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    Monique Dixsaut, Encore une fois le bien

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Monique Dixsaut, Encore une fois le bien Empty Monique Dixsaut, Encore une fois le bien

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 11 Juin - 21:33

    https://books.openedition.org/vrin/5042

    "La question du bien est introduite au livre VI, au moment où Socrate se propose d’exposer l’éducation qu’il convient de donner aux gardiens, et elle trouve sa conclusion au livre VII (540a4-b1) : quand, arrivés à cinquante ans, les gardiens appelés à gouverner auront, au terme de leur éducation, « vu le bien lui-même (ἰδόντας τὸ ἀγαθὸν αὐτό), ils s’en serviront comme d’un modèle (παραδείγματι) pour ordonner (ͷοσμεῖν) la cité, les particuliers et eux-mêmes ». C’est l’idea du bien « qu’il faut voir si on veut agir de manière sensée soit en privé soit en public » (517c4-5). La connaissance du bien est donc essentielle à la fondation de la cité juste."

    "Les mathèmata les plus importants désignent, à ce moment du livre VI, non pas les différentes sciences ou disciplines mais les différentes études visant à obtenir un savoir de ce qu’est en elle-même une réalité. Toutes les études qui procèdent dialectiquement sont les plus importantes parce que leurs objets, les Formes, sont les réalités les plus importantes, et le bien, quand il est mentionné, est une Forme parmi d’autres. Le pluriel, mathèmata, est justifié car, si la dialectique est la plus haute science, la multiplicité de ses objets la pluralise nécessairement. Socrate se contente donc jusque là de rappeler ce qu’il a dit bien des fois, qu’une connaissance véritable ne porte pas sur ce qui devient mais sur ce qui est. Ce sont ces sortes de savoirs que doivent acquérir les gardiens."

    "L’aptitude à passer de la multiplicité des choses belles au beau lui-même, mais aussi des choses justes à la justice en soi « et ainsi pour tout le reste » constitue, à la fin du livre V (479e sq.), le critère servant à distinguer le philosophe authentique des philodoxes. Arriver au telos, au but, c’est donc, pour la connaissance, comprendre qu’elle doit s’appliquer à un être unique et invariable qui la mesure, et non pas à une multiplicité changeante. Ce n’est pourtant là que le premier but qu’elle doit atteindre."

    "Toutes les sciences mathématiques commencent par soustraire leurs objets à toute espèce de changement ou de relativisme, et si des sciences peuvent revendiquer la détermination d’une mesure exacte, ce sont bien les sciences mathématiques. Pourtant, si elles peuvent apporter une connaissance vraie de certains êtres, elles sont impuissantes à en mesurer la valeur et surtout à apprécier justement celle des connaissances qu’elles procurent. C’est pourquoi, aux livres VI et VII, Socrate va affirmer à la fois leur utilité et leur infériorité en faisant de leur étude une propédeutique, un prélude à la mélodie dialectique. Aucun savoir ne peut être utile ou avantageux s’il est incapable de préciser en quoi il est bon, or c’est la question que ne pose justement aucune de ces sciences, et c’est ce qui enferme les mathématiciens dans leur rêve. Aucune de ces science ne pose donc la question du bien, alors que c’est elle qui peut empêcher une science de se croire bonne du simple fait d’être une science (ce qui est l’erreur des raffinés dénoncée en 505b). La surévaluation des mathématiques chez Platon par toute une tradition méconnaît leur ambivalence : indispensables comme propédeutique, elles sont aussi les disciplines les plus dangereuses si on les prend comme paradigmes de ce qu’est une science accomplie."

    "Un gouvernant doit être capable de déterminer ce qui est bon pour la cité et les citoyens, lui compris, non parce que telle est son opinion du moment, mais parce qu’il a fait l’effort d’acquérir la connaissance de ce qui est toujours, inconditionnellement, bon."

