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    Bruno Bénard et all, Qu'est-ce que la métaphysique ?

    Johnathan R. Razorback
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    Bruno Bénard et all, Qu'est-ce que la métaphysique ? Empty Bruno Bénard et all, Qu'est-ce que la métaphysique ?

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 20 Mai - 7:44



    "« Métaphysique », en un seul mot, est attesté pour la première fois dans l’un des trois catalogues des œuvres d’Aristote qui nous soient parvenus, celui de l’Anonymus Menagii, attribué généralement à un érudit du VIe siècle : Hésychius de Milet." (p.149)

    "Les deux autres catalogues sont celui de Diogène Laërce (IIIe s. ap. J.-C. ?) qui ne mentionne pas la Métaphysique, et celui de Ptolémée de Rome (entre 70 et 300), transmis par deux Arabes du XIIIe siècle, Ibn-el-Kifti et Ibn-Abi-Oseibia ; on y trouve la mention d’un ouvrage en treize livres traitant de eo quod post physicam, « de ce qui (vient) après la physique »." (note 1 p.149)

    "La désignation du livre d’Aristote sous ce titre ne devient courante qu’au XIIe siècle sans doute sous l’influence d’Averroès qui en a rédigé un célèbre commentaire. À noter, toutefois, que le Moyen Âge latin emploie presque toujours ce mot au pluriel et parle des Métaphysiques d’Aristote [...] Le latin Metaphysica doit donc être regardé comme un neutre pluriel, de même que le grec Metaphusika dont il est la transcription et qui signifie « les choses métaphysiques ». Par la suite, ce terme cessera très vite d’être réservé à la désignation du traité d’Aristote pour devenir le nom d’une science philosophique, « la métaphysique », tout en gardant sa valeur d’adjectif qualifiant un type de réalités, celles qui sont « au-delà » des réalités physiques.

    Antérieurement au catalogue d’Hésychius de Milet, l’ouvrage d’Aristote est intitulé meta ta phusika. S’agit-il du titre d’un seul ouvrage ? Meta ta phusika signifie littéralement : « après (meta) les choses (ta) physiques ». La première mention connue de cette désignation se trouve chez Nicolas de Damas, historien polygraphe (50 av-20 ap. J.C.), ami du roi Hérode qui l’avait envoyé à Rome, auprès d’Auguste. Il y fit la connaissance de son aîné, Andronicos de Rhodes, qui, de 78 à 47, fut le dixième successeur d’Aristote à la tête du Lycée [...] et qui, vers 60, édita les œuvres du Philosophe. Nicolas de Damas, suppose-t-on, avec le titre ta meta ta phusika (c’est-à-dire les [choses] après les [choses] physiques), ne faisait que désigner l’ensemble des textes qui, dans l’édition d’Andronicos, venaient « après les physiques »"(pp.149-150)

    "À partir des travaux de [Paul] Moraux, Heinrich Reiner a pu conclure que, puisque dans la liste primitive (scientifiquement reconstituée), les traités méta ta phusika ne suivent pas les traités de physique, mais ceux de mathématiques, le titre de métaphysique n’avait pas le sens d’une désignation d’un ordre de classement, mais qu’il répond à une « intention doctrinale » venant d’Aristote lui-même." (p.150)

    "Reste à déterminer la nature de cette intention. Le terme de métaphysique devrait nous y aider, puisqu’il est acquis désormais qu’il exprime une indication venant d’Aristote lui-même. Une chose est certaine, cependant : il n’y a aucune attestation d’une telle désignation dans les œuvres du Stagirite. Lorsqu’il parle de la matière de son ouvrage dont l’unité et la cohérence, en dépit du disparate de quelques livres, est de plus en plus reconnue –Aristote la désigne à l’aide des termes de « philosophie première », de « sagesse », voire de « théologie ». Peut-on affirmer l’équivalence de la « philosophie première » et de la « métaphysique » ? Si cette philosophie est première, comment la designer à l’aide d’une préposition, méta, qui, lorsqu’elle est suivie de l’accusatif, signifie entre autres « après » ? Ne devrait-on pas parler de « protophysique » plutôt que de « métaphysique » ? Toutefois, méta peut aussi avoir le sens de changement, de passage d’un état à un autre : ainsi dans métamorphôsis, ou dans métabolè, terme qui, chez les chrétiens orthodoxes, désigne ce que les Latins appellent : tanssubstantation. C’est en effet le préfixe trans- qui traduit le grec méta- : transformatio est l’exacte traduction de métamorphôsis. Ce second sens s’accorde parfaitement avec la notion de « philosophie première » en tant qu’elle est équivalente à celle de « théologie », c’est-à-dire à la science de l’Être divin, séparé de tous les autres : la science première est celle de l’Être premier, c’est-à-dire de l’Être transcendant. De ce point de vue le titre de Philosophie première ou de Théologie conviendrait très bien à un certain nombre de livres de la Métaphysique." (p.151)

