A: La fin du travail en histoire des idées.
I: La perspective judéo-chrétienne.
"Au deuxième récit de la création, il nous présente l'être humain comme « co-créateur ». En effet, la terre nous est ici décrite comme un immense désert aride sans aucun signe de vie. L'expression est claire : « il n'y avait pas d'être humain ('dm) pour travailler Cbd) la terre Cdmh) » (Gn 2,5b). Ce texte établit ainsi un lien entre la création de l'être humain et la culture du sol : sa fonction première est de transformer en terre arable le désert stérile. La suite du récit apporte des précisions. Le travail humain se déroule à l'intérieur d'un jardin que Dieu a lui-même planté, (ne') (Gn 2,8-9). Dieu confie alors à l'être humain la mission de cultiver (fbd) et de garder (£mr) ce jardin (Gn 2,15), deux verbes qui expriment des actions complémentaires caractéristiques du travail agricole. En lui confiant les richesses de sa création, Dieu charge l'être humain d'une grande responsabilité : celle de l'élaboration et de la conservation de ces biens. Ainsi, en Israël, l'être humain est créé « travailleur » . Le travail fait partie de sa condition humaine et ne présente aucune connotation négative."
"Le texte de G n 3,17-19, qui a servi pendant longtemps d'explication au caractère souffrant du travail, fait écho à cette réalité :
(Dieu) dit à Adam : [...] le sol sera maudit (Vr) à cause de toi. C'est dans la peine Osb) que tu t'en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l'épine et le chardon et tu mangeras l'herbe des champs. A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu'à ce que tu retournes au sol car c'est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras.
Il ne s'agit pas de voir dans ces versets une malédiction sur le travail. En effet, ni Adam, ni le travail de ses mains sont maudits. Seule la terre est maudite. La nature de cette malédiction est décrite immédiatement après : « il fera germer pour toi ronce et épine ». Dorénavant, la production de la nourriture sera le résultat d'un travail pénible « à la sueur de ton front ». Pourtant, nous ne sommes pas ici en présence d'un destin fatal et irrémédiable. Au Déluge succède une alliance nouvelle avec Noé et sa descendance. Dieu rend alors la terre à l'homme comme source permanente de fécondité (Gn 8,21-22)."
"Les textes bibliques les plus commentés au Moyen-Age sont ceux qui envisagent son caractère pénible, tout particulièrement Gn 3,17-18. L'interprétation qu'on donne de ce passage fait alors du travail une malédiction et un châtiment du péché. Déjà l'augustinisme affirmait que le travail n'avait de valeur que par « l'acceptation pénitentielle de sa souffrance ». Pourtant, dans ses efforts pour combattre l'oisiveté, saint Augustin réhabilite le travail manuel.
Thomas d'Aquin (1225-1274) élargit cette vision positive du travail. Dans ses commentaires sur les textes pauliniens (Eph 4,17-28 et 2 Tfi 3,7-12), qu'il reprend dans sa Summa Theologiae Ila-IIae, q.187, a.3, saint Thomas décrit le travail non seulement comme un remède contre l'oisiveté, mais aussi comme un moyen de gagner sa vie, un frein contre la concupiscence de la chair et une source d'aumône."
"Le travail comme création est essentiellement réservé à Dieu, d'où l'importance de la notion de transformation (fabricare) : le travail humain est une fabrication à partir de la matière."
"Pendant le XIXe siècle la prédication traditionnelle continue à mettre l'accent sur le « châtiment rédempteur » du travail. En 1942, récitant la neuvaine à saint Joseph, le croyant répétait encore :
Glorieux saint Joseph, modèle de tous ceux qui sont voués au travail, obtenez-moi la grâce de travailler en esprit de pénitence, pour expiation de mes péchés...
Pourtant, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conception religieuse du travail prend une nouvelle orientation. Les années 50 et 60 ont vu naître plusieurs tentatives de formulation d'une « théologie du travail ».
