Lettre du 1er Département du NKGB au 2ème Département du NKGB concernant la délivrance du visa de G. I. Miasnikov
27 décembre 1944
Après examen du possible retour en URSS depuis la France de G.I. Miasnikov, qui est bien connu de vous, le directeur du Commissariat a décidé de lui délivrer un visa dans le but de l’arrêter ici comme traître à la patrie. Nous avons reçu un message du NKID selon lequel Miasnikov a été envoyé en URSS par notre ambassade en France le 18 décembre 1944. [Vol. 3 enveloppe séparée].
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2-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 18 janvier 1945.
Q : Pourquoi vous êtes-vous enfui à l’étranger ?
R : Dès 1920, j’ai eu de désaccords avec le Comité Central du PCR(b) à propos de la signification d’un État prolétarien – sur la dictature du prolétariat et sur la démocratie prolétarienne. J’ai mené une lutte fractionnelle illégale qui a pris la forme de la création de ce que l’on a appelé le Groupe Ouvrier. Les dirigeants de ce Groupe avaient dans l’idée qu’il se transformerait en un parti légal capable d’offrir une alternative au PCR(b) et de mener une lutte avec lui de manière légale.
À la fin de 1922, le Groupe Ouvrier avait pris forme dans un sens organisationnel. Ceci s’était reflété dans la création d’un Bureau Central et dans la publication d’un Manifeste que j’avais moi-même écrit et qui avait été adopté comme plate-forme de notre groupe d’opposition. Quelque temps après, le Bureau Central a publié son propre organe : “La voie ouvrière vers le pouvoir”. Cette publication a été distribuée illégalement en URSS, en particulier dans les villes où le Groupe Ouvrier avait quelque influence, à savoir : Moscou, Leningrad, Kharkov et Nijni Novgorod.
Pendant que je participais à mon activité fractionnelle illégale, j’ai été à maintes reprises soumis à la répression par les autorités soviétiques, et en fin de compte j’ai été exilé à Erevan.
Étant donné que j’étais en désaccord avec la politique du gouvernement soviétique et du Comité Central du PCP(b), et que je désirais éviter d’autres persécutions, j’ai décidé de m’enfuir à l’étranger.
Q : Dites-nous comment vous avez préparé votre fuite.
R : Au début de 1928, après la publication illégale de ma brochure : Qu’est-ce que l’État ouvrier ?, une réunion secrète du Bureau Central du Groupe Ouvrier a eu lieu à Moscou. Il a été décidé lors de cette réunion que, afin d’éviter mon arrestation en relation avec la publication de la brochure, je devais fuir à l’étranger et servir de représentant du Bureau à l’étranger.
Q : Puisque vous étiez à Erevan à ce moment-là, comment avez-vous été informé de cette décision ?
R : J’ai été averti par Kouznetzov (je ne me souviens pas de son prénom) qui avait été envoyé par le Bureau central. /…/(*).
Q : Quelle sorte de questions vous a-t-on posée quand vous étiez interrogé par la police politique à Téhéran ?
R : Le policier qui m’interrogeait voulait des explications sur ce qui m’avait poussé à m’échapper d’URSS, et il posait des questions inquisitrices pour vérifier si j’étais un agent de la Guépéou. J’ai nié ses suppositions en soutenant que cela aurait été incompatible avec la position politique que j’avais par rapport à la direction du PCP(b). Je possédais des preuves documentaires qui démontraient que j’étais en exil et que je vivais récemment à Erevan.
Au cours de l’interrogatoire, j’ai demandé à ce que l’on me libère de ma garde à vue et que l’on me donne la possibilité de quitter la Perse.
Peu après, la police m’a informé que le gouvernement allemand m’autoriserait à entrer en Allemagne. Afin que les documents nécessaires me soient remis, j’ai demandé à être conduit au consulat allemand, où l’on m’a refusé un visa à cause de l’intervention de l’ambassadeur soviétique. C’est alors que je décidais de me soustraire à la garde à vue. À cette fin, je réclamais une autorisation d’absence de 24 heures dans le but, ostensiblement, d’organiser mon départ de Perse par l’intermédiaire d’une des missions étrangères. Accompagné par un policier, je me suis rendu à l’ambassade soviétique et j’y suis entré seul car la police n’avait pas le droit d’y pénétrer. J’ai dit au consul auquel j’ai parlé en ce lieu que j’avais l’intention de retourner en URSS, ce qui en réalité n’était pas vrai. J’ai quitté l’ambassade par une autre sortie, ce qui m’a permis d’échapper à mon garde perse et en même temps de quitter les représentants soviétiques en leur laissant l’impression que j’avais l’intention de revenir en URSS.
Q : Pendant que vous étiez en Iran, avec quelles personnes ou avec quelles organisations antisoviétiques avez-vous été en contact ?
R : J’ai envoyé des télégrammes à Trotski à Istamboul et au président du Reichstag allemand pour les informer que j’étais en détention à Téhéran et que je leur demandais de l’aide.
Q : Trotski vous a-t-il aidé ?
R : Non. Plus tard, quand j’étais en Turquie, son fils Sedov m’a dit qu’il avait reçu l’ordre de Trotski de m’envoyer une lettre et de l’argent à Téhéran, mais les autorités perses les ont renvoyés à Istamboul où Trotski vivait à cette époque-là.
Je suis aussi allé à l’ambassade de Tchécoslovaquie où j’ai rencontré quelqu’un que j’avais connu précédemment à la prison de Rostov (je ne me souviens pas de son nom). Je lui ai donné mes manuscrits pour qu’il les envoie aux archives historiques de Prague.
Q : Pendant combien de temps vous êtes-vous caché en Perse ?
R : Après que j’ai échappé à la surveillance de la police perse, j’ai décidé de chercher de l’aide auprès de quelqu’un que j’ai connu durant ma détention, à savoir un député du Majlis. Je ne me souviens pas de son nom. Il avait été arrêté parce qu’il s’opposait aux réformes du Shah Pahlavi et il avait été libéré avant mon évasion. Il m’a procuré de l’argent et un guide. Le jour même je quittais Téhéran et en juin 1929 je parvenais à la frontière turque avec l’aide de contrebandiers.
[Vol. 3, pp. 31, 32, 34-36]
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3-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 19 janvier 1945.
Q : Nous savons que vous vous êtes mis en contact avec Trotski en Turquie. Pourquoi avez-vous fait silence là-dessus ?
R : Je ne dissimule pas le fait que j’ai rencontré Trotski en Turquie.
Q : Racontez-nous les circonstances qui vous ont conduit à établir des relations avec Trotski.
R : À mon arrivée à Istamboul, la police m’a demandé de signer un accord selon les termes duquel je n’entreprendrais aucune activité politique sur le sol turc et je quitterais le pays aussi vite que possible. Les policiers m’ont dit où trouver Trotski et je suis allé à l’adresse qu’ils m’ont donnée. Le jour même je rencontrais Trotski chez lui.
Q : Quel était le but de votre rencontre avec Trotski ?
R : Je me trouvais dans une situation financière difficile et j’espérais recevoir du soutien de la part de Trotski.
Q : Évidemment, vous ne cherchiez pas seulement à avoir un soutien financier, mais aussi à prendre contact avec des forces activement hostiles à l’URSS, n’est-ce pas ?
R : Je ne cherchais aucune sorte d’alliance organisationnelle ou idéologique avec Trotski étant donné qu’il a été constamment mal disposé envers les dirigeants du Groupe Ouvrier et envers moi personnellement.
Q : Et pourtant, à votre arrivée à Istamboul, vous aviez hâte de le rencontrer. De quoi avez-vous discuté avec Trotski ?
R : Trotski m’a reçu dans son bureau d’une manière hautaine. Je lui ai dit que j’étais harcelé par la police turque et également que j’avais des difficultés financières. J’ai demandé à Trotski de m’aider à obtenir un visa pour partir de Turquie pour l’Europe occidentale. Il a refusé de m’aider à obtenir un visa. Mais du fait que je n’avais pas d’endroit où loger, il m’a invité à rester chez lui pour un temps. J’ai passé quelques jours dans son appartement.
Q : Et n’avez-vous pas discuté d’activités antisoviétiques avec Trotski ?
R : Au tout début de ma conversation avec Trotski, il m’a averti que nous ne discuterions pas de questions politiques. Il n’y donc a pas eu de discussion de ce type.
Q : Vous mentez. Étant donné que vous et Trotski étiez tous deux des ennemis acharnés du PCP(b), avec une haine commune pour le pouvoir soviétique, vous n’avez pas pu éviter de parler de vos actions traîtresses contre l’État soviétique. Dites la vérité – quel type d’accord avez-vous passé avec Trotski ?
R : Je le répète : au cours de mes rencontres avec Trotski, nous n’avons pas traité de questions politiques. Nous avons principalement parlé de choses qui n’avaient pas de relation avec nos démêlés avec le PCR(b). Trotski semblait plus intéressé de parler de pêche et de chasse avec son fils Sedov et son secrétaire Frank. Il n’a pas exprimé d’opinions de nature politique en ma présence.
Q : Cela ne vous sert à rien d’essayer de décrire vos négociations avec Trotski sur des plans de lutte conjointe contre le pouvoir soviétique comme des conversations banales sur la pêche et la chasse. Pourquoi ne pas dire la vérité ? /…/
R : J’étais obligé de travailler en liaison avec Sedov, et à travers lui avec Trotski, étant donné ma situation désespérée en Turquie. Le fait est que je n’avais pas d’autres contacts en dehors d’eux en Turquie. Et donc, bien que j’aie méprisé Trotski à la fois politiquement et personnellement, je n’étais pas en position de couper les relations avec lui.
Toutes mes rencontres avec Sedov s’occupaient de choses personnelles. Il n’y a eu qu’une seule entrevue où je lui ai demandé de faire savoir à Trotski que j’écrivais un article sur la position du Groupe Ouvrier en cas de guerre entre l’URSS et les États bourgeois. Je désirais que cet article soit publié dans le bulletin de Trotski.
Q : Comment Trotski a-t-il réagi à votre proposition ?
R : Selon Sedov, Trotski a refusé de publier mon article dans son intégralité et il a suggéré que, à la place, je soumette une courte lettre au rédacteur en chef. Je n’ai pas été d’accord.
Q : Combien de rencontres avez-vous eues avec Sedov ?
R : J’ai rencontré Sedov un bon nombre de fois, mais ces rencontres, comme je l’ai déjà indiqué, portaient sur des affaires de tous les jours. J’ai aidé Sedov à acheter des choses pour la famille de Trotski et j’ai été payé pour mes services.
Q : Nous savons que Trotski vous a donné de l’argent et pas uniquement pour des “services domestiques”. Dites-nous quel genre de financement vous avez reçu de Trotski.
R : Je n’ai reçu de l’argent de Trotski que deux fois et pour des montants insignifiants. La première fois, il m’a donné 10 dollars pour mes besoins personnels, et la seconde fois, juste avant mon départ pour la France, 25 dollars.
Q : Et vous n’avez pas reçu des subsides de lui pour un travail antisoviétique ?
R : Non. /…/
[Vol. 3, pp. 39-41]
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4-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 25 janvier 1945.
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Q : Nous savons que, pendant que vous purgiez votre peine d’exil, vous avez mené des activités antisoviétiques. Donnez-nous des détails de vos actions hostiles à Erevan.
R : Durant mon exil à Erevan, j’ai écrit la brochure : Qu’est-ce qu’un État ouvrier ?, et j’ai fini d’écrire deux ouvrages que j’avais commencé à l’isolateur de Tomsk : le livre Une critique de la théorie et de la pratique du PCP(b) et du Komintern et la brochure L’ultime mensonge. Dans mes livres et brochures, j’analysais les politiques théoriques et pratiques du PCP(b) et du Komintern. J’accusais le Comité Central du PCP(b) et le gouvernement soviétique de s’éloigner des principes de la révolution prolétarienne pour aller vers l’instauration d’un capitalisme d’État dans le pays. Je soutenais que la classe ouvrière de l’URSS était politiquement dépourvue de pouvoirs et j’expliquais dans le détail le programme du Groupe Ouvrier. Pour des raisons techniques, la plupart des livres que j’ai écrits sont restés inédits. Seule la brochure Qu’est-ce qu’un État ouvrier ? a été imprimée illégalement par hectographie avec un tirage de 200 copies. J’ai distribué quelques copies de cette brochure parmi les ouvriers à l’usine de poterie à Erevan en les disposant dans un emplacement où les ouvriers se réunissaient, par exemple, dans le kiosque à l’entrée de l’usine.
La plupart de ces brochures, je les ai envoyées par courrier aux comités d’entreprise des usines suivantes : Motovilikha, Lysva, Chusovsky, Lessner à Leningrad, et autres. J’ai distribué environ 150 exemplaires par ce moyen-là, et j’ai détruit le reste avant de m’enfuir en traversant la frontière. J’ai remis plusieurs livres à Kouznetzov, le messager de Moscou, pour qu’il les transmette au Bureau Central du Groupe Ouvrier.
