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    Marc Foglia, Montaigne et la révolution copernicienne

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Marc Foglia, Montaigne et la révolution copernicienne Empty Marc Foglia, Montaigne et la révolution copernicienne

    Message par Johnathan R. Razorback Sam 10 Juin - 8:37



    "Mélanchton suit la condamnation des hypothèses de Copernic faite par Luther dès 1539. Luther invoque les Écritures, où il est justement écrit que Josué arrêta le Soleil dans sa course.  [...]

    Pourquoi Montaigne, qui n’est pas astronome, accepte-t-il l’œuvre de Copernic comme une révolution scientifique ? L’une des raisons qui font qu’il ne s’oppose pas à l’hypothèse du mouvement de la Terre, c’est que son univers est peu chrétien. Le mouvement de la Terre, devenue planète parmi les planètes à l’intérieur du système de Copernic, constitue à l’époque « une altération de l’expérience religieuse de l’homme du commun », selon les termes de Thomas Kuhn. [...]

    Face à l’hypothèse héliocentrique, Montaigne n’oppose aucune résistance culturelle ou religieuse. Grand lecteur de Lucrèce, dont il cite plus de quatre cents vers, Montaigne envisage l’hypothèse de la pluralité des mondes plusieurs fois, et la juge plus vraisemblable que la thèse de l’unicité du monde, pourtant soutenue par Aristote et par Thomas d’Aquin. [...]  L’hypothèse de la pluralité des mondes, formulée par Lucrèce, fait disparaître la Terre dans l’immensité du grand tout. La philosophie antique a fourni à l’humaniste un contrepoids efficace à la conception d’un univers centré sur la Terre et l’homme. [...] Montaigne emprunte à Lucrèce l’injonction de comparer ce que nous voyons de la Terre, de la mer et du ciel au reste de l’Univers : nous devons comprendre que ce que nous voyons n’est quasiment rien. Et c’est encore Lucrèce qui est cité un peu plus loin, pour cautionner l’idée que tout change, même la science." (pp.8-9)

    "Les savants de la Renaissance savent que l’hypothèse du mouvement de la Terre a été formulée par les Anciens ; comme Copernic, Montaigne l’emprunte aux Academica de Cicéron." (p.13)

    "Il faut se débarrasser de la manie scolastique du commentaire révérencieux, pour poser à nouveau la question de la vérité. On comprend dès lors que Montaigne applaudisse aux nouvelles théories scientifiques, perçues comme le fruit de l’exercice du jugement critique et d’une authentique recherche de la vérité." (p.15)

    "La vision du monde de Montaigne est fortement teintée d’épicurisme, et presque matérialiste. Ensuite, en philosophe, il pratique avec assiduité le décentrement comme discipline intellectuelle et morale." (p.20)

    "Montaigne nous enseigne que les valeurs morales que je crois issues de ma conscience ne gravitent pas autour de moi comme le feraient les planètes autour de la Terre, mais sont le fruit de coutumes contingentes. Mon jugement et ma conscience ne sont que finalement que satellites de la coutume, des effets de son terrible pouvoir d’attraction." (p.20)

    "Traditionnellement, le maître est au centre, et les élèves, satellites du maître, doivent assimiler le savoir du maître. Montaigne renverse explicitement la situation. [...] C’est à l’enfant d’exercer son goût et ses facultés naturelles, c’est à lui de s’exercer à bien parler et à bien juger39. L’enfant a l’initiative de la parole ; si le maître discute de ce que l’enfant a dit, c’est pour lui offrir un conseil, une médiation vers une pensée plus élaborée." (p.21)

    "La localisation est quelque chose de contingent qu’il faut dépasser par l’imagination. Montaigne promeut ainsi l’usage relativisant de l’imagination, afin d’éviter au jugement certaines erreurs d'appréciation manifestes, et pourtant très ordinaires : croire par exemple que la colère de Dieu s'abat sur le genre humain, lorsque des vignes gèlent aux alentours. Devenue cosmopolite, c’est-à-dire littéralement haussée au niveau du cosmos, l’imagination a pour tâche de nous protéger contre ce risque d’erreur du jugement, en prenant pour référent la réalité dans sa diversité et sa totalité, et non un point de vue extrêmement particulier. Ce qu’il s’agit d’acquérir ici n’est pas un savoir, mais le sens du relatif. Il ne suffit certes pas d'imaginer le monde entier pour assainir son jugement, il faut encore passer d’un usage généralisant à un usage relativisant de l’imagination. L'usage généralisant de l’imagination consiste à donner au particulier la valeur du général, comme le fait un prêtre de village en associant les Brésiliens à ses propres malheurs, tandis que l'usage relativisant rend au contraire au particulier sa valeur de particulier. Pour bien juger, il faut donc replacer ce qui nous arrive dans un cadre général, et se penser citoyen du monde comme le proposaient les Stoïciens. En réduisant l’importance de ce qui nous arrive au regard de la totalité cosmique, le philosophe s’endurcit moralement contre les maux qui peuvent survenir." (p.22)
    -Marc Foglia, "Montaigne et la révolution copernicienne", 2012.




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