"Par la réduction, Merleau-Ponty n’entend pas se retirer du monde vers une conscience pure. S’il prend du recul, s'il « distend les fils intentionnels qui nous relient au monde », c’est « justement pour voir le monde » [...] et prendre conscience de notre rapport à lui. [...]
Toute conscience, toute connaissance, toute entreprise de l’homme se dessine sur un fond toujours présent : le monde, un monde qui est toujours déjà là, radicalement premier. La réduction ne sera ni une démarche idéaliste, un « retour à une conscience transcendantale devant laquelle le monde se déploie dans une transparence absolue » [...] ni un retour réflexif à une source intérieure, à « l’homme intérieur » de saint Augustin, mais « la formule d’une philosophie existentielle », d’un « sujet voué au monde »." (p.104)
"Dans le Cogito ergo sum, ce n’est pas le Je pense qui contient éminemment le Je suis : c’est la conscience qui est réintégrée à l’existence (p. 439) ou qui se saisit dans une sorte d’ambiguïté ou d’obscurité qui font précisément que je ne suis pas pure conscience ou absolu d’existence (p. 432). « Je suis à moi en étant au monde » (p. 466). « Le Cogito doit me découvrir en situation » (p. vu), engagé dans une situation historique totale, équivoque. Cette existence ne sera pas angoisse ou « inquiétude virile » comme pour Sartre, mais ambiguïté ; non pas malédiction, mais chance et risque." (p.105)
"L’arrachement perpétuel par lequel Sartre définit la liberté, n’apparaît à Merleau-Ponty que comme « l’aspect négatif de notre engagement universel dans le monde » (p. 501). « Loin que ma liberté soit toujours seule, elle n’est jamais sans complice, et son pouvoir d’arrachement perpétuel prend appui sur mon engagement universel dans le monde. Ma liberté effective n’est pas en deçà de mon être, mais devant moi, dans les choses » (p. 516). Sans ses racines, la liberté ne serait pas liberté, mais dans cet enracinement s’exprime l’irréductible ambiguïté de mon existence, de ma participation au monde (p. 520). « Jamais je ne suis chose et jamais conscience nue » (p. 517). Le grief majeur que Merleau-Ponty fait ainsi à Sartre, c’est, semble-t-il, que la néantisation, tout comme la réflexion idéaliste, « s’emporte elle-même et se replace dans une subjectivité invulnérable »." (pp.105-106)
"Le véritable transcendantal ou « existential » (pour parler comme Heidegger), c’est « la vie ambiguë » (p. 418), car « nous sommes mêlés au monde et aux autres dans une confusion inextricable »."
"Merleau-Ponty s’efforce de montrer que la perception est notre rapport originel au monde, « un type d’expérience originaire ». « Il ne faut donc pas se demander si nous percevons vraiment un monde, il faut dire au contraire : le monde est cela que nous percevons »." (p.111)
"Le sens est ambigu, mêlé de non-sens puisque la réduction n’est jamais complète. On ne peut pas plus dire : tout a un sens que : tout est non-sens. [...] Le sens n’est pas déjà là, comme si nous n’avions plus qu’à déchiffrer le monde ; ce n’est pas non plus nous qui, à partir de notre conscience nue, créerions les significations et les valeurs, mais « nous achevons en une parole précise le discours confus du monde »." (p.112)
-Pierre Thévenaz, De Husserl à Merleau-Ponty. Qu'est-ce que la phénoménologie ?, Neuchatel, Éditions de la Baconnière, 1966, 119 pages.
« Le monde humain est un système ouvert ou inachevé et la même contingence fondamentale qui le menace de discordance le soustrait aussi à la fatalité du désordre et interdit d’en désespérer. »
-Maurice Merleau-Ponty, Humanisme et Terreur, 1947, p.206.