Q : Étiez-vous resté en contact avec le Bureau Central uniquement par l’intermédiaire de Kouznetzov, ou y avait-il d’autres personnes impliquées. Parlez-nous de cela.
R : Mes relations avec le Bureau Central étaient sporadiques. Des activistes du Groupe Ouvrier faisaient le voyage de Moscou à Erevan pour me rendre visite. Ils me parlaient de leur travail illégal. Moi, à mon tour, je leur transmettais mes instructions pour le Bureau Central.
Q : Donnez-nous le nom des activistes du Groupe Ouvrier qui vous rendaient visite à Erevan.
R : Le seul nom dont je me souvienne est celui de N. V. Kouznetzov.
Q : Vous essayez de nouveau de dissimuler l‘identité de vos collaborateurs lors de vos activités hostiles. Nous insistons pour que vous nommiez tous ceux qui étaient associés avec vous dans le travail illégal au cours de votre exil à Erevan.
R : Je ne nie pas qu’il y ait eu d’autres personnes en dehors de Kouznetzov qui m’aient rendu visite à Erevan au nom du Groupe Ouvrier. Seulement, je ne me rappelle pas leurs noms.
Q : Était-ce uniquement des messagers tout seuls qui vous rendaient visite, ou bien des groupes entiers de membres dirigeants du Groupe Ouvrier illégal ?
R : J’admets avoir été visité une fois par un tel groupe.
Q : Quand ?
R : Au cours de l’été de 1927, j’ai reçu la visite de plusieurs membres du Bureau Central et nous avons tenu une réunion de conspirateurs.
Q : Combien de membres étaient présents lors de cette réunion ?
R : En me comptant, nous étions six membres du Bureau Central.
Q : Donnez-nous leur nom.
R : À part moi, je ne peux que nommer Sergueï Tiounov. Je refuse de donner le nom des autres participants à cette réunion.
Q : Pourquoi ?
R : À cause de considérations éthiques personnelles.
Q : Quelles considérations “éthiques” ?
R : Je suis prêt à risquer ma tête et je réponds de mes propres actions, mais je ne veux pas dénoncer d’autres personnes et les exposer à une possible répression par les organes soviétiques. Si j’ai nommé, au cours des séances précédentes et aujourd’hui, certains de mes collègues dans le travail d’opposition, c’est uniquement parce qu’il apparaît qu’ils sont déjà connus des organes d’investigation.
Q : Pourquoi supposez-vous que les autres membres du Groupe Ouvrier, et en particulier les membres du Bureau Central, ne sont pas connus des organes de la sécurité de l’État ?
R : Pour autant que je sache, ils n’ont pas été soumis précédemment à la répression des organes du gouvernement soviétique, et je crois qu’ils vivent actuellement en liberté, sans que l’on soupçonne leurs relations passées avec moi.
/…/
[Vol. 3, pp. 46-47]
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5-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 1° février 1945.
Q : Que faisiez-vous à Paris au début ?
R : Peu après mon arrivée en France, j’ai rencontré Prudhommeaux, le rédacteur en chef du journal anarcho-syndicaliste L’Ouvrier communiste. C’est par lui que j’ai fait la rencontre d’un certain Zhigoulev-Irinine.
À cette époque-là, Zhigoulev-Irinine possédait une petite entreprise de lavage de vitrines et il s’est débrouillé pour me donner du travail.
Q : Nous savons que votre lien avec Zhigoulev-Irinine n’était pas uniquement en rapport avec son “affaire”, mais plutôt que vous collaboriez avec lui dans une subversion active contre l’État soviétique. Et donc parlez-nous tout d’abord de cela.
R : Zhigoulev-Irinine (je ne me souviens pas de son prénom) avait travaillé à l’ambassade soviétique à Berlin. En 1927, il est devenu un déserteur ; d’après ses convictions politiques, il était anarchiste. Il publiait à Paris le journal Put truda (La voix du travail). Deux de mes articles ont été publiés dans ce journal même avant mon arrivée à Paris – ils avaient été écrits par moi en Turquie et envoyés de là en France. Une fois arrivé à Paris, mon premier mouvement a été de collaborer avec Irinine à ce journal. Cependant des divergences sont bientôt survenues entre nous et j’ai rompu tout contact avec lui. Le fait est que Zhigoulev-Irinine m’a semblé être une personne équivoque. J’ai pensé qu’il était un agent de la police française ou, en tout cas, en relation avec une certaine sorte d’organisation comme la Garde Blanche. Il insistait pour que je rencontre l’émigrant blanc bien connu Bourtsev au moment même où celui-ci tempêtait contre moi dans son journal Obshcheye dyelo (Cause commune), m’accusant d’avoir organisé le meurtre de Michael Romanov. Cette campagne a été reprise par l’ensemble de la presse de la Garde Blanche et j’ai été forcé non seulement d’éviter Zhigoulev-Irinine, mais aussi de me réfugier chez mon ami français Waldspurger. J’ai vécu dans cet appartement environ six mois, sans jamais en sortir. C’est seulement au début de 1931 que j’ai pu trouver du travail comme mécanicien dans un atelier possédé par Durco.
/…/
Q : /…/ Pendant que vous vous trouviez à l’étranger, vous aviez des contacts avec l’URSS dans le but de mener des activités hostiles. Parlez-nous d’eux.
R : Je n’ai eu aucune sorte de contact avec le Bureau Central du Groupe Ouvrier. Je me souviens qu’en 1931 j’ai envoyé par la poste ma brochure L’ultime mensonge à l’adresse du zavkom [comité d’usine] de l’usine d’équipement militaire de Perm (Motovilikha). J’avais écrit cette brochure alors que j’étais encore en exil à Erevan et elle a été publiée à mes frais en 1931 à Paris. J’essayais de démontrer dans cette brochure que la démocratie prolétarienne n’existait pas en Union soviétique, et que l’État soviétique s’était transformé en un État capitaliste. J’écrivais qu’une bureaucratie de parti soviétique s’était emparée du pouvoir d’État en Russie et je réclamais l’élimination de cette bureaucratie.
Q : Pour parler crûment, vous demandiez le renversement du système existant en URSS ?
R : Dans ma brochure L’ultime mensonge, je constatais le besoin de réformes fondamentales en URSS. En particulier, je réclamais l’élimination du sovnarkom [Conseil des commissaires du peuple], car je le comparais au cabinet d’un État bourgeois. J’ai également écrit qu’il faudrait une amnistie pour tous les prisonniers politiques arrêtés pour activités antisoviétiques et j’indiquais la nécessité de supprimer les fonctions judicaires de la Guépéou et d’encourager le développement de points de vue alternatifs opposés à ceux du PCP(b) et de l’État soviétique.
Q : Dans quel autre endroit de l’URSS avez-vous envoyé de la littérature antisoviétique ?
R : Je n’ai pas effectué d’autres envois en URSS. Une centaine d’exemplaires de ma brochure L’ultime mensonge ont été imprimés, et je ne les ai distribués qu’à l’étranger.
Q : Par quels moyens ?
R : J’ai d’abord essayé de les vendre par l’un des magasins de la Garde Blanche à Paris, mais cela m’a été refusé. Ensuite, j’ai décidé de distribuer moi-même la brochure. Je n’ai été capable de vendre que quelques douzaines d’exemplaires. J’ai envoyé des exemplaires au Parti Ouvrier communiste d’Allemagne [KAPD], au Congress of Industrial Unions en Amérique [CIO ?], à l’Independant Labour Party en Angleterre, et quelques exemplaires ont été envoyés en Belgique.
De plus, j’ai fait passer quelques brochures aux dirigeants du mouvement anarcho-syndicaliste en France avec qui j’avais établi un contact personnel à cette époque-là.
Q : Avec qui en particulier ?
R : J’ai rencontré les éditeurs du journal anarcho-syndicaliste “Révolution proléta-rienne” : Robert Louzon et Pierre Monatte. Ils m’ont aidé à trouvé un travail. En tant qu’anarcho-syndicalistes, leurs points de vue étaient proches des miens, et j’ai gardé des relations amicales avec eux. Au début de 1931, j’ai pris part à la vie publique des anarcho-syndicalistes français et j’ai été membre de la Confédération Générale du Travail Unitaire [CGTU].
J’avais aussi de bonnes relations avec Treint, l’ancien secrétaire général du Comité Central du Parti Communiste Français. Il était dans l’opposition au Komintern et à la direction du Parti Communiste Français [PCF]. Ce qui nous a réunis, c’était l’idée de lancer une Internationale Ouvrière. Je lui ai donné la plate-forme et les statuts de la future Internationale que j’avais rédigés quand je vivais encore en Turquie. Mon plan était de rassembler tous les courants du mouvement ouvrier international qui étaient opposés à la III° Internationale. Mon ébauche a été traduite en français par Treint, ronéotypée, et distribuée en France. Treint a envoyé quelques exemplaires en Allemagne, en Belgique et en Amérique.
Je dirais que nous avons essayé de fonder un bureau d’information pour tous les groupes d’opposition qui n’avaient pas adhéré au Komintern. Mais, en fin de compte, il ne s’est rien passé. /…/
En 1934, j’ai écrit un Appel aux travailleurs français qui a été imprimé à 2 000 exemplaires. Dans cet Appel, je décrivais la terreur qui sévissait en Union soviétique ainsi que les persécutions de masse des opposants pour activités illégales. J’ai écrit que Sergueï Tiounov, l’ancien rédacteur en chef de La voie ouvrière vers le pouvoir, l’organe du Groupe Ouvrier, purgeait une peine de prison de six ans et qu’il dépérissait dans les cachots de la Guépéou. Je prenais fermement position contre le PCP(b) et l’État soviétiques et j’appelais les travailleurs à réclamer la libération de Tiounov.
Q : Quelle était votre source pour les informations diffamatoires sur l’Union soviétique que vous avez utilisée pour rédiger votre Appel.
R : C’est Volintsev, anciennement employé du Comité Central du PCP(b) et qui s’était enfui d’Union soviétique, qui m’avait parlé de l’arrestation de Sergueï Tiounov par la Guépéou. J’ai également parlé avec un ressortissant belge, qui avait précédemment travaillé à Moscou, ainsi qu’avec l’anarcho-syndicaliste Lazarevitch, qui était un autre fugitif d’URSS. Les informations que j’ai obtenues à partir des conversations avec ces individus ont été utilisées dans la préparation de l’Appel aux travailleurs français. 1 500 exemplaires de cet Appel ont été distribués aux unions anarcho-syndicalistes en France ; 400 exemplaires ont été confisqués par la police française au cours d’une perquisition.
Q : Qu’est-il arrivé pour les 100 exemplaires restants ?
R : Il est possible que je les aie envoyés dans d’autres pays pour qu’ils y soient distribués, mais je ne m’en souviens pas à l’heure actuelle.
Q : Quelques-uns ont-ils été envoyés en Union soviétique ?
R : Pour autant que je me souvienne, j’en ai envoyé quelques-uns à Perm, à l’adresse du zavkom de l’usine de Motovilikha. J’espérais que mes anciennes relations oppositionnelles étaient encore intactes à Motovilikha et que mon Appel aux travailleurs français y rencontrerait sympathie et soutien.
Je dois dire que, après la publication de cet Appel en 1934, j’ai été arrêté par la police française et accusé de me mêler des affaires intérieures de la France. Un mandat d’expulsion du pays a été délivré. J’ai été libéré de prison sous la condition que je quitte la France dans les trois jours. Je n’ai pas obéi à cet ordre et je me suis caché chez mon ami Henri Barré.
Ensuite, deux mois plus tard, à la demande de Jouhaux, le secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT), le mandat d’expulsion de France me concernant a été annulé. J’ai quitté Paris en 1934 et je me suis rendu dans la ville de Coulommiers où j’ai trouvé du travail dans la construction de la clinique du Dr René Arbeltier. J’y ai travaillé jusqu’en 1936, puis je suis revenu à Paris.
Q : Où avez-vous travaillé lors de votre retour à Paris ?
R : J’ai été embauché pour l’Exposition Internationale et j’y ai travaillé jusqu’en 1937. À cette époque-là, je travaillais sur mon livre : La victoire et la défaite de la classe ouvrière en URSS ou qui a trahi Octobre – Lénine ? Trotski ? Staline ?. J’ai fini ce livre, mais je n’ai pas pu le publier. Si c’est nécessaire pour votre enquête, je peux résumer le contenu du livre.
Q : Votre hostilité à l’égard de l’État soviétique et vos calomnies vis-à-vis du PCP(b) sont suffisamment bien connues, aussi n’est-il pas nécessaire de s’appesantir sur le contenu diffamatoire de votre livre. Dites-nous ce que vous avez fait ensuite.
R : Après l’achèvement du pavillon français de l’Exposition Internationale, j’ai été au chômage pendant un certain temps. En 1938, j’ai obtenu un travail à l’usine Lustra, pour parer et teindre des fourrures, mais j’ai été licencié au bout de six mois. À la fin de 1938, j’ai obtenu une place comme mécanicien en travaillant pour une compagnie privée qui fabriquait des pièces de rechange pour le métro. C’est durant cette période que j’ai terminé un livre sur la transition entre la révolution bourgeoise et la révolution socialiste : Une chronique sur le mouvement ouvrier à Motovilikha. Je dois mentionner que, dans ce livre, je n’ai fait aucune attaque contre le PCP(b).
