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    Annabelle Dufourcq, La dimension imaginaire du réel dans la philosophie de Husserl

    Johnathan R. Razorback
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    Annabelle Dufourcq, La dimension imaginaire du réel dans la philosophie de Husserl Empty Annabelle Dufourcq, La dimension imaginaire du réel dans la philosophie de Husserl

    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 18 Mai - 6:10



    "L’entreprise phénoménologique se fonde essentiellement sur le rejet de la notion de chose en soi et la définition de l’être comme « ϕαινεσθαι » : apparaître. Elle engage par conséquent essentiellement une profonde redéfinition du réel et, indissociablement, de l’imaginaire. Les frontières entre eux sont déplacées et assouplies et, dans l’élucidation de l’origine de toute présence, réelle ou imaginaire, le mode d’être flottant, fluent, sensible et inachevé de l’imaginaire constitue pour Husserl un archétype fécond. Nous pensons que les réflexions husserliennes conduisent à reconnaître dans le mode d’être imaginaire une dimension à part entière, et même la dimension la plus profonde et fondamentale, d’un réel polymorphe capable de sédimenter superficiellement en un monde objectif, mais demeurant secrètement fragile et toujours animé par l’histoire aventureuse de l’esprit. Dévoiler la manière dont cette thèse se profile dans les analyses husserliennes et en montrer la légitimité, tel sera l’enjeu des réflexions qui vont suivre. Précisons qu’il ne sera pour autant jamais question de confondre réel et imaginaire et de réduire le premier à une illusion.

    La thèse majeure de la philosophie de Husserl est que la présence la plus pure est phénoménale, incarnée, en conséquence particulière et diffractée : Husserl va montrer qu’elle n’est originairement ni en-soi ni idée transparente, mais une vie du sens, une spiritualité anonyme naissant à même le sensible et toujours en chemin. L’objectivation d’un monde hypostasié, stable, subsistant hors de moi a bien lieu, elle doit avoir lieu, mais il s’agit d’une cristallisation – une sédimentation – temporaire et trompeuse puisqu’elle tend à se faire passer pour définitive et à focaliser notre attention sur sa surface. Profondément la vie de l’esprit se poursuit, le flux héraclitéen ne se fige jamais, les contours des êtres apparaissant entre ces sensibilia toujours renouvelés sont flottants, l’avenir est ouvert, la résistance du réel subsiste mais consiste en une sollicitation de mes actes, une incitation à penser, repenser et créer. La philosophie de Husserl établit donc, comme l’une de ses thèses fondamentales, qu’il y a une dimension cachée du réel : nous sommes, affirme-t-il, comme des animaux plats ignorant qu’existe une troisième dimension. Or le modèle permettant de comprendre le mode d’être de cette vie des profondeurs n’est pas celui des choses stables et distinctes, mais celui d’une pensée vivante et créatrice naissant dans l’ubiquité de sensations particulières. C’est la temporalité que Husserl désigne communément comme absolument originaire, toutefois nous essaierons de montrer que, dans ce flux temporel, les analogies et les esquisses jouent un rôle non moins fondateur et que cette vie spirituelle profonde et originaire peut être plus complètement comprise si on la définit comme un imaginaire anonyme, comme un ensemble de relations de parentés et de différences sensibles instituant un sens symbolique ouvert, dessinant certes des objets relativement stables, mais sollicitant la création incessante de nouvelles images : telle sera notre hypothèse directrice." (pp.1-2)

    "D’une manière générale l’imaginaire possède un extraordinaire pouvoir de subversion. Il semble être hébergé en philosophie comme un invité gênant qui trouve difficilement sa place dans les cadres établis, ceux de la distinction entre intelligible et sensible, entre sujet et objet, entre corps et âme. Il conteste ces cadres de même que, plus fondamentalement, la vision “naturelle” d’une réalité inébranlable dans laquelle tout être se tiendrait en un lieu propre et bien délimité. Or la réflexion husserlienne sur l’imaginaire fait droit à cette subversion : elle définit l’imagination comme intuition, remplissement de la visée." (p.2)

    "L’image « transporte », Husserl lui confère le pouvoir essentiel d’accomplir une Spaltung du moi, une étrange diffraction en un moi actuel d’une part et un moi-image d’autre part. L’image réalise communément, simplement, avec toute la légèreté d’un jeu, le tour de force de nous rendre présents à ce qui est ailleurs, ce qui est passé ou encore ce qui se tient dans un monde fictif. Imaginer ou appréhender une image c’est toujours entrer en contact avec l’objet visé. La nature de ce contact, de cette quasi-présence, pose problème, de même que la nature de ma présence au réel et à cet objet imaginaire. Où suis-je exactement moi qui imagine ? Plus tout à fait pleinement ici, pas non plus pleinement ailleurs, mais dans une sorte d’entre deux qu’il est au premier abord difficile de qualifier. De plus, comment l’objet réussit-il encore à livrer quelque chose de lui-même alors qu’il n’est pas réel ou réellement présent ? Comment peut-il m’envahir, m’emporter, susciter en moi les émotions les plus vives ? Quant aux objets présents, ils sont eux aussi contaminés par l’imaginaire : leur présence devient louche, étrange et inquiétante : eux aussi pourront se manifester à distance, en leur absence et quelque chose de leur présence actuelle subsistera, de plus cette présence « réelle » paraît plus lointaine à celui qui se laisse emporter par l’imaginaire, sa parfaite plénitude, sa résistance obstinée à nos caprices subjectifs apparaissent alors moins implacables. L’ordre temporel et spatial qui confère à chaque être une place nettement circonscrite devient poreux, il ne subsiste qu’en filigrane et nous pouvons voyager librement d’une place à l’autre. Tout devient flottant : l’objet (qui est à la fois ici et là, présent et absent) et le sujet (laissant à sa place originaire une forme affaiblie, presque endormie de lui-même et partant vivre dans un monde parallèle auprès de l’objet imaginé). Le pouvoir de subversion de l’imaginaire résonne bien au-delà de la seule étude d’un registre particulier des phénomènes nommés « imaginaires » et oblige à s’interroger radicalement sur ce qu’est exactement le réel, sur ses limites, sa définition et les critères grâce auxquels on reconnaît être en sa présence : dans quelle mesure l’objet est-il hors de moi et/ou en ma représentation ? Dans quelle mesure exactement est-il signifiant et, tout à la fois, résistant et opaque ?" (pp.3-4)
    -Annabelle Dufourcq, La dimension imaginaire du réel dans la philosophie de Husserl, Londres / New York, Springer, 2011, 397 pages.



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