"Nous avons affaire à un mouvement philosophique à la fois fidèle à ses thèses fondamentales et engagé dans une constante évolution." (p.5)
"Nuancer, le clivage traditionnel qui oppose à un Démocrite nécessitariste un épicurisme pourfendeur de la nécessité." (p.5)
"C'est un des aspects les moins convaincants de la fameuse dissertation, par ailleurs très suggestive, que le jeune Marx consacre à nos auteurs en 1841 : « Un point est donc historiquement certain : Démocrite fait intervenir Ia nécessité, Épicure le hasard; et chacun d'eux rejette le point de vue opposé avec l'âpreté de la polémique »." (note 1 p.5)
"Démocrite eut d'autre part une succession de disciples, directs et indirects, et parmi eux Métrodore de Chio, Anaxarque ou encore Nausiphane. Ce dernier joue un rôle important dans le développement de l'atomisme ancien, car il fut, selon plusieurs témoignages antiques, le maitre d'Epicure (341-270 avo J.-c.).
Cette succession fit dire à Cicéron qu'il n'y a rien dans la physique d'Epicure qui ne se trouve déjà chez Démocrite. Cette appréciation est assurément polémique et injuste, car Ia situation est plus complexe." (p.6)
"Lucrèce se présente comme le simple traducteur ou l'imitateur d'Épicure (DRN, Ill, 6), ce qui est sans doute vrai dans les grandes lignes, mais assez réducteur, en fait, si l'on considère la forme et les moyens de l'argumentation." (p.
"Aristote voit en Démocrite un physicien qui « oublie de parler de la cause finale et réduit à la nécessité tous les moyens dont use la nature" [Génération des animaux, V]." (p.9)
"Les traités présocratiques sur Ia nature se rejoignent dans une même volonté d'unification et de rationalisation. Ils unifient l'ordre naturel en rapportant Ia diversité des phénomènes physiques à l'unité d'un même principe (arché) - ainsi l'eau pour Thalès l'air pour Anaximêne ou le feu pour Héraclite - ou bien a un petit nombre de principes - ainsi les quatre élément, mus par l'Amour et la Haine, chez Empédocle. Ils le rationalisent en voyant dans la phusis, la nature, non plus seulement l'expression d'un commandement absolu, transcendant, mais justement un principe, c'est-à-dire la raison des choses et la condition de leur intelligibilité. Cette nouvelle vision de la nature, toutefois, n'abolit les dieux ni la contrainte du destin." (p.11)
"Le poème de Parménide fonde l'incompatibilité radicale de l'être et du non-être sur leur nécessaire exclusion réciproque: « Il faut dire ceci [...] et penser ceci : l'être est ; car il est possible d'être, et il n'est pas possible que <soit> ce qui n'est rien." Son disciple, Mélissos, applique ce même principe à l'argument du non-engendrement de l'être en vertu de l'axiome parménidien selon lequel rien ne peut provenir du néant: « Toujours était ce qui était et toujours il sera, car s'il était engendré, il est nécessaire {anankaion) qu'avant d'être engendré il ne soit rien. Et s'il n'y avait rien alors rien ne pouvait être d'aucune manière engendré à partir de <ce> rien » (DK 30 B 1)." (p.12)
"ll y a des mondes, et ainsi des îlots d'organisation, et seule la nécessité peut en être la raison, mais ce n'est là qu'une explication suffisante, en l'absence de toute cause providentielle ou positivement organisatrice. La nécessité apparaît ainsi, avec Démocrite, comme totalement aveugle dans son principe et purement mécanique dans ses effets." (p.14 )
"Économie de la physique atomique, qui explique le plus grand nombre d'effets par le plus petit nombre de principes: la nécessité est cause de toutes choses et d'une infinité de mondes." (pp.16-17)
"Nombre illimité des atomes et de leurs formes. Il faut ajouter que le vide lui-même est illimité, laissant toujours libre un nouvel intervalle ou les atomes puissent se porter dans leur mouvement incessant. On ne pourrait en effet, si les principes n'étaient pas illimités, comprendre un autre illimité, celui des corps composés et de leurs apparences: l'infinité des effets - celle des mondes et des associations atomiques - n'est intelligible que si l'on pose une infinité dans les principes eux-mêmes." (p.18)
-Pierre-Marie Morel, Atome et nécessité. Démocrite, Épicure, Lucrèce, PUF, 2000, 128 pages.