Q : Voulez-vous dire que vous avez cessé vos activités subversives contre l’URSS ?
R : À cette époque-là, j’avais cessé ma lutte contre le PCP(b) et je n’ai plus effectué d’actions de ce genre.
Q : N’est-il pas vrai que, étant un ennemi implacable du pouvoir soviétique, vous meniez une subversion active contre l’État soviétique jusqu’à tout récemment ? N’essayez pas de cacher quoi que ce soit aux enquêteurs et dites la vérité !
R : Je ne cache rien aux enquêteurs et je ne dis que la vérité. J’ai tout raconté à propos de ma lutte contre le PCP(b) et je n’ai rien à dire de plus.
Q : « Plus rien à dire » parce vous voulez dissimuler vos relations avec les services de renseignements étrangers engagés dans des actions dirigées contre l’URSS ?
R : Je n’ai jamais eu « de relations avec des services de renseignements étrangers », et par conséquent il n’y a rien à dire de plus. S’il vous plaît, croyez-moi quand je dis que, durant cette dernière période, non seulement je ne me suis opposé à l’État soviétique en aucune façon, mais j’ai même considéré que, dans les conditions de la guerre, il était nécessaire de cesser toute lutte contre le PCP(b). J’ai exhorté les travailleurs français à soutenir l’Union soviétique.
Q : Vous essayez de vous faire passer pour un patriote de l’État soviétique. Cela ne va pas marcher. Dites-nous seulement ce que vous avez été capable de faire en France au cours de l’occupation allemande.
R : Sous l’occupation allemande, j’ai travaillé comme mécanicien dans l’atelier qui fabriquait des pièces de rechange pour le métro et ensuite, au début de 1941, j’ai été arrêté.
Q : Quelles ont été les circonstances de votre arrestation par les Allemands ?
R : Le 23 juin 1941, j’ai pris la décision de me rendre à l’ambassade soviétique à Paris afin d’y obtenir l’autorisation de quitter la France pour l’URSS, ou, tout au moins, d’offrir mes services aux autorités soviétiques. Mais l’ambassade était déjà occupée par les Allemands qui m’ont arrêté. Lorsque les Allemands m’ont demandé ce que je faisais à l’ambassade, je leur ai répondu que j’avais trois fils en Union soviétique qui étaient en âge de faire leur service militaire et que j’étais venu à l’ambassade pour m’enquérir de leur sort. Après avoir contrôlé mes papiers, les Allemands m’ont relâché à condition que je m’enregistre chaque jour auprès de la Gestapo J’ai dû faire cela pendant trois mois, et ensuite j’ai été libéré de cette obligation.
Q : À l’évidence, les Allemands ne vous ont pas demandé seulement de vous manifester auprès de la Gestapo, mais aussi de collaborer avec eux, n’est-ce pas ?
R : Non, je n’ai pas pris ce genre d’engagement avec les Allemands, et je ne le pouvais pas, étant donné que j’étais fermement opposé à eux. Jusqu’en juillet 1942, j’ai continué à travailler comme mécanicien, effectuant un travail productif, et ensuite je me suis enfui à Toulouse dans la zone non occupée de la France. Un mois après mon arrivée à Toulouse, j’étais arrêté par la police française.
Q : Pour quelle raison ?
R : Les policiers m’ont dit que mon arrestation était due au fait que, en 1934, j’étais censé avoir été expulsé de France en tant qu’étranger. Mais quand j’ai présenté le document justificatif indiquant que ce mandat avait été annulé, les policiers ont trouvé une nouvelle accusation, à savoir que j’étais un terroriste.
Q : Selon les policiers, qu’aviez-vous fait pour justifier le fait d’être catalogué comme “terroriste” ?
R : J’ai été interrogé seulement une fois, et ensuite j’ai été envoyé dans un camp de concentration proche de Toulouse. Je suis resté dans ce camp pendant sept mois. En avril 1943, avec d’autres prisonniers, j’ai été transféré au camp de “Soulac”, situé à 90 km de Bordeaux. En août 1943, je me suis échappé de ce camp et je suis parti pour Paris où j’ai vécu illégalement jusqu’à ce que Paris soit libéré des Allemands.
Q : Vous nous fournissez des explications contradictoires sur les circonstances de votre arrestation par les Allemands et par la police française, et aussi sur le temps que vous avez passé dans des camps de concentration. À l’évidence, vous essayer de dissimuler votre action de traître en France durant l’occupation allemande. Lors de votre prochain interrogatoire, il vous faudra nous dire la vérité. /…/
[Vol. 3, pp. 52-62].
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6-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 6 mars 1945.
/…/
Q : Qu’avez-vous fait après que Paris a été libéré des Allemands ?
R : J’ai continué à travailler comme mécanicien chez Verboom & Durouchard, c’est-à-dire à fabriquer des pièces de rechange pour le métro. Le 27 novembre 1944, j’ai arrêté d’y travailler du fait de mon intention de partir pour l’Union soviétique.
Q : Alors même que vous êtes un ennemi implacable de l’État soviétique, vous décidez de revenir en Union soviétique. Dites-nous quelles étaient vos intentions lorsque vous avez décidé de retourner en URSS.
R : Je vais travailler au ministère des Affaires étrangères ou comme correspondant pour l’un des journaux nationaux.
Q : Et que vous proposez-vous de faire en termes de lutte contre le pouvoir soviétique ?
R : J’ai interprété la permission qui m’a été accordée de revenir en Union soviétique comme la légalisation du Groupe Ouvrier, lequel pourrait mener une activité oppositionnelle à condition qu’elle soit légale. Pour commencer, j’ai l’intention de publier un journal qui rassemblerait tous les éléments qui sympathisent avec mes idées, et ainsi de préparer la base d’un second parti.
Q : Quel est ce second parti dont vous parlez ?
R : Une fois que je me suis retrouvé en Union soviétique, j’ai envisagé de créer un second parti sur la base du Manifeste du Groupe Ouvrier que j’avais écrit en 1923. Selon mon plan, ce parti “rivaliserait” avec le PCP(b) au sein de toutes les organisations sociales et gouvernementales de l’Union soviétique, telles que les soviets, les syndicats et les coopératives. Un exemple du type de système politique que j’ai en tête pour l’URSS, c’est le bipartisme du gouvernement des USA. En puisant dans l’expérience des deux partis politiques qui rivalisent en Amérique, les partis républicain et démocrate, j’ai imaginé qu’il pourrait y avoir deux partis en URSS : le PCP(b) et un second parti, dirigé par moi, Miasnikov Ce parti prendrait une position d’opposition au PCP(b) sur toutes les questions.
Q : Sur quels éléments avez-vous l’intention de compter pour organiser ce parti ?
R : Je comptais principalement sur les éléments de la classe ouvrière et de la paysannerie qui accepteraient notre programme.
Q : Et plus précisément ?
R : Pour commencer, j’espérais compter sur les restes du Groupe Ouvrier et sur tous les éléments, y compris des membres du PCP(b), qui voudraient me soutenir après la publication de la proclamation.
Q : Quelle proclamation ?
R : La proclamation annonçant la légalisation du Groupe Ouvrier.
Q : Plus précisément, avec lesquelles de vos relations antisoviétiques antérieures avez-vus prévu d’établir le contact ?
R : Tout contact qui proviendrait de mon activité pratique future. Je ne peux fournir aucun nom maintenant étant donné que j’ai vécu à l’étranger depuis 1928 et que je n’ai jamais eu de liens avec une quelconque organisation antisoviétique illégale. /…/
[Vol. 3, pp. 66-67]
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7-. G. I. Miasnikov au commissaire du peuple
aux Affaires étrangères V. M. Molotov
1° avril 1945
Déclaration
Le droit d’asile est l’une des plus grandes réalisations obtenues dans les batailles historiques menées par les forces titanesques de la liberté, de la pensée et de la créativité, contre les forces de l’esclavage, de l’oppression, de la violence et de l’obscurantisme. Même l’Inquisition a dû le reconnaître. Par tradition consacrée par l’usage, un gouvernement qui délivre un visa à un émigré politique pour entrer sur son territoire renonce par conséquent à poursuivre en justice des activités qui ont eu lieu avant que le visa n’ait été délivré. Henri Guilbeaux, Jacques Sadoul, Maurice Thorez, ont tous les trois été des déserteurs en temps de guerre, mais dès qu’ils ont reçu un visa, leurs peines ont été automatiquement abrogées et ils ont pu vivre et agir librement. Il existe des milliers d’exemples de ce genre.
Je suis un penseur et un écrivain de la classe ouvrière qui a vécu comme refugié en France et qui a reçu une invitation du gouvernement de mon pays natal à y revenir. Et j’ai été amené directement de l’aéroport à la prison du NKVD et remis au contre-espionnage qui est en train de fabriquer des accusations scandaleuses et monstrueuses contre moi. Ce traitement s’accompagne d’un ridicule absolu, d’un harcèlement vindicatif, et de graves privations.
Si ma “foi” (mes convictions) n’est pas compatible avec le fait de vivre libre en URSS, je demande alors la possibilité de partir à l’étranger. En France, je travaillais comme mécanicien. Suivant les instructions de l’ambassade, j’ai donné ma démission et j’ai quitté mon travail pour échouer dans la Réserve du personnel du NKVD.
Je gagnais 28 francs de l’heure, travaillais 208 heurs par mois : 28 x 208 = 5 824 francs (en adoptant approximativement le pouvoir d’achat du franc en 1941). Je vous demande donc d’ordonner que l’on me paye mon salaire calculé depuis le moment où j’ai quitté mon travail jusqu’au jour où je le reprendrai.
Veuillez agréer l’expression de mes sentiments respectueux,
Miasnikov
[Vol. 3, pp. 66-67]
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8-. G. I. Miasnikov au commissaire du peuple à la Sécurité de l’État
[Avril 1945]
Au citoyen commissaire du peuple [narkom] à la Sécurité de l’État
Déclaration
Le régime des prisonniers politiques dans les prisons tsaristes était synonyme de quelque chose de barbare, de cruel, d’impitoyable et de vindicatif.
Le peuple russe s’est engagé dans la lutte contre le régime tsariste. Notre parti, celui des bolcheviks, n’a pas été la moindre des forces de ces armées en guerre et moi-même, en tant que membre de ce parti, je n’ai pas été le moindre militant à y prendre part. À ce titre, j’ai eu la possibilité de connaître les joies de ce régime maudit. À cause de mon appartenance à ce parti, j’ai reçu trois peines de travaux forcés, et une autre pour possession et fabrication d’explosifs et d’obus (vous pouvez me croire sur parole, citoyen narkom, les bombes que nous préparions n’étaient pas destinées à être des desserts pour les Romanov et leurs laquais). Lors de mon incarcération dans différentes prisons et différents camp de travaux forcés pendant huit années, l’on ne m’avait jamais empêché, ni lors de la phase d’instruction préliminaire, ni après ma condamnation :
de correspondre avec mes parents et mes amis ;
de recevoir des visites de la part de mes parents et de mes amis ;
d’avoir du matériel pour écrire et la possibilité de m’impliquer dans un travail littéraire.
C’était à l’époque. Et maintenant, pensant que l’air de Paris était mauvais pour moi, j’ai été séduit par le fait de m’en aller et j’ai été jeté dans ce purgatoire pour les corps et les âmes des citoyens soviétiques – les cachots de la police secrète. Là, dans une cellule minuscule, avec quasiment pas de lumière, d’air, ou de nourriture, je suis privé de tabac, de visites, et de matériel d’écriture et je ne suis pas autorisé à parler.
Puisque j’ai passé trois mois dans ce purgatoire, je dois avoir été débarrassé de toute contagion et mon âme doit avoir été sauvée. En conséquence, permettez-moi d’avoir au moins les mêmes privilèges que sous le régime tsariste.
Avec tout mon respect pour cette institution et son chef,
Miasnikov
[Vol. 3, enveloppe séparée]
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9-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 7 mai 1945.
Q : Qu’avez-vous fait dans la “zone libre” de la France ?
R : Le mois même de mon arrivée à Toulouse, j’ai été arrêté par la police française.
/…/
Après que j’ai été inculpé, j’ai fait appel au consul américain à Vichy afin qu’il me prenne sous sa protection en tant que citoyen soviétique désirant éviter d’être remis aux Allemands comme otage. Dans ma déclaration au consul américain, j’ai écrit que, au cours de ma vie en Union soviétique, j’avais eu un certain nombre de postes de responsabilité et j’en ai fait la liste. Ensuite, j’avais entamé une lutte d’opposition contre le Comité Central du PCP(b) et, pour des raisons politiques, j’avais émigré en France.
Malgré cela, le gouvernement soviétique ne m’avait pas dépossédé de ma citoyenneté soviétique. Je demandais au consul de prendre cela en considération et de m’aider à éviter d’être remis aux Allemands par les autorités de Vichy. Cette déclaration a eu pour effet de restreindre les actions de la police et j’ai été envoyé dans un camp de concentration français.