En 1965, la Constitution Gauàum et Spes de Vatican II met déjà en relief la participation de l'homme, par son travail, à la création divine :
Par son travail, l'homme assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille, s'associe à ses frères et leur rend service, peut pratiquer une vraie charité et coopérer à l'achèvement de la création divine. Bien plus, par l'hommage de son travail à Dieu, nous tenons que l'homme est associé à l'œuvre rédemptrice de Jésus-Christ, qui a donné au travail une dignité éminente en œuvrant de ses propres mains à Nazareth (GS § 67).
En 1967, l'encyclique Poptdorum Progressio de Paul V I reprend ces idées et les approfondit :
[Le travail] est voulu et béni de Dieu; l'homme doit coopérer avec le Créateur à l'achèvement de la création... Penché sur une matière qui lui résiste, le travailleur lui imprime sa marque, cependant qu'il acquiert ténacité, ingéniosité et esprit d'invention. Bien plus, vécu en commun, dans l'espoir, la souffrance, l'ambition et la joie partagés, le travail unit les volontés, rapproche les esprits, et soude les cœurs : en l'accomplissant, les hommes se découvrent frères (PP§27).
L'encyclique Laborem Exercens de Jean-Paul II (1981) consacre sa dernière partie aux dimensions spirituelles du travail. C'est la première fois qu'on introduit un thème semblable dans un discours sur la doctrine sociale, bien que celle-ci soit morale et religieuse. Ces éléments spirituels du travail s'articulent autour de trois axes fondamentaux : le travail y est considéré comme participation à l'œuvre du Créateur, comme union au Christ travailleur et comme association au mystère
pascal."
-Aldina Da Silva, "La conception du travail dans la Bible et dans la tradition chrétienne occidentale", Théologiques, Volume 3, numéro 2 "Crise du travail, crise de civilisation", octobre 1995: https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1995-v3-n2-theologi2885/602426ar.pdf
Bilan => Le christianisme a considéré (alternativement) que le travail était un châtiment divin indépassable ; ou bien, surtout depuis le milieu du 20ème siècle, une activité positive. Aucune de ces conceptions ne peut légitimer la fin du travail.
L'aspiration à la fin du travail ne pas naître dans une vision traditionnelle et chrétienne du monde, car: 1): le travail est un élément négatif, insatisfaisant ; 2): elle suppose que le travail est une situation temporelle, dépassable ; il existe une puissance en l'Homme dont le développement permettra d'abolir le travail.
II: La perspective aristocratique gréco-romaine.
=> 1): Le travail est pénible et c'est une activité indépassable ; 2): C'est une activité inférieure ; c'est bon pour les esclaves et les pauvres ; l'Homme libre se caractérise par l'otium (le loisir), il ne travaille pas.
Aristote est apparemment le premier penseur à imaginer (mais sous le mode d'une fiction irréalisable) la fin du travail grâce à la technologie:
« Si chaque instrument était capable, sur une simple injonction, ou même pressentant ce qu’on va lui demander, d’accomplir le travail qui lui est propre, comme on le raconte des statues de Dédale ou des trépieds d’Héphaïstos, […] si, de la même manière, les navettes tissaient d’elles-mêmes, et les plectres pinçaient tout seuls la cithare, alors ni les chefs d’artisans n’auraient besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves. » (Aristote, Les Politiques, Livre 1, 4 , trad. J. Tricot, Vrin)
III: La fin du travail, une ambition moderne.
Ce n'est qu'à la suite de la révolution industrielle que l'amélioration des techniques, de la productivité du travail et de la croissance économique rend possible une diminution légale progressive de la durée du travail. Ex: la journée de 8 heures, revendication internationale du mouvement ouvrier, est obtenue en 1917 en Union soviétique et en 1919 en France.
Parce qu'elle est humaniste, la pensée moderne, issue de la philosophie des Lumières, n'entend pas se décharger du travail sur des esclaves ; elle pense possible un progrès de la société vers une diminution progressive, voire même un dépassement du travail, considéré comme un obstacle au bonheur.
Dans le mouvement socialiste, Le droit à la paresse de Paul Lafargue est peut-être le premier texte prophétisant l'élimination du travail par le progrès industriel:
IV: Évolutions contemporaines relançant la question de la disparition du travail.
