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    Georgios Vassiliades, Tite-Live et les remèdes à la décadence

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Georgios Vassiliades, Tite-Live et les remèdes à la décadence Empty Georgios Vassiliades, Tite-Live et les remèdes à la décadence

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 25 Mar - 21:52

    https://books.openedition.org/ausonius/15468

    "Tite‑Live était‑il aussi désespéré que Salluste de l’avenir de la res publica et de la perspective d’un renouveau, ou le contexte différent encourage-t-il une prise de position différente ? Dans la première partie, il a été montré que Salluste accorde une place progressivement plus importante à des conceptions déterministes dans le contexte desquelles le déclin et la fin de la res publica semblent de plus en plus inévitables ; au contraire, chez Tite-Live, la renaissance de Rome, conformément à une conception cyclique du temps, est aussi probable que la poursuite linéaire de la décadence, qui aboutira à la fin de la res publica. L’action humaine est celle qui décide à chaque fois du cours final de l’histoire."

    "Les images médicales chez Tite-Live s’inscrivent dans le même cadre : alors que Salluste tend surtout à illustrer la force de l’épidémie qui a envahi la cité, l’image du médecin susceptible d’offrir ses remèdes à la cité est plus centrale dans l’AVC. Dès la lecture du prologue, le lecteur s’interroge sur le caractère des remedia que les Romains ne peuvent pas supporter (Liv., praef., 9). L’intention de l’auteur de présenter des exempla à imiter et à éviter dans l’intérêt de la res publica (Liv., praef., 10) témoigne aussi peut‑être de l’espoir caché de Tite-Live que, malgré l’état avancé de la décadence, les Romains peuvent encore intervenir, pour sauver leur patrie de la ruine."

    "Tite-Live n’approuve pas le choix de Salluste et d’autres historiens de se consacrer à l’histoire récente de Rome, car en raison de ce choix, les historiens eux-mêmes et leurs lecteurs manquent l’occasion de bénéficier des leçons que l’histoire ancienne pourrait leur offrir."

    "La décadence de Rome été beaucoup plus récente que ne le prétend Salluste, et la res publica a été vertueuse pendant la plus grande partie de son histoire. Il peut donc y avoir un certain espoir de retour aux valeurs anciennes."

    "Tite-Live construit ces épisodes comme des tensions résolues en majorité grâce à la moderatio et la modestia des héros. Ainsi, pour reprendre les termes du praef,. 9, la mise en scène de tous ces épisodes tend à exposer les pratiques (artes) des hommes (uiri), ayant contribué à la résolution de toutes les crises, de façon à former un ensemble de lois morales (mores) et une existence quotidienne (uita), qui ont favorisé la création et l’agrandissement de l’imperium."

    "Caton n’est pas non plus proposé comme exemplum de chef qui a mis un frein à la décadence. Tout d’abord, il n’a pas réussi à convaincre les Romains des dangers du luxe lors du débat sur la loi Oppia. Il apparaît donc comme un dirigeant qui comprend qu’il faut protéger la res publica du relâchement des mores, mais sa sévérité excessive lui ôte toute efficacité."

    "La moderatio apparaît aussi comme un aspect important de l’exercice du pouvoir de la part de Paul-Émile : il accepte de partager le pouvoir avec d’autres, pourvu que ces derniers disposent des capacités et des connaissances nécessaires pour contribuer au bien commun. De façon générale, grâce à son charisme et à sa moderatio, le héros a agi pour contenir le développement de la dégradation morale durant la période où on a déjà commencé à observer “une sorte de fléchissement des mores”."

    "La même façon qu’à l’intérieur de l’âme humaine, l’impetus doit se soumettre au consilium, ainsi la foule doit obéir aux dirigeants."

    "L’historien est convaincu que la foule ne sait pas, par sa nature, comment se gouverner."

    "Dans le De re publica, Scipion souligne que l’homme d’État doit, d’une part, savoir subordonner ses désirs à cette partie de l’âme qu’on appelle l’esprit (mens) (Cic., Rep., 2.40.67 sq.) ; en s’instruisant donc et en s’observant lui‑même, il doit, d’autre part, inspirer aux autres le désir de l’imiter, et s’offrir comme un miroir (speculum) à ses concitoyens par l’éclat de son âme et de sa vie (splendore animi et uitae suae). Le respect de cette hiérarchie est considéré par Cicéron – ainsi que par Tite‑Live – comme la condition de la concorde civique, qui est comparée à l’harmonie dans un ensemble de lyres ou de flûtes, ou dans un chant ou un concert de voix (Cic., Rep., 2.42.69). La vision selon laquelle les mœurs du peuple se modèlent sur les mœurs des premiers citoyens de la cité est répétée aussi dans les Lois : leur exemplum peut donc être plus nuisible que leur faute."

    "Les opinions de Tite-Live sont aussi conformes à celles de Cicéron concernant le rôle de “leader” du chef charismatique : de même que le pilote (gubernator) vise à faire une heureuse traversée, de même le moderator est responsable du bonheur des citoyens."

    "L’image du législateur-médecin, qui se rapproche de celle du chef‑médecin, ainsi que la métaphore de la loi‑remède ont été un topos chez Platon et chez Cicéron. Tite‑Live peut donc s’inscrire dans cette tradition. [...] Dans son discours en faveur de la loi Oppia, Caton explique qu’on n’aurait pas besoin de cette loi, s’il n’y avait point de luxe à réprimer, comme dans les temps des ancêtres [...] Les lois sont censées guérir les passions, de la même façon que les remèdes guérissent les maladies."

    "Tite‑Live semble donc apprécier l’effort d’Auguste pour corriger les uitia des Romains, en rétablissant la concorde et en ranimant les mores, sans que cela veuille dire qu’il lui fasse une confiance totale. L’évocation des remedia tend à instaurer un dialogue de l’auteur avec le prince, en vue de lui signaler, d’un côté, que ses initiatives sont dans la bonne direction et, de l’autre, que l’effort pour arrêter une décadence aussi avancée est très difficile, puisqu’il est confronté à l’opposition des Romains. Il s’agit donc aussi d’une incitation indirecte aux lecteurs, pour qu’ils se montrent plus conciliants, en acceptant les remèdes durs proposés par le nouveau chef. Ce message serait actuel au début des années 20, lorsque le régime d’Octave était encore récent et son succès incertain."

    "Selon Suétone, Tite‑Live a encouragé le jeune, et futur empereur, Claude à écrire l’histoire, confirme qu’il jouissait de la confiance de la famille impériale."

    "Tite-Live fut probablement le dernier historien avant Tacite, qui a pu encore garder sa “neutralité”. Sous Tibère, la généralisation de la censure qui prend la forme des procès fondés sur la lex de maiestate, comme celui intenté contre Cremutius Cordus, ne permettra plus aux historiens de garder la même indépendance d’esprit, ce qui se reflète dans les œuvres de Velleius Paterculus et de Valère Maxime."
    -Georgios Vassiliades, "Tite-Live et les remèdes à la décadence", chapitre in Georgios Vassiliades, La Res publica et sa décadence, de Salluste à Tite-Live, Bordeaux, Ausonius Éditions, 2020, 692 pages: https://books.openedition.org/ausonius/14782




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

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