[Vol. 3, pp. 70-72]
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10-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 19 octobre 1945.
Q : Depuis que vous êtes rentré en URSS, avez-vous modifié votre point de vue sur l’activité fractionnelle?
R : Je n’ai pas changé mon point de vue et je n’ai pas l’intention de le faire.
Q : En retournant en URSS, était-ce votre intention de continuer à travailler en accord avec vos convictions politiques, celles que vous avez définies antérieurement ?
R : En retournant en URSS, je croyais que j’aurais la possibilité de travailler à la création d’un nouveau parti.
Q : Avez-vous quelque chose d’autre à dire aux enquêteurs qui ait un rapport avec les charges qui pèsent sur vous ?
R : Concernant les charges qui pèsent sur moi, je confirme entièrement la preuve que j’ai fournie et il n’y a rien de plus que je puisse ajouter.
Q : Avez-vous une déclaration ou requête quelconque à présenter à propos de l’enquête relative à votre affaire ?
R : Je présente uniquement la requête que l’on mette fin à ma détention sur la base que je m’engagerai à ne participer à aucune activité politique fractionnelle. /…/
Q : Étant donné que vous demeurez inflexible dans votre position hostile vis-à-vis du PCP(b), comment osez-vous présenter la requête d’annuler les mesures préventives qui vous sont appliquées ?
R : Je demeure résolu dans mes convictions politiques, mais je m’abstiendrai de toute sorte d’activité politique si je n’en ai pas reçu l’autorisation des autorités concernées.
Q : Avez-vous d’autres requêtes ou déclarations à présenter ?
R : Je n’ai pas d’autres requêtes ou déclarations à présenter. /…/
[Vol. 3, pp. 95-96]
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11-. Transcription de l’audience – 24 octobre 1945. Top secret.
Minutes de la séance à huis clos du Collège militaire
de la Cour suprême de l’URSS.
Ville de Moscou
Président : colonel-général V. V. Ulrich
Membres : majors-généraux de la magistrature A. M. Orlov et I. O. Matoulevitch
Secrétaire : capitaine de la magistrature Mazur
À 20h 50, le président ouvre la séance du Collège militaire et il annonce que le but de l’audition est d’examiner le cas de Gavriil Ilitch Miasnikov, poursuivi sous le coup de l’article 58-1 du code pénal de la RSFSR. /…/
Président : Accusé Miasnikov, comprenez-vous les accusations portées contre vous et reconnaissez-vous votre culpabilité ?
Accusé : Je comprends les accusations qui ont été portées contre moi ; cependant je ne peux pas reconnaître ma culpabilité puisque ce n’est pas ma faute si j’ai les convictions que j’ai.
Les faits exposés dans l’acte d’accusation ne correspondent pas à la réalité pour les raisons suivantes : en premier lieu, l’acte d’accusation dit que Miasnikov a été arrêté en janvier 1945 par les organes de la Sécurité d’État de l’URSS pour avoir mené des activités antisoviétiques. Il ressort de cela que j’étais supposé me trouver sur le territoire soviétique tout le temps et que j’y menais des activités antisoviétiques. Or je vivais en France. J’ai été amené en URSS par des moyens frauduleux…
Président : La façon dont vous êtes arrivé en Union soviétique ne fait pas partie des accusations portées contre vous…
Accusé : Mais je veux que vous compreniez les circonstances dans lesquelles j’ai été arrêté par les organes de la Sécurité de l’État. Deuxièmement, l’acte d’accusation déclare que, lors de son retour d’Allemagne, Miasnikov a rétabli des contacts criminels avec ses complices Kouznetzov et Tiounov. Je veux expliquer au tribunal que, quand j’arrivais d’Allemagne, Kouznetzov avait déjà été arrêté et qu’à cette époque-là je ne connaissais même pas Tiounov. De plus, lors de mon retour d’Allemagne, j’ai moi-même été arrêté. Et donc comment pouvez-vous écrire dans l’acte d’accusation que j’ai établi des contacts avec eux ?
Troisièmement, l’acte d’accusation dit que Miasnikov, se trouvant dans la ville d’Erevan, a écrit une série de brochures antisoviétiques diffamatoires qu’il a imprimées lui-même sur un hectographe et distribuées à Erevan, et aussi envoyées à d’autres villes en Union soviétique. Laissez-moi clarifier le fait que je n’ai jamais écrit de brochures au contenu antisoviétique. J’ai écrit un opuscule que j’ai moi-même imprimé sur un hectographe et non pas une “série”, comme le dit l’acte d’accusation. Je n’ai jamais écrit de documents avec un contenu antisoviétique…
Président : Et comment comprendre autrement vos productions qui sont saturées d’antisoviétisme ?
Accusé : Je défendais mon propre programme. Je me bats pour la réforme de l’État soviétique. /…/
Président : La déposition que vous avez faite lors de l’enquête préliminaire – la confirmez-vous ?
Accusé : Je la confirme pour sa majeure partie à l’exception de certains termes employés par l’enquêteur. Il écrit en particulier : « un ennemi implacable de l’État soviétique ». Quand ai-je été jamais cela ? /…/
Président : Qui vous a aidé pour aller de Turquie en France ?
Accusé : À l’initiative de socialistes de gauche, un “Comité pour aider Miasnikov” avait été créé en France et à Berlin pour me faire sortir de Turquie…
Président : Et qui vous a donné un visa pour entrer en France ?
Accusé : L’ex-ministre français des Affaires étrangères – Briand.
Président : Pourquoi êtes-vous allé en France ?
Accusé : Je suis allé en France parce qu’aucun autre État n’a voulu me donner un visa d’entrée.
Président : Et où vous trouviez-vous durant l’occupation allemande du territoire français ?
Accusé : Je travaillais dans l’une des organisations illégales. Ensuite, lorsque j’ai appris que les Allemands allaient m’arrêter, je me suis enfui. /…/
Président : Quand avez-vous publié la brochure antisoviétique L’ultime mensonge ?
Accusé : En 1930.
Président : Qui dénonciez-vous dans cette brochure ?
Accusé : Le Comité Central du PCP(b). Vous devriez également lire mon manuscrit : La philosophie du meurtre où vous ne trouverez rien d’antisoviétique. J’ai envoyé ce manuscrit à Staline en 1940.
Président : Au cours de l’enquête préliminaire, vous avez fourni le nom de certains de vos associés. Pourquoi avez-vous refusé de donner le nom du reste de vos associés, ceux qui vous ont rendu visite à Erevan pour collaborer à des activités antiparti et antisoviétiques ?
Accusé : Je n’ai pas donné leurs noms pour des raisons morales-éthiques. D’une manière générale, si quelqu’un me confie ses secrets, je ne peux pas les révéler aux autres. En outre, je n’ai jamais été une balance.
/…/
Membre du tribunal, le camarade Orlov : Vous avez dit au tribunal que vous étiez “amicalement” disposé à l’égard du gouvernement soviétique. Par conséquent, pourquoi, en utilisant les excuses de l’éthique, cachez-vous des ennemis du peuple alors que votre devoir de citoyen de l’Union soviétique est d’aider les organes du gouvernement soviétique dans leur lutte contre les ennemis du peuple ?
Accusé : Je suis contre les mouchards, comme Catherine II l’était elle aussi. Nous devons tous répondre de nous-mêmes.
Membre du tribunal, le camarade Matoulevitch : Accusé Miasnikov, dites-nous qui est l’auteur de l’article antisoviétique Capitulation et ligne sanguinaire où il est dit en particulier : « … combattre le type d’État que l’on trouve en Russie où vous avez comme responsable de la production, au niveau de la classe dirigeante, une bureaucratie incontrôlée qui a la maîtrise de toutes les ressources de l’industrie et du travail prolétarien, et qui remplit toutes les fonctions de la bourgeoisie renversée… ».
Accusé : Il a été écrit par moi. Dans cet article, je proposais de reconstituer les soviets de délégués ouvriers des entreprises, mais je n’étais pas opposé à l’État soviétique en général. Je ne dissimulais pas mes opinions et je n’ai pas renoncé à elles. J’ai écrit tout cela avant 1934.
Membre du tribunal, le camarade Matoulevitch : Et comment devons-nous comprendre votre déposition du 24 février 1945 dans laquelle vous dites : « Je voudrais clarifier ces déclarations. Le fait est que, avant 1934, j’étais opposé à l’État soviétique dans ce que j’avais fait imprimer, mais qu’après 1934 aucun écrit de ce genre n’a été publié. Cependant, jusqu’en 1938, j’ai continué à écrire des livres dirigés contre l’Union soviétique ».
Accusé : Telles étaient mes pensées, mais elles n’ont pas été publiées.
Membre du tribunal, le camarade Matoulevitch : Mais elles étaient destinées à être lues par des lecteurs, mais heureusement elles n’ont pas été publiées, n’ai-je pas raison ?
Accusé : Si, mais après les Accords de Munich, lorsque j’ai vu les nuages de la tempête s’amonceler sur l’Union soviétique, je n’ai plus rien écrit et j’ai arrêté de critiquer l’Union soviétique. Mon point de vue est que la critique est utile pour corriger les erreurs.
L’accusé n’a plus rien à ajouter, et donc l’audition est déclarée terminée. La politesse du dernier mot est consentie à l’accusé qui a dit :
Je ne nie pas les faits figurant dans les accusations portées contre moi, mais je ne considère pas que mes convictions soient erronées, et je suis prêt à mourir pour elles.
Il sera clair pour toute personne qui est familière avec ma biographie que mon expérience de lutte – dans les prisons, dans le travail forcé [katorga] et en exil, à la fois sous le régime tsariste et sous le pouvoir soviétique – a forgé mes convictions sur la nécessité de lutter pour la libération de la classe ouvrière.
De votre point de vue, c’est un crime. Du mien, ce n’en est pas un. Peut-être me suis-je trompé et ai-je pris le mauvais chemin.
Je vous demande de prendre tout cela en considération et de me donner la possibilité de vivre en URSS avec ma famille, et je promets solennellement de ne plus jamais écrire des choses de ce genre. Si j’ai appris cette leçon, c’est seulement après un long et difficile voyage.
À 22 h 05 : la cour s’est retirée pour délibérer.
À 22 h 45 : La cour a repris la séance. Le président a prononcé la sentence et il a expliqué la procédure si l’accusé désire présenter une requête de clémence.
À 22 h 49, le président a déclaré close la session du tribunal du Collège militaire.
[Vol. 3, pp. 119-125]
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12-. La sentence
23 octobre 1945 Top secret
Au nom de l’union des Républiques Socialistes soviétiques, le Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS composée de :
Président : colonel-général V. V. Ulrich
Membres : majors-généraux de la magistrature A. M. Orlov et I. O. Matoulevitch
Secrétaire : capitaine de la magistrature Mazur,
lors de la session à huis clos, dans la ville de Moscou, le 24 octobre 1945, a examiné les accusations portées contre : Miasnikov Gavriil Ilitch, né en 1889, natif de la vile de Tchistopol, RSSA tatare, russe, ancien membre du PCP(b), antérieurement réprimé à plusieurs reprises,
Accusé de la violation de l’article 58-1a du code pénal de la RSFSR.
L’enquête préliminaire et judiciaire a établi que l’accusé Miasnikov, ennemi implacable de l’État soviétique, a emprunté à partir de 1920 la voie de la lutte organisée contre le gouvernement soviétique. En 1928, trahissant sa patrie, il a fui à l’étranger. Pendant qu’il se trouvait en Turquie, Miasnikov a établi des relations de type organisationnel avec l’ennemi du peuple Trotski. Puis, alors qu’il a vécu en France jusqu’en 1945, il a poursuivi son activité de traître en regroupant autour de lui différents éléments antisoviétiques. Il a également écrit des brochures et des articles de caractère antisoviétique diffamatoire.
Les actions de Miasnikov, hostiles à l’État soviétique, n’ont pas cessé jusqu’à son arrestation en janvier 1945. Il est ainsi établi que l’accusé Miasnikov est coupable de trahison envers la patrie, c’est-à-dire de la commission d’un crime tombant sous le coup de l’article 58-1a du Code pénal de la RSFSR.
Se fondant sur ce qui précède et guidée par de l’article 58-1a du Code pénal de la RSFSR, le Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS
A CONDAMNÉ
Gavriil Ilitch Miasnikov, sur la base de l’article 58-1a du Code pénal de la RSFSR, à la peine suprême – d’être fusillé avec confiscation de tous ses biens personnels.
Le verdict est définitif et non sujet à appel.
/…/
[Vol. 3, pp. 126-127]
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13-. Information sur l’exécution
CERTIFICAT
La sentence du Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS du 24 octobre 1945, en accord avec la condamnation à être fusillé de Gavriil Ilitch Miasnikov, né en 1889, a été exécutée le 16 novembre 1945.