Chômage croissant dans les pays industriels occidentaux à partir des années 1970.
Gunther Anders, L'obsolescence de l'homme: "Ce que les entrepreneurs cherchent à faire aujourd'hui -et pas seulement dans le monde capitaliste-, ce n'est pas à priver les travailleurs de travail, mais à priver leur propre entreprise de travailleurs. Le groupe Kawasaki se vante déjà aujourd'hui dans le Spiegel (du 17 avril 1978) de posséder une unmanned factory, une usine sans assistance." (p.27)
-Günther Anders, L'Obsolescence de l'homme, tome 2 "Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle", trad. Christophe David, Paris, Éditions Fario, 2011 (1980 pour la première édition allemande), 428 pages.
Jeremy Rifkin, La Fin du travail, 1995.
Dominique Méda: Dominique Méda, Le travail : une valeur en voie de disparition, 1995.
Robotisation et emploi industriel / manuel:
Le mythe du robot: du pessimisme culturel au lendemain de la Première guerre mondiale. => 1920 – Rossumovi univerzální roboti (RUR), pièce de théâtre du dramaturge tchèque Karel Capek. C’est dans cette œuvre dystopique que va naître le terme « robot » : l’histoire d’une entreprise où les robots supplantent progressivement les hommes.
Nuance => Google translate et le maintien d'un emploi non-qualifié: "Il y a deux ans je suis allé faire une formation en Russie. Je monte dans un taxi réservé par le client. Je ne parle pas russe, et le chauffeur m’a vite fait comprendre qu’il ne parlait ni français, ni russe. Mais il avait mon nom, et savait où m’amener. Mais au bout de quelques minutes, il s’est mis à parler en russe. Interloqué, je me suis demandé ce qui lui prenait. Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre quelques secondes après une charmante voix féminine m’indiquer que sur la droite se tenait tel musée construit par Pierre le Grand, sur la gauche le monument dédié aux anciens combattants de la seconde guerre mondiale, etc. En fait le chauffeur parlait dans son téléphone équipé de Google Translate.
L’application reconnaissait sa parole, la traduisait, et la ressortait en anglais. Je n’en suis toujours pas vraiment revenu. Grâce à Google Translate, ce chauffeur russe « parle » anglais. Il dispose d’une bicyclette pour son esprit qui lui permet de transporter des clients dont il ne parle pas la langue. Il peut faire plus, avec moins d’énergie, malgré son manque de qualification évidente. Sans Google Translate, il aurait dû se contenter de passagers locaux, moins rémunérateurs. En clair, son manque de qualification a été compensé par l’IA.
À tous les prophètes de la peur qui nous assènent ce qu’ils pensent être des évidences avec force courbes et slogans marquants, à savoir que l’IA déclassera les moins qualifiés, on peut donc opposer l’idée suivante selon laquelle, au contraire, comme ce chauffeur de taxi russe, elle permettra aux moins qualifiés de rester dans la course." (Philippe Silberzahn, Aristote pour tous : et si l’intelligence artificielle était la chance des moins qualifiés ?, Contrepoints, juin 2018).
Intelligence artificielle et emploi d'employés / de cadres supérieurs:
=> Si l’intelligence artificielle est encore très loin de pouvoir réagir émotionnellement et encore plus loin d’avoir une conscience d’elle-même, elle est déjà capable de battre l’humain sur des tâches cognitives très spécifique. Ainsi, l’intelligence artificielle AlphaGo (Google DeepMind) a battu à plusieurs reprises des joueurs de Go professionnels, jusqu’au champion du monde chinois Ke Jie qui fini par abandonner le 3° match…
Depuis 2012, la puissance de calcul des machines ne cesse de croître grâce à un accès de plus en plus élargi à de grandes quantités de données.
=> 2023: ChatGPT
30% de l'emploi pourrait disparaître.
=> situation post-covid: Le bore-out syndrom. Quand l'ennui au travail rend fou.
V: Le déclin du travail, une bonne nouvelle ?
I: La perspective judéo-chrétienne.