    "Mais il est aussi question, dans cet ouvrage, d’une science à laquelle Aristote ne donne pas de nom ; il en formule seulement l’objet : il s’agit de « la science de l’être en tant qu’être », expression qui revient souvent dans son ouvrage. Une telle science n’étudie ni les êtres physiques, ni les êtres mathématiques, ni les êtres (ou l’être) théologiques ; elle s’interroge sur l’être en tant que tel et sur les principes de l’être en tant que tel, qu’il s’agisse des êtres physiques, mathématiques ou divins. Pour beaucoup de commentateurs, c’est là une question nouvelle en philosophie qui instaure ce qu’on appellera en latin, beaucoup plus tard ([par] Clauberg [disciple de Descartes], 1647) : ontologia222, et d’où découlera pratiquement toute la philosophie moderne. Un tel questionnement sur l’être universel ne peut que partir de la connaissance que nous avons des êtres physiques. C’est à leur sujet que se pose la question de leur être, et donc de l’être en tant que tel : qu’est-ce que c’est que « être » ? C’est pourquoi la science (si tant est qu’elle existe) qui s’engage dans ce questionnement vient « après les choses physiques » méta ta phusika : non point nécessairement après la science des êtres physiques, mais après la prise en compte des réalités de la nature, et peut donc, à bon droit, s’appeler métaphysique.
    Cette interprétation a été principalement proposée par Pierre Aubenque dans son livre de référence, Le problème de l’être chez Aristote." (p.152)

    "Le Moyen Age n’ignore pas la distinction d’une « philosophie première » et d’une « métaphysique », c’est-à-dire d’une théologie et d’une ontologie, mais il ne les sépare jamais. Ainsi pour S. Thomas d’Aquin, « dans la Métaphysique le Philosophe détermine à la fois (simul) ce qui concerne l’être commun (ens in commune) et ce qui concerne l’Être premier, à savoir l’être séparé de la matière ». La « métaphysique » englobe donc l’étude de l’être universel et celle de l’Être premier. Mais ce peut être aussi « la philosophie première » qui englobe les deux : « il ne revient pas au philosophe de la nature (philosophum naturalem) d’étudier une telle origine des choses, mais cela revient au « philosophe premier » (philosophum primum : le métaphysicien) qui considère l’étant commun et ce qui est séparé du mouvement ». Le Moyen Âge distingue donc bien deux objets de la métaphysique mais n’éprouve pas le besoin d’attribuer un nom particulier à l’étude de chacun d’eux.

    Cela ne signifie pas qu’il les confond, comme semble le supposer P. Aubenque. Au demeurant l’Antiquité, comme le Moyen Âge, semblent moins soucieux que les Modernes d’identifier les disciplines par des désignations techniques et de procéder à une organisation systématique des titulatures scientifiques. Mais, si le vocabulaire philosophique semble quelque peu flottant, c’est aussi parce que la pensée antique et médiévale (et pas seulement elle) est convaincue que la métaphysique comme étude de l’être universel (l’être « en général ») et la philosophie première comme science de l’Être premier (Dieu) ont partie liée. Autrement dit, c’est la considération de l’Être premier, donc la théologie, qui ouvre la pensée humaine à la prise en compte de la question de l’être universel (ontologie) pour la raison que nous pourrions faire l’expérience des êtres concrets dans leur multiplicité innombrable sans que jamais se pose à nous la question de l’être comme tel, si parmi tous les êtres, nous n’entendions parler, par la religion, d’un Être qui serait l’Être par excellence, l’Être Un. Et contrairement à beaucoup d’interprètes, nous croyons que c’est aussi la pensée d’Aristote : « s’il existe une substance immobile, la science de cette substance doit être antérieure (à la Physique) et doit être la Philosophie première ; et elle est universelle de cette façon parce qu’elle est première. Et ce sera à elle de considérer l’être en tant qu’être ». Cette science, déclare Aristote, « je l’appelle théologie », première apparition de ce terme au sens d’une science de Dieu." (p.153-154)
    -Jean Borella, "De la connaissance métaphysique : la métaphysique comme épiphanie de l’Esprit", in Bruno Bénard et all, Qu'est-ce que la métaphysique ?, Paris, L'Harmattan, 2010, 187 pages.



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