Chef adjoint de la section “A” de la Division 11 du NKGB de l’URSS
Lieutenant-colonel Balichansky
[Vol. 3, p. 130]
27 décembre 1944
Après examen du possible retour en URSS depuis la France de G.I. Miasnikov, qui est bien connu de vous, le directeur du Commissariat a décidé de lui délivrer un visa dans le but de l’arrêter ici comme traître à la patrie. Nous avons reçu un message du NKID selon lequel Miasnikov a été envoyé en URSS par notre ambassade en France le 18 décembre 1944. [Vol. 3 enveloppe séparée].
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2-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 18 janvier 1945.
Q : Pourquoi vous êtes-vous enfui à l’étranger ?
R : Dès 1920, j’ai eu de désaccords avec le Comité Central du PCR(b) à propos de la signification d’un État prolétarien – sur la dictature du prolétariat et sur la démocratie prolétarienne. J’ai mené une lutte fractionnelle illégale qui a pris la forme de la création de ce que l’on a appelé le Groupe Ouvrier. Les dirigeants de ce Groupe avaient dans l’idée qu’il se transformerait en un parti légal capable d’offrir une alternative au PCR(b) et de mener une lutte avec lui de manière légale.
À la fin de 1922, le Groupe Ouvrier avait pris forme dans un sens organisationnel. Ceci s’était reflété dans la création d’un Bureau Central et dans la publication d’un Manifeste que j’avais moi-même écrit et qui avait été adopté comme plate-forme de notre groupe d’opposition. Quelque temps après, le Bureau Central a publié son propre organe : “La voie ouvrière vers le pouvoir”. Cette publication a été distribuée illégalement en URSS, en particulier dans les villes où le Groupe Ouvrier avait quelque influence, à savoir : Moscou, Leningrad, Kharkov et Nijni Novgorod.
Pendant que je participais à mon activité fractionnelle illégale, j’ai été à maintes reprises soumis à la répression par les autorités soviétiques, et en fin de compte j’ai été exilé à Erevan.
Étant donné que j’étais en désaccord avec la politique du gouvernement soviétique et du Comité Central du PCP(b), et que je désirais éviter d’autres persécutions, j’ai décidé de m’enfuir à l’étranger.
Q : Dites-nous comment vous avez préparé votre fuite.
R : Au début de 1928, après la publication illégale de ma brochure : Qu’est-ce que l’État ouvrier ?, une réunion secrète du Bureau Central du Groupe Ouvrier a eu lieu à Moscou. Il a été décidé lors de cette réunion que, afin d’éviter mon arrestation en relation avec la publication de la brochure, je devais fuir à l’étranger et servir de représentant du Bureau à l’étranger.
Q : Puisque vous étiez à Erevan à ce moment-là, comment avez-vous été informé de cette décision ?
R : J’ai été averti par Kouznetzov (je ne me souviens pas de son prénom) qui avait été envoyé par le Bureau central. /…/(*).
Q : Quelle sorte de questions vous a-t-on posée quand vous étiez interrogé par la police politique à Téhéran ?
R : Le policier qui m’interrogeait voulait des explications sur ce qui m’avait poussé à m’échapper d’URSS, et il posait des questions inquisitrices pour vérifier si j’étais un agent de la Guépéou. J’ai nié ses suppositions en soutenant que cela aurait été incompatible avec la position politique que j’avais par rapport à la direction du PCP(b). Je possédais des preuves documentaires qui démontraient que j’étais en exil et que je vivais récemment à Erevan.
Au cours de l’interrogatoire, j’ai demandé à ce que l’on me libère de ma garde à vue et que l’on me donne la possibilité de quitter la Perse.
Peu après, la police m’a informé que le gouvernement allemand m’autoriserait à entrer en Allemagne. Afin que les documents nécessaires me soient remis, j’ai demandé à être conduit au consulat allemand, où l’on m’a refusé un visa à cause de l’intervention de l’ambassadeur soviétique. C’est alors que je décidais de me soustraire à la garde à vue. À cette fin, je réclamais une autorisation d’absence de 24 heures dans le but, ostensiblement, d’organiser mon départ de Perse par l’intermédiaire d’une des missions étrangères. Accompagné par un policier, je me suis rendu à l’ambassade soviétique et j’y suis entré seul car la police n’avait pas le droit d’y pénétrer. J’ai dit au consul auquel j’ai parlé en ce lieu que j’avais l’intention de retourner en URSS, ce qui en réalité n’était pas vrai. J’ai quitté l’ambassade par une autre sortie, ce qui m’a permis d’échapper à mon garde perse et en même temps de quitter les représentants soviétiques en leur laissant l’impression que j’avais l’intention de revenir en URSS.
Q : Pendant que vous étiez en Iran, avec quelles personnes ou avec quelles organisations antisoviétiques avez-vous été en contact ?
R : J’ai envoyé des télégrammes à Trotski à Istamboul et au président du Reichstag allemand pour les informer que j’étais en détention à Téhéran et que je leur demandais de l’aide.
Q : Trotski vous a-t-il aidé ?
R : Non. Plus tard, quand j’étais en Turquie, son fils Sedov m’a dit qu’il avait reçu l’ordre de Trotski de m’envoyer une lettre et de l’argent à Téhéran, mais les autorités perses les ont renvoyés à Istamboul où Trotski vivait à cette époque-là.
Je suis aussi allé à l’ambassade de Tchécoslovaquie où j’ai rencontré quelqu’un que j’avais connu précédemment à la prison de Rostov (je ne me souviens pas de son nom). Je lui ai donné mes manuscrits pour qu’il les envoie aux archives historiques de Prague.
Q : Pendant combien de temps vous êtes-vous caché en Perse ?
R : Après que j’ai échappé à la surveillance de la police perse, j’ai décidé de chercher de l’aide auprès de quelqu’un que j’ai connu durant ma détention, à savoir un député du Majlis. Je ne me souviens pas de son nom. Il avait été arrêté parce qu’il s’opposait aux réformes du Shah Pahlavi et il avait été libéré avant mon évasion. Il m’a procuré de l’argent et un guide. Le jour même je quittais Téhéran et en juin 1929 je parvenais à la frontière turque avec l’aide de contrebandiers.
[Vol. 3, pp. 31, 32, 34-36]
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3-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 19 janvier 1945.
Q : Nous savons que vous vous êtes mis en contact avec Trotski en Turquie. Pourquoi avez-vous fait silence là-dessus ?
R : Je ne dissimule pas le fait que j’ai rencontré Trotski en Turquie.
Q : Racontez-nous les circonstances qui vous ont conduit à établir des relations avec Trotski.
R : À mon arrivée à Istamboul, la police m’a demandé de signer un accord selon les termes duquel je n’entreprendrais aucune activité politique sur le sol turc et je quitterais le pays aussi vite que possible. Les policiers m’ont dit où trouver Trotski et je suis allé à l’adresse qu’ils m’ont donnée. Le jour même je rencontrais Trotski chez lui.
Q : Quel était le but de votre rencontre avec Trotski ?
R : Je me trouvais dans une situation financière difficile et j’espérais recevoir du soutien de la part de Trotski.
Q : Évidemment, vous ne cherchiez pas seulement à avoir un soutien financier, mais aussi à prendre contact avec des forces activement hostiles à l’URSS, n’est-ce pas ?
R : Je ne cherchais aucune sorte d’alliance organisationnelle ou idéologique avec Trotski étant donné qu’il a été constamment mal disposé envers les dirigeants du Groupe Ouvrier et envers moi personnellement.
Q : Et pourtant, à votre arrivée à Istamboul, vous aviez hâte de le rencontrer. De quoi avez-vous discuté avec Trotski ?
R : Trotski m’a reçu dans son bureau d’une manière hautaine. Je lui ai dit que j’étais harcelé par la police turque et également que j’avais des difficultés financières. J’ai demandé à Trotski de m’aider à obtenir un visa pour partir de Turquie pour l’Europe occidentale. Il a refusé de m’aider à obtenir un visa. Mais du fait que je n’avais pas d’endroit où loger, il m’a invité à rester chez lui pour un temps. J’ai passé quelques jours dans son appartement.
Q : Et n’avez-vous pas discuté d’activités antisoviétiques avec Trotski ?
R : Au tout début de ma conversation avec Trotski, il m’a averti que nous ne discuterions pas de questions politiques. Il n’y donc a pas eu de discussion de ce type.
Q : Vous mentez. Étant donné que vous et Trotski étiez tous deux des ennemis acharnés du PCP(b), avec une haine commune pour le pouvoir soviétique, vous n’avez pas pu éviter de parler de vos actions traîtresses contre l’État soviétique. Dites la vérité – quel type d’accord avez-vous passé avec Trotski ?
R : Je le répète : au cours de mes rencontres avec Trotski, nous n’avons pas traité de questions politiques. Nous avons principalement parlé de choses qui n’avaient pas de relation avec nos démêlés avec le PCR(b). Trotski semblait plus intéressé de parler de pêche et de chasse avec son fils Sedov et son secrétaire Frank. Il n’a pas exprimé d’opinions de nature politique en ma présence.
Q : Cela ne vous sert à rien d’essayer de décrire vos négociations avec Trotski sur des plans de lutte conjointe contre le pouvoir soviétique comme des conversations banales sur la pêche et la chasse. Pourquoi ne pas dire la vérité ? /…/
R : J’étais obligé de travailler en liaison avec Sedov, et à travers lui avec Trotski, étant donné ma situation désespérée en Turquie. Le fait est que je n’avais pas d’autres contacts en dehors d’eux en Turquie. Et donc, bien que j’aie méprisé Trotski à la fois politiquement et personnellement, je n’étais pas en position de couper les relations avec lui.
Toutes mes rencontres avec Sedov s’occupaient de choses personnelles. Il n’y a eu qu’une seule entrevue où je lui ai demandé de faire savoir à Trotski que j’écrivais un article sur la position du Groupe Ouvrier en cas de guerre entre l’URSS et les États bourgeois. Je désirais que cet article soit publié dans le bulletin de Trotski.
Q : Comment Trotski a-t-il réagi à votre proposition ?
R : Selon Sedov, Trotski a refusé de publier mon article dans son intégralité et il a suggéré que, à la place, je soumette une courte lettre au rédacteur en chef. Je n’ai pas été d’accord.
Q : Combien de rencontres avez-vous eues avec Sedov ?
R : J’ai rencontré Sedov un bon nombre de fois, mais ces rencontres, comme je l’ai déjà indiqué, portaient sur des affaires de tous les jours. J’ai aidé Sedov à acheter des choses pour la famille de Trotski et j’ai été payé pour mes services.
Q : Nous savons que Trotski vous a donné de l’argent et pas uniquement pour des “services domestiques”. Dites-nous quel genre de financement vous avez reçu de Trotski.
R : Je n’ai reçu de l’argent de Trotski que deux fois et pour des montants insignifiants. La première fois, il m’a donné 10 dollars pour mes besoins personnels, et la seconde fois, juste avant mon départ pour la France, 25 dollars.
Q : Et vous n’avez pas reçu des subsides de lui pour un travail antisoviétique ?
R : Non. /…/
[Vol. 3, pp. 39-41]
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4-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 25 janvier 1945.
/…/
Q : Nous savons que, pendant que vous purgiez votre peine d’exil, vous avez mené des activités antisoviétiques. Donnez-nous des détails de vos actions hostiles à Erevan.
R : Durant mon exil à Erevan, j’ai écrit la brochure : Qu’est-ce qu’un État ouvrier ?, et j’ai fini d’écrire deux ouvrages que j’avais commencé à l’isolateur de Tomsk : le livre Une critique de la théorie et de la pratique du PCP(b) et du Komintern et la brochure L’ultime mensonge. Dans mes livres et brochures, j’analysais les politiques théoriques et pratiques du PCP(b) et du Komintern. J’accusais le Comité Central du PCP(b) et le gouvernement soviétique de s’éloigner des principes de la révolution prolétarienne pour aller vers l’instauration d’un capitalisme d’État dans le pays. Je soutenais que la classe ouvrière de l’URSS était politiquement dépourvue de pouvoirs et j’expliquais dans le détail le programme du Groupe Ouvrier. Pour des raisons techniques, la plupart des livres que j’ai écrits sont restés inédits. Seule la brochure Qu’est-ce qu’un État ouvrier ? a été imprimée illégalement par hectographie avec un tirage de 200 copies. J’ai distribué quelques copies de cette brochure parmi les ouvriers à l’usine de poterie à Erevan en les disposant dans un emplacement où les ouvriers se réunissaient, par exemple, dans le kiosque à l’entrée de l’usine.
La plupart de ces brochures, je les ai envoyées par courrier aux comités d’entreprise des usines suivantes : Motovilikha, Lysva, Chusovsky, Lessner à Leningrad, et autres. J’ai distribué environ 150 exemplaires par ce moyen-là, et j’ai détruit le reste avant de m’enfuir en traversant la frontière. J’ai remis plusieurs livres à Kouznetzov, le messager de Moscou, pour qu’il les transmette au Bureau Central du Groupe Ouvrier.
Q : Étiez-vous resté en contact avec le Bureau Central uniquement par l’intermédiaire de Kouznetzov, ou y avait-il d’autres personnes impliquées. Parlez-nous de cela.