"Au deuxième récit de la création, il nous présente l'être humain comme « co-créateur ». En effet, la terre nous est ici décrite comme un immense désert aride sans aucun signe de vie. L'expression est claire : « il n'y avait pas d'être humain ('dm) pour travailler Cbd) la terre Cdmh) » (Gn 2,5b). Ce texte établit ainsi un lien entre la création de l'être humain et la culture du sol : sa fonction première est de transformer en terre arable le désert stérile. La suite du récit apporte des précisions. Le travail humain se déroule à l'intérieur d'un jardin que Dieu a lui-même planté, (ne') (Gn 2,8-9). Dieu confie alors à l'être humain la mission de cultiver (fbd) et de garder (£mr) ce jardin (Gn 2,15), deux verbes qui expriment des actions complémentaires caractéristiques du travail agricole. En lui confiant les richesses de sa création, Dieu charge l'être humain d'une grande responsabilité : celle de l'élaboration et de la conservation de ces biens. Ainsi, en Israël, l'être humain est créé « travailleur » . Le travail fait partie de sa condition humaine et ne présente aucune connotation négative."
"Le texte de G n 3,17-19, qui a servi pendant longtemps d'explication au caractère souffrant du travail, fait écho à cette réalité :
(Dieu) dit à Adam : [...] le sol sera maudit (Vr) à cause de toi. C'est dans la peine Osb) que tu t'en nourriras tous les jours de ta vie, il fera germer pour toi l'épine et le chardon et tu mangeras l'herbe des champs. A la sueur de ton visage tu mangeras du pain jusqu'à ce que tu retournes au sol car c'est de lui que tu as été pris. Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras.
Il ne s'agit pas de voir dans ces versets une malédiction sur le travail. En effet, ni Adam, ni le travail de ses mains sont maudits. Seule la terre est maudite. La nature de cette malédiction est décrite immédiatement après : « il fera germer pour toi ronce et épine ». Dorénavant, la production de la nourriture sera le résultat d'un travail pénible « à la sueur de ton front ». Pourtant, nous ne sommes pas ici en présence d'un destin fatal et irrémédiable. Au Déluge succède une alliance nouvelle avec Noé et sa descendance. Dieu rend alors la terre à l'homme comme source permanente de fécondité (Gn 8,21-22)."
"Les textes bibliques les plus commentés au Moyen-Age sont ceux qui envisagent son caractère pénible, tout particulièrement Gn 3,17-18. L'interprétation qu'on donne de ce passage fait alors du travail une malédiction et un châtiment du péché. Déjà l'augustinisme affirmait que le travail n'avait de valeur que par « l'acceptation pénitentielle de sa souffrance ». Pourtant, dans ses efforts pour combattre l'oisiveté, saint Augustin réhabilite le travail manuel.
Thomas d'Aquin (1225-1274) élargit cette vision positive du travail. Dans ses commentaires sur les textes pauliniens (Eph 4,17-28 et 2 Tfi 3,7-12), qu'il reprend dans sa Summa Theologiae Ila-IIae, q.187, a.3, saint Thomas décrit le travail non seulement comme un remède contre l'oisiveté, mais aussi comme un moyen de gagner sa vie, un frein contre la concupiscence de la chair et une source d'aumône."
"Le travail comme création est essentiellement réservé à Dieu, d'où l'importance de la notion de transformation (fabricare) : le travail humain est une fabrication à partir de la matière."
"Pendant le XIXe siècle la prédication traditionnelle continue à mettre l'accent sur le « châtiment rédempteur » du travail. En 1942, récitant la neuvaine à saint Joseph, le croyant répétait encore :
Glorieux saint Joseph, modèle de tous ceux qui sont voués au travail, obtenez-moi la grâce de travailler en esprit de pénitence, pour expiation de mes péchés...
Pourtant, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conception religieuse du travail prend une nouvelle orientation. Les années 50 et 60 ont vu naître plusieurs tentatives de formulation d'une « théologie du travail ».
