dans la religion, une philosophie du beau et de l'élévation religieuse donne accès à la philosophie théorétique et pratique, puisqu'elle est seule capable de donner une harmonie ultime ou une unification comme fondement pour le monde de la théorie et de la praxis. Avec l'essai de Herder sur l'identité à soi et l'amour, nous devons voir qu'il y a quantité de formes de l'amour - depuis l'amour de soi jusqu'à l'expérience d'une unification, en laquelle nous pouvons seulement entrer (jusqu'à l'amour de Dieu de Spinoza, qui est maintenant conçu de manière néo-spinoziste). Un tel amour est l'infinité en toute finitude, un ne pas parvenir à une fin ou une limite; la relation de l'infini au fini est son mystère (que Hegel tente de comprendre plus tard dans sa dialectique)." (p.131)
"Pour Hegel le savoir est, conformément à la tradition qui commence avec Platon, essentiellement le savoir de la vertu ; la vertu sera toutefois conçue maintenant comme une modification de l'amour." (p.132)
"Hegel avait, dans sa période de Berne, relié, somme toute, la vertu aux droits et devoirs de l'homme; le mot clé "vertu", renvoyait à la dignité de l'homme, qui, à l'être existant dans le domaine religieux et politique, oppose un devoir être. Dans sa période de Francfort, Hegel fait de l'amour le lien vivant des vertus, parce que le vivant se comprend en elles comme un être qui est un devenir et ne demeure pas un pur devoir être. Les travaux de Hegel à Iéna développent une philosophie pratique en partant de cette ébauche, grâce à la discussion avec la tradition et grâce aux questions systématiques. Cette philosophie pratique contient aussi encore une doctrine de la vertu, qui met en évidence les différents modes selon lesquels la vie éthique d'un peuple historique se reflète dans le singulier. L'article de Hegel sur le droit naturel se réfère au Politique de Platon, qui au lieu des lois, dont la formulation est sans fin, pose comme but ultime le juste souverain. Hegel doit procéder ainsi, car il voit la vie éthique comme un universel historique qui peut faire complètement défaut en des situations d'exception et de transition ou des "bonds", et, par suite, a besoin de l'individualisation. Ce qu'est toutefois proprement la justice en tant que vertu, n'est pas discuté pour soi. Avec à la fois Platon et Gibbon, Hegel souligne que la chute de l'antiquité provient de ce que le "courage public" surtout la bravoure et dès lors la vertu des vertus, a disparu et a été remplacé par la pure vie privée (IV, 452, 456 sq.). Hegel justifie néanmoins aussi la droiture du monde moderne du travail, mais pour le moment seulement comme fondement nécessaire de la vie proprement politique. En n'attribuant la vertu qu'au premier état, il réduit unilatéralement le concept de vertu de façon telle que des côtés essentiels de sa conception antérieure de la vertu sont perdus: il n'y est plus question en un sens positif ni de la vertu dans le sens de la philosophie morale de Kant ni de la vertu publique dans le sens de Robespierre. Bien plutôt, la question de la vertu acquiert, par son lien au matin grec, un caractère romantique et nostalgique. Car ici la Phénoménologie aussi ajoute, dans ses analyses, une autre unilatéralité: lorsqu'elle déploie la dialectique de la vertu et du cours du monde, elle critique la « vertu » moderne, qui s'oppose de manière abstraite au mouvement de la réalité effective, et dès lors ne trouve justement pas le chemin de la vertu des anciens. La Phénoménologie voit de plus dans la Terreur la conséquence de la pensée abstraite de la liberté de la Révolution française, elle cherche en outre à critiquer le concept kantien du devoir comme un déplacement équivoque (Verstellung) ; mais elle ne lie ni l'une ni l'autre position au concept de vertu. (Ce sont d'abord les Leçons sur la philosophie de l'histoire du monde qui parlent de la "terreur de la vertu", à savoir de la tentative d'imposer, au moyen de la Terreur, l'opposition abstraite contre la réalité effective, et dès lors ses propres représentations de ce qui doit être. Entre temps Hegel n'avait pas seulement fait l'expérience de la Terreur d'en haut, telle que Robespierre la pratiquait, mais aussi - dans le meurtre de Kotzebue par Sand - d'une première terreur d'en bas.) Malgré toutes ces références au concept de vertu, Hegel n'arrive pas à renouveler systématiquement la doctrine de la vertu ni à en prendre congé comme de quelque chose à ne pas reprendre.