R : Mes relations avec le Bureau Central étaient sporadiques. Des activistes du Groupe Ouvrier faisaient le voyage de Moscou à Erevan pour me rendre visite. Ils me parlaient de leur travail illégal. Moi, à mon tour, je leur transmettais mes instructions pour le Bureau Central.
Q : Donnez-nous le nom des activistes du Groupe Ouvrier qui vous rendaient visite à Erevan.
R : Le seul nom dont je me souvienne est celui de N. V. Kouznetzov.
Q : Vous essayez de nouveau de dissimuler l‘identité de vos collaborateurs lors de vos activités hostiles. Nous insistons pour que vous nommiez tous ceux qui étaient associés avec vous dans le travail illégal au cours de votre exil à Erevan.
R : Je ne nie pas qu’il y ait eu d’autres personnes en dehors de Kouznetzov qui m’aient rendu visite à Erevan au nom du Groupe Ouvrier. Seulement, je ne me rappelle pas leurs noms.
Q : Était-ce uniquement des messagers tout seuls qui vous rendaient visite, ou bien des groupes entiers de membres dirigeants du Groupe Ouvrier illégal ?
R : J’admets avoir été visité une fois par un tel groupe.
Q : Quand ?
R : Au cours de l’été de 1927, j’ai reçu la visite de plusieurs membres du Bureau Central et nous avons tenu une réunion de conspirateurs.
Q : Combien de membres étaient présents lors de cette réunion ?
R : En me comptant, nous étions six membres du Bureau Central.
Q : Donnez-nous leur nom.
R : À part moi, je ne peux que nommer Sergueï Tiounov. Je refuse de donner le nom des autres participants à cette réunion.
Q : Pourquoi ?
R : À cause de considérations éthiques personnelles.
Q : Quelles considérations “éthiques” ?
R : Je suis prêt à risquer ma tête et je réponds de mes propres actions, mais je ne veux pas dénoncer d’autres personnes et les exposer à une possible répression par les organes soviétiques. Si j’ai nommé, au cours des séances précédentes et aujourd’hui, certains de mes collègues dans le travail d’opposition, c’est uniquement parce qu’il apparaît qu’ils sont déjà connus des organes d’investigation.
Q : Pourquoi supposez-vous que les autres membres du Groupe Ouvrier, et en particulier les membres du Bureau Central, ne sont pas connus des organes de la sécurité de l’État ?
R : Pour autant que je sache, ils n’ont pas été soumis précédemment à la répression des organes du gouvernement soviétique, et je crois qu’ils vivent actuellement en liberté, sans que l’on soupçonne leurs relations passées avec moi.
/…/
[Vol. 3, pp. 46-47]
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5-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 1° février 1945.
Q : Que faisiez-vous à Paris au début ?
R : Peu après mon arrivée en France, j’ai rencontré Prudhommeaux, le rédacteur en chef du journal anarcho-syndicaliste L’Ouvrier communiste. C’est par lui que j’ai fait la rencontre d’un certain Zhigoulev-Irinine.
À cette époque-là, Zhigoulev-Irinine possédait une petite entreprise de lavage de vitrines et il s’est débrouillé pour me donner du travail.
Q : Nous savons que votre lien avec Zhigoulev-Irinine n’était pas uniquement en rapport avec son “affaire”, mais plutôt que vous collaboriez avec lui dans une subversion active contre l’État soviétique. Et donc parlez-nous tout d’abord de cela.
R : Zhigoulev-Irinine (je ne me souviens pas de son prénom) avait travaillé à l’ambassade soviétique à Berlin. En 1927, il est devenu un déserteur ; d’après ses convictions politiques, il était anarchiste. Il publiait à Paris le journal Put truda (La voix du travail). Deux de mes articles ont été publiés dans ce journal même avant mon arrivée à Paris – ils avaient été écrits par moi en Turquie et envoyés de là en France. Une fois arrivé à Paris, mon premier mouvement a été de collaborer avec Irinine à ce journal. Cependant des divergences sont bientôt survenues entre nous et j’ai rompu tout contact avec lui. Le fait est que Zhigoulev-Irinine m’a semblé être une personne équivoque. J’ai pensé qu’il était un agent de la police française ou, en tout cas, en relation avec une certaine sorte d’organisation comme la Garde Blanche. Il insistait pour que je rencontre l’émigrant blanc bien connu Bourtsev au moment même où celui-ci tempêtait contre moi dans son journal Obshcheye dyelo (Cause commune), m’accusant d’avoir organisé le meurtre de Michael Romanov. Cette campagne a été reprise par l’ensemble de la presse de la Garde Blanche et j’ai été forcé non seulement d’éviter Zhigoulev-Irinine, mais aussi de me réfugier chez mon ami français Waldspurger. J’ai vécu dans cet appartement environ six mois, sans jamais en sortir. C’est seulement au début de 1931 que j’ai pu trouver du travail comme mécanicien dans un atelier possédé par Durco.
/…/
Q : /…/ Pendant que vous vous trouviez à l’étranger, vous aviez des contacts avec l’URSS dans le but de mener des activités hostiles. Parlez-nous d’eux.
R : Je n’ai eu aucune sorte de contact avec le Bureau Central du Groupe Ouvrier. Je me souviens qu’en 1931 j’ai envoyé par la poste ma brochure L’ultime mensonge à l’adresse du zavkom [comité d’usine] de l’usine d’équipement militaire de Perm (Motovilikha). J’avais écrit cette brochure alors que j’étais encore en exil à Erevan et elle a été publiée à mes frais en 1931 à Paris. J’essayais de démontrer dans cette brochure que la démocratie prolétarienne n’existait pas en Union soviétique, et que l’État soviétique s’était transformé en un État capitaliste. J’écrivais qu’une bureaucratie de parti soviétique s’était emparée du pouvoir d’État en Russie et je réclamais l’élimination de cette bureaucratie.
Q : Pour parler crûment, vous demandiez le renversement du système existant en URSS ?
R : Dans ma brochure L’ultime mensonge, je constatais le besoin de réformes fondamentales en URSS. En particulier, je réclamais l’élimination du sovnarkom [Conseil des commissaires du peuple], car je le comparais au cabinet d’un État bourgeois. J’ai également écrit qu’il faudrait une amnistie pour tous les prisonniers politiques arrêtés pour activités antisoviétiques et j’indiquais la nécessité de supprimer les fonctions judicaires de la Guépéou et d’encourager le développement de points de vue alternatifs opposés à ceux du PCP(b) et de l’État soviétique.
Q : Dans quel autre endroit de l’URSS avez-vous envoyé de la littérature antisoviétique ?
R : Je n’ai pas effectué d’autres envois en URSS. Une centaine d’exemplaires de ma brochure L’ultime mensonge ont été imprimés, et je ne les ai distribués qu’à l’étranger.
Q : Par quels moyens ?
R : J’ai d’abord essayé de les vendre par l’un des magasins de la Garde Blanche à Paris, mais cela m’a été refusé. Ensuite, j’ai décidé de distribuer moi-même la brochure. Je n’ai été capable de vendre que quelques douzaines d’exemplaires. J’ai envoyé des exemplaires au Parti Ouvrier communiste d’Allemagne [KAPD], au Congress of Industrial Unions en Amérique [CIO ?], à l’Independant Labour Party en Angleterre, et quelques exemplaires ont été envoyés en Belgique.
De plus, j’ai fait passer quelques brochures aux dirigeants du mouvement anarcho-syndicaliste en France avec qui j’avais établi un contact personnel à cette époque-là.
Q : Avec qui en particulier ?
R : J’ai rencontré les éditeurs du journal anarcho-syndicaliste “Révolution proléta-rienne” : Robert Louzon et Pierre Monatte. Ils m’ont aidé à trouvé un travail. En tant qu’anarcho-syndicalistes, leurs points de vue étaient proches des miens, et j’ai gardé des relations amicales avec eux. Au début de 1931, j’ai pris part à la vie publique des anarcho-syndicalistes français et j’ai été membre de la Confédération Générale du Travail Unitaire [CGTU].
J’avais aussi de bonnes relations avec Treint, l’ancien secrétaire général du Comité Central du Parti Communiste Français. Il était dans l’opposition au Komintern et à la direction du Parti Communiste Français [PCF]. Ce qui nous a réunis, c’était l’idée de lancer une Internationale Ouvrière. Je lui ai donné la plate-forme et les statuts de la future Internationale que j’avais rédigés quand je vivais encore en Turquie. Mon plan était de rassembler tous les courants du mouvement ouvrier international qui étaient opposés à la III° Internationale. Mon ébauche a été traduite en français par Treint, ronéotypée, et distribuée en France. Treint a envoyé quelques exemplaires en Allemagne, en Belgique et en Amérique.
Je dirais que nous avons essayé de fonder un bureau d’information pour tous les groupes d’opposition qui n’avaient pas adhéré au Komintern. Mais, en fin de compte, il ne s’est rien passé. /…/
En 1934, j’ai écrit un Appel aux travailleurs français qui a été imprimé à 2 000 exemplaires. Dans cet Appel, je décrivais la terreur qui sévissait en Union soviétique ainsi que les persécutions de masse des opposants pour activités illégales. J’ai écrit que Sergueï Tiounov, l’ancien rédacteur en chef de La voie ouvrière vers le pouvoir, l’organe du Groupe Ouvrier, purgeait une peine de prison de six ans et qu’il dépérissait dans les cachots de la Guépéou. Je prenais fermement position contre le PCP(b) et l’État soviétiques et j’appelais les travailleurs à réclamer la libération de Tiounov.
Q : Quelle était votre source pour les informations diffamatoires sur l’Union soviétique que vous avez utilisée pour rédiger votre Appel.
R : C’est Volintsev, anciennement employé du Comité Central du PCP(b) et qui s’était enfui d’Union soviétique, qui m’avait parlé de l’arrestation de Sergueï Tiounov par la Guépéou. J’ai également parlé avec un ressortissant belge, qui avait précédemment travaillé à Moscou, ainsi qu’avec l’anarcho-syndicaliste Lazarevitch, qui était un autre fugitif d’URSS. Les informations que j’ai obtenues à partir des conversations avec ces individus ont été utilisées dans la préparation de l’Appel aux travailleurs français. 1 500 exemplaires de cet Appel ont été distribués aux unions anarcho-syndicalistes en France ; 400 exemplaires ont été confisqués par la police française au cours d’une perquisition.
Q : Qu’est-il arrivé pour les 100 exemplaires restants ?
R : Il est possible que je les aie envoyés dans d’autres pays pour qu’ils y soient distribués, mais je ne m’en souviens pas à l’heure actuelle.
Q : Quelques-uns ont-ils été envoyés en Union soviétique ?
R : Pour autant que je me souvienne, j’en ai envoyé quelques-uns à Perm, à l’adresse du zavkom de l’usine de Motovilikha. J’espérais que mes anciennes relations oppositionnelles étaient encore intactes à Motovilikha et que mon Appel aux travailleurs français y rencontrerait sympathie et soutien.
Je dois dire que, après la publication de cet Appel en 1934, j’ai été arrêté par la police française et accusé de me mêler des affaires intérieures de la France. Un mandat d’expulsion du pays a été délivré. J’ai été libéré de prison sous la condition que je quitte la France dans les trois jours. Je n’ai pas obéi à cet ordre et je me suis caché chez mon ami Henri Barré.
Ensuite, deux mois plus tard, à la demande de Jouhaux, le secrétaire général de la Confédération Générale du Travail (CGT), le mandat d’expulsion de France me concernant a été annulé. J’ai quitté Paris en 1934 et je me suis rendu dans la ville de Coulommiers où j’ai trouvé du travail dans la construction de la clinique du Dr René Arbeltier. J’y ai travaillé jusqu’en 1936, puis je suis revenu à Paris.
Q : Où avez-vous travaillé lors de votre retour à Paris ?
R : J’ai été embauché pour l’Exposition Internationale et j’y ai travaillé jusqu’en 1937. À cette époque-là, je travaillais sur mon livre : La victoire et la défaite de la classe ouvrière en URSS ou qui a trahi Octobre – Lénine ? Trotski ? Staline ?. J’ai fini ce livre, mais je n’ai pas pu le publier. Si c’est nécessaire pour votre enquête, je peux résumer le contenu du livre.
Q : Votre hostilité à l’égard de l’État soviétique et vos calomnies vis-à-vis du PCP(b) sont suffisamment bien connues, aussi n’est-il pas nécessaire de s’appesantir sur le contenu diffamatoire de votre livre. Dites-nous ce que vous avez fait ensuite.
R : Après l’achèvement du pavillon français de l’Exposition Internationale, j’ai été au chômage pendant un certain temps. En 1938, j’ai obtenu un travail à l’usine Lustra, pour parer et teindre des fourrures, mais j’ai été licencié au bout de six mois. À la fin de 1938, j’ai obtenu une place comme mécanicien en travaillant pour une compagnie privée qui fabriquait des pièces de rechange pour le métro. C’est durant cette période que j’ai terminé un livre sur la transition entre la révolution bourgeoise et la révolution socialiste : Une chronique sur le mouvement ouvrier à Motovilikha. Je dois mentionner que, dans ce livre, je n’ai fait aucune attaque contre le PCP(b).