En 1965, la Constitution Gauàum et Spes de Vatican II met déjà en relief la participation de l'homme, par son travail, à la création divine :
Par son travail, l'homme assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille, s'associe à ses frères et leur rend service, peut pratiquer une vraie charité et coopérer à l'achèvement de la création divine. Bien plus, par l'hommage de son travail à Dieu, nous tenons que l'homme est associé à l'œuvre rédemptrice de Jésus-Christ, qui a donné au travail une dignité éminente en œuvrant de ses propres mains à Nazareth (GS § 67).
En 1967, l'encyclique Poptdorum Progressio de Paul V I reprend ces idées et les approfondit :
[Le travail] est voulu et béni de Dieu; l'homme doit coopérer avec le Créateur à l'achèvement de la création... Penché sur une matière qui lui résiste, le travailleur lui imprime sa marque, cependant qu'il acquiert ténacité, ingéniosité et esprit d'invention. Bien plus, vécu en commun, dans l'espoir, la souffrance, l'ambition et la joie partagés, le travail unit les volontés, rapproche les esprits, et soude les cœurs : en l'accomplissant, les hommes se découvrent frères (PP§27).
L'encyclique Laborem Exercens de Jean-Paul II (1981) consacre sa dernière partie aux dimensions spirituelles du travail. C'est la première fois qu'on introduit un thème semblable dans un discours sur la doctrine sociale, bien que celle-ci soit morale et religieuse. Ces éléments spirituels du travail s'articulent autour de trois axes fondamentaux : le travail y est considéré comme participation à l'œuvre du Créateur, comme union au Christ travailleur et comme association au mystère
pascal."
-Aldina Da Silva, "La conception du travail dans la Bible et dans la tradition chrétienne occidentale", Théologiques, Volume 3, numéro 2 "Crise du travail, crise de civilisation", octobre 1995: https://www.erudit.org/fr/revues/theologi/1995-v3-n2-theologi2885/602426ar.pdf
Bilan => Le christianisme a considéré (alternativement) que le travail était un châtiment divin indépassable ; ou bien, surtout depuis le milieu du 20ème siècle, une activité positive. Aucune de ces conceptions ne peut légitimer la fin du travail.
L'aspiration à la fin du travail ne pas naître dans une vision traditionnelle et chrétienne du monde, car: 1): le travail est un élément négatif, insatisfaisant ; 2): elle suppose que le travail est une situation temporelle, dépassable ; il existe une puissance en l'Homme dont le développement permettra d'abolir le travail.
II: La perspective aristocratique gréco-romaine.
=> 1): Le travail est pénible et c'est une activité indépassable ; 2): C'est une activité inférieure ; c'est bon pour les esclaves et les pauvres ; l'Homme libre se caractérise par l'otium (le loisir), il ne travaille pas.
Aristote est apparemment le premier penseur à imaginer (mais sous le mode d'une fiction irréalisable) la fin du travail grâce à la technologie:
« Si chaque instrument était capable, sur une simple injonction, ou même pressentant ce qu’on va lui demander, d’accomplir le travail qui lui est propre, comme on le raconte des statues de Dédale ou des trépieds d’Héphaïstos, […] si, de la même manière, les navettes tissaient d’elles-mêmes, et les plectres pinçaient tout seuls la cithare, alors ni les chefs d’artisans n’auraient besoin d’ouvriers, ni les maîtres d’esclaves. » (Aristote, Les Politiques, Livre 1, 4 , trad. J. Tricot, Vrin)
III: La fin du travail, une ambition moderne.
Ce n'est qu'à la suite de la révolution industrielle que l'amélioration des techniques, de la productivité du travail et de la croissance économique rend possible une diminution légale progressive de la durée du travail. Ex: la journée de 8 heures, revendication internationale du mouvement ouvrier, est obtenue en 1917 en Union soviétique et en 1919 en France.
Parce qu'elle est humaniste, la pensée moderne, issue de la philosophie des Lumières, n'entend pas se décharger du travail sur des esclaves ; elle pense possible un progrès de la société vers une diminution progressive, voire même un dépassement du travail, considéré comme un obstacle au bonheur.