Dès les premières années à Iéna, Hegel se met à analyser la vie éthique concrète, le peuple individualisé, depuis ses éléments. Ces éléments ou ces puissances, Hegel les décline comme Aristote le fait au début de sa Politique: les hommes doivent parler les uns avec les autres, s'ils veulent édifier une communauté éthique; ils doivent assurer leur subsistance par le travail; ils doivent reproduire la vie dans la famille.
Dans la seconde moitié de sa période d'Iéna, Hegel ne conçoit plus cette vie éthique concrète comme un procès tragique, qui porte au jour des individualisations puis les subsume à nouveau, mais comme l'accomplissement de la liberté, qui, dans le singulier, empiète sur la totalité de la vie éthique universelle (en tant que sujet devenu substance). Ainsi Hegel obtient-il la possibilité de déduire les puissances d'un principe unificateur - qui est le Moi. l'intelligence et la volonté - ; de là justement que les phénomènes de vie éthique relative ou négative -surtout le travail et le droit légal- acquièrent une importance spéciale: c'est vers l'union immédiate de l'amour que tend le combat pour la reconnaissance, Hegel ne suit pas seulement Spinoza, mais aussi Hobbes et la théorie de la "crainte ., comme le commencement de la sagesse, il ne pense pas seulement à la tragédie et à la philosophie grecque, mais aussi à Adam Smith. Lorsque Hegel, jusqu'au début de sa période d'Iéna, emploie le langage du citoyen, il paraît se rallier à la pensée de la Révolution française; renoncer à ce langage et se servir de nouveau de la doctrine traditionnelle des états paraît être un pas en arrière.
Ce pas en arrière est pourtant en même temps un pas en avant: la différence entre le citoyen et le bourgeois s'articule; on s'aperçoit que la Révolution française s'illusionne elle-même lorsqu'elle élargit le droit du bourgeois et croit ainsi faire revenir le citoyen antique. Vers la fin de sa période d'Iéna, Hegel poursuit le rapport domination-servitude jusqu'au travail formateur ; il met ainsi un terme définitif à l'orientation de la vieille Europe vers l'éthique de la noblesse. La doctrine des états de la Realphilosophie de 1805/06 ne part pas d'une essence de l'homme, mais plutôt des différences économiques réelles; lorsque Hegel, à cette occasion, détermine l'état public, ou universel comme celui du négociant(« bureaucrates!"), du savant et du soldat, il n'a plus de motif de se reporter à une doctrine de la vertu au sens de l'éthique de la noblesse grecque. Le concept de vertu devient libre pour l'emploi polémique qu'en fait la Phénoménologie." (pp.137-139)
"La sagesse se tient, à vrai dire, plus haut que la prudence, car elle sait comment est ce qui est toujours. Mais la critique aristotélicienne de Platon répond que, d'après sa conception, la sagesse ne peut remplacer la prudence ni la prudence devenir sagesse. Aristote demeure proche de la médecine, qui en vue de la guérison doit surveiller la situation; ce qui est bon dans une situation, peut être mauvais dans l'autre. Il y a un kairos: on doit couper l'abcès quand il est mûr. Ce qui aide à l'orientation dans la situation spécifique, c'est la prudence, d'où aujourd'hui encore la juris-prudence tient son nom.
Hegel ne fonde justement pas la philosophie pratique dans une éthique autonome, mais il la ramène à nouveau à la logique et métaphysique une." (pp.140-141)
"L'époque moderne est devenue pour Hegel tellement compliquée, que sa substance éthique ne se présente absolument plus dans des individus singuliers ; seules les institutions, et non les vertus, peuvent stabiliser la vie éthique. En fait, l'époque baroque a représenté encore, dans les églises et les châteaux, les affects et les vertus, et a offert aux hommes, grâce à de telles représentations, une orientation dans la vie." (p.142)
-Otto Pöggeler, Études hégéliennes, Paris, Vrin, 1985, 193 pages.