Q : Voulez-vous dire que vous avez cessé vos activités subversives contre l’URSS ?
R : À cette époque-là, j’avais cessé ma lutte contre le PCP(b) et je n’ai plus effectué d’actions de ce genre.
Q : N’est-il pas vrai que, étant un ennemi implacable du pouvoir soviétique, vous meniez une subversion active contre l’État soviétique jusqu’à tout récemment ? N’essayez pas de cacher quoi que ce soit aux enquêteurs et dites la vérité !
R : Je ne cache rien aux enquêteurs et je ne dis que la vérité. J’ai tout raconté à propos de ma lutte contre le PCP(b) et je n’ai rien à dire de plus.
Q : « Plus rien à dire » parce vous voulez dissimuler vos relations avec les services de renseignements étrangers engagés dans des actions dirigées contre l’URSS ?
R : Je n’ai jamais eu « de relations avec des services de renseignements étrangers », et par conséquent il n’y a rien à dire de plus. S’il vous plaît, croyez-moi quand je dis que, durant cette dernière période, non seulement je ne me suis opposé à l’État soviétique en aucune façon, mais j’ai même considéré que, dans les conditions de la guerre, il était nécessaire de cesser toute lutte contre le PCP(b). J’ai exhorté les travailleurs français à soutenir l’Union soviétique.
Q : Vous essayez de vous faire passer pour un patriote de l’État soviétique. Cela ne va pas marcher. Dites-nous seulement ce que vous avez été capable de faire en France au cours de l’occupation allemande.
R : Sous l’occupation allemande, j’ai travaillé comme mécanicien dans l’atelier qui fabriquait des pièces de rechange pour le métro et ensuite, au début de 1941, j’ai été arrêté.
Q : Quelles ont été les circonstances de votre arrestation par les Allemands ?
R : Le 23 juin 1941, j’ai pris la décision de me rendre à l’ambassade soviétique à Paris afin d’y obtenir l’autorisation de quitter la France pour l’URSS, ou, tout au moins, d’offrir mes services aux autorités soviétiques. Mais l’ambassade était déjà occupée par les Allemands qui m’ont arrêté. Lorsque les Allemands m’ont demandé ce que je faisais à l’ambassade, je leur ai répondu que j’avais trois fils en Union soviétique qui étaient en âge de faire leur service militaire et que j’étais venu à l’ambassade pour m’enquérir de leur sort. Après avoir contrôlé mes papiers, les Allemands m’ont relâché à condition que je m’enregistre chaque jour auprès de la Gestapo J’ai dû faire cela pendant trois mois, et ensuite j’ai été libéré de cette obligation.
Q : À l’évidence, les Allemands ne vous ont pas demandé seulement de vous manifester auprès de la Gestapo, mais aussi de collaborer avec eux, n’est-ce pas ?
R : Non, je n’ai pas pris ce genre d’engagement avec les Allemands, et je ne le pouvais pas, étant donné que j’étais fermement opposé à eux. Jusqu’en juillet 1942, j’ai continué à travailler comme mécanicien, effectuant un travail productif, et ensuite je me suis enfui à Toulouse dans la zone non occupée de la France. Un mois après mon arrivée à Toulouse, j’étais arrêté par la police française.
Q : Pour quelle raison ?
R : Les policiers m’ont dit que mon arrestation était due au fait que, en 1934, j’étais censé avoir été expulsé de France en tant qu’étranger. Mais quand j’ai présenté le document justificatif indiquant que ce mandat avait été annulé, les policiers ont trouvé une nouvelle accusation, à savoir que j’étais un terroriste.
Q : Selon les policiers, qu’aviez-vous fait pour justifier le fait d’être catalogué comme “terroriste” ?
R : J’ai été interrogé seulement une fois, et ensuite j’ai été envoyé dans un camp de concentration proche de Toulouse. Je suis resté dans ce camp pendant sept mois. En avril 1943, avec d’autres prisonniers, j’ai été transféré au camp de “Soulac”, situé à 90 km de Bordeaux. En août 1943, je me suis échappé de ce camp et je suis parti pour Paris où j’ai vécu illégalement jusqu’à ce que Paris soit libéré des Allemands.
Q : Vous nous fournissez des explications contradictoires sur les circonstances de votre arrestation par les Allemands et par la police française, et aussi sur le temps que vous avez passé dans des camps de concentration. À l’évidence, vous essayer de dissimuler votre action de traître en France durant l’occupation allemande. Lors de votre prochain interrogatoire, il vous faudra nous dire la vérité. /…/
[Vol. 3, pp. 52-62].
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6-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 6 mars 1945.
/…/
Q : Qu’avez-vous fait après que Paris a été libéré des Allemands ?
R : J’ai continué à travailler comme mécanicien chez Verboom & Durouchard, c’est-à-dire à fabriquer des pièces de rechange pour le métro. Le 27 novembre 1944, j’ai arrêté d’y travailler du fait de mon intention de partir pour l’Union soviétique.
Q : Alors même que vous êtes un ennemi implacable de l’État soviétique, vous décidez de revenir en Union soviétique. Dites-nous quelles étaient vos intentions lorsque vous avez décidé de retourner en URSS.
R : Je vais travailler au ministère des Affaires étrangères ou comme correspondant pour l’un des journaux nationaux.
Q : Et que vous proposez-vous de faire en termes de lutte contre le pouvoir soviétique ?
R : J’ai interprété la permission qui m’a été accordée de revenir en Union soviétique comme la légalisation du Groupe Ouvrier, lequel pourrait mener une activité oppositionnelle à condition qu’elle soit légale. Pour commencer, j’ai l’intention de publier un journal qui rassemblerait tous les éléments qui sympathisent avec mes idées, et ainsi de préparer la base d’un second parti.
Q : Quel est ce second parti dont vous parlez ?
R : Une fois que je me suis retrouvé en Union soviétique, j’ai envisagé de créer un second parti sur la base du Manifeste du Groupe Ouvrier que j’avais écrit en 1923. Selon mon plan, ce parti “rivaliserait” avec le PCP(b) au sein de toutes les organisations sociales et gouvernementales de l’Union soviétique, telles que les soviets, les syndicats et les coopératives. Un exemple du type de système politique que j’ai en tête pour l’URSS, c’est le bipartisme du gouvernement des USA. En puisant dans l’expérience des deux partis politiques qui rivalisent en Amérique, les partis républicain et démocrate, j’ai imaginé qu’il pourrait y avoir deux partis en URSS : le PCP(b) et un second parti, dirigé par moi, Miasnikov Ce parti prendrait une position d’opposition au PCP(b) sur toutes les questions.
Q : Sur quels éléments avez-vous l’intention de compter pour organiser ce parti ?
R : Je comptais principalement sur les éléments de la classe ouvrière et de la paysannerie qui accepteraient notre programme.
Q : Et plus précisément ?
R : Pour commencer, j’espérais compter sur les restes du Groupe Ouvrier et sur tous les éléments, y compris des membres du PCP(b), qui voudraient me soutenir après la publication de la proclamation.
Q : Quelle proclamation ?
R : La proclamation annonçant la légalisation du Groupe Ouvrier.
Q : Plus précisément, avec lesquelles de vos relations antisoviétiques antérieures avez-vus prévu d’établir le contact ?
R : Tout contact qui proviendrait de mon activité pratique future. Je ne peux fournir aucun nom maintenant étant donné que j’ai vécu à l’étranger depuis 1928 et que je n’ai jamais eu de liens avec une quelconque organisation antisoviétique illégale. /…/
[Vol. 3, pp. 66-67]
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7-. G. I. Miasnikov au commissaire du peuple
aux Affaires étrangères V. M. Molotov
1° avril 1945
Déclaration
Le droit d’asile est l’une des plus grandes réalisations obtenues dans les batailles historiques menées par les forces titanesques de la liberté, de la pensée et de la créativité, contre les forces de l’esclavage, de l’oppression, de la violence et de l’obscurantisme. Même l’Inquisition a dû le reconnaître. Par tradition consacrée par l’usage, un gouvernement qui délivre un visa à un émigré politique pour entrer sur son territoire renonce par conséquent à poursuivre en justice des activités qui ont eu lieu avant que le visa n’ait été délivré. Henri Guilbeaux, Jacques Sadoul, Maurice Thorez, ont tous les trois été des déserteurs en temps de guerre, mais dès qu’ils ont reçu un visa, leurs peines ont été automatiquement abrogées et ils ont pu vivre et agir librement. Il existe des milliers d’exemples de ce genre.
Je suis un penseur et un écrivain de la classe ouvrière qui a vécu comme refugié en France et qui a reçu une invitation du gouvernement de mon pays natal à y revenir. Et j’ai été amené directement de l’aéroport à la prison du NKVD et remis au contre-espionnage qui est en train de fabriquer des accusations scandaleuses et monstrueuses contre moi. Ce traitement s’accompagne d’un ridicule absolu, d’un harcèlement vindicatif, et de graves privations.
Si ma “foi” (mes convictions) n’est pas compatible avec le fait de vivre libre en URSS, je demande alors la possibilité de partir à l’étranger. En France, je travaillais comme mécanicien. Suivant les instructions de l’ambassade, j’ai donné ma démission et j’ai quitté mon travail pour échouer dans la Réserve du personnel du NKVD.
Je gagnais 28 francs de l’heure, travaillais 208 heurs par mois : 28 x 208 = 5 824 francs (en adoptant approximativement le pouvoir d’achat du franc en 1941). Je vous demande donc d’ordonner que l’on me paye mon salaire calculé depuis le moment où j’ai quitté mon travail jusqu’au jour où je le reprendrai.
Veuillez agréer l’expression de mes sentiments respectueux,
Miasnikov
[Vol. 3, pp. 66-67]
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8-. G. I. Miasnikov au commissaire du peuple à la Sécurité de l’État
[Avril 1945]
Au citoyen commissaire du peuple [narkom] à la Sécurité de l’État
Déclaration
Le régime des prisonniers politiques dans les prisons tsaristes était synonyme de quelque chose de barbare, de cruel, d’impitoyable et de vindicatif.
Le peuple russe s’est engagé dans la lutte contre le régime tsariste. Notre parti, celui des bolcheviks, n’a pas été la moindre des forces de ces armées en guerre et moi-même, en tant que membre de ce parti, je n’ai pas été le moindre militant à y prendre part. À ce titre, j’ai eu la possibilité de connaître les joies de ce régime maudit. À cause de mon appartenance à ce parti, j’ai reçu trois peines de travaux forcés, et une autre pour possession et fabrication d’explosifs et d’obus (vous pouvez me croire sur parole, citoyen narkom, les bombes que nous préparions n’étaient pas destinées à être des desserts pour les Romanov et leurs laquais). Lors de mon incarcération dans différentes prisons et différents camp de travaux forcés pendant huit années, l’on ne m’avait jamais empêché, ni lors de la phase d’instruction préliminaire, ni après ma condamnation :
de correspondre avec mes parents et mes amis ;
de recevoir des visites de la part de mes parents et de mes amis ;
d’avoir du matériel pour écrire et la possibilité de m’impliquer dans un travail littéraire.
C’était à l’époque. Et maintenant, pensant que l’air de Paris était mauvais pour moi, j’ai été séduit par le fait de m’en aller et j’ai été jeté dans ce purgatoire pour les corps et les âmes des citoyens soviétiques – les cachots de la police secrète. Là, dans une cellule minuscule, avec quasiment pas de lumière, d’air, ou de nourriture, je suis privé de tabac, de visites, et de matériel d’écriture et je ne suis pas autorisé à parler.
Puisque j’ai passé trois mois dans ce purgatoire, je dois avoir été débarrassé de toute contagion et mon âme doit avoir été sauvée. En conséquence, permettez-moi d’avoir au moins les mêmes privilèges que sous le régime tsariste.
Avec tout mon respect pour cette institution et son chef,
Miasnikov
[Vol. 3, enveloppe séparée]
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9-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 7 mai 1945.
Q : Qu’avez-vous fait dans la “zone libre” de la France ?
R : Le mois même de mon arrivée à Toulouse, j’ai été arrêté par la police française.
/…/
Après que j’ai été inculpé, j’ai fait appel au consul américain à Vichy afin qu’il me prenne sous sa protection en tant que citoyen soviétique désirant éviter d’être remis aux Allemands comme otage. Dans ma déclaration au consul américain, j’ai écrit que, au cours de ma vie en Union soviétique, j’avais eu un certain nombre de postes de responsabilité et j’en ai fait la liste. Ensuite, j’avais entamé une lutte d’opposition contre le Comité Central du PCP(b) et, pour des raisons politiques, j’avais émigré en France.
Malgré cela, le gouvernement soviétique ne m’avait pas dépossédé de ma citoyenneté soviétique. Je demandais au consul de prendre cela en considération et de m’aider à éviter d’être remis aux Allemands par les autorités de Vichy. Cette déclaration a eu pour effet de restreindre les actions de la police et j’ai été envoyé dans un camp de concentration français.