Dans le mouvement socialiste, Le droit à la paresse de Paul Lafargue est peut-être le premier texte prophétisant l'élimination du travail par le progrès industriel:
IV: Évolutions contemporaines relançant la question de la disparition du travail.
Chômage croissant dans les pays industriels occidentaux à partir des années 1970.
Gunther Anders, L'obsolescence de l'homme: "Ce que les entrepreneurs cherchent à faire aujourd'hui -et pas seulement dans le monde capitaliste-, ce n'est pas à priver les travailleurs de travail, mais à priver leur propre entreprise de travailleurs. Le groupe Kawasaki se vante déjà aujourd'hui dans le Spiegel (du 17 avril 1978) de posséder une unmanned factory, une usine sans assistance." (p.27)
-Günther Anders, L'Obsolescence de l'homme, tome 2 "Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle", trad. Christophe David, Paris, Éditions Fario, 2011 (1980 pour la première édition allemande), 428 pages.
Jeremy Rifkin, La Fin du travail, 1995.
Dominique Méda: Dominique Méda, Le travail : une valeur en voie de disparition, 1995.
Robotisation et emploi industriel / manuel:
Le mythe du robot: du pessimisme culturel au lendemain de la Première guerre mondiale. => 1920 – Rossumovi univerzální roboti (RUR), pièce de théâtre du dramaturge tchèque Karel Capek. C’est dans cette œuvre dystopique que va naître le terme « robot » : l’histoire d’une entreprise où les robots supplantent progressivement les hommes.
Nuance => Google translate et le maintien d'un emploi non-qualifié: "Il y a deux ans je suis allé faire une formation en Russie. Je monte dans un taxi réservé par le client. Je ne parle pas russe, et le chauffeur m’a vite fait comprendre qu’il ne parlait ni français, ni russe. Mais il avait mon nom, et savait où m’amener. Mais au bout de quelques minutes, il s’est mis à parler en russe. Interloqué, je me suis demandé ce qui lui prenait. Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre quelques secondes après une charmante voix féminine m’indiquer que sur la droite se tenait tel musée construit par Pierre le Grand, sur la gauche le monument dédié aux anciens combattants de la seconde guerre mondiale, etc. En fait le chauffeur parlait dans son téléphone équipé de Google Translate.
L’application reconnaissait sa parole, la traduisait, et la ressortait en anglais. Je n’en suis toujours pas vraiment revenu. Grâce à Google Translate, ce chauffeur russe « parle » anglais. Il dispose d’une bicyclette pour son esprit qui lui permet de transporter des clients dont il ne parle pas la langue. Il peut faire plus, avec moins d’énergie, malgré son manque de qualification évidente. Sans Google Translate, il aurait dû se contenter de passagers locaux, moins rémunérateurs. En clair, son manque de qualification a été compensé par l’IA.
À tous les prophètes de la peur qui nous assènent ce qu’ils pensent être des évidences avec force courbes et slogans marquants, à savoir que l’IA déclassera les moins qualifiés, on peut donc opposer l’idée suivante selon laquelle, au contraire, comme ce chauffeur de taxi russe, elle permettra aux moins qualifiés de rester dans la course." (Philippe Silberzahn, Aristote pour tous : et si l’intelligence artificielle était la chance des moins qualifiés ?, Contrepoints, juin 2018).
Intelligence artificielle et emploi d'employés / de cadres supérieurs:
=> Si l’intelligence artificielle est encore très loin de pouvoir réagir émotionnellement et encore plus loin d’avoir une conscience d’elle-même, elle est déjà capable de battre l’humain sur des tâches cognitives très spécifique. Ainsi, l’intelligence artificielle AlphaGo (Google DeepMind) a battu à plusieurs reprises des joueurs de Go professionnels, jusqu’au champion du monde chinois Ke Jie qui fini par abandonner le 3° match…
Depuis 2012, la puissance de calcul des machines ne cesse de croître grâce à un accès de plus en plus élargi à de grandes quantités de données.
=> 2023: ChatGPT
30% de l'emploi pourrait disparaître.
=> situation post-covid: Le bore-out syndrom. Quand l'ennui au travail rend fou.
V: Le déclin du travail, une bonne nouvelle ?