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    C.-A. Fusil, Montaigne et Lucrèce

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    C.-A. Fusil, Montaigne et Lucrèce Empty C.-A. Fusil, Montaigne et Lucrèce

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 10 Juin - 7:47



    "De tous les écrivains du XVIe siècle, Montaigne est celui qui a le plus emprunté à Lucrèce. On relève dans les Essais cent quarante-neuf citations tirées du de Natura rerum , donnant au total quatre cent cinquante-quatre vers. Le premier livre contient quarante-deux citations avec cent dix-sept vers ; le deuxième livre quatre-vingt-quatorze citations avec trois cent six vers. L'Apologie de Raymond Sebond compte dans ce total pour soixante-quatorze citations et deux cent quarante-trois vers. Le troisième livre renferme treize citations et trente et un vers. Ces chiffres ont leur éloquence : Montaigne a cité plus d'un seizième de l'œuvre de Lucrèce, et c'est très remarquable. Les citations les plus nombreuses ont empruntées au livre III (un neuvième) et au livre IV (un dixième)." (p.265)

    "Comment le scepticisme et la nonchalance de l'un ont-ils pu se bien trouver du prosélytisme et de l'ardeur de l'autre ? Quelle ressemblance entre le sourire de Montaigne et l'âpreté de Lucrèce ? Et la poésie du de Natura rerum, si sévère, si raide, si hautaine, comment a-t-elle pu s'accorder avec la prose des Essais, ondoyante, chatoyante et diverse." (p.266)

    "Pendant 250 ans et plus, le grand poète, le modèle et le parangon restera Virgile et Lucrèce lui sera entièrement sacrifié." (p.267)

    "Contre la passion amoureuse, Montaigne nous recommande un remède qui nous semble à la fois cynique et naïf : il n'est, dit-il, qu'à « rompre l'amour », et cela par des diversions toutes physiques : « De peur qu'il vous gourmande et tyrannise, affaiblisse le, sejournez le, en le divisant et divertissant ». [...]

    Mais le conseil ne sera jamais admis par ceux qui aiment d'une ardeur généreuse. Sans doute, Lucrèce consacre à l'amour physique de longues pages qui sembleront souvent indécentes aux hommes du XVII et du XVIIIe siècle, et Montaigne se contente de suivre Lucrèce ; mais il existe entre eux une grande différence : Lucrèce traite de l'amour en physiologiste, d'après les lumières de son temps; il en traite scientifiquement. Montaigne parle de l'amour en se jouant, sans reconnaître le sérieux de cette passion, il la tournerait volontiers à la polissonnerie, et, citant Lucrèce, il le rapetisse." (p.269)

    " "Plusieurs choses nous semblent plus grandes par imagination que par effect » ; la mort, comme la maladie, est peut-être une de ces choses-là. Enfin, Montaigne estime que l'agonie n'est pas accompagnée de connaissance ni de souffrance." (p.271)

    "Avec Montaigne le scepticisme a toujours le dernier mot, et après avoir affirmé un peu légèrement que les philosophes, au fond, sont d'accord et que leurs disputes ne sont que subtiles bagatelles, opiniâtreté et picoterie, il finit par déclarer qu'il est hors de notre puissance de trouver le vrai bonheur." (p.272)

    "Son sensualisme est d'une qualité singulière : nous ne connaissons rien que par les sens ; mais les sens nous trompent sans cesse ; et nous ne sommes pas sûrs d'être pourvus de tous les sens naturels ; nous pouvons imaginer des êtres doués d'un plus grand nombre de sens et percevant des qualités que nous n'atteignons pas ; enfin rien ne nous dit que la réalité corresponde à la représentation que nous nous formons du monde extérieur : quand nous avons la jaunisse, nous voyons tout en jaune. Aussi Montaigne, parti du sensualisme, finit-il par se retourner contre les Épicuriens et par attribuer à leur sensualisme indiscret les principales erreurs de leur physique." (p.273)

    "Quant à la physique de Lucrèce, c'est bien simple ; pour Montaigne elle ne compte pas. Aussi n'a-t-il jamais usé dans ses Essais des parties didactiques du de Natura rerum qui traitent des atomes et du vide." (p.276)

    "Le scepticisme de Montaigne est gai, ironique, souriant ; c'est une constatation réjouissante que l'homme ne sait rien, que tout ce tintamarre de cervelles philosophiques n'aboutit à rien qu'à nous assourdir et à nous troubler les idées. Nous sommes si loin du pessimisme que Montaigne le combat de toutes ses forces dans Lucrèce, avec un zèle, nous pourrions dire une conviction, qui ne lui est pas habituelle." (p.278)
    -C.-A. Fusil, "Montaigne et Lucrèce", Revue du Seizième siècle, T. 13, 1926, pp. 265-281.




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