[Vol. 3, pp. 70-72]
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10-. Enregistrement de l’interrogatoire de G. I. Miasnikov – 19 octobre 1945.
Q : Depuis que vous êtes rentré en URSS, avez-vous modifié votre point de vue sur l’activité fractionnelle?
R : Je n’ai pas changé mon point de vue et je n’ai pas l’intention de le faire.
Q : En retournant en URSS, était-ce votre intention de continuer à travailler en accord avec vos convictions politiques, celles que vous avez définies antérieurement ?
R : En retournant en URSS, je croyais que j’aurais la possibilité de travailler à la création d’un nouveau parti.
Q : Avez-vous quelque chose d’autre à dire aux enquêteurs qui ait un rapport avec les charges qui pèsent sur vous ?
R : Concernant les charges qui pèsent sur moi, je confirme entièrement la preuve que j’ai fournie et il n’y a rien de plus que je puisse ajouter.
Q : Avez-vous une déclaration ou requête quelconque à présenter à propos de l’enquête relative à votre affaire ?
R : Je présente uniquement la requête que l’on mette fin à ma détention sur la base que je m’engagerai à ne participer à aucune activité politique fractionnelle. /…/
Q : Étant donné que vous demeurez inflexible dans votre position hostile vis-à-vis du PCP(b), comment osez-vous présenter la requête d’annuler les mesures préventives qui vous sont appliquées ?
R : Je demeure résolu dans mes convictions politiques, mais je m’abstiendrai de toute sorte d’activité politique si je n’en ai pas reçu l’autorisation des autorités concernées.
Q : Avez-vous d’autres requêtes ou déclarations à présenter ?
R : Je n’ai pas d’autres requêtes ou déclarations à présenter. /…/
[Vol. 3, pp. 95-96]
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11-. Transcription de l’audience – 24 octobre 1945. Top secret.
Minutes de la séance à huis clos du Collège militaire
de la Cour suprême de l’URSS.
Ville de Moscou
Président : colonel-général V. V. Ulrich
Membres : majors-généraux de la magistrature A. M. Orlov et I. O. Matoulevitch
Secrétaire : capitaine de la magistrature Mazur
À 20h 50, le président ouvre la séance du Collège militaire et il annonce que le but de l’audition est d’examiner le cas de Gavriil Ilitch Miasnikov, poursuivi sous le coup de l’article 58-1 du code pénal de la RSFSR. /…/
Président : Accusé Miasnikov, comprenez-vous les accusations portées contre vous et reconnaissez-vous votre culpabilité ?
Accusé : Je comprends les accusations qui ont été portées contre moi ; cependant je ne peux pas reconnaître ma culpabilité puisque ce n’est pas ma faute si j’ai les convictions que j’ai.
Les faits exposés dans l’acte d’accusation ne correspondent pas à la réalité pour les raisons suivantes : en premier lieu, l’acte d’accusation dit que Miasnikov a été arrêté en janvier 1945 par les organes de la Sécurité d’État de l’URSS pour avoir mené des activités antisoviétiques. Il ressort de cela que j’étais supposé me trouver sur le territoire soviétique tout le temps et que j’y menais des activités antisoviétiques. Or je vivais en France. J’ai été amené en URSS par des moyens frauduleux…
Président : La façon dont vous êtes arrivé en Union soviétique ne fait pas partie des accusations portées contre vous…
Accusé : Mais je veux que vous compreniez les circonstances dans lesquelles j’ai été arrêté par les organes de la Sécurité de l’État. Deuxièmement, l’acte d’accusation déclare que, lors de son retour d’Allemagne, Miasnikov a rétabli des contacts criminels avec ses complices Kouznetzov et Tiounov. Je veux expliquer au tribunal que, quand j’arrivais d’Allemagne, Kouznetzov avait déjà été arrêté et qu’à cette époque-là je ne connaissais même pas Tiounov. De plus, lors de mon retour d’Allemagne, j’ai moi-même été arrêté. Et donc comment pouvez-vous écrire dans l’acte d’accusation que j’ai établi des contacts avec eux ?
Troisièmement, l’acte d’accusation dit que Miasnikov, se trouvant dans la ville d’Erevan, a écrit une série de brochures antisoviétiques diffamatoires qu’il a imprimées lui-même sur un hectographe et distribuées à Erevan, et aussi envoyées à d’autres villes en Union soviétique. Laissez-moi clarifier le fait que je n’ai jamais écrit de brochures au contenu antisoviétique. J’ai écrit un opuscule que j’ai moi-même imprimé sur un hectographe et non pas une “série”, comme le dit l’acte d’accusation. Je n’ai jamais écrit de documents avec un contenu antisoviétique…
Président : Et comment comprendre autrement vos productions qui sont saturées d’antisoviétisme ?
Accusé : Je défendais mon propre programme. Je me bats pour la réforme de l’État soviétique. /…/
Président : La déposition que vous avez faite lors de l’enquête préliminaire – la confirmez-vous ?
Accusé : Je la confirme pour sa majeure partie à l’exception de certains termes employés par l’enquêteur. Il écrit en particulier : « un ennemi implacable de l’État soviétique ». Quand ai-je été jamais cela ? /…/
Président : Qui vous a aidé pour aller de Turquie en France ?
Accusé : À l’initiative de socialistes de gauche, un “Comité pour aider Miasnikov” avait été créé en France et à Berlin pour me faire sortir de Turquie…
Président : Et qui vous a donné un visa pour entrer en France ?
Accusé : L’ex-ministre français des Affaires étrangères – Briand.
Président : Pourquoi êtes-vous allé en France ?
Accusé : Je suis allé en France parce qu’aucun autre État n’a voulu me donner un visa d’entrée.
Président : Et où vous trouviez-vous durant l’occupation allemande du territoire français ?
Accusé : Je travaillais dans l’une des organisations illégales. Ensuite, lorsque j’ai appris que les Allemands allaient m’arrêter, je me suis enfui. /…/
Président : Quand avez-vous publié la brochure antisoviétique L’ultime mensonge ?
Accusé : En 1930.
Président : Qui dénonciez-vous dans cette brochure ?
Accusé : Le Comité Central du PCP(b). Vous devriez également lire mon manuscrit : La philosophie du meurtre où vous ne trouverez rien d’antisoviétique. J’ai envoyé ce manuscrit à Staline en 1940.
Président : Au cours de l’enquête préliminaire, vous avez fourni le nom de certains de vos associés. Pourquoi avez-vous refusé de donner le nom du reste de vos associés, ceux qui vous ont rendu visite à Erevan pour collaborer à des activités antiparti et antisoviétiques ?
Accusé : Je n’ai pas donné leurs noms pour des raisons morales-éthiques. D’une manière générale, si quelqu’un me confie ses secrets, je ne peux pas les révéler aux autres. En outre, je n’ai jamais été une balance.
/…/
Membre du tribunal, le camarade Orlov : Vous avez dit au tribunal que vous étiez “amicalement” disposé à l’égard du gouvernement soviétique. Par conséquent, pourquoi, en utilisant les excuses de l’éthique, cachez-vous des ennemis du peuple alors que votre devoir de citoyen de l’Union soviétique est d’aider les organes du gouvernement soviétique dans leur lutte contre les ennemis du peuple ?
Accusé : Je suis contre les mouchards, comme Catherine II l’était elle aussi. Nous devons tous répondre de nous-mêmes.
Membre du tribunal, le camarade Matoulevitch : Accusé Miasnikov, dites-nous qui est l’auteur de l’article antisoviétique Capitulation et ligne sanguinaire où il est dit en particulier : « … combattre le type d’État que l’on trouve en Russie où vous avez comme responsable de la production, au niveau de la classe dirigeante, une bureaucratie incontrôlée qui a la maîtrise de toutes les ressources de l’industrie et du travail prolétarien, et qui remplit toutes les fonctions de la bourgeoisie renversée… ».
Accusé : Il a été écrit par moi. Dans cet article, je proposais de reconstituer les soviets de délégués ouvriers des entreprises, mais je n’étais pas opposé à l’État soviétique en général. Je ne dissimulais pas mes opinions et je n’ai pas renoncé à elles. J’ai écrit tout cela avant 1934.
Membre du tribunal, le camarade Matoulevitch : Et comment devons-nous comprendre votre déposition du 24 février 1945 dans laquelle vous dites : « Je voudrais clarifier ces déclarations. Le fait est que, avant 1934, j’étais opposé à l’État soviétique dans ce que j’avais fait imprimer, mais qu’après 1934 aucun écrit de ce genre n’a été publié. Cependant, jusqu’en 1938, j’ai continué à écrire des livres dirigés contre l’Union soviétique ».
Accusé : Telles étaient mes pensées, mais elles n’ont pas été publiées.
Membre du tribunal, le camarade Matoulevitch : Mais elles étaient destinées à être lues par des lecteurs, mais heureusement elles n’ont pas été publiées, n’ai-je pas raison ?
Accusé : Si, mais après les Accords de Munich, lorsque j’ai vu les nuages de la tempête s’amonceler sur l’Union soviétique, je n’ai plus rien écrit et j’ai arrêté de critiquer l’Union soviétique. Mon point de vue est que la critique est utile pour corriger les erreurs.
L’accusé n’a plus rien à ajouter, et donc l’audition est déclarée terminée. La politesse du dernier mot est consentie à l’accusé qui a dit :
Je ne nie pas les faits figurant dans les accusations portées contre moi, mais je ne considère pas que mes convictions soient erronées, et je suis prêt à mourir pour elles.
Il sera clair pour toute personne qui est familière avec ma biographie que mon expérience de lutte – dans les prisons, dans le travail forcé [katorga] et en exil, à la fois sous le régime tsariste et sous le pouvoir soviétique – a forgé mes convictions sur la nécessité de lutter pour la libération de la classe ouvrière.
De votre point de vue, c’est un crime. Du mien, ce n’en est pas un. Peut-être me suis-je trompé et ai-je pris le mauvais chemin.
Je vous demande de prendre tout cela en considération et de me donner la possibilité de vivre en URSS avec ma famille, et je promets solennellement de ne plus jamais écrire des choses de ce genre. Si j’ai appris cette leçon, c’est seulement après un long et difficile voyage.
À 22 h 05 : la cour s’est retirée pour délibérer.
À 22 h 45 : La cour a repris la séance. Le président a prononcé la sentence et il a expliqué la procédure si l’accusé désire présenter une requête de clémence.
À 22 h 49, le président a déclaré close la session du tribunal du Collège militaire.
[Vol. 3, pp. 119-125]
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12-. La sentence
23 octobre 1945 Top secret
Au nom de l’union des Républiques Socialistes soviétiques, le Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS composée de :
Président : colonel-général V. V. Ulrich
Membres : majors-généraux de la magistrature A. M. Orlov et I. O. Matoulevitch
Secrétaire : capitaine de la magistrature Mazur,
lors de la session à huis clos, dans la ville de Moscou, le 24 octobre 1945, a examiné les accusations portées contre : Miasnikov Gavriil Ilitch, né en 1889, natif de la vile de Tchistopol, RSSA tatare, russe, ancien membre du PCP(b), antérieurement réprimé à plusieurs reprises,
Accusé de la violation de l’article 58-1a du code pénal de la RSFSR.
L’enquête préliminaire et judiciaire a établi que l’accusé Miasnikov, ennemi implacable de l’État soviétique, a emprunté à partir de 1920 la voie de la lutte organisée contre le gouvernement soviétique. En 1928, trahissant sa patrie, il a fui à l’étranger. Pendant qu’il se trouvait en Turquie, Miasnikov a établi des relations de type organisationnel avec l’ennemi du peuple Trotski. Puis, alors qu’il a vécu en France jusqu’en 1945, il a poursuivi son activité de traître en regroupant autour de lui différents éléments antisoviétiques. Il a également écrit des brochures et des articles de caractère antisoviétique diffamatoire.
Les actions de Miasnikov, hostiles à l’État soviétique, n’ont pas cessé jusqu’à son arrestation en janvier 1945. Il est ainsi établi que l’accusé Miasnikov est coupable de trahison envers la patrie, c’est-à-dire de la commission d’un crime tombant sous le coup de l’article 58-1a du Code pénal de la RSFSR.
Se fondant sur ce qui précède et guidée par de l’article 58-1a du Code pénal de la RSFSR, le Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS
A CONDAMNÉ
Gavriil Ilitch Miasnikov, sur la base de l’article 58-1a du Code pénal de la RSFSR, à la peine suprême – d’être fusillé avec confiscation de tous ses biens personnels.
Le verdict est définitif et non sujet à appel.
/…/
[Vol. 3, pp. 126-127]
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13-. Information sur l’exécution
CERTIFICAT
La sentence du Collège militaire de la Cour suprême de l’URSS du 24 octobre 1945, en accord avec la condamnation à être fusillé de Gavriil Ilitch Miasnikov, né en 1889, a été exécutée le 16 novembre 1945.
Chef adjoint de la section “A” de la Division 11 du NKGB de l’URSS
Lieutenant-colonel Balichansky
[Vol. 3, p. 130]