    "Il est courant d’objecter que Platon, précisément, ne nous dit jamais ce qu’il est – Socrate, dans la République, se dérobe, et dans le Philèbe il nous laisse en plan dans le vestibule sans nous faire entrer dans la demeure du bien."

    "Socrate ne dit pas que l’objet de l’étude la plus importante est le bien, mais l’idea du bien. Pourquoi emploie-t-il, dans la République, ce terme à propos du bien et jamais ousia ou eidos ? Faut-il d’ailleurs penser que cela a une quelconque signification, ou juger que, à la différence de leurs emplois dans le Phédon10, les trois termes sont ici interchangeables ?

    Il est évident qu’un tournant est pris à la fin du livre V, dont le signe le plus net est le changement du sens donné à ousia. Dans les trois premiers livres (le terme est absent du livre IV), ousia conserve son sens courant de propriété, fortune, avoir, sens qu’il retrouvera au livre VIII et au début du livre IX, et quand Socrate, à un moment du livre IX, donne à nouveau au terme son sens philosophique d’essence, il précise chaque fois qu’il parle d’une ousia pure (585b12), associée à la vérité (585c7, 12, d3). Au premier abord, on voit mal quel rapport pourrait exister entre les deux sens. Le Phédon fournit pourtant le moyen de les relier : « du beau, du bon et de toute ousia de cette sorte (…) dont nous découvrons progressivement qu’auparavant elle était nôtre… » (76d8-e2). L’âme n’existe pas à la manière de l’essence mais elle découvre en pensant l’essence, en « s’en ressouvenant » et s’y apparentant, que l’essence est le mode d’être qui lui appartient en propre, parce que sa puissance d’atteindre l’essence est ce qui la reconduit vers ce qui est le plus proprement elle-même.

    Le terme change donc de sens lorsqu’il s’agit de défendre la thèse du gouvernement des philosophes : Socrate juge alors nécessaire de les distinguer des philodoxes. Les vrais philosophes sont toujours amoureux d’une « étude qui leur rend évident quelque chose de ce qui est essentiellement, qui est toujours et n’erre pas sous l’effet de la génération et de la corruption »12, tandis que l’opinion porte sur des choses intermédiaires entre l’ousia et le non-être (479c7). L’ensemble de ces choses est désigné au livre VII par le terme « devenir » (γενέσις) : l’opinion porte sur le devenir alors que l’intellection (νοήσις) porte sur l’essence (οὐσία, 534a2-3). On notera au passage que si on tient à parler d’un « dualisme » platonicien, ce dualisme n’est pas celui du sensible et de l’intelligible (avec l’exemple du doigt, on voit que la perception n’est pas disqualifiée en tant que telle, elle suffit toujours à identifier un doigt – c’est-à-dire à susciter l’opinion droite que c’est un doigt –, mais parce qu’elle « n’est pas propre à mener vers l’essence », 524e2). Son « dualisme » est celui de l’être et du devenir. Tout au long de l’exposé des cinq sciences propédeutiques, une même question revient : sont-elles propres à nous conduire vers l’ousia (523d3, 525b5, 526e6), à opérer la conversion de l’âme vers la vérité et l’essence (525c6) ?"

    "Une ousia ne peut à coup sûr avoir d’autre référent qu’une Forme intelligible, car seules les Formes jouissent de ce mode d’être essentiel et inaltérable. Ousia et eidos ont la même référence, mais non le même sens : avec ousia l’accent est mis sur un mode d’existence, mais par eidos devient possible l’articulation entre les deux espèces si fortement opposées par Platon, celle des êtres qui sont vraiment et celle des êtres dont tout l’être consiste à devenir. Une même réalité est désignée par deux noms, mais le nom d’eidos affirme possible la participation des choses en devenir aux Formes et, plus régulièrement dans des Dialogues postérieurs à la République (mais déjà en Rép., 476a4-7), la participation des Formes entre